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La désinvolture des nombres et des couleurs dans la peinture «fidèle aux rêves» de Jeanine Dumas Cambon

23 dimanche Août 2015

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Jeanine Dumas Cambon, « Message d’amour », huile sur toile, 100×100

La désinvolture des nombres et des couleurs dans la peinture «fidèle aux rêves» de Jeanine Dumas Cambon

Depuis des années, je considère Paris comme un lieu de vacances. Car j’ai choisi cette ville dans un élan presque amoureux et que j’ai trouvé ici la plupart des merveilles que j’attendais d’y trouver.
Avec le temps, devenant parisien moi aussi, j’ai commencé à ressentir le besoin de faire de véritables vacances, avec le désir de connaître, un peu, cette France sans laquelle Paris n’existerait pas, peut-être. Un immense territoire à découvrir en plusieurs escapades ou voyages prolongés.
Lors de ma dernière incursion dans le sud, j’ai appris plusieurs choses que j’ignorais, brisant l’enchantement ou étreinte mortelle de «l’hémisphère froid» de la France — dont Paris fait sans doute partie —, qui avait jusque-là empêché une connaissance plus directe et intime de ce qui existe et mérite d’être connu dans «l’hémisphère chaud».

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Jeanine Dumas Cambon, « Nocturne », huile sur toile, 81×100

Donc, au bout de quatorze jours de séjour dans le Gard, tout à fait conquis par ces lieux incontournables et par la sympathie de ses habitants, mon retour à Paris a été, pour la première fois, une typique rentrée ordinaire des vacances.
Par conséquent, les premiers jours, dans ces boulevards chiffonnés comme des journaux — débordant de nouvelles tragiques et de questions insurmontables —, un certain pessimisme avait risqué de s’emparer de mon être…
Heureusement, puisque les vacances servent bien à quelque chose, j’ai immédiatement retrouvé en moi une petite force… Rien qu’à songer au va-et-vient de l’eau sous le Pont du Gard, rien qu’à entendre à nouveau le bruissement des cascades de la Cèze. Cela a vite remplacé le vacarme des moteurs et des ambulances, et les pensées difficiles aussi…

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Jeanine Dumas Cambon, « Exultation », huile sur toile, 80×100

Je me suis adonné alors, joyeusement, à la reconstruction des tessons de la mosaïque de cet incroyable petit duché d’Uzès… Dans le va-et-vient de ma mémoire, les eaux de la Cèze et du Gard sont devenues des canaux limpides, longés par des rangées de platanes en splendide santé… ou alors des routes ombragées par des arbres séculaires, dans lesquelles les voitures peuvent encore se plonger comme dans la grande nef d’une cathédrale gothique, avec le provisoire bien-être du frais et du silence…

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Jeanine Dumas Cambon, Tryptique « En Provence », huile sur toile, 100×243

Si je ferme les yeux sur ma chambre de Paris et je les ouvre sur le paysage d’Uzès, j’y retrouve, encore aujourd’hui, plusieurs rangées de platanes sur la route de Nîmes, mais aussi dans celle qui porte à Alès ou au Pont du Gard… Petit à petit, je réalise que finalement, tous azimuts, le territoire autour d’Uzès a été préservé, tandis qu’aucune enseigne publicitaire ne perturbe le regard…
Ayant loué une voiture, j’ai pu m’aventurer dans les alentours d’Uzès. Dans le Gard, tout comme dans le Héraut, le Vaucluse, et cætera, j’ai pu constater de mes yeux combien d’attention l’on porte à la nature, avec quel respect pour le travail de l’homme qui a rendu pendant des siècles cette même nature de plus en plus agréable et hospitalière.
Voilà, une deuxième Toscane existe, intègre et apparemment insouciante, dans le sud de la France, sous les caresses d’un soleil bienveillant et les brusques ou gentils fouettements du mistral. Tout le monde peut s’y rendre, physiquement ou idéalement, y marcher en long et en large, au milieu de ces voûtes d’arbres solennelles et légères à la fois…

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Jeanine Dumas Cambon, « La Défense », huile sur toile, 81×100

Mais à Uzès je n’ai pas retrouvé que la Toscane et les arcades de Bologne. La peintre Uzétienne-Parisienne que j’ai connue là-bas — ayant eu la chance de cogner, le jour même de mon arrivée, contre un de ses tableaux, que j’avais immédiatement aimé, accroché au palier du premier étage de l’immeuble où j’étais hébergé — ressemble comme une goutte d’eau, physiquement comme dans l’esprit, à une personne qui m’est très chère…

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Jeanine Dumas Cambon, « Bacchus et Neptune », huile sur toile, 80×40

Jeanine Dumas Cambon se rend de temps à autre dans son appartement d’Uzès, mais elle habite surtout Castries où elle a aussi son atelier. D’ailleurs, elle vient souvent à Paris — où elle a eu la chance d’exposer à plusieurs reprises au Salon des Artistes et ailleurs —, pour y travailler et renouer avec ses amis artistes.
Comme vous avez pu le voir déjà dans les premières images écoulées, Jeanine interprète avec énergie le thème de cette nature lumineuse et ordonnée, qu’elle a connu à Uzès jusque de son enfance. Elle est une inconditionnelle, comme moi, de ces rangées d’arbres qui sont devenus les accompagnateurs les plus fidèles de son voyage aventureux…

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Jeanine Dumas Cambon, « Harmonie », huile sur toile, 81×100

À Castries, nombreux sont ceux qui ont connu Jeanine Dumas Cambon comme une remarquable enseignante de maths, maintenant à la retraite. Cette profession a bien sûr structuré en elle des attitudes logiques, philosophiques même… mais cela semble disparaître ou s’estomper dans ses peintures, où le talent artistique brise l’écran par une expression tout à fait originale, relevant moins de la rigueur que de la rébellion. Car en fait le choix de scènes ou paysages naturels qui font traditionnellement l’objet d’une peinture figurative « impressionniste » se traduit dans l’œuvre de Jeanine en « réinvention totale ». Lorsqu’elle peint, au couteau, une baie attaquée par la tempête, elle ne représente pas la déferlante, elle la fabrique de ses mains, avec une prodigieuse désinvolture jusqu’à ce que de ses vagues se dégage, finalement, une force unique.
Je me demande, à propos de son talent de vraie peintre — s’alimentant d’une évidente rupture « contre » l’appareil institutionnel de tout art codifié —, si ce talent n’est pas la conséquence d’une rupture intime envers le monde parfaitement rationnel des nombres… Ou alors s’il y a, au contraire, une intime cohérence entre la désinvolture des nombres et celle des couleurs…

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Jeanine aime les plantes, s’occupant elle-même, de ses propres mains, de son jardin sauvage, à l’anglaise. Les plantes et les fleurs de son jardin ressuscitent dans ses tableaux comme dans un rêve, tout comme les platanes des routes d’Uzès ou les oliviers des collines de Provence.
Et ses rêves se colorent du rouge du couchant, du jaune du midi, du blanc de l’aube, des infinies nuances de bleu et de vert qui appartiennent au crépuscule et à la nuit.
À travers ses peintures « fidèles à ses rêves », Jeanine nous transmet, très discrètement, une idée positive de la vie, ainsi que le sincère enthousiasme qui la pousse toujours à avancer, à surmonter de nouveaux horizons. Grâce à l’art, à la peinture, à la solitude créatrice ne faisant qu’un avec son esprit sociable, chaleureux et franc.

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Giovanni Merloni

Le rouge des coquelicots et le noir de l’espace sidéral dans l’art poétique d’Éliane Hurtado

19 dimanche Juil 2015

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Éliane Hurtado, Michel Bénard et la sculptrice Paule Perret à l’Espace Mompezat le 4 juillet 2015

Pour donner vie à un portrait fidèle d’un artiste, notamment d’un artiste à la fois peintre et poète comme Éliane Hurtado, il faut d’abord lui donner la parole. Ensuite, il faut essayer de se dépouiller d’une série de béquilles analytiques et verbales pour rentrer nous-mêmes dans ses œuvres qui ne se multiplient pas seulement en fonction du temps et de ses prodiges, mais aussi en raison de ces deux rails ou sillons parallèles de la poésie et de la peinture. Enfin, il faut explorer de l’intérieur ces mondes vécus ou racontés par Éliane Hurtado, essayant de comprendre d’où viennent-elles leurs magies, leurs sagesses, leurs profondeurs.
Je fréquente depuis des années désormais l’espace Mompezat où tous les premiers samedis du mois se révèle un nouvel aspect de la sensibilité des Poètes français, ouverts aux autres disciplines expressives, aux autres mondes de la planète ainsi qu’en général à « l’Autre ». Toutes les fois que j’entre, j’ai besoin de temps pour décider si j’aime et combien j’apprécie le peintre ou le sculpteur de tour. Il arrive parfois, je l’avoue, que ma première impression n’est même pas tout de suite favorable… Petit à petit, avec le temps, je devine le parcours, je découvre les œuvres les plus étonnantes pour moi, ce qui chante à l’unisson avec mon esprit et mon âme. Au bout de cette réflexion, il est rare que je n’arrive pas à me complimenter de façon pleine et sincère avec le peintre et poète Michel Bénard. Car c’est lui l’idéateur et le responsable depuis des années de cette attivité extrêmement positive de la Société des Poètes Français ; lui qui choisit avec profonde compétence, lui qui accompagne avec rare sensibilité chaque artiste dans sa sortie mompezatienne…
Dans le cas de la dernière exposition avant les vacances, consacrée à Éliane Hurtado ainsi qu’à la très performante sculptrice Paule Perret, pour la première fois je n’ai pas eu besoin de temps pour m’exprimer. Même pas d’une seconde. Dès que j’ai franchi la porte d’entrée, j’ai immédiatement saisi sur les parois une histoire qui se déroulait comme une fresque dense et légère à la fois.
Je découvre peut-être la réponse à mon « coup de cœur » dans une phrase très efficace que j’ai trouvée dans un commentaire que Michel Bénard avait consacré à Éliane, selon lequel elle « a besoin de réfléchir ses œuvres, il lui faut du temps pour situer son travail dans l’espace, pour élaborer la composition, mais une fois le principe acquis, l’exécution est très rapide, presque spontanée, ne laissant que peu de place au repentir… »
Cette rapidité dans l’exécution, cette maîtrise acquise au bout d’une gestation parfois longue et douloureuse correspond à ce que j’appelle « conviction ». La vie en fait m’a appris que pour convaincre les autres il faut que nous-mêmes soyons d’abord convaincus… Et cette conviction, contagieuse, charmante, charismatique, emporte et rassure ceux qui sont conviés au spectacle de nos œuvres.
Je ne veux pas trop ajouter à cette constatation admirative. Une description trop analytique alourdirait mon portrait. Après la vive voix d’Éliane, je laisserai, au bout de cet article, la parole à Michel Bénard. Ce dernier, dans sa présentation du 4 juillet à l’Espace Mompezat, a réussi un de ses chefs d’œuvre, par des mots incroyablement fidèles à l’esprit de cette auteure.
Quant à moi, je voudrais savoir donner de cette peintre-poète un « portrait intuitiste », c’est-à-dire une esquisse rapide de l’œuvre d’Éliane Hurtado, ayant le but de saisir le geste créateur et d’en faire revivre l’atmosphère, le motif inspirateur, l’âme rêveuse et vagabonde.
Un portrait qui ne se charge pas nécessairement de l’éventuelle démarche « intuitiste » que cette artiste est en train d’exploiter ces derniers temps.
Je crois qu’Éliane Hurtado serait d’accord si je m’approchais de ses tableaux avec le même esprit qu’inspira à Jacques Prévert l’inoubliable poème de la cage et de l’oiseau, en lui empruntant une question implicite : est-ce que dans les tableaux d’Éliane il ne manque à peindre que la porte de la cage, d’où l’oiseau sortira pour atteindre l’air fumeux des toits de Paris ?
Je trouve que cette porte, très étroite souvent, qu’Éliane emprunte à son tour à André Gide et à son idée d’une réalité à plusieurs facettes — dignes d’être vécues — est le noyau inspirateur de son art ainsi que de sa poésie.
Elle nous invite d’ailleurs très aimablement à la suivre dans cette étrange démarche : entrer dans une réalité mystérieuse et peut-être interdite par le trou d’une serrure ou par une fente subtile, nous faufilant avec elle dans les sillons de la terre ou dans les rides d’un visage… pour passer au-delà ou derrière. Cet autre monde qu’elle va représenter sera toujours un monde gagné, un paradis retrouvé.
Une porte sépare toujours une époque de l’autre, une technique de l’autre, une nuance de couleurs de l’autre. Après chacune de ces traversées, Éliane Hurtado fabrique le monde qui l’entoure — le jardin, la maison, la cage, l’oiseau — et s’y installe. Elle nous partage la souffrance de son voyage, avant de nous admettre dans son univers. Combien de temps a-t-elle dû consacrer à la traversée des territoires immenses de l’art figuratif ? Il faudrait compter des siècles, tellement son travail en est devenu léger.
Voilà pourquoi on ne doit pas s’étonner si, un beau jour, elle a eu besoin de se risquer dans un autre univers, si elle a voulu rentrer dans un ciel sans repères évidents, si elle a de but en blanc transporté dans l’art abstrait ses valises et ses malles pleines des figures que lui ont apprises ses longues séances au bord des fleuves d’Espagne, ses joyeuses journées dans l’atelier, où l’unique but était celui de « recréer en vrai »…
Franchissant cette énième porte, sans renoncer à son langage riche d’ironie et de joie de vivre, elle a fait un véritable cadeau à la poétique intuitiste… Mais je vois déjà paraître des fissures, je vois déjà s’ouvrir une nouvelle porte, se dérouler une nouvelle histoire…
Car je trouve en Éliane Hurtado même une ouverture qui laisse toujours présager quelques coup de théâtre… Ce qui m’a touché c’est la « nonchalance » qu’Éliane adopte pour laisser aux autres l’initiative de la découverte de sa valeur artistique et littéraire. Tout en ouvrant la petite « porte de Gide » elle lance des hameçons — ou pour mieux dire des cailloux blancs — qui provoqueront, même au-delà de ses intentions, l’envie de connaître et explorer son monde riche et fabuleux où rien n’est escompté ni prévisible. Un monde où la composition du tableau répond, au contraire, à des règles, à des contraintes et lois extrêmement sévères, qui font l’originalité et l’unicité de son travail.

Giovanni Merloni

001_Comme un vol de gerfauts  (81x65cm) 180

Eliane Hurtado : Couleur du ciel, couleur du temps, couleur d’océan

Création

Je ne pense plus à rien quand je peins,
Sur ma toile blanche
Sans l’ombre d’un pli
Je pose mes enduits,
Puis les multitudes colorées  s’étalent,
Avec mes couteaux et mes spatules
Je les juxtapose, les mélange,
Je n’entends plus rien,
Ma toile prend vie.

Comme une délivrance
Le combat de la vie,
La joie, l’amour,  la douleur
Prend fin.

Je termine par la couleur blanche,
Une signature discrète,
Une couche de vernis,
L’œuvre est finie.

La vie  à nouveau s’empare de moi.

004_oceano nox (65x54cm) 180

Couleur d’océan

Tu as les yeux bleus des abîmes
Poussière d’étoile et de lune
Fleur d’amour et d’horizon

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

Tant que les étoiles
Retiendront la lumière
Je me baignerais dans tes pensées.

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

L’insondable mirage
De tes yeux d’azur
Me plonge dans l’écume du silence.

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

Comme la colombe blanche
Drapée de diamant et d’étoile,
Je  chanterai pour toi.

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

006_ocre terre et tourbillon (60x60cm) (1)

Pax

Toi, passeur de lumière
Répand sur nos chemins
D’épines et de pierres
Une poussière d’étoiles et de rêves.

Inonde la Terre
D’un arc-en -ciel
De toutes les couleurs
De Paix et de Bonheur.

Sur l’échiquier terrestre
Où  le blanc et le noir se côtoient
Joue une symphonie inachevée,
Sort du silence des morts.

C’est la partition d’un poète
Qui, l’âme déchirée
Proclame son amour Divin
En semant des graines d’espoir
Pour qu’enfin règne sur terre
Un signe de Paix éternelle
Et que s’envole
Dans un souffle fugitif
Une lueur d’espérance
Signe d’un temps meilleur.

Ne laisse pas ces silences s’imposer
Et n’accepte pas ces guerres fratricides,
Mais redessine l’origine du Monde
Aux couleurs de l’espoir.

009_entre ciel et terre (40x60cm) 180

L’Art  abstrait

Je suis allée vers l’art abstrait par envie de liberté.

C’est une poésie polychrome. Les couleurs jouent entre elles, se côtoient, se marient, s’enlacent…

Je laisse aller mon imaginaire, et selon mon état d’âme, l’atmosphère de mon tableau est reposante, zen ou au contraire contrastée, violente.

J’essaie toujours de créer un mouvement pour inciter le spectateur à entrer dans l’œuvre et se laisser guider.

J’y intègre aussi des morceaux de feuille d’or, du gravier, du sable…

La vie est jonchée de petits cailloux !…

010_grisaille azurée  (60x60cm) 180

La toile

Devant ma toile blanche
Posée sur le chevalet,
Mon cœur est hésitant.

Vais-je pouvoir traduire
Le souffle du vent,
Le bruit des insectes  dans l’herbe
La pâquerette qui vient d’éclore,
Le papillon si léger qui virevolte ?

Pourrais-je traduire la nature
Sans la défigurer ?
Elle est si belle, si bien faite,
Que je n’ose donner
Le premier coup de pinceau.

Aujourd’hui,
Ma toile restera vierge.
Demain peut-être ?

Eliane Hurtado

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« Ex enseignante d’arts plastiques, aujourd’hui Eliane Hurtado ne se consacre plus qu’à son art à multiples facettes. Elle passe du plus pur académisme au trompe l’œil, du paysage conventionnel aux ambiances composées, de l’abstraction à l’expression dite intuitiste toute chargée de vibrations poétiques.
Eliane Hurtado possède parfaitement bien son métier de peintre ainsi que toutes les techniques dérivées. Sans inquiéter son humilité, il me faut aussi vous avouer qu’elle possède la maîtrise de son métier de peintre, car pour ceux qui l’auraient oublié, au regard d’un certain pseudo-art conceptuel, peindre est un métier à part entière.
Et petite cerise sur le gâteau, Eliane Hurtado est également restauratrice d’œuvres anciennes où blessées par le passage du temps.
Lorsque nous regardons ses œuvres, comme par exemple la série des coquelicots, outre la qualité picturale, composition appliquée, richesse de la matière, nous y découvrons aussi le monde ébloui de l’enlumineur, travaillant en étamage la feuille d’or.
Mais Eliane Hurtado, éprise d’indépendance et de liberté s’adonne aussi à des travaux plus abstraits, plus intuitistes où les ambiances informelles laissent émaner beaucoup de poésie, de rêve et de réflexion lorsqu’elle aborde le thème des «  vanités » sujet récurant du 17 ème siècle. Une manière pour elle de souligner la fragilité des choses, la superficialité du monde des hommes.
Chaque œuvre dite intuitiste, porte une réflexion instinctive qui pose ou soulève les questions informelles de l’existence.
Peut-on pour autant lui mettre l’étiquette de peintre existentialiste ? J’en doute beaucoup, Eliane Hurtado esprit libre par nature, n’adhère à aucune chapelle ! »

Michel Bénard

Affrontement

18 samedi Juil 2015

Posted by biscarrosse2012 in échanges, commentaires

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portraits d'artistes

Des affrontements terribles se déclenchent, au jour le jour, dans les échiquiers pervers que des hommes brutaux ou plutôt des monstres imposent sans aucune justification aux peuples pacifiques de la planète.
Bras dessus bras dessous avec un « progrès » technologique dont on ne connaît pas du tout les effets secondaires, étalage copieux de « merveilles » qui affaiblit déjà notre instinct de conservation, on dirait que cette brutalité aveugle nous amène en arrière, dans une sorte d’euphorie destructrice et autodestructrice, pour effacer le travail des générations qui nous ont précédés ainsi que le travail incessant de la nature et les témoignages des anciennes civilisations.
Heureusement, il y a encore de gens qui pensent avec leur tête et ne renoncent pas à partager à tous les êtres sensibles leur vision de la vie, optimiste et non-violente jusqu’au bout.
Il faut résister au vent qui siffle sur les Hauts de Hurlevent avec le vent qui souffle au milieu des falaises ! Il faut résister, regardant sans crainte le rouge du sang dans le noir de la mort. Il ne faut surtout pas renoncer à crier — sans rhétorique et sans trop d’illusions, bien sûr — nos idéaux de fraternité et de paix.
Merci à Françoise Gèrard qui nous a donné avec son tableau un magnifique exemple d’équilibre, de liberté intellectuelle et d’humanité profonde ! BRAVO !

Le vent qui souffle

Affrontement

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À l’homme libre, le mot suffit !

10 vendredi Juil 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires, poèmes

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« Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine
S’affaissèrent sur les genoux »

Pierre Seghers (Octobre, 1941
(repris dans La Résistance et ses Poètes.
France 1940-1945, 1975)

Lors d’une récente visite dans son atelier clair et calme avec balcon sur la rue parisienne, Ghani Alani m’a parlé d’un personnage majeur dont il a été ami pendant des années. Il s’agit de Pierre Seghers (1906-1987), incontournable poète et éditeur de poésie. Dans le cahier rouge qu’on avait imprimé en mai-juin 1983 pour laisser une trace de l’exposition « Hommage à Pierre Seghers » organisée par le Centre d’Action Culturelle Pablo Neruda de Corbeil-Essonnes, j’ai lu d’abord cette phrase de Seghers :
« Si la poésie ne vous aide pas à vivre, faites autre chose. Je la tiens pour essentielle à l’homme, autant que les battements de son cœur ».
Plus avant, parmi les œuvres de Ghani Alani exposées en occasion de cet hommage, quelqu’un avait décidé de publier une calligraphie du grand artiste de Mésopotamie (que j’ai insérée au bout de cet article), avec sa traduction en français :
« À l’homme libre, le mot suffit ! »
J’ai lu ensuite quelques poésies de Pierre Seghers, dont quelques-unes consacrées justement à l’art unique de Ghani Alani.
Entre ces deux « géants » l’affinité évidente ne se borne pas à cette valeur essentielle du mot évoquant la liberté, qui est aussi le mot de la consolation et de la revanche, soutien et porte ouverte vers une vie qui nous correspond jusqu’au bout.
Pierre Seghers découvre dans la calligraphie de Ghani Alani — dans cette forme d’art vivant et presque mouvant où la peinture fusionne avec l’écriture — une façon de s’exprimer et s’imposer aux autres de plus en plus absente dans l’art contemporain tout comme dans la poésie traditionnelle. Il y découvre une « attitude narrative » qui laisse au lecteur, à celui qui observe la calligraphie comme un tableau, la faculté de « continuer », d’ajouter lui-même un tesson aux mosaïques, une nuance aux gestes multipliés… « On ne doit pas renfermer la poésie dans un blindé » : avec ce sentiment Pierre Seghers a été le pivot d’une action culturelle ouverte et fédérative dont d’entières générations ont été imprégnées. « On ne doit pas séparer l’arbre du vent, la couleur des feuilles du noir de l’encre. On ne doit pas séparer l’image du texte… » : voilà le message subliminal que Ghani Alani nous transmet pour nous apprendre à chanter…

001_alani dedica003 - copieÀ l’homme libre, le mot suffit !

Grandeur de la main qui dépose la feuille

Héroïsme du geste qui lance l’arbre

Aventure de l’encre qui remplit les rêves

Noblesse de la voix qui raconte l’amour

Ironie des couleurs qui fabriquent les frondes

.

Artisan de toutes les gloires du monde

Laboureur de toutes les terres du monde

Avocat de tous les peuples du monde

Nageur de toutes les mers du monde

Illustrateur de toutes les beautés du monde

.

Du Poète au Poète sur la mémoire d’un Poète (1)

J’ai vu GHANI ALANI au travail, la feuille rouge appuyée sans précautions sur l’écritoire. Il avançait avec son calame comme un homme âgé avec son bâton. Cependant, le bâton ne lui servait pas d’appui. Il l’utilisait plutôt comme un canon pour jeter l’encre-ancre de façon infaillible. Ou alors, le calame devenait dans ses mains un joli balai léger, très adapté lorsqu’il devait nettoyer avec soin la terre poussiéreuse… là où les écritures successives allaient se déposer par vagues concentriques qui ne devaient pas déborder ou se confondre les unes avec les autres. Doucement, lentement, avec grâce, le jet de l’encre se transformait en geste amoureux, en caresse aérienne. Ou alors l’homme mûr — celui qui sous mes yeux redevenait enfant — courait sans jamais perdre l’haleine, à petits pas, avec son calame en forme de baguette magique ou de flambeau.
À la fin de cette course lente, le grand calligraphe avait engendré trois choses : d’abord, il avait écrit un petit poème au sujet de trois poètes appartenant à trois mondes différents les uns des autres ; ensuite, il avait dessiné un arbre en guise d’ombrelle, où les frondaisons ne cessaient de danser tout autour d’un tronc presque invisible ; enfin, il avait incrusté à jamais sa voix noble et unique au milieu de ces frondes colorées et ces mots légers et solennels à la fois.
Pour entendre mieux cette voix, j’ai fermé les yeux pour me dérober pour un instant au magnétisme de cette œuvre vivante et captivante. J’ai alors entendu Ghani Alani parler d’amitié et d’un quatrième personnage, l’Absent, celui qui part à la découverte, celui qui arrive avec des dons.

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Giovanni Merloni

(1) Le Poète à la mémoire duquel Ghani Alani a voulu rendre idéalement hommage est Pierre Seghers

Cette poésie est protégée par le ©Copyright, tout comme les autres documents (textes et images) publiés sur ce blog.

Les « présences absentes » d’Isabelle Tournoud

14 mardi Avr 2015

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portraits d'artistes

Mes chers amis,
j’espère que vous ne me reprochez pas trop pour le fait de proposer à nouveau, avec quelques ajouts ici et là, des articles publiés il y a trois ou quatre ans dans mon précédent blog, que je vais bientôt supprimer.
Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas tout proposer de la même façon… Les articles qui reflètent, hélas, l’écoulement du temps seront publiés à une date ancienne et tout à fait fictive, regroupés logiquement.
Je vous propose dans l’actualité juste les textes gardant un certain intérêt, que la plupart de vous n’ont pas eu l’occasion de lire.
Parfois, les articles de cette époque refoulée étaient longs, très ou trop fouillés. Je les écrivais dans un esprit différent vis-à-vis d’aujourd’hui, en prenant chaque fois le temps nécessaire pour exploiter à fond le thème choisi.
Pourtant, en dépit de cette fastidieuse « longueur », je n’irai pas les couper pour les rendre plus agiles. Car cela serait vraiment exagéré, sinon diabolique. Je laisse une telle attitude aux rédacteurs d’ARTE, que d’ailleurs j’estime énormément !
Heureusement, je n’ai pas que mes anciens commentaires à vous proposer. Je vous demande seulement de patienter un peu de jours, m’aidant à réaliser ainsi un corpus homogène de mes textes critiques que je ne trouve pas tellement étrangers par rapport aux textes plus habituels et typiques de ce blog.
Merci !
Vous trouverez ci-dessous un article consacré à Isabelle Tournoud, que vous avez déjà connue lors d’une successive rencontre occasionnée par la lettre U de l’alphabet renversé de l’été 2013.

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Les « présences absentes » d’Isabelle Tournoud

« Je cherche dans mon travail à donner à voir une trace sensible du passage de la vie, a dit Isabelle Tournoud dans un entretien en novembre 2007. Je travaille sur la mémoire. Mémoire de corps qui ont été et qui ne sont plus. Peut-être ont-ils grandi ou sont-ils ailleurs ? Ou bien sont-ils morts ? Il s’agit pour moi de donner à voir l’absence. » Isabelle Tournoud, née en 1969 à Angers, est une artiste renommée qui expose depuis quatorze ans dans le monde de l’art contemporain en France et à l’étranger. Citée dans nombreuses publications, elle a exposé dans différentes manifestations culturelles, dans des centres d’art, des centres culturels, des galeries, mais aussi des festivals, des expositions collectives et de nombreuses Biennales dont la plus récente, en 2008, s’intitulait : « Les environnementales », à Jouy en Josas.
J’ai vu la première fois les œuvres d’Isabelle Tournoud en novembre 2007, dans une petite galerie de Vincennes et, tout de suite après, dans un très joli centre culturel de la banlieue parisienne, à Gentilly. Même sans connaître le parcours déjà important qu’Isabelle avait derrière soi, je m’aperçus immédiatement de la valeur de cette artiste, qui allait bien au-delà de l’originalité de son expression.

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Les sculptures d’Isabelle Tournoud correspondent à un choix primordial : attirer ceux qui les observent dans une réflexion ou plutôt dans une rêverie. L’artiste propose un thème à la fois réel et irréel, concret et symbolique, en ébauchant une idée, en suggérant une trace, en donnant ainsi aux visiteurs la possibilité d’utiliser cette idée ou trace pour développer un travail personnel. Elle offre une image générée par sa mémoire qui peut devenir après le corps et l’âme que chacun peut évoquer ou reconnaître.
Elle se rapporte à son public comme un vrai romancier devrait se rapporter à son lecteur : elle lui laisse la totale liberté de continuer son œuvre, d’y ajouter du sien ou encore de l’utiliser pour imaginer ce qu’il veut.
Comme un bon romancier qui sait garder le silence, en donnant au silence et au vide entre les mots la même importance qu’il faut donner aux mots, Isabelle Tournoud fait des sculptures « vides ».

008_isabelle x 180 « Les sculptures que je réalise représentent souvent des vêtements. Ces vêtements semblent garder l’empreinte d’un corps qui les aurait habités. Ils sont comme des secondes peaux. On peut aussi les voir comme des mues. L’absence naît du vide autour duquel ils prennent forme. De ce vide surgissent des images. Des images heureuses, douloureuses. Des rêves d’enfance. Il s’agit aussi pour moi d’évoquer la fragilité de l’existence. »
C’est donc le vide — le silence, le non-dit, le corps qui se dérobe avant de disparaître, la nature même qui se dérobe et disparaît — le premier élément de l’œuvre d’Isabelle Tournoud dont on doit marquer l’importance.
Avec le vide il y a le choix de matériaux tout à fait particulier. L’artiste ne fait pas de patchworks, ou de collages, ou d’assemblages plus ou moins hasardeux. Elle refuse d’un côté toute écriture surchargée, tout étalage de bravoure facile et surtout la confusion qui peut venir d’une récolte d’objets divers et porteurs de messages contradictoires. De l’autre côté, pour représenter certaines émotions, elle n’utilise pas le blanc pour la neige, ou le noir pour la nuit. On devrait dire, si ce n’était pas un paradoxe, qu’elle utilise la neige pour évoquer le blanc et la nuit pour évoquer le noir. En dehors de boutade, cette artiste va à la rencontre de la nature, où elle trouve les graines de coquelicots, la monnaie du pape, les coquilles d’œufs, même le sucre. Elle utilise des fragments ou des entités microscopiques que la nature lui offre, avant de les appuyer sur une surface.

007_ds peau d'ange2 180 « C’est pourquoi j’utilise pour réaliser ces sculptures, des végétaux. Que je les choisisse doux, sensuels ou légers, ces végétaux transformés en mues disent la précarité d’être au monde. J’associe humain et végétal pour parler de leur évanescence mutuelle. »
C’est donc le choix de ces éléments naturels le deuxième point de force de l’art d’Isabelle Tournoud. Le troisième est cette idée de la surface. Une surface mobile, comme la vie. La surface d’un corps en mouvement, d’un corps devant le miroir, la surface d’un pied, d’une main. « Un vêtement, une mue ». Mais on sait bien que le vêtement ne se tient pas debout tout seul tandis qu’on ne saurait imaginer une forme quelconque pour une mue d’animal. Ce que nous voyons chez Isabelle Tournoud ce sont de « vides habillés », des « enveloppes sans corps ».
Pour expliquer ce que me suggèrent ces « surfaces animées » d’Isabelle Tournoud, j’ai essayé de les marier avec des situations et des personnages de mon imaginaire, qui me conduisent toujours à des réflexions profondes.
D’abord la « haie » chantée dans « L’infini » de Giacomo Leopardi ; ensuite la « balustrade » des « Mayas » de Goya ; enfin le « chevalier inexistant » d’Italo Calvino.
L’image de la haie me fait plonger dans l’idée de la séparation entre l’homme (son intériorité, son corps, ses rêves) et la nature qu’il a devant (un paysage vaste, articulé, infini).
La balustrade me donne l’émotion plus directe d’une séparation — « théâtrale » — entre le spectateur qui se trouve en deçà de la balustrade et les deux hommes qui sont en train de faire connaissance avec les deux Mayas.

005_sottoveste 180 Le chevalier de Calvino ce n’est qu’une carapace blanche et lourde qui vit et partage les gloires de Charlemagne, même si au-dedans, au lieu d’un corps humain il y a un vide total. Cela provoque en moi l’idée d’une séparation intime, pas seulement entre le corps et l’âme, mais plutôt entre le corps disparu et la carapace bien existante.
Les images de l’infini de Leopardi et de la balustrade de Goya correspondent parfaitement à tout ce qui est à la base de l’œuvre d’Isabelle Tournoud, tandis que le chevalier inexistant de Calvino pourrait être le chef de file de tous ses personnages. Mais celui-ci est justement un personnage qui sort d’un livre, un monument à la déception, à la haine envers la guerre et la violence homicide. Un modèle, même dans son abstraction, trop défini, qui serait donc étranger à l’œuvre de notre artiste qui va bien au-delà d’un pareil thème « d’inexistence fabuleuse. »

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Ce n’est donc pas nécessaire de chercher encore d’autres exemples. Car le noyau central de l’inspiration d’Isabelle Tournoud est là, dans ces sentiments contradictoires — d’égarement et d’exaltation —, qui s’emparent de toute âme sensible se penchant sur un vaste paysage, sur la vie des autres ou sur soi-même.
Cela je le rencontrai dans l’extraordinaire installation « Instants dérobés » qu’Isabelle Tournoud avait très efficacement réalisée en mars 2010 dans le Temple de Pentemont à Paris. Les sculptures de notre artiste, discrètement insérées selon un parcours thématique dans l’église et dans les espaces au fond de la nef, pouvaient dialoguer avec la sensibilité et la fantaisie des visiteurs encore mieux que dans les autres expositions que j’avais vu. Il suffit de relire les titres des œuvres exposées dans les différents endroits, avec les renseignements essentiels sur les matériaux adoptés.
Transept : « Adieu mes pieds » (graines de coquelicots), « Alice » (graines de coquelicots), « Manteau d’enfant en peau de roseau » (roseaux et cuir) ;
salle au fond de la nef, rez-de-chaussée : « Mauvaises graines » (graines de coquelicots), « La sagesse » (monnaie du pape), « Bonne patte » (monnaie du pape), « Pas de Chaperon » (graines de coquelicots), « La botte de Sept lieux » (graines de coquelicots) ; étage des garnements : « Le coin des mauvaises graines » (cinq sculptures en graines de coquelicots) ; étage des nouveaux nés : « Dans la peau d’un ange » (monnaie du pape), « La petite fille du vent » (monnaie du pape), « Pas d’aile » (monnaie du pape), série « Les mauvais rêves » (monnaie du pape) ; étage de la femme : « Chemise de lune » (monnaie du pape), « L’oie blanche » (coquilles d’œufs), « Marcher sur deux œufs » (coquilles d’œufs), « Matrice » (sucre). Au terminus de l’exposition, au dernier étage de ce parcours de rêve Isabelle Tournoud nous offre une série de dessins (encre rouge sur papier) au titre allusif : « Danser la vie ».

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Dans un prochain article, je voudrais m’amuser à raconter les émotions que ces sculptures m’ont provoquées dans ce Temple presque dépourvu de décors et même ironique, lui aussi, dans la solennité de son rôle. Je me limiterai à citer la première et la dernière de ces réactions de spectateur. Installées dans deux niches en haut dans le transept, les sculptures « Adieu mes pieds » et « Alice » (en graines de coquelicots toutes les deux) ressemblaient à deux statues. C’était aussi la longueur de leur jupe qui exaltait leur caractère somptueux et même ascétique. J’étais ravi par la force de ces deux figures, devant l’équilibre immédiat qui s’installait entre elles et le grand espace du transept surmonté d’une coupole. Il n’y avait aucun décalage, ni disproportion ou sentiment d’infériorité. En plus, si je peux le dire, les deux « reines » ou « dames à l’âme noble » imposaient une joie de vivre où la solennité n’était pas rituelle et escomptée et le regard vers le surnaturel n’était pas nécessairement un élan religieux. Au fond du parcours, appuyées sur les murs de la petite pièce en haut, des jambes rouges dansaient seules et libres le cancan. Cela me donna une sensation nouvelle, une perception spéciale du travail d’Isabelle Tournoud, comme si elle me disait : « Je peins, je dessine aussi. Un jour, peut-être, mes sculptures se mettront en marche. Elles retrouveront leurs corps et rentreront dans la vie de tous les jours ! »
Avec ses œuvres extraordinaires, notre artiste veut nous rappeler que « la beauté est menacée », que « la vie même est menacée » et cela a besoin d’un matériau à la hauteur de ce sentiment et de cet esprit dramatique et ironique à la fois. Un matériau doué d’une force symbolique : « À l’instar du sable, les graines de coquelicot évoquent le passage du temps. Pour un instant agglomérées, elles pourraient s’égrener. Le souvenir même de la vie, de ces sculptures faites de cette matière, pourrait sombrer dans l’oubli. Mais les graines sont un formidable réservoir d’énergie vitale. Du néant renaîtra la vie… »
Avec ses graines de coquelicot ou ses coquille d’œuf, matériaux qui constituent en soi un véritable défi au passage du temps — vu la difficulté énorme à les protéger, à les garder inaltérés —, notre artiste s’écarte nettement du pop art ou de ses récupérations possibles. On devrait plutôt parler, ici, d’un « minimalisme sublime ». C’est-à-dire d’une sculpture insaisissable, sans poids et presque dépourvue de matière, qui se révèle par contre très proche aux transparences d’une peinture légère et insaisissable : « La monnaie du pape, dit-elle par exemple, est très intéressante pour la lumière qu’elle renvoie, pour sa légèreté et sa relative malléabilité ».

009_vestitino 180 Inspirée de la poétique sublime et vitaliste des « petites choses » la sculpture d’Isabelle Tournoud s’engage dans une lutte sourde et inexorable contre les « fabriques » et les matériaux qui tuent physiquement et psychologiquement l’homme et l’environnement.
Donc, ce n’est pas par hasard qu’Isabelle Tournoud emprunte à la nature ces matériaux cachés et presque invisibles qui n’ont plus de fonctions sinon devenir déchets et disparaître avant de paraître. La récupération de ces matériaux veut d’ailleurs signifier, par leur fragilité, la fragilité de la nature et de la vie humaine, mais aussi celle des objets et des œuvres d’art : toute créature naturelle et tout objet créé par l’homme est condamné tôt ou tard à la mort : « Chaque végétal porte en lui son sens et sa poétique, c’est de là que je pars. Je prolonge ce potentiel qui existe en chacun d’eux, mais toujours avec cette même idée : figer l’enveloppe charnelle de l’être avant qu’elle ne s’évanouisse. »
On revient par là à l’absence. Car à travers l’absence des corps — disparus on ne sait où —, ces « coquilles vides » deviennent de plus en plus présentes.
Une circularité s’installe, donc une raison de vie en plus, entre ces présences « hic et nunc » — ici et maintenant — et leur installation égarée au dehors de l’espace et du temps. Car le sens primordial de l’existence, qu’Isabelle Tournoud voudrait fixer à jamais sur ces très fragiles surfaces, est toujours ce dialogue entre fantômes qu’on appelle recherche de soi-même ou d’un autre qui « existait hier » et « n’existe plus » aujourd’hui. Une éternelle quête d’un moment de notre vie « qui existait et maintenant n’existe plus », d’un sens à donner à la vie « passée » qui, désormais, « n’existe plus ».
Cependant, les « présences absentes » d’Isabelle Tournoud passent devant nous et parmi nous comme une « démonstration sublime » que la vie existe. Voilà à quels résultats peut arriver la création humaine !
« La poésie toujours ! nous dit Isabelle Tournoud. Peut-être parfois avec une touche d’humour qui tourne au noir ou au cynisme, mais toujours et avant tout, la poésie, le rêve, la beauté, l’aérien, la lumière ! »

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Giovanni Merloni

C’est l’heure rousse, intemporelle : la rêverie se veut « intuitiste »

29 dimanche Mar 2015

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portraits d'artistes, portraits de poètes

Aujourd’hui, au moment d’accomplir mon tour du monde intuitiste — au bout de 20 jours seulement, dans les doubles draps de Passe-partout et de Phileas Fogg —, je peux finalement déclarer, avec un certain soulagement, de façon solennelle, que j’ai franchi une porte. Après avoir exploré les mers et les montagnes qui faisaient le décor et la substance imaginative du monde extérieur des intuitistes, j’ai été admis dans la salle des fêtes (pour me plonger dans leurs musiques) avant d’être autorisé à errer dans les cuisines (pour y respirer les odeurs et goûter les saveurs uniques de leurs œuvres)…
On m’a accueilli et je peux déclarer de ma part que les ingrédients sont sains et les propositions sincères. On ne triche pas chez les intuitistes !
À présent, il ne me reste qu’à expliquer ce que j’ai deviné ou compris… Où était-elle cachée la clé qui m’a ouvert le cœur ardent et l’esprit clairvoyant des amis intuitistes ?
Et bien, jusque de mes premiers pas dans cette jungle merveilleuse, j’avais pu constater l’existence d’un riche patrimoine d’expériences et de rêves qu’on n’hésitait pas à partager. Les artistes et poètes intuitistes ne perdaient pas leur temps à hisser des palissades, ils faisaient spontanément don de leur don, c’est-à-dire de leur talent inné et de leur gigantesque travail.
Mais j’ai commencé à m’approcher de l’essence psychologique et philosophique de l’intuitisme quand je me suis autorisé à suivre librement mon intuition.
Oui, une simple intuition, un petit déclic… Le même claquement des mains ou des doigts qui fait déclencher, chez les intuitistes en même temps un procès de création et de connaissance. Un rapide battement des cils pour ouvrir les yeux à la stupeur, mais aussi pour faire démarrer la pensée.
Oui, la force fédérative de l’intuitisme naît de la force de l’intuition… de ce premier pas indispensable pour activer immédiatement l’intelligence et l’attention vers quelque chose qui nous attend hors de nous.
C’est un acte d’amour qui jaillit moins d’une règle idéologique que d’une découverte.
Je trouve que Pier Paolo Pasolini, Jean-Jacques Rousseau et Abélard aussi ont suivi tout au long de leurs vies prodigieuses, une démarche intuitiste.
Oui, d’accord, il faut savoir copier les maîtres qui nous attendent dans les salles du Louvre. Mais il faut savoir aussi se libérer de ce bagage lourd et contraignant qui conduit souvent à la frustration, à la sensation que tout va se reproduire sans éclat ni originalité…
Il faut se rebeller surtout aux « autorités » soi-disant capables de juger et de compiler des listes.
Un esprit de partage, d’amour et de liberté est, au contraire, la primordiale raison d’être de l’intuition créative.
Mais il faut ajouter à tout cela un point essentiel, si l’on veut éviter de se perdre en considérations académiques et stériles.
J’ai trouvé cela, cette clé indispensable, intuitivement et par hasard, dans deux textes de Michel Bénard, une poésie et une réflexion que vous trouverez ci-dessous, d’où j’ai extrait symboliquement deux phrases : « c’est l’heure rousse… intemporelle » et « la rêverie se veut intuitiste »…
Songeant à cette « heure rousse (aux feux d’automne…) » de Michel Bénard, j’ai tout de suite vu devant moi la « luna rossa » (la lune rousse), jaillissant d’une inoubliable chanson napolitaine. Il s’agit en vérité du disque du soleil, à l’aube et au couchant… Deux moments cruciaux du passage de la conscience à l’inconscience, ou alors de la vie à la mort. Et vice-versa.

Era già l’ora che volge il disio
ai navicanti e ‘ntenerisce il core
lo dì c’han detto ai dolci amici addio;
e che lo novo peregrin d’amore
punge, se ode squilla di lontano
che paia il giorno pianger che si more…
(1)

comme le dit Dante (1). Le moment dramatique et doux de la nostalgie déchirante d’une patrie lointaine et insaisissable, d’une femme perdue qui pourtant nous sourit :

C’était l’heure déjà où tourne le désir
de ceux qui sont en mer quand attendrit leur cœur
le jour où ils ont dit aux doux amis adieu ;
l’heure qui blesse d’amour le nouveau pèlerin,
s’il entend au loin le son d’une cloche
qui semble pleurer la lumière qui se meurt…
(2)

Je me souviens encore une fois d’une expression que mon cousin Paolo Perrotti, psychanalyste, aimait répéter : « la rêverie de la mère allume la volonté de l’enfant… »
Évidemment, dans l’esprit de cette vision freudienne, la rêverie de la mère ne fait qu’un avec l’affabulation et le décryptage pas totalement conscient de la rêverie même qui se déroule au cours de sa traduction en mots. Cela évoque le bouillon de culture, le liquide amniotique où notre esprit retrouve l’assurance qu’il lui faut pour avancer et combattre.
Quand l’heure rousse sonne, le poète se réveille. Bercé par cette nostalgie dévorante, il suit spontanément ses intuitions, écrit des mots sur le verre de la fenêtre, creuse des sillons aux formes étranges dans cette boue anonyme qui de but en blanc assume pour lui une signification tout à fait inattendue.
Voilà, le cercle se referme. Le poète — « fanciullino », tout en évoquant les rêveries de ses nombreuses mères ainsi que de ses maîtres aimés, explore par l’intuition ce monde mystérieux qui l’entoure jusqu’au moment où une volonté créative se déclenche. Une volonté bénéfique, pacifique, altruiste, amoureuse, ouverte.
Giovanni Merloni

001_Champs de signes

Edith Cohen-Gewerk, Champs de signes

C’est l’heure rousse

C’est l’heure rousse
Aux feux d’automne,
Où la gangue fragile
Des châtaignes éclatent.
C’est l’heure intemporelle
Où les soies du ciel
Caressent l’éternité.
C’est l’éclaboussure
Des feux porteurs
Des prémices hivernales.

Michel Bénard

002_Silhouetes nocturnes 02

Edith Cohen-Gewerk, Silhouettes nocturnes

Rêverie autour d’un signe

…Par le simple jeu d’un trait, en plein ou délié, d’une trace d’encre noire, il nous devient possible d’accéder aux différents degrés d’un monde secret. Il suffit de se laisser emporter vers cette fabuleuse destinée évanescente.
C’est la tentation « intuitiste » de fixer l’impermanent pour quelques fractions de seconde.
Nous demeurons dans le mystère du geste, la magie calligraphique qui nous emporte au travers d’une errance insoupçonnée, d’une rêverie inattendue.
Nous embarquons pour un fabuleux voyage, nous découvrons de vastes paysages, le calame se fait baguettes de coudrier. Le poète devient sourcier !
Nous décryptons les manuscrits anciens, traduisons les incunables, interrogeons les empreintes pariétales, réinventons les incisions cunéiformes.
La rêverie est au bout du chemin et gravite partout autour de nous.
La rêverie appartient au mystère de l’enluminure éternelle.
La rêverie se veut « intuitiste ».

Michel Bénard

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Edith Cohen-Gewerk, L’image cachée

Badinage

Voyez, comment, au jardin des nuées, tendrement tyrannisé d’un souffle vernal, un ciel polisson, perd sa chemise. Ici, sur l’herbe attendrie, dans un chamaillis de brise, elle se pose lande laineuse en frisson de nuage. Heureuse, elle s’effiloche, s’éparpille, ne laissant dans l’air que la soie de ses rubans et de ses filandres blancs et argentés, gris et bleutés.
Allons, ma mie, ne soyez plus si sage car, c’est ainsi qu’au jardin dénudé s’envoleront les lacets de votre corsage.

Béatrice Pailler

Fontaine

Franceleine Debellefontaine, Fontaine

Eaux

Eaux primordiales
Eaux d’avant toute chose
Êtes-vous eaux du commencement
Eaux mères de toute vie ?
Eaux démentielles
Eaux guillotines inexorables
Êtes-vous feux et glaives
Eaux tueuses des destinées ?
Eaux mouvantes
Eaux malléables
Eaux sensibles
Eaux sensuelles
Parlez-nous de l’Atlantide oubliée
Eaux liantes
Vous êtes eaux multiformes
Monumentales sculptures insaisissables.

Barnabé Laye (3)

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Auguste Haessler, Enfants, guerre, rêve

Saisons

Au canal embué, sous l’haleine gourmande d’un baiser matinal, éclosent de pâles flamandes. Brumes en bouquets et vapeurs pommelées se déprennent de l’onde. Ces rondes pelotes peignées de vent, s’épanouissent en corolles blondes. Ici, au ciel clarifié, elles viennent, blancs nonchaloirs, écheveaux dénoués, jouer au carreau de l’aube dentelière. Petite main aux doigts de fée, dans sa paume, la lumière égrappée roule ses grains, se lie de fraîcheur. Au ciel étonné, elle tisse la beauté. Ici, sur sa toile de miel aux lueurs tiédies, s’émerveillent les nuées attendries.

Béatrice Pailler

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Michel Bénard, Glaces

Avec pour seule rumeur

Avec pour seule rumeur,
L’intime caresse de la soie
Du pinceau glissant amoureusement
Sur le lin de la toile,
Semblable à la pensée effleurant
Les contours du corps
De l’âme aimée.

Michel Bénard

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Jacques-François Dussottier (4) Essai numéro 15 

Nocturne

Les jours assassinent
sur la pointe des mots
la nuit qui s’enfuit dans les étoiles.
A la lisière de nos songes
les cris de l’aube
dans un fourmillement d’ombres
s’offrent au soleil naissant
sous des vents d’espérance.

Jacques-François Dussottier

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Jean-Claude Bemben, Le cercle

J’irai boire le feu

Derrière l’écran noir des fumées d’usines
Je monterai sur la longue échelle
Pour allumer le soleil.
Et j’irai boire le feu
Avant la traversée des catacombes
Pourquoi passer des heures à coudre
les souvenirs d’autrefois
Et sentir dans sa gorge comme des nœuds
à la queue-leu-leu
Qu’il faudrait avaler. Et puis s’étouffer ?
J’irai
Moudre les paroles arides
Comme le sel
Comme le sable
J’irai moudre les lourdes mémoires d’entraves
Et attendre que vienne enfin dans ma nuit
Une indicible clarté
Comme une aube qui effleure le bord du jour.

Barnabé Laye

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Jacques-François Dussottier (4), Film

Petite fugue

Être égaré par effraction
j’habite l’instant
de mon absence.
Gestes désappris
à la déliure des choses,
j’ai laissé fuir mes mots
pour mieux les apprivoiser.
Je porte mon seuil
au bord du dire.
Longues errances
en des nuitées nomades,
le temps n’est qu’une impatience
en l’espace perdu de ma solitude.

Jacques-François Dussottier

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Franco Cossutta, Traversée en jaune

(1) Dante, Purgatorio, canto VIII.

(2) Dante, Le Purgatoire, chant VIII, traduction de Jacqueline Risset, Flammarion, Paris, 1988-2005.

(3) « Barnabé Laye, regarde la vie comme un fleuve qui s’écoule, de la même manière que l’on suivrait des yeux le passage d’une femme.
Le poète doit tourner son regard vers le monde afin de mieux s’imprégner de ses secrets, de ses rythmes, des ses chants de la terre qui accompagnent la musique des sphères.
Et si comme la voudrait Barnabé Laye, la poésie était un grand éclat de rire et de bonheur qui ricocherait sur les dômes d’encre de nos nuages noirs, de nos stigmates ?
La poésie comme la voudrait Barnabé Laye, c’est comme une main tendue vers les fruits de l’espérance et qui s’adresse aux hommes de toutes obédiences, de toutes races, couleurs, religions avec ou sans «  dieu », à tous les citoyens de la terre.
La poésie est sans frontières, sans barrières, elle ne sépare pas, ne cloisonne pas, mais rassemble, relie, engendre la connaissance et l’osmose. Elle est partage.
Par la poésie, peut-être sortirons-nous du désespoir pour aller vers l’Amour. »
Michel Bénard

(4) « Art virtuel, fractionné, éphémère, artificiel tout autant qu’évanescent, ce nouvel outil de communication est une ouverture sur le monde où toutes les frontières sont abolies, grâce à l’implantation dans le monde entier de galeries virtuelles où chacun peut présenter ses travaux de recherches …laissons nous porter l’instant d’un clin d’œil dans ce rêve « fractalisé » et sublimé, beau comme l’irisation d’un vitrail au soleil couchant. »
Michel Bénard

Le Petit Enfant et le retour à la Montagne. Randonnée chez les artistes « intuitistes » II/III

15 dimanche Mar 2015

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Gerard Stricher, L’intuituiste

Le Petit Enfant et le retour à la Montagne. Randonnée chez les artistes « intuitistes » II/III

Quelle différence entre « avoir à écrire » et « avoir déjà écrit » ! Voilà une chose que mes amis intuitistes n’éprouveront jamais et que j’ai vécue pourtant, pauvre Christ n’ayant pas encore été touché par la furie d’une telle expression aussi foudroyante qu’immédiate !
Cet après-midi, plus épuisé que d’habitude, je suis tombé dans un sommeil intermittent, mais profond, qui m’a donné l’illusion d’y être… et ensuite la cuisante déception de n’y être pas…
J’avais mentalement commencé à noter des mots-clés… Le premier mot était  « Petit Enfant » (« Fanciullino ») ; le deuxième « Cosmos » ; le troisième « Alphabet » ; le quatrième « Jet » et le cinquième mot « Montagne »…
Sur la belle page, que j’avais juste devant mes yeux, ces mots se mariaient fort bien les uns aux autres, laissant jaillir des phrases, des conclusions mêmes brillantes… qui pourtant se sont volatilisées !
Au bout de deux heures d’apnée, ma conscience s’est réveillée avec l’étrange sensation que je n’arriverai jamais à produire de nouveau des considérations comme celles que l’abandon et l’inconscience m’avaient inutilement dictées. Quel gaspillage ! Et quelle déception !

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Eliane Hurtado Incendie sur l’eau

Ce que j’avais promis mardi dernier lors de la première étape de ma « randonnée intuitiste » risquait d’être mis en pièces ! Déjà ? Avant que je touche le camp de base ? Devais-je me décourager, avant d’entamer avec les sherpas (1) la réunion prévue, indispensable pour la préparation d’une véritable escalade au sommet de la montagne ?
Devant la beauté de ce que j’avais écrit dans le vide, sans prendre des notes, hélas, le travail à refaire me semblait gigantesque, voire impossible…
Je savais bien, désormais, le rôle qu’allait assumer, dans la vie de tous les jours, la page virtuelle d’un ordinateur ou d’un smartphone quelconque… Et combien regrettais-je la page réelle, physique, avec toutes ses merveilleuses contraintes d’espace, d’ordre et de propreté !
Mais je n’avais pas assez réfléchi à l’importance de la page qu’on écrit dans un rêve… Oui, le rêve, ce beau mot usagé, auquel on n’attribue qu’une connotation positive ! Puisque le rêve possède son contraire, le cauchemar, avec son immanquable négativité, on ne peut pas dire impunément « rêve » de façon minimaliste, juste pour désigner cette phase d’inconscience qui suit à la fatigue excessive, où l’on glisse sans transition en fermant les yeux. Le mot rêve désigne forcément une évasion gratifiante… du moins, lorsqu’on le prononce, on est obligés de s’attendre à quelque chose de beau… Il faudrait trouver un autre terme, ou alors élargir le concept de rêve, en fouillant dans son côté trompeur… pour admettre, finalement, que si souvent le rêve a une fonction bénéfique, son interruption peut être traumatique, tragique même…

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Alain Béral, Profil rêveur en contre-jour

Dans mon sommeil « blanc » et joyeux, caressé du dehors de la fenêtre par une rare journée de soleil constant à Paris, j’étais donc en train de réfléchir aux atouts du mouvement intuitiste — à partir des témoignages de quelques-uns de ses membres, qui avaient réagi (favorablement) à mon premier article —, essayant de faire déclencher « une procédure intuitiste pour parler de l’Intuitisme »… J’avais déjà accompli la partie plus difficile, le « socle dur » de mes petites découvertes et de mes réflexions modestes. Il me semblait avoir déjà saisi les deux ou trois points de force des intuitistes, leurs tendances primordiales :
— leur besoin de revenir, en tant qu’êtres humains, à l’essence profonde et intime (voire à l’enfance libre et omnipotente) trouve un glorieux précurseur dans le « Petit Enfant » (« fanciullino ») qui est au centre de toute la poésie de Giovanni Pascoli : « est poète celui qui sait écouter la voix de l’irrationnel que chacun porte en soi mais que l’on oublie, le plus souvent, à l’âge adulte. Le poète est ce « fanciullino », jeune enfant extatique qui ne cesse de redécouvrir les choses les plus usuelles, autour de soi. Avec la fraîcheur de l’émerveillement, l’enfant-poète sait restituer — grâce à une langue anti-littéraire, à laquelle il confère rytjme et musicalité, mais aussi au paysage, toujours protagoniste chez Pascoli — le mystère des choses et de l’existence même. La poésie consiste à “trouver dans les choses leur sourire et leurs larmes, écouter leur frémissement » (2). C’est exactement ce qu’a dit par d’autres mots un des artistes intuitistes : “le peintre intuitiste est cette personne qui retrouve son âme de petit enfant, libre comme l’air, devant la toile, pour réinventer son monde !” (Jean-Claude Bemben) ;

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Nadine Amiel, Nuit aux Caraïbes

x— une forte ressemblance avec tous les mouvements artistiques et littéraires qui ont essayé d’ancrer leur désir de liberté d’expression à l’idée du « retour » à la spontanéité primordiale, au geste : « … l’intuitisme reflète un dialogue avec l’intime de l’artiste et rien ne saurait un jour remplacer la main qui elle seule est capable de transmettre toutes les subtilités venant des profondeurs de l’être. » (Franceleine Debellefontaine) ;
— il faut considérer enfin un autre « atout » qui peut aider le mouvement intuitiste, en dépit de sa variété expressive, à briser l’écran où se déroule le débat artistique et littéraire pour y occuper une place majeure. Les intuitistes prêchent — tout à fait sincèrement et sans cesse — un esprit « amoureux et confiant » de partage de l’expérience artistique, sans « exclusions a priori ». En même temps, ils demandent « rigueur et travail » à tous. Ceux qui ont le plus à donner, ceux qui travaillent depuis longtemps pouvant vanter un long artisanat et une application constante, adhèrent en premiers au mouvement intuitiste. Cette vision d’une création collective prodigieuse et généreuse, se multipliant à l’infini, fait déclencher en moi l’idée de « la montagne ». Un géant pointant au milieu des nuages qui est aussi une mine bourrée de trésors. Une montagne creusée par d’infinis labyrinthes, une casbah d’ateliers en pleine activité. Un plein de suggestions ascensionnelles et célestes qui est aussi « rempli », voire comblé d’indispensables expériences…

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Jean-Claude Pommery Le Château

La montagne intuitiste n’a rien à voir avec la redoutable montagne enchantée de Thomas Mann ni avec la décevante tour de Babel ! Le parcours qu’il faudra suivre pour gagner son sommet, bien sûr constellé d’oeuvres intuitistes, ne sera pas une « via crucis » pour mettre des complexes à de pauvres pécheurs pénitents.
La montagne intuitiste n’est rien d’autre que le travail qui se cumule : un trésor inestimable. Même si cela pourrait apparaître dépourvu de logique verbale, l’intuitisme ne peut pas se pratiquer en dehors d’une application constante et opiniâtre, chacun dans son atelier : on ne s’improvise pas « artistes capables d’improviser » !

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Jean Zorko Nature verticale

Voilà, autour de ces trois mots — « fanciullino » « retour » et « montagne » —, auxquels j’aurais bientôt ajouté les autres deux — « jet » et « cosmos » —, on peut tout de suite entamer une petite confrontation avec les glorieux mouvements du XIXe et du XXe siècle :

Pour cette idée de retour au primitif… j’ai pensé aux Demoiselles d’Avignon…

Pour cet esprit spontané et anticonformiste… j’ai pensé au manifeste dadaïste…

Pour cet orgueil de la vitesse du geste… j’ai pensé aux futuristes, à leur provocation, au défi extrême et impossible qu’ils déclenchaient contre le pouvoir des « monstres mécaniques » en train de tout transformer de façon radicale…

Pour ce besoin de faire « tabula rasa » et repartir à zéro… j’ai songé à la rupture de l’art abstrait comme réaction alors salutaire à l’art figuratif devenu du jour au lendemain stérile et déplacé, survivant à lui-même.

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Jean-Claude Bemben La sirène

Toutes les époques ont eu besoin d’un mouvement antagoniste vis-à-vis des impositions d’une réalité au pouvoir grossière, brutale, ennemie de la fantaisie jusqu’à la destruction…
Cela entraîne une petite objection, que je ne peux pas omettre, qui pourtant m’aidera à faire évoluer la réflexion d’aujourd’hui : en général, les avant-gardes artistiques et littéraires se sont formées dans un contexte précis. Si l’impressionnisme et le surréalisme sont nés sans doute à Paris, le futurisme russe et le futurisme italien, liés entre eux d’une incroyable parenté, sont nés peut-être à Moscou ou à Milan, avant de se réfugier à Paris pour s’y transformer dans le but de survivre quelques années encore.
Mais déjà l’exemple de l’Art nouveau montre le contraire. Celui-ci a été un mouvement international à plusieurs facettes sur un fond d’inspiration commune. En Italie, par exemple, comme le dit Wikipedia, ce mouvement « adopte le nom générique de Stile Liberty (du nom du magasin londonien) à la fin du XIXe siècle. Au départ, influencés par l’explosion créatrice autrichienne (Sezessionsstil), britannique (Arts and crafts), française et belgo-néerlandaise (Nieuwe Kunst), les artistes italiens développent leur propre vision moderniste, s’ouvrant également à de nombreux créateurs étrangers. »
Sans compter le pop art nord-américain : son influence a été énorme en Europe et dans le reste du monde… Il y a bien sûr un lien et un échange international entre les différentes écoles et leurs maîtres, même si chacune d’elles reste ancrée à son territoire, à son contexte primaire d’inspiration et de vie…

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Patrick Davido Une rencontre posthume ou aérienne

Mon rêve intuitiste

…J’étais donc dans les tréfonds du sommeil le plus inspiré lorsqu’une phrase s’est affichée sur l’écran blanc :

« L’intuitisme est POUR l’amour et la confiance, CONTRE les barrières entre les arts et les artistes ! Dès le début, l’intuitisme est ennemi de toute surcharge de justifications intellectuelles ! L’intuitisme tend à l’essence émotive, s’écartant de l’art abstrait tout court, qui privilège le côté rationnel de l’acte créatif ! »

Cet écran était dissimulé dans un inoubliable tableau-collage de Robert Rauschenberg, que j’avais admiré un jour dans le Musée d’Art contemporain du palais des Diamanti à Ferrare… Tout d’un coup, je me suis réveillé. Le rideau blanc de l’artiste avait disparu, avec tous ces mots et hiéroglyphes compliqués. Devant mes yeux écarquillés, une montagne s’affichait, solennelle et avenante.

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Auguste Haessler Le miroir

Et voilà, je suis déjà en train de me promener dans une forêt épaisse où se nichent des citadelles fourmillantes de trésors… Au fur et à mesure que j’atteins la sortie du bois me frayant un chemin dans cette nature prodigieuse… je m’aperçois de l’existence de différentes populations d’artistes, installées depuis longtemps sur les flancs de cette montagne. Malgré leurs langages « spécifiques », ils cohabitent tout à fait pacifiquement, dans l’esprit du partage et de l’échange continu de leurs points de vue réciproques. D’ailleurs, cette inter-aide ne se referme pas dans une mentalité autarcique et méfiante envers l’étranger (ou « l’extraterrestre » que je suis) : une belle file de cailloux blancs a été déposée sur mon sentier, juste pour moi, pour m’aider à trouver plus tard la voie du retour.

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Franceleine Debellefontaine Le feu

Voilà. Je suis sorti du bois. Dans ce « limbe » entre colline et montagne, les cailloux blancs ne sont plus nécessaires. Devant une espèce de refuge alpin, un homme m’attend. Je suis invité, je partage avec le groupe assis à la longue tablée le pot-au-feu fumant, le vin rouge et la grappe italienne dont le patron au comptoir est très orgueilleux. La conversation est très stricte, essentielle et même abrupte, comme il convient aux gens de montagne :

« L’intuitisme « répond » à une nécessité reconnue par la plupart des artistes. Devant la réalité de nos jours, difficile et riche de suggestions à la fois, ce mouvement essaye de réagir, à travers la création d’un « grand fleuve fédératif », d’un gigantesque atelier de l’esprit créatif où l’art ne se soumet à d’autres disciplines qu’à la rigueur d’une création cohérente » ;
« le point de convergence de toutes les formes d’intuitisme est une sorte d’écologie de l’art se traduisant en défense acharnée de la spontanéité voire de la liberté de l’artiste, contre… »

Je n’ai pas entendu faire allusion à des ennemis ou des cibles, auxquels adresser une éventuelle critique.
Mais je pourrais ajouter que la plupart des artistes, intuitistes ou pas, vivent dans une condition pénible.
Non seulement au point de vue « professionnel », de la pleine reconnaissance de l’activité artistique dans le monde du travail en général, mais aussi pour une véritable « dictature » exercée par les artistes gagnants et leurs sponsors publiques et privées.
Ce qui trouble l’art n’est pas l’invention, la nouveauté, l’expérimentation, et cetera. C’est plutôt cette sorte de totalitarisme qui autorise l’existence — voire la survie, avec leurs élites de représentants — de certaines formes d’art seulement.
De façon implicite, sans recourir à la rhétorique et contre toute conceptualisation abstraite de l’art, les intuitistes soutiennent donc une bataille pour renverser cette condition d’immobilisme et, en même temps, pour encourager les gens à se former des paramètres de jugement tout à fait libres et indépendants.

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Franco Cossutta L’univers dans mon jardin

« Vous verrez qu’il y a trois diverses sensibilités parmi les peintres et sculpteurs intuitistes », me susurre l’homme que j’avais rencontré à l’entrée du refuge :
« — l’art s’inspirant au cosmos, aux archipels de l’inconscient, dont Franco Cossutta est l’un des représentants les plus significatifs (rien que pour cela, on pourrait le considérer comme le « père moral de l’Intuitisme ») ;
« — le retour au geste mécanique, où l’esprit intuitiste se rencontre, en tout cas, avec une formation d’atelier maîtrisée. Il suffit de regarder les œuvres de Michel Bénard pour constater une grande vitalité dialectique entre la « nouvelle liberté » de l’intuitisme et l’exigence de structures invisibles pour endiguer ou mieux diriger le geste à l’intérieur d’une grille psychologique de « contraintes stimulantes ». Pour cet artiste c’est la calligraphie, toujours sous-jacente dans ses œuvres, le motif central de sa recherche expressive ;
« — l’esprit ressuscité de l’art nouveau international, c’est à dire le retour à l’identité entre art et artisanat. Dans notre civilisation déchirée, en réaction à la reproduction répétitive, qui banalise tout, cela répond à la nécessité de défendre l’unicité et en même temps le caractère artisanal de chaque œuvre d’art qu’elle soit peinture, dessin ou sculpture. Ce sont surtout les sculpteurs, dont Jean Zorko et Franceleine Debellefontaine, qui s’imposent naturellement à la tête de cette composante expressive du mouvement… Mais aussi des peintres, comme Auguste Haessler, Eliane Hurtado, Jean-Claude Pommery, Gerard Stricher, Alain Béral, Nadine Amiel, Patrick Davido et Jean-Claude Bemben. Ce dernier nous a dit : « réhabilitons l’intuition avec la pensée, par les mains pour peindre ou sculpter… dans la liberté d’un enfant en prise avec le maniement de ses premiers crayons de couleur, et le choix spontané de couleurs qui lui plaisent un jour, puis s’exprime dans une autre harmonie le lendemain, guidé uniquement par son intuition…! » »

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Michel Bénard Le soldat

Quant à moi, peintre et poète ordinaire et sans « —ismes », je sors sens dessus dessous de cette immersion cosmique et profonde dans l’univers « intuitiste », mais fort rassuré par la ferveur créatrice de cette multitude d’hommes et de femmes à l’esprit fraternel. Enthousiaste même, devant cette incroyable possibilité d’échange et de soutien réciproque. Je veux fêter cette rencontre avec une petite anticipation du troisième volet, prévu pour dimanche prochain. Une poésie intuististe de Barnabé Laye :

C’est la vie

Ça commence comme une caresse
Ça finit comme un couperet
Ça vient comme une acclamation
Ça finit comme une désolation
Ça vous pénètre comme une aiguille
Ça irradie comme une ivresse

Ça va
Ça vient
Au petit bonheur du jour
Pendule balancier
Imperturbable sablier
Aujourd’hui envol de grains de riz
Demain coulées de larmes amères

Ça va
Ça vient
Au petit bonheur la joie
Au petit malheur le deuil
Et ça s’incruste dans la peau
Au plus tendre de la chair
Et ça trace sur les chemins du pèlerinage
Des labyrinthes de blessures et de cicatrices
Et ça blanchit au niveau du cortex
Et ça s’accumule sur le vertex
Et ça s’arcboute sur des cannes de bois
Ça plie encore mais ne rompt pas

Ça va
Ça vient
L’automne et puis l’hiver
On n’y peut rien

Ça va
Ça vient
Berceau et puis tombeau

On dit que c’est la vie.

Bernabé Laye

(1) depuis Wikipedia : « …Pour les Occidentaux, le terme Sherpa désigne aussi les guides qui mènent les alpinistes sur les sommets himalayens et, par extension, en diplomatie, les hommes et femmes de l’ombre qui préparent les grandes réunions internationales de dirigeants. »
(2) Pascoli, Patrimoine littéraire européen, Vol. 12

Giovanni Merloni

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(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

L’importance de la main et du geste : préparatifs pour une randonnée chez les « Intuitistes » I/III

10 mardi Mar 2015

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Gian Lorenzo Bernini, fontaine des Quatre Fleuves, Rome. Autour de la main du Rio de la Plata, ouverte pour protéger la fontaine de la rage divine, il y a une anecdote liée à la rivalité connue entre Bernini et Borromini, architecte de l’église de Sainte-Agnes, piazza Navona, surplombant ladite fontaine : selon la légende, Bernini craignait l’écroulement de l’église, « mal » bâtie par son rival éternel. Photo de Giorgio Muratore, sur archiwatch

L’importance de la main et du geste : préparatifs pour une randonnée chez les « Intuitistes »

Mes chers lecteurs, suivant ma curiosité et mon admiration sincère, j’entame aujourd’hui une réflexion-reportage en trois étapes, que je vais consacrer à « l’intuitisme » ainsi qu’aux artistes et poètes « intuitistes ». J’essayerai là de vous offrir une représentation synthétique soit des œuvres les plus intéressantes que j’ai pu apprécier, soit de l’esprit original de ce mouvement par rapport aux principales tendances artistiques et littéraires contemporaines.
Mais avant de nous plonger dans le monde « intuitiste », je me suis posé une question préliminaire, à laquelle j’ai donné une première réponse.
Voilà la question : « Quel est le ciment idéal ou le noyau subliminal qui peut relier entre elles, dans un esprit commun, des sensibilités et personnalités parfois très différentes les unes des autres (comme il arrive de constater en examinant les parcours suivis par chacun de ses adhérents) ? »
Et voilà la réponse, que je vais tout de suite vous expliquer : « Dans ce monde où le dérèglement à tous les niveaux de la vie collective et sociale se cale aussi dans le fonctionnement intime de notre action quotidienne et de notre corps même, la récupération de nos attitudes manuelles est tellement nécessaire qu’elle assume une fonction stratégique et même révolutionnaire dans tout art ou expression qui revient à l’humain »…

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Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

Oui, j’ai renversé l’ordre logique de la présentation. Pour la raison suivante. Tous les manifestes des mouvements artistiques évoquent, parfois de façon seulement rituelle, la condition humaine et sociale, voire politique, de l’époque d’où leur provocation jaillit. Dans le manifeste des « intuitistes », cet élément m’a particulièrement intéressé par sa sincérité. Je crois d’ailleurs que c’est justement de là qu’il faut partir, de ce panorama du changement — que les artistes et poètes « intuitistes » évoquent et analysent de façon correcte et fouillée —, pour comprendre et apprécier, sinon partager leurs propositions.
Dans les prochaines étapes de notre voyage nous serons bien sûr plus légers et prêts à développer des confrontations entre ce « -isme » d’aujourd’hui et les nombreux « -ismes » qui ont rempli de passion notre fantaisie et notre amour pour la littérature et l’art.
Avant d’aborder une telle thématique et de procéder à une passerelle des auteurs les plus remarquables, je me dois d’une inversion méthodologique visant à interpréter les raisons et analyser les contextes qui ont déclenché « l’intuition de l’Intuitisme », c’est-à-dire l’exigence concrète d’un mouvement innovateur dans les domaines de la poésie et de l’art.

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Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

Dans la constitution de l’école « intuitiste », un mouvement collectif « ouvert » et basé sur un esprit vivement solidaire, on reconnaît d’abord la nécessité de réagir vis-à-vis de l’individualisme effréné caractérisant notre époque — aussi globalisée que paralysée — de graves régressions et crise de valeurs essentielles pour la démocratie et la civilisation. Même en Europe, dans des pays comme l’Italie et la France, par exemple — où vivent et travaillent la plupart des exposants et fondateurs de ce mouvement.
 Une crise économique et culturelle qu’on ne sait pas analyser ni combattre jusqu’au bout, où l’argent n’est pas la seule cause du progressif manque d’attention et de sensibilité envers la culture.
 Si en Italie, malgré les signaux récents de quelques changements au niveau politique, presque la totalité des maisons d’édition est désormais tombée dans les mains d’un seul propriétaire… en France on réduit progressivement les dépenses pour la Culture, oubliant peut-être le rôle propulsif qu’elle a toujours exercé dans la société et dans l’économie du pays. (Il suffit de citer l’énorme pouvoir d’attraction de Paris dans le monde, avec toutes les rechutes économiques et d’emploi dans les infinies activités culturelles, pour confirmer l’importance d’un défi auquel on ne devrait jamais renoncer. Sans compter les initiatives culturelles, théâtrales et la création de musées de grande envergure partout en France.) 
La culture est d’ailleurs une nécessité indispensable pour une société multi-ethnique comme l’actuelle, où l’arrogance de l’argent et les conflits non composés provoquent en eux-mêmes la destruction de la mémoire et la mortification pour la plupart des êtres humains cultivés et des artistes qui se trouvent en définitive coincés dans un sentiment d’impuissance et de solitude.

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Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

L’argent et le succès économique sont devenus, à présent, les seuls paramètres pour juger de la validité d’un artiste. Tout comme dans le monde du travail, une séparation nette se creuse entre ceux qui sont « dedans » et ceux qui sont « dehors ». Les artistes affirmés ainsi que les écrivains « adoptés » par les maisons d’édition les plus reconnues, pourvu qu’ils gardent encore quelques marges de manœuvre et de liberté d’esprit et de fantaisie, ils sont toujours assujettis à des règles de moins en moins orientées en fonction du respect de la « libre expression ».

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Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

Au nom de la « libre expression » le 11 janvier 2015 des millions de citoyens sont descendus spontanément dans les rues et les places de France. Cela était fort approprié au cas de Charlie Hebdo, une véritable île de liberté et d’intransigeance dans le panorama actuel de l’information et de la production littéraire et artistique qui n’est pas partout cohérent et « ouvert » comme celle-ci. Évidemment, la situation de la France n’est pas la même qu’en Italie, pour rester en Europe. On y assiste pourtant à une révolution technologique de l’information et de l’échange de plus en plus répandu et même capillaire, où le support informatique devient sans trop combattre l’arbitre majeur de nos destins personnels et collectifs. On avance dans une culture de l’image virtuelle, que chacun puisse se fabriquer voire proposer ou imposer aux autres, risquant une progressive dévalorisation de l’image même, ainsi qu’une profonde modification des paramètres de la beauté et des innombrables nuances de la laideur possible.
On assiste et l’on participe d’ailleurs à une gigantesque bagarre « entre ordinateurs », armés les uns contre les autres, où personne n’est épargné par des sentiments, tout à fait illusoires, d’euphorie sinon de véritable omnipotence. On plonge dangereusement dans une époque pseudovirtuose ou chacun se prend pour un indispensable et talentueux passeur de relais primordiaux et de vérités révolutionnaires sans que cela ne corresponde aucunement à la réalité.

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L’individualisme, qui nous avait poussés à agir en nous exprimant « librement », s’est transformé désormais en solitude. Ou alors, dans le meilleur des cas, en solitude partagée par de petits groupes « d’amis ». Dans cet univers de plus en plus abstrait, où les réseaux sociaux offerts par Internet se proposent comme des alternatives éphémères au manque des lieux de rencontre traditionnels, il n’y a pas que cette sensation de perte progressive d’un contexte stable auquel se référer. L’ordinateur nous enlève le temps de la vie réelle et des rythmes basés sur les gestes dont on perd petit à petit l’habitude. Chacun de nous se sert de moins en moins de la main pour écrire ainsi que pour tracer des figures. Le clavier de l’ordinateur, de la tablette ou du smartphone devient au jour le jour les uniques expériences tactiles auxquelles nos mains sont conviées…

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Oui, bien sûr, dans les plus récentes tablettes, on essaie de donner aux doigts un rôle moins banal et répétitif. Mais là, tout se résume dans un rapport tactile amélioré entre l’homme et la machine. Dans les rares moments où l’ordinateur reste éteint, nous nous confrontons dramatiquement à la perte croissante de nos habiletés manuelles primordiales. Nous ne sommes plus capables de noter les rendez-vous sur les agendas en papier, perdons toujours nos stylos et ne sommes plus même capables de signer en souplesse le reçu du facteur.
La lutte (hypothétique et disproportionnée) que l’homme contemporain devrait engager pour sauver notre espèce de la perte de ses facultés primordiales (à partir de la réhabilitation de la main) se lie strictement à une lutte plus générale pour défendre la mémoire collective, la culture comme respect et réflexion sur le passé dans sa projection vers le futur.
Une lutte qu’il faut faire soit à l’intérieur des nouvelles modalités d’échange et de confrontations basées sur les moyens informatiques, soit à l’extérieur, dans la société réelle.
Une lutte qu’on ne peut pas conduire seuls.

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Pour un artiste le « programme » est encore apparemment plus dur à réaliser, tellement il est calé, âme et corps, dans le flux de la vie réelle et dans les conditionnements d’aujourd’hui.
Heureusement, les artistes, même les plus solitaires, ont tous dans leur bagage formatif l’idée de la construction artisanale de l’œuvre d’art.
Même s’il existe, depuis quelques années désormais, des systèmes informatiques formidables pour copier jusqu’aux détails les plus infimes, et reproduire ensuite les sculptures en n’importe quel matériel (comme on a fait par exemple avec la statue équestre de Marc-Aurèle près du Capitole à Rome), l’importance des mains est évidente pour le sculpteur qui veut créer quelque chose de nouveau. Il doit forcément se servir d’elles.
Le peintre aussi, s’il a du talent, ne pourra jamais s’adapter complètement à une création à l’écran d’un ordinateur. Il devra, en ce cas, partir quand même d’un dessin réalisé à la main. Sans compter les couleurs. Songer à une oeuvre d’art comme le résultat du « remplissage » des formes closes par les couleurs c’est bien sûr possible. Mais cela serait une forme d’abdication, à la longue inacceptable, non seulement de la part de la main réalisatrice, mais aussi de l’intelligence créatrice.
Pour le peintre, le support est toujours très important. Nous avons vu récemment le grand calligraphe Ghani Alani préparer lui-même des parchemins dorés ou des tissus de soie collés sur des papiers adaptés. D’ailleurs, la plupart des peintres ont besoin de créer des tableaux où les nombreuses couches de peinture donnent vie à des surfaces ondulées, creusées, sillonnées…
Voilà que les arts plastiques possèdent en elles-mêmes des antidotes ancestraux à la tendance actuelle à se passer de la main !
(Pourtant les magasins spécialisés pour les peintres et les sculpteurs ressemblent un peu à des musées, où des gens opiniâtres et anticonformistes s’obstinent à ranger les mêmes outils qu’utilisaient Rembrandt ou Edgar Degas…)

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Michel Bénard et Franceleine Debellefontaine à Cormontreuil, février 2015

Cher Michel Bénard,
Je t’avais écrit des mots un peu improvisés en voyant tes belles photos de l’expo de Reims. Une petite élégie à la « main » et à cette nouvelle école « intuitiste » que je respecte et cherche petit à petit de comprendre et assimiler. Je crois que le geste créateur de l’artiste d’aujourd’hui doit nécessairement s’inspirer à quelque chose en dehors de tout ce que la technologie aveuglement nous impose.

Bonjour, Giovanni,
Oui ce fut une très belle et bonne exposition où la qualité était présente. Oui, mille fois protégeons-nous de trop de technologie qui réduit et aliène l’homme !

Il faut absolument réagir, Michel, à cette espèce de bureaucratie où les images sortant des ordinateurs jaillissent d’un appareil sans âme et surtout sans mains. Il faut récupérer l’usage des mains, pour écrire et peindre et penser mieux !

Oui, Giovanni, l’usage des mains et de l’esprit est primordial, la main est le plus bel outil du monde ! En tant que fils et neveu d’artisans qui m’ont formé, je sais de quoi je parle ! En fait, j’ai l’ esprit d’un compagnon.

Je crois que si les mains, ces indispensables alliées du cerveau parlaient, elles seraient favorables à une démarche « intuitiste », du moins pour commencer !

En effet, « l’intuitisme » est aussi le jeu libre des mains. Voilà Giovanni, ce que j’avais écrit à propos des « mains » du sculpteur : « elles ne sont pas innocentes. Elles symbolisent la profonde intégralité de l’homme, son résumé existentiel, elles contiennent en mémoire l’histoire passée, présente et future de la vie. Les mains sont des temples qui préservent les secrets de l’humanité, elles sont les livres de la réminiscence de la connaissance. »

Giovanni Merloni

« Pour un Art de l’Intuition »
(paru dans « Pour un Art de l’intuition » en 2003)

« Assez ! Aujourd’hui notre monde est souvent sclérosé par ses habitudes. L’art, quant à lui, est la jeunesse du monde. Il a tout à créer, tout à construire, tout à proposer. Nous revendiquons la liberté de nous imposer des règles, de nouvelles règles, quand nous le voulons et si nous le voulons !
Nous préconisons un art de l’intuition, art de la sensibilité s’exprimant avec spontanéité, une spontanéité qu’il n’est possible d’obtenir qu’après un long travail. Cessons de penser l’art comme une intention. N’appliquons plus de scénario dans le récit. Laissons faire l’intuition ! Du point de vue de la forme, la poésie doit pouvoir mélanger dans le même poème vers libres, vers en prose, versets et alexandrins, si elle le désire. Au nom de quelles habitudes a-t-on décidé que la sacro-sainte unité n’est réalisable qu’au sein d’un repère constant et monotone, l’utilisation d’un vers unique n’offrant pas l’image de la diversité harmonieuse ou chaotique du monde ? L’art de l’intuition se nourrit de doute et non de certitude. Il l’exprime sans intention, en allant à l’essentiel, c’est-à-dire d’abord en manifestant l’intuition, et non pas en cherchant à la reproduire. L’art intuitiste n’a rien à reproduire. Il se contente modestement de laisser l’intuition se manifester dans l’œuvre d’art. La manifestation de l’intuition naît du doute de l’artiste. La représentation de celle-ci naîtrait de sa certitude.
Osons une autre forme de peinture, ni figurative ni abstraite, mais intuitive, peinture sans netteté, née elle aussi du flou, du doute ou de l’éblouissement, de la fulgurance intuitive ! Il est temps de proposer une nouvelle esthétique. L’art en effet connaît une crise sans précédent. Si le talent permet de devenir un artiste, il ne suffit pas pour créer des œuvres dignes du passé. Le passé, plus ou moins consciemment, nous l’avons totalement rejeté pour faire peau neuve. Mais comment ? Arrêtons le massacre !
La poésie voudrait se démocratiser ! Bien. Elle rêve d’élargir le cercle ! Pourquoi pas ? Mais cela ne peut se faire n’importe comment. On ne sacrifie pas la littérature d’un pays par caprice. De la liberté avant toute chose, mais une certaine liberté, celle qui naît d’une réflexion en profondeur sur l’art et le langage poétique. Menons la avec modestie. Sachons reconnaître nos erreurs. Ayons recours au débat. Que l’art de notre temps soit assez ouvert d’esprit pour se remettre en question, qu’il s’engage pour défendre des idées essentielles : droit de l’homme, féconds échanges entre les cultures. Franchissons les frontières, toutes les frontières, à commencer par celles de l’intolérance. Associons même les arts ! Elargissons l’espace pluriartistique, cet espace où les arts se fiancent pour dépasser les anciennes frontières !
Nous disons que la voix de l’artiste n’est plus perçue à sa juste valeur, voix participant pourtant utilement à la vie de la cité. Au nom de quelles valeurs secondes et perverses ? Cela est grave. Excessivement grave. Nous disons halte à l’habitude, halte aux intolérances ! Les temps de l’art mimétique est révolu. Ne convoquons plus seulement les ciels de la vision. Ouvrons ceux de l’intuition ! »
Eric Sivry et Sylvie Biriouk, fondateurs du groupe artistique intuitiste, juin 1998

(Toutes les photos peuvent être agrandies en cliquant sur les images)

Dans les tréfonds des « poèmes d’amour colorés » de Ghani Alani

01 dimanche Mar 2015

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Dans les tréfonds des « poèmes d’amour colorés » de Ghani Alani

Mardi dernier, une invitation insolite, extraordinaire à plusieurs égards m’a catapulté en début d’après-midi dans un appartement clair et calme au sixième étage dans le XVIIIe arrondissement de Paris, qu’assis confortablement dans un bus d’habitués à l’air tranquille et indifférent, j’ai pu rejoindre en une demi-heure.

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J’ai trouvé la porte ouverte. Ghani Alani, penché sur une petite écritoire, était en train de… « peindre » ? Le temps bref d’un instant avant de nous embrasser, tout en suivant sa main ferme en train de faire glisser le calame encré sur le petit parchemin teinté de jaune, je me suis demandé si ce mot « peindre » était approprié, si au contraire j’avais dû l’appeler d’une autre façon ce geste habituel et depuis toujours maîtrisé. Est-ce qu’il « écrivait » ? Est-ce qu’il « gravait » ?

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Après nos effusions amicales, remarquant le fait d’avoir finalement concrétisé un rendez-vous dont on avait parlé depuis une année, Ghani Alani, très généreusement, m’a montré une partie de ses créatures. Puisqu’on a affaire, ici, à de grandes feuilles aussi robustes que subtiles, j’ai eu la chance de voir (et photographier) une centaine d’oeuvres uniques, l’une différente de l’autre, qu’il garde amassées dans des cartons empilés l’un sur l’autre ou prudemment faufilées dans des tiroirs à plusieurs étages.

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Je n’ai vu que la pointe minuscule d’un iceberg gigantesque. Mais cela a suffi à m’étonner et m’enthousiasmer vivement. Car au fur et à mesure que ces feuilles venaient à la surface, réveillées de leur sommeil pour ce énième visiteur que j’étais, le plus grand calligraphe de France m’expliquait, par sa voix chaleureuse et gentille, que chaque tableau était aussi une poésie. Ou plutôt que chaque poésie, jaillissant librement ou douloureusement de cette plume « chinoise », prenait chaque fois des formes différentes ainsi que des couleurs inattendues, jusqu’à devenir un tableau.

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La calligraphie (ou « belle écriture ») représente en plusieurs civilisations (de l’Égypte à la Mésopotamie, de la Chine au Japon) une forme d’expression « universelle » basée sur la mise en valeur d’un alphabet où les idéogrammes et les suggestions symboliques sont encore vivants même si tout cela a évolué. Même si cet alphabet est parlé et écrit par d’entières nations et imprimé au jour le jour dans les journaux d’une vaste portion de la planète. Un alphabet structuré en fonction de voyelles ou de consonnes tout comme dans tous les autres alphabets (grec, russe, hébreu, français, anglais, et cetera), mais avec quelques « ingrédients » en plus.
« La calligraphie appartient à ces précieux outils que possèdent encore le monde moderne pour rapprocher les hommes en un seul unique, celui de l’esprit syncrétique, de la lumière révélée et du verbe d’amour universel… » voilà ce qu’avait dit Michel Benard en occasion d’une splendide exposition de Ghani Alani à Reims, en 2009. « La calligraphie est une sacralisation de l’écriture, un état d’être, une philosophie de vie oscillant entre les fondations immuables de la tradition et les hardiesses libérées de la modernité. La calligraphie est une trace d’encre à laquelle le calame donne naissance sous la maîtrise de la pensée et de la main experte du calligraphe qui transmet sous multiples variations son héritage spirituel, sa connaissance de l’origine qui révèle à l’homme ce qu’il porte en lui mais ne voyait pas. La calligraphie ne se veut pas un simple acte d écriture, mais se doit d’être un acte de vie, un état d’être et de penser, ayant pour but unique d’unir, de relier et d’engendrer une meilleure harmonie de l’humanité. Pérenniser la proximité et l’osmose en élevant le savoir et les esprits. »

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Comme tous les autres occidentaux, je reste toujours stupéfait devant la force symbolique que ces caractères gardent intacte, sans qu’il y ait apparemment l’exigence d’une « explication » ou « traduction » quelconque. Cette observation ne s’applique peut-être pas à tous ceux qui fréquentent au quotidien la langue arabe, capables bien sûr de lire sans difficulté le texte poétique tout en appréciant la beauté indiscutable de l’œuvre d’art qu’elle est.

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Je me demande pourtant, même pour quelqu’un qui parle et écrit couramment en cette langue suggestive et mystérieuse, si une lecture de ces tableaux poétiques, de ces poésies d’amour ou actes d’amour, est vraiment toujours facile. En considération aussi de la signification et du sens des mots, souvent multiple et parfois contradictoire.
Je me demande d’ailleurs si cette « compréhension » est vraiment importante, voire nécessaire ! N’avons-nous pas aimé les chansons des Beatles et Bob Dylan, même si nous en comprenions juste l’inflexion de la voix, en plus d’un mot ou deux seulement ?

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Une compréhension exacte, précise jusqu’au bout, n’ajouterait pas grand-chose, je crois, à la force communicative de cette œuvre prodigieuse. Ici, le secret réside peut-être dans la constance voire dans « l’obsession » de ce geste quotidien, artisanal et poétique à la fois, qui projette la calligraphie sur des supports cohérents aux expositions publiques, aux maisons des collectionneurs, dans l’esprit du dialogue avec tous les gens passionnés et sensibles.

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Je me demande aussi, symétriquement : serait-elle facile à comprendre une « poésie calligraphique », en italien ou en français ? Un chant en vers qui prenait la forme d’un tableau sous les mains d’un artiste calligraphe de Provence ou de Lombardie ?

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Dans notre culture occidentale, nous avons opéré une rupture nette, une séparation presque définitive entre l’utilisation de l’alphabet et la figure anthropomorphe ou abstraite. Même dans les cas exceptionnels d’une recherche calligraphique soignée, qui met en valeur la beauté et la force sémantique de nos caractères, le dessin et la peinture vont suivre inévitablement un parcours parallèle qui n’est pas toujours complémentaire à celui de la parole écrite.

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On observe chez nous plusieurs exemples où les seuls mots ou les seules lettres de l’alphabet, tout comme les nombres, assument un rôle central ou absolu dans l’œuvre d’art. Mais, depuis des siècles, cela n’exclut pas, mais présuppose, au contraire, l’existence « contemporaine » d’une peinture figurative qui se passe presque toujours d’un « texte » quelconque. Même dans l’art abstrait, on ne peut pas exclure la possibilité de l’évocation sinon de la reproduction symbolique de la figure humaine.

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Apparemment, un art basé exclusivement sur les caractères de l’alphabet — intégrés par un goût même raffiné pour les éléments de la nature, comme les fleurs, les plantes, les animaux et leurs traces sensibles — ne pourrait pas atteindre, surtout en Occident, les mêmes niveaux de compréhension d’un public moyen que les œuvres de la peinture classique, où la figure inscrite dans une narration résume en elle-même tous les messages d’un texte écrit et même plus.

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Et pourtant l’œuvre calligraphique de Ghani Alani nous parle, nous touche, nous bouleverse. Même si nous ne comprenons presque rien des infinis messages textuels que l’auteur y a mis. Aimons-nous instinctivement ces tableaux magnifiques tout comme nous aimerions des peintures abstraites ? Oui, peut-être. Très probablement. Mais il y a quelque chose encore, dans les tréfonds de chacune de ses « poésies d’amour colorées » :

« Je ne veux pas que les fenêtres de ma maison
Soient fermées, afin de recevoir toute les cultures de l’univers
Et répandre la mienne en écho. »

« Le grain de ta beauté, mon amour,
Est le point du verbe aimer, plein d’attraction.
Sans cela, qu’aurait été le principe de Newton ? »

« Tes joues cristallines, les perles dans ta bouche,
Sont la traduction de ma poésie lumineuse. »

« Ses mots se sont baignés dans la mer longue,
Puis le poète les a laissés dorer sous un soleil de sable. »

« La ligne calligraphique est une rencontre des rimes amoureuses de la beauté, et le rendez-vous des amis. »

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Notre enchantement est indéniable quand, petit à petit, nous entrons en tant que spectateurs dans l’univers narratif de Ghani Alani, comme le dit aussi Michel Benard dans un de ses délicats poèmes consacrés à l’artiste que vous trouverez ci-dessous.
Indéniablement, celui-ci « transporte » en France et en Europe une culture millénaire, à laquelle il reste toujours fidèle. En même temps, Ghani Alani n’aurait pas pu vivre à Paris, où il connaît nombreux peintres et sculpteurs parmi les plus célèbres, sans en recevoir une provocation, un défi. Voilà qu’il ne se borne pas à un transfert géographique d’un pôle à l’autre du globe ! Tout au long de ses quarante-huit ans d’installation parisienne, il se cale dans le présent avec son immense bagage culturel et visuel, mettant ses inimitables capacités gestuelles au service d’une figuration qui se projette sans transition dans le futur.

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Mardi dernier, tout en regardant les tableaux de Ghani Alani, je songeais, de plus en plus fasciné, à l’étoffe d’un foulard transparent en train de survoler les humains pour devenir lui-même un objet de découverte et de rêve. Je me suis alors souvenu d’une scène inoubliable d’une comédie d’Eduardo De Filippo, acteur et dramaturge napolitain : « Bene mio, core mio » : « Mon bien, mon cœur »). Le dénouement de cette pièce théâtrale se joue en fait autour d’un foulard, ou pour mieux dire d’une étoffe de soie brochée aux pouvoirs thaumaturges… une étoffe dessinée et colorée par un « homme de science » arrivé à Naples depuis l’extrême Orient (1)…
Oui, les parchemins en grand format de Ghani Alani ont une force particulière, le pouvoir de nous transmettre les couleurs et les musiques d’un monde immense aux innombrables trésors. Un monde qui ne nous apporte que du bien.

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Mon incursion dans le monde poétique et figuratif de Ghani Alani n’est pas finie aujourd’hui. J’y reviendrai bientôt, pour lui poser des questions et aussi, pour essayer, avec mes seuls instruments, décrire voire interpréter quelques-uns des tableaux que je suis en train de montrer aujourd’hui.
Et voilà le sujet autour duquel je lancerai alors ma première question. Pour moi, la poésie et le dessin ont les mêmes racines, le même lieu de naissance : la rêverie, la volonté de vivre en dépit de la mort omniprésente, le geste d’amour. Et pourtant mes textes écrits voyagent sur un autre train, ils partent d’une gare et descendent dans une autre à des horaires différents vis-à-vis des tableaux. Je suis un peintre narrateur ainsi qu’un écrivain pictural… mais les deux formes d’expression sont en lutte, l’une contre l’autre, sans trêve.
Ghani Alani a trouvé, au contraire, depuis le commencement je crois, la juste clé, en réalisant une synthèse merveilleuse entre elles. Il a eu le grand courage de lancer ses créatures dans des orbites universelles et, en même temps, l’humilité pour s’effacer un peu, pour cacher quelque chose chaque fois. Délibérément, il laisse flotter dans l’air le merveilleux sentiment du « non-dit » !

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À Ghani Alani

Lorsque le noir d’encre
Révèle la voix du silence,
La musique du calame
Devient le plus beau
Chant de l’homme,
C’est la note sublime,
La ligne qui transcende la poésie,
Où grandit la prophétie,
Où s’embrase la beauté.
C’est la trace du cœur,
Le signe devenant visible
Sur un fond de ciel bleu.
C’est l’enluminure d’un souffle universel
Qui voudrait déposer sur le monde
Le voile de la connaissance.
Lorsque le noir d’encre
Dispense l’éclat de sa lumière,
C’est un fragment de parole sacrée
Réfugié au grain du parchemin.

Michel Bénard

« Ghani Alani est aujourd’hui reconnu comme un grand maître qui, fait très exceptionnel et rarissime s’est vu attribuer deux fois l’Ijazé, la distinction suprême chez les calligraphes et que l’on peut traduire par transmission ou autorisation. Ghani Alani est un homme qui fertilise l’esprit en allant à l’essentiel, il se fait passeur du savoir, des connaissances et disciplines traditionnelles, mais il est un artiste créateur et un enlumineur d’une grande modernité, grâce à lui et à l’ouverture de son esprit sur le monde, il n’y a ni passé, ni présent, tout n’est qu’une longue continuité vers un futur alimenté d’espérance. » Michel Bénard

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(1) Extrait de la scène finale de « Mon bien, mon cœur » d’Eduardo De Filippo :
VIRGINIA — Ce sera faiblesse, mais depuis peu cela finit. (Elle recommence à pleurer, tandis que Lorenzo, d’un air discret, s’approche d’un meuble ancien, fouille dans un tiroir avant d’en sortir un magnifique brocart fin XVIIIe, bien conservé, aux couleurs très vivantes. Puis il avance vers la femme et, par un geste délicat, appuie mollement la précieuse étoffe sur les épaules de Virginia. À ce contact inattendu, elle demeure un instant frappée de stupeur ; puis elle regarde autour d’elle en quête de Lorenzo, de l’air de lui demander la raison de son geste)
LORENZO (il intervient à propos) — c’est une étoffe de soie brochée fin XVIIIe. Vous l’aimez ?
VIRGINIA — (admirative) Que c’est beau ! (Elle a cessé de pleurer)
LORENZO — Savez-vous pourquoi je l’ai posée sur vos épaules ? Parce que cette étoffe a un pouvoir incroyable, extraordinaire. On ne peut pas dire un pouvoir surnaturel, car la fonction qu’elle déroule a été établie scientifiquement avec des preuves de fait. Mais on pourrait même la définir miraculeuse.
VIRGINIA — (fascinée par cette affirmation, elle le questionne avec intérêt) Vraiment ?
LORENZO — Et pour quelle raison devrais-je vous dire une chose pour une autre ? Tous ceux qui se couvrent le corps avec cette étoffe éprouvent une espèce de bien-être ; ils reçoivent une influence bénéfique, capable de transformer en euphoriques manifestations de joie n’importe quel état dépressif de la personne. (Virginia, subjuguée par ce récit fantastique, devient de plus en plus attentive et intéressée) Un grand homme de science de l’époque — ayant fui de l’Extrême-Orient pour des circonstances mystérieuses — fut invité à la cour de Ferdinand IV, pour qu’il essaie d’arracher la Reine de son état de prostration et mélancolie, où elle était tombée, à la suite d’une maladie ou d’un mauvais sort que lui avaient jeté d’obscurs éléments antimonarchiques. L’homme de science prit un mois. Pendant ces trente jours, il dessina et colora lui-même cette coupe d’étoffe que vous avez sur les épaules et finalement il se présenta à la cour, se déclarant prêt pour l’expérimentation, sûr de sa réussite. En fait, la Reine, grâce à cette coupe de brocart, retrouva son esprit gai et vécut heureuse le reste de sa vie.
VIRGINIA — Comment s’explique cela ? !
LORENZO — Tout le mystère consiste dans le dessin et dans les couleurs. Permettez-vous ? (Il soulève un bord du brocart avant d’y pointer dessus l’index pour que la femme le suive dans ses renseignements et précisions, qu’il veut signaler, pour lui rendre plus simple le dévoilement du mystère) Ne voyez-vous pas ce dessin comme il est contourné au départ, et par quelle vigueur prend-il corps, pour décrire ensuite une courbe délicate qui va former de façon inattendue ce nœud ? Cette trace c’est la pensée qui la parcourt, de façon tout à fait indépendante de notre volonté. La pensée se met en marche avec le dessin, devient robuste au fur et à mesure, se plie pour suivre la courbe délicate, et finalement atteint l’enchevêtrement, le nœud. Celui-ci efface inexorablement la tache obscure à la couleur triste que chacun de nous porte sur sa conscience. Quelle est la couleur triste ? Le noir. Quelles sont les couleurs qui se superposent à la couleur triste ? Les voilà. (Il les dénombre les indiquant une à une.) Rose, rouge, céleste, vert… Une fois effacée la couleur triste, les couleurs gaies entrent en fonction. Donc, dès que je vous ai appuyé l’étoffe sur les épaules, vous avez cessé de pleurer.
VIRGINIA — (heureuse du constat) C’est vrai…
LORENZO — Et je vous donne cette étoffe.
VIRGINIA — (flattée) Vous m’en faites cadeau ?
LORENZO — Elle s’adapte à vous tellement bien ! Elle peut vous rendre heureuse.
VIRGINIA — (ravie) Merci.
LORENZO — (avec une simplicité enfantine) Virginia, voulons-nous nous marier ?
VIRGINIA — (avec une adhésion tout à fait sincère) Oui ! (Une longue pause, pendant laquelle les deux se sourient l’un l’autre, pour confirmer leur adhésion réciproque).
Eduardo De Filippo (traduction Giovanni Merloni)

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Pour agrandir les photos ci-dessus (tableaux et dessins de Ghani Alani)
cliquez sur l’image 

Giovanni Merloni

Michel Bénard : le geste médiateur et la soie du rêve. Franco Cossutta: au-delà du néant

14 dimanche Sep 2014

Posted by biscarrosse2012 in commentaires

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portraits d'artistes, portraits de poètes

Avant les vacances, mes premiers « portraits du dimanche » consacrés aux poètes avaient concentré leur attention sur le thème de l’amour. Le premier invité avait été le poète Michel Benard, dont on avait « exposé », avec ses poèmes, quelques-unes de ses peintures. Dans le deuxième cycle qui démarre aujourd’hui, où le thème sera totalement libre, Michel Bénard est invité de nouveau. Cette fois-ci, ses poèmes seront commentés par les tableaux de Franco Cossutta, un peintre déjà apparu, lui aussi, une première fois sur ces pages.
Je ne pouvais pas me passer de faire rencontrer ces deux artistes sur mon blog. D’un côté parce que j’avais le sentiment d’avoir fourni une image vaguement incomplète de l’atelier de Franco, ainsi qu’une lecture trop rapide des textes de Michel : cela demandait une nouvelle attention de ma part. De l’autre côté, parce qu’ils sont de grands amis entre eux, et que cette amitié, occasionnée bien sûr par leurs affinités artistiques, se traduit en un déversement réciproque et incessant des expériences et des réflexions de l’un et de l’autre, qui sont devenues dans le temps un repère irremplaçable pour un vaste groupe de poètes et d’artistes en France et ailleurs. Michel et Franco ont sans doute beaucoup de points en commun dans leur façon d’être peintres, mais aussi la même approche directe et sensible à l’expérience quotidienne de la vie.
Leurs personnalités sont d’ailleurs assez différentes. Franco a toujours besoin de vous convaincre que la mort et la vie ne font qu’une seule chose, et qu’il vit bien dans cet « endroit de passage » où « l’on voit tout couler selon les mêmes lois qui règlent les étoiles et les planètes dans le firmament céleste ». Michel aime au contraire savourer les nuances de la vie, où les ombres et les lumières ne sont pas vraiment la conséquence d’une loi surhumaine, mais presque toujours de lois et attitudes très humaines. Il écrit sur l’amour comme le faisait Catulle ; il décrit les surfaces ondulées de la terre et des corps féminins comme le faisait Gabriele D’Annunzio ; il découvre et réinvente les suggestions de la langue française pour que le bonheur soit moins violent et que le malheur soit moins aride…

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La rue des remparts de Montmirail s’est figée dans ma mémoire avec l’écho des pas de ce petit troupeau, dont je faisais partie, en pèlerinage à l’atelier de Franco Cossutta. En plus que ma femme, il y avait deux poètes, Michel Bénard et Jacques-François Dussottier (ce dernier aussi a été invité ici).
La maison, très simple, bien défendue par un chien fort chaleureux, affiche une attitude spartiate et rêveuse à la fois. Le rez-de-chaussée austère et obscur évoque moins l’atelier d’un peintre que la boutique d’un forgeron. C’est en montant à l’étage par l’escalier en bois qu’on commence à voir la lumière des tableaux de Franco ainsi que les éclats de la journée grise et verte. Dans une vaste salle, Franco nous accueille de sa façon extraordinaire, sans aucune barrière ni précaution dans le contact avec ses « amis ». Et, lorsqu’il parle de ses tableaux — parfois récalcitrants, la plupart du temps prêts à jaillir de ses mains comme une avalanche colorée —, on a la nette sensation qu’aucune séparation ne s’installe non plus entre l’artiste et le monde qu’il nous amène à travers ses tableaux.

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En imaginant de me transférer avec vous, par un seul battement des yeux, de l’atelier de Montmirail au pages tout à fait inconscientes de mon blog, je vous laisse dorénavant libres de lire Michel et regarder Franco selon votre sensibilité.
Je me réserverai, au fur et à mesure, juste une petite série de notations en marge de quelques extraits empruntés aux poésies publiées ci-dessous. Car, au-delà des émotions que ces vers vont provoquer en nous tous, j’aime m’exercer à reconnaître en chacune de ces treize poésies un aspect particulier de la personnalité riche et complexe de Michel Bénard. D’ailleurs, la présence des tableaux de Franco Cossutta n’aura pas qu’une fonction décorative. Car ils sont bien présents dans l’imaginaire de son ami poète et qu’il ajoutent souvent à ce qu’on lit de suggestions nouvelles, des pistes à parcourir ayant la force d’amplifier ou alors de condenser l’atmosphère toujours dense et tendue des poèmes que vous lirez.  

Giovanni Merloni

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Michel Bénard: le geste médiateur et la soie du rêve. Franco Cossutta: au-delà du néant

1. Je laisse glisser la soie du rêve

Je laisse glisser
La soie du rêve
Sur un délié blanc,
Vision d’un monde renversé
Aux reflets du miroir.
Tout n’est plus que transparence
En ce vaisseau fantôme
Battu par de pourpres flots,
Voilures spectrales en déchirure
Dans les quatre vents de l’espoir,
Etrange étreinte d’entre deux,
Noire exclamation,
Blanche interrogation.
Je laisse s’effacer
La soie du rêve
Sur un fil d’argent.

1. La première approche avec la poésie de M. B. est physique. Car il y exploite jusqu’au bout l’art de rêver des yeux ainsi que des mains lorsqu’il « … laisse glisser/la soie du rêve/sur un délié blanc… » (G.M.) 

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2. Cendres

L’œuvre se révèle issue
D’un chaos retenu
Dans des empreintes de terre.
Face aux mouvements
Permanents des foules anonymes,
L’homme porte son regard crucifié
Sur le flux des innocents perdus,
Qui déjà ne sont plus
Que cendres inconnues
En quête d’un temps qui n’est plus.
Le corps se recouvre de bandelettes,
La vie recèle une longue agonie
Aux rythmes cadencés des danses sacrées.
Temps fort d’un signe
Qui transcende les mots,
Se métamorphosant du vert au gris,
En passant par le rose premier
Des fruits gâtés du grenadier.

2. On reste toujours étonnés devant cet impressionnant art de décrire, qui est partout dans les textes poétiques et en prose de M.B. Et, ici : « que cendres inconnues/en quête d’un temps qui n’est plus… » (G.M.)

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3. Vers l’universel

Vers l’universel
Sur la ligne bleue
De la naissance du monde
La mémoire du ciel s’embrase,
Planètes furtives,
Ombres saturniennes,
Ebauche d’une pensée d’amour
En marge de la voie lactée,
Tout est subliminal, volatile,
Il convient alors de mettre l’or
De l’espérance en transhumance,
Pour que l’humain nous conduise
Enfin vers l’universel,
Au rythme des étoiles musiciennes.

3. Lorsque M. B. adresse un de ses poèmes à son ami Franco Cossutta, il nous révèle une disponibilité à peindre l’inconnu qui devient tout de suite un art. Car, tout en acceptant les récits de son ami à propos de l’au-delà, il ne cache pas son espoir d’en revenir : « Il convient alors de mettre l’or/de l’espérance en transhumance/…/au rythme des étoiles musiciennes. » (G.M.)

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4. Les passeurs de rêves

Les passeurs de rêves
Lorsque le ciel se dépose
En paillettes orangées sur le sable
Pour révéler mes signes
Endormis sous la cendre,
Avec plénitude je cisèle les traces
D’écume du visage favori,
Réinvente le geste médiateur
Entre l’homme et son image.
Lorsque la mer dépose
Sur tes seins enfiévrés
Ses cristaux de sel,
Dans le silence bleu nuit
Je rejoins les passeurs de rêves.

4. Peintre et poète de la vie, Michel Benard nous traîne et nous entraîne dans de longs tours et détours, comme s’il cherchait des lieux adaptés à héberger, parmi tous les souvenirs, celui qui le touche ou l’angoisse le plus. Voilà l’importance du « geste médiateur », voilà l’art de trouver un endroit où le souvenir d’un instant de vie ou d’un « visage favori » peut se cacher et se révéler en même temps : « Avec plénitude je cisèle les traces/d’écume du visage favori,/réinvente le geste médiateur/entre l’homme et son image. » (G.M.)

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5. Pour l’homme, sur ce fil tendu

Pour l’homme, sur ce fil tendu
Au-dessus des abîmes du monde
L’équilibre est instable.
C’est l’absence du temps,
Face à l’espace incertain.
C’est le dialogue avec les étoiles,
C’est l’archipel de la mémoire,
Seul passage possible
Vers l’île aux morts.
Au seuil de ce temple sidéral,
Avancer vers la connaissance,
Redécouvrir le signe,
Recomposer la lettre.
Au cœur de ce cénotaphe
L’homme a-t-il encore sa place ?
Le monde profané s’échoue
Aux pieds du poète consterné
Qui consulte les lames de l’oracle.
Il se perd dans ses livres
Et en oublie la signification de la parole.
Mais il s’offre encore le temps
De respirer le parfum des fleurs,
Et de préserver une main
Pour esquisser le galbe d’un sein
Et la courbe d’une hanche.

5. Homme parmi les hommes, M.B. a vécu et souffert, bien sûr. Dans un moment de sincérité indispensable, il déclare : « Pour l’homme, sur ce fil tendu/au-dessus des abîmes du monde/l’équilibre est instable. » C’est à partir alors de cette conscience que son art primordial demeure justement dans sa capacité de vivre en équilibre, de vivre artistiquement, poétiquement, plaçant la beauté (du monde, de la femme, de la vie) à la première place. (G.M.)

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6. Aliénant, éblouissant, l’Amour

Aliénant, éblouissant, l’Amour
Ce terrible fragment de vie
Que l’on porte
Comme une tache originelle
Incrustée à la peau,
Caressant l’instant du doute,
Agrandissant le cœur,
Erigeant la peur.
Alors, seul dans ce dépouillement
Au repli du bois,
Aller au plus profond de soi
Réapprendre les couleurs de terre.

6. Et pourtant, dans la poésie de l’intuition et de l’expérience qui est propre de M.B., la recherche du beau passe inexorablement par les fourches caudines de l’amour… Il faut savoir réagir à la violence destructrice de l’amour en allant « …au plus profond de soi/réapprendre les couleurs de terre. » Il faut savoir mettre en place l’art de la consolation à travers la poésie. Une consolation joyeuse, chez M.B. (G.M.)

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7. L’oiseleur

L’oiseleur de paroles, traqueur du verbe,
J’abandonne les fragments de vie
Aux sanglants épines du monde,
Retrouve dans le fruit des îles
Les saveurs de la chair matricielle,
Les stigmates menstruelles de la femme,
Comme un poème en délivrance
Gravé au fronton de l’abside céleste,
Pour un sourire qui s’offre à la mer
Face aux navires de pierre,
À l’heure où les ombres s’allongent
Et où la terre s’empourpre.

7. À côté des sentiments nobles, capables pourtant de nous tuer dans l’intime, il y a aussi, malheureusement, de destructions où le sentiment est absent, où la culture et la solidarité humaine sont absentes. En ces cas-là, l’art de la consolation à travers la poésie ne suffit pas toujours… L’homme M. B. nous chante alors l’art de ressusciter par le biais d’un nouvel espoir, d’un nouvel amour : « j’abandonne les fragments de vie/aux sanglantes épines du monde,/retrouve dans le fruit des îles/les saveurs de la chair matricielle,/les stigmates menstruels de la femme. » (G.M.)

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8. Ce soir le mystère de la femme

Ce soir le mystère de la femme
Se met en gésine
Dans les sombres profondeurs
Des soies de l’encre.
Sa grâce perle doucement
Sur le bout des doigts,
Son regard s’éprend de transparence,
Tout n’est plus que silence,
Emotion contenue,
Linéaire délicatesse.
Dans un transport magique
Le geste réintègre l’origine,
La racine de l’arbre de vie
Pénètre le cœur de l’éternité.

8. Au fond de cet art de ressusciter en redécouvrant l’envie de vivre, le poète et peintre M.B. exploite avec un grand talent son art de mettre en valeur la diversité entre homme et femme : « ce soir le mystère de la femme/…/…s’éprend de transparence,/tout n’est plus que silence,/émotion contenue,/linéaire délicatesse… » (G.M.)

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9. Terra Incognita

Terra Incognita.
En toi, j’ai défloré une « Terra Incognita »,
Sur son sable j’ai ramassé,
Tombée d’un arbre isolé
L’écorce grise,
La croix du Sud oubliée
Sur une piste touareg,
J’ai trouvé un coffret ciselé
Contenant le sel de la mer Morte,
Et la photo d’une indigène aux seins nus.
J’ai respiré les parfums opiacés
D’un triangle de soie rose et noire,
Je me suis brulé aux feux
D’une boucle obsidienne,
Dans le rouleau d’une vague d’écume
Ton visage en filigrane est apparu,
Avec ce reflet d’âme gitane.
En toi, j’ai fertilisé une terre inconnue,
Et respirant ton sang
J’ai repris goût à la vie.

9. Parfois, une épopée se déclenche, nécessairement floue, dans laquelle le poète M.B. s’adresse indistinctement à toutes les femmes, ainsi qu’à tous les endroits qu’il a frôlés en compagnie d’une femme ou pour l’amour d’elle… Au milieu de cette épopée il maîtrise tout à fait l’art de laisser jaillir un portrait net. Un seul. Le portrait d’une seule femme parmi toutes les femmes aimées : « dans le rouleau d’une vague d’écume/ton visage en filigrane est apparu,/avec ce reflet d’âme gitane. » (G.M.)

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10. Au cœur des ténèbres

Au cœur des ténèbres
Et des brumes visqueuses,
L’empreinte du temps s’interroge
Sur les ombres du passé.
Face au retour des effarés
Ployés sous l’hypocrisie
Des paroles mensongères,
Blessés par le fardeau
Des promesses vénales,
Le paysage devient irréel.
Au seuil du passage
Le sage seul attend,
Dans un champ de lumière
Le temps des résurgences.

10. Plus souvent, notre poète, perturbé et parfois annihilé par les tragédies qui éclatent partout dans le monde, essaie de pactiser avec la mémoire : « au cœur des ténèbres/et des brumes visqueuses,/l’empreinte du temps s’interroge/sur les ombres du passé. » (G.M.)

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11. Le monde s’est inversé

Le monde s’est inversé
Sur le miroir transparent
Des eaux matinales.
Impassibles sentinelles des écluses,
J’ouvre à deux battants
Les portes aux rêves fluviaux,
Qui reviennent de lointains
Pays aux immortelles légendes.
Je touche à l’ineffable
Aux impalpables transparences,
Aux images diaphanes,
À la femme de cristal.
En ce monde renversé
Je ne suis plus que fumeroles.

11. Il arrive cependant qu’il soit obligé de déclarer : « En ce monde renversé/je ne suis plus que fumeroles. » M.B. héberge alors dans sa poésie sensible et généreuse les tragédies insensées du monde contemporain. Dans sa contrariété il est toujours combatif. Fort de ses intuitions et prévoyances de poète il confie toujours que le monde s’en sortira. Mais parfois il faut s’asseoir sur la pierre nue et attendre. G.M.

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12. Le silence s’habille

Le silence s’habille
D’une chasuble de prières,
Mains jumelées,
En voute de cathédrale,
Gardiennes de l’unique
Point de lumière
Seul relai d’espérance
Au cœur de la nuit.
Le silence se met dans l’attente
Du miracle comme passage
D’un point de dérobade,
Franchissant et rapprochant
Des rives troubles de l’absence.

12. L’artiste M.B., comme tous les hommes, est seul devant tout ce qui se passe hors de lui. Il essaie d’accomplir sa mission avec enthousiasme et générosité. Au jour le jour, il se demande si cette chance d’être et de donner lui sera toujours accordée. Et, comme il peut, selon ses croyances et sensibilités, il prie : « mains jumelées,/en voute de cathédrale,/gardiennes de l’unique/point de lumière/seul relai d’espérance/au cœur de la nuit. » (G.M.)

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13. Demeurer dans la permanence

Demeurer dans la permanence
D’une observance insoupçonnée,
Traquer l’image intuitive,
Devenir attentif au moindre indice,
Du plus intime signe,
Furtif ou insolite.
Capter ce qui se voile au regard,
Le fixer, le pérenniser,
Conjuguer dans la fraction de seconde
L’objectif, le motif, la lumière,
Et l’instant d’un « déclic » frôler
L’éternité !

13. Dans ce dernier poème, se reliant naturellement au côté « intuitiste » de sa poésie, M.B. ne s’empêche de désirer de sortir un jour, pendant rien qu’un instant, de sa stricte et laborieuse destinée. Et voilà l’art de tendre vers un but invisible, en dehors de notre portée d’hommes : « conjuguer dans la fraction de seconde/l’objectif, le motif, la lumière,/et l’instant d’un “déclic” frôler/l’éternité ! »
Ce dernier poème représente un évident trait d’union avec cet « au-delà cosmique » des tableaux de Franco Cossutta, où se réalise, selon Michel Bénard même, « une communion avec l’infiniment grand et l’infiniment petit. Son regard intérieur nous place au seuil de l’innomé, de l’innommable et de l’ineffable. Par cela son œuvre devient intangible, intemporelle ! Dans la solitude méditative et le silence de son atelier cet artiste insolite communique avec l’univers, ce fait catalyseur, relai de transmission des lois que le principe universel lui insuffle. Face à une œuvre de Franco Cossutta nous transgressons toutes les notions artistiques habituelles, même les plus minimalistes ou conceptuelles. Ce voyage cosmique est peut-être la révélation inconsciente d’une nostalgie de l’ailleurs ! » (G.M.)

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Textes : Michel Bénard

Tableaux : Franco Cossutta

Commentaires : Giovanni Merloni

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