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La nostalgie du futur, entre regrets et remords : une histoire française de Valère Staraselski I/IV

23 vendredi Oct 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires

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Louis XVI, Marc-Antoine Doudeauville, portraits d'écrivains, Valère Staraselski, Voltaire

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La nostalgie du futur, entre regrets et remords : une histoire française de Valère Staraselski

Entre regrets et remords, quel est le rôle de la nostalgie ? Ou alors, ce sentiment embarrassant, qui se nourrit de chagrin et de joies perdues… est-il vraiment projeté vers le passé ? N’est-ce pas du futur qu’on ressent la plus déchirante nostalgie ?
Ce n’est qu’une hypothèse, une piste de lecture, que j’ose parcourir en raison d’une sorte de fraternité politique et morale que je ressens instinctivement vis-à-vis de l’œuvre de Valère Staraselski et, en particulier, de son roman, publié la première fois en 2006, « Une histoire française. Paris, janvier 1789 » (Le cherche midi) que je viens de lire dans son édition de poche de 2015 (De Borée).
Je parle de « nostalgie du futur » tout en sachant que cela n’existe pas, quitte à rappeler ce que disait le grand écrivain Carlo Levi dans un de ses livres meilleurs : « Le futur a un cœur ancien ». D’ailleurs, toute l’œuvre littéraire et critique de Valère Staraselski est imprégnée de cet univers utopique qu’on nous a enlevé, je parle des idéaux socialistes, auxquels d’entières générations ont consacré leurs vies. Il s’agit du « soleil de l’avenir », installé au-dessus d’un horizon d’idéaux qui n’ont pas perdu d’actualité ni de nécessité et qu’on a mis trop rapidement de côté, en échange d’un monde qui bannit une dialectique réelle et démocratique entre différentes hypothèses d’évolution de la société, tout en s’engouffrant dans l’indifférence et la violence obtuse.
La nostalgie de ce « futur perdu » nous pousse alors à rechercher nos racines républicaines, à fouiller dans l’immense patrimoine culturel, philosophique, scientifique et moral que nous ont laissé nos prédécesseurs, à essayer de comprendre en dehors de tout préjugé les raisons des événements qui ont donné naissance à la réalité que nous habitons, nous livrant aussi des privilèges, des trésors naturels et culturels, et cetera.
L’avocat Marc-Antoine Doudeauville, protagoniste de ce roman passionnant et poétique, convaincu qu’il va mourir — ayant aussi le pressentiment, peut-être, des changements qui s’approchent (on est en 1789, six mois avant la prise de la Bastille) —, convoque auprès de son chevet un jeune écrivain, Georges de Coursault, lui demandant de transcrire noir sur blanc ses vingt-trois derniers ans à Paris. À quarante et un ans, il ressent la responsabilité de transmettre à la postérité tout ce qu’il a vu et appris autour de lui.
C’est un livre magnifique d’abord en raison de la sympathie humaine du personnage, dont on devine beaucoup plus de ce qu’il ne dit lui-même. Un personnage loyal, honnête, fidèle aux amis tout comme au Père Autun qui l’a élevé et suivi avec empressement même après son départ du séminaire de Rouen où il a grandi.
C’est un livre extraordinaire parce qu’à travers les mots de notre avocat nous sommes sans transition convoqués dans un Paris vivant ni plus ni moins que celui dont parlait Montesquieu dans les « Lettres persanes » ou Hugo dans ses « Choses vues ». C’est le même Paris qu’aujourd’hui, avec ces mêmes lieux charismatiques : d’abord le Pont Neuf et la place Dauphine ; ensuite la place de Grève en face de l’Hôtel de Ville, l’Hôtel Dieu, Notre Dame, la Seine avec ses bateaux… Dans ce contexte connu et dans un amour partagé entre l’auteur et le lecteur, on participe aux événements grands et petits qui font en même temps l’histoire des lieux et l’histoire de France entre 1766 et 1789.
C’est un livre qui me donne, chaque fois que je l’ouvre, de nouvelles émotions et suggestions. On revient spontanément vers ce livre, par vagues successives, soit pour évoquer les vicissitudes humaines de Marc-Antoine Doudeauville et de ceux qui faisaient partie de son entourage, soit pour retrouver des épisodes et des personnages historiques que cette écriture élégante et vive nous rapproche d’une façon extrêmement naturelle en nous invitant à les aimer, même et surtout en raison de leurs défauts humains. La liste est probablement infinie, mais j’avoue que je suis resté fort attaché à tout ce monde qui semblait vivre dans mon même temps, dans l’immeuble d’à côté, depuis l’immense et fragile Voltaire jusqu’au malchanceux Louis XVI, qui obtient lui aussi mon affection désintéressée.

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« Une histoire française. Paris, janvier 1789 » de Valère Staraselski est un livre qui défie les dérives littéraires de nos temps où les éditeurs priment le petit format et la fiction déracinée, très souvent violente et vulgaire. Avec le prétexte que le public ne lira que cela.
S’il y a une maladie qu’on peut appeler « manque d’écoute » ; si cette maladie amène à l’indifférence, pire, au refoulement de l’histoire… il ne faut absolument pas se rendre pour cela. Il faut, au contraire, briser le mur qui empêche les lecteurs de connaître les livres comme celui-ci, les soustrayant au risque d’être jugés de livres « difficiles », destinés à une élite de lecteurs avertis… D’autant plus que l’amour de Staraselski pour une lecture correcte et fidèle de l’Histoire se lie à la conscience des dangers venant des différentes interprétations qu’on exploite sur le corps de l’histoire même, donnant lieu à des tromperies et trahisons graves outre à de véritables dénégations.
Le véhicule d’une lecture ouverte à tout le monde, populaire, semble être le meilleur moyen pour que l’Histoire soit correctement visitée.
Dans l’esprit de Valère Staraselski, le roman est donc un moyen idéal pour assimiler une époque de notre histoire et s’y caler dedans… mais il ne faut pas courir… Il faut suivre le raisonnement des siècles passés, en écouter attentivement la voix. Tout comme dans un dialogue accompli, il faut donner à chacun des interlocuteurs, même si nombreux, la possibilité de s’exprimer jusqu’au bout, de raconter ce qu’ils ont traversé du commencement jusqu’à la fin, sans être ennuyeux, bien sûr… Mais il n’y a pas d’autres voies. Car la Babel linguistique, historique et politique profite toujours de cette habitude de se couper réciproquement la parole. L’analphabétisme « de retour » s’impose facilement, avec toutes ses redoutables conséquences, dans les peuples dérangés par l’excès de signaux contradictoires, lorsque les vérités fondatrices de la société humaine cessent de représenter un patrimoine partagé et chéri.

Comme le disait Gabriel García Márquez, « la vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient ». (1) « Vivre pour la raconter », le titre d’un des romans les plus passionnants de l’écrivain colombien, ou alors « revivre pour la raconter à nouveau » : cela pourrait efficacement expliquer un des aspects primordiaux de ce roman de Valère Staraselski.
Auparavant on avait besoin des écrivains, des bardes et des hommes de théâtre pour voir racontés les moments incroyables et les paradoxes de notre vie… pour en faire un patrimoine d’expériences communes, pour en tirer aussi une force collective ainsi que la capacité de réagir aux injustices, aux abus de pouvoir, à l’arrogance des dictateurs, et cetera. On avait besoin d’un filtre littéraire et gestuel pour raconter ce que nous avions vécu.
Maintenant, nous nous racontons notre vie tous seuls. Une vie illustrée dans des détails extrêmement riches et pourtant d’une façon qu’on ne pourrait plus fragmentaire et contradictoire… Aujourd’hui, dans tout récit autobiographique de l’existence qui change, il y a une contradiction croissante entre ceux qui « vivent pour la raconter » — sans trouver parfois le temps de le faire — et ceux qui « racontent ce qu’ils ne savent pas ». Mais il y a aussi, avec toute leur dignité, ceux qui préfèrent se tenir à l’écart, travaillant en silence sans qu’il y ait forcément la nécessité de tout traduire en communication et récit ouvert vers le monde.
D’ailleurs, ces deux vérités peuvent bien s’intégrer réciproquement dans une hypothèse de roman (et de vie) plus évoluée : « vivre pour la raconter tout en demeurant caché » : dans cette « histoire française », le jeune Georges de Coursault met noir sur blanc la vie de son aîné Marc-Antoine Deaudeville, pour rattraper le décalage de 23 ans entre 1766 et 1789 et retrouver aussi, dans la reconstruction de la vie intense d’un « témoin fiable, en dehors de la mêlée », les raisons de la Révolution désormais imminente. Un dialogue se déclenche, passionnant et précipité, comme dans les meilleurs couples de l’histoire, comme il arrive aussi pour les deux clowns ou les deux policiers : l’un vit la vie et l’autre la raconte… Il faut se dédoubler même si l’on est tout d’un bloc !

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1) Le numéro deux
Le choix des deux narrateurs ayant deux destins parallèles (Doudeauville et Coursault) se relie à « l’esprit de conversation » de tous les romans de Valère Staraselski, à commencer par « Dans la folie d’une colère très juste » (L’Harmattan, 1996). Le duo soudé entre Marc-Antoine et Constance de Durbois est bien sûr nécessaire aussi à la survie et à l’enrichissement philosophique de tous les deux. Mais ce n’est pas le seul échange exclusif entre Marc-Antoine et les personnes qui lui sont indispensables. Dans tous les passages de sa vie, il se trouve engagé dans des rapports « à deux » : avec la vieille Élisabeth qui nourrit son enfance ; avec le Père Autun qui suit son adolescence en lui donnant une éducation sage et rêveuse à la fois ; avec Petit-Pot, son premier ami à Paris ; avec Claude Adrien Dunoyer, son chef et maître (2) ; avec Sébastien Bréhal, son ami du coeur et de l’intellect ; avec Julie, la dévote femme de chambre de la rue de Maçons ; avec Baptiste, son factotum et digne alter ego dans l’ombre ; avec André de Maisonseule, son ami éveillé, ouvert tous azimut sur le monde qui change ; enfin avec Georges de Coursault, son relais lancé vers le futur qu’il se voit dramatiquement nié. Autant de points de repère dans sa navigation qui serait, en manque de cela, aveugle. D’ailleurs, le numéro deux représente la transmission, la procréation et en même temps le décalage, la dialectique, et cætera.

2) Le juge et l’avocat dans le procès de l’histoire
Jusque de son premier roman, les personnages de Valère Staraselski incarnent souvent le rôle de l’avocat « des causes perdues », comme l’aurait dit mon père, avocat lui-même, par un sourire bienveillant. Cela me fait penser aussi, même si je ne suis pas un catholique observant, à la Madone « avvocata nostra », prête toujours à défendre les faibles et les exclus « contre » la justice de Dieu, trop rigide et absolue. Peut-être, en absence d’une Madone qui était sans doute l’expression du peuple, il n’y aurait pas été un Jésus à la voix alternative, simple, directe, que saisissaient au vol tous les hommes exclus du pouvoir et de la richesse.
Cette attitude de « défenseur dialectique et engagé » correspond parfaitement à l’histoire humaine et politique de Valère Staraselski. À partir de son adhésion au parti communiste, une « société » dont je connais bien les conditions et les richesses humaines et morales en delà des différences entre France et Italie. À combien d’idées reçues, violentes et offensantes, ont dû réagir un à un les militants de ce parti, qui était pourtant profondément enraciné dans les pays de l’Europe occidentale avec un rôle majeur dans la société et dans la culture ! Combien de brimades a pâti Louis Aragon, par exemple, avant d’être pleinement accepté comme intellectuel et poète !
(Je n’ai pas d’espace ici, mais je vois devant mes yeux, comme si c’était aujourd’hui, mon ancien professeur d’histoire et philosophie, Giuliano Manacorda, obligé de nous apprendre l’histoire de la façon la plus objective possible, sans jamais pouvoir exprimer ouvertement, au contraire de ses collègues, ses intimes convictions…)
Une telle exigence d’objectivité jusqu’au bout fait partie depuis toujours d’un style de vie et se transfère avec cohérence dans les textes de Valère Staraselski. Cela m’a fait penser beaucoup à Victor Hugo, à sa façon tout à fait différente et pourtant convergente de se positionner devant les événements de l’histoire…
La différence substantielle entre Valère Staraselski et Victor Hugo réside dans le rapport avec le lecteur. Victor Hugo se charge personnellement, en tant qu’auteur, de son jugement moral et humain, proposant au lecteur sa clé interprétative, tandis que Valère Staraselski — tout en laissant pleine liberté de s’exprimer aux sentiments ainsi qu’aux inclinaisons politiques et morales de ses personnages — se borne, dans son rôle d’auteur, à témoigner, à raconter de façon que le lecteur puisse en tirer tout seul les conclusions. Par contre, lorsque le récit a besoin de fouiller plus à fond dans certains passages de l’histoire de France, il arrive parfois que sa voix prenne le dessus sur la voix narrative de Marc-Antoine Doudeauville. Tandis que l’histoire est racontée de façon passionnée, mais toujours objective, comme en deçà d’une vitre ou d’une page de journal, les vies des personnages et notamment celle de Marc-Antoine Doudeauville sont protégées dans une aura de respect, selon le principe inébranlable que l’histoire appartient à tout le monde, tandis que la vie humaine est forcément une chose privée, rentrant dans le domaine exclusif de chaque être humain. Ce choix « réservé » et « pudique » freine un peu les lecteurs, désireux de partager jusqu’au bout les vicissitudes humaines des personnages qu’ils voient de toute évidence écrasées par les grands événements de l’Histoire. D’ailleurs, il faut reconnaître que cette « histoire française » est illustrée avec respect et mesure, les seuls moyens adaptés pour montrer efficacement, jusqu’au dernier instant, la complexité des phénomènes décrits sans faire recours à des jugements sommaires, tranchés avec la hache ou la guillotine…
Dans cette optique, le modèle des « Misérables » et de « Quatre-vingt-treize » de Victor Hugo constitue à mon avis un repère primordial pour ce roman ainsi que pour d’autres livres de Valère Staraselski.
Cependant, si les romans de Hugo sont en général des grands réquisitoires de la part d’un juge — Victor Hugo lui-même — qui s’efforce d’être juste et humanitaire jusqu’à l’obsession, Valère Staraselski donne la parole à un avocat. Celui-ci, se dérobant à toute rhétorique, montre combien il a intimement compris les causes profondes des événements dramatiques et irréversibles se déroulant sous ses yeux. L’histoire a besoin de son regard. Peut-être, s’il n’y avait pas eu Marc-Antoine Doudeauville, l’histoire ne se serait pas déroulée comme cela…

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3) Le personnage-clé de cette « histoire française »
En ce monde divisé et pourtant riche de contradictions que cette « histoire française » nous fait vivre et savourer jusqu’aux moindres détail de la vie quotidienne — le « Paris qui bouge »  de la seconde moitié du XVIIIe siècle, d’où va bientôt se déclencher l’étincelle du changement —, la figure centrale, Marc-Antoine Doudeauville, est un homme d’origines modestes, avec très peu de chances, au départ, de s’en sortir, qui évolue énormément s’appliquant à l’étude et au travail en même temps. C’est l’histoire d’un défi et d’un dépassement, voire d’un changement radical. Le prolétaire intellectuel devient un intellectuel bourgeois ou peut-être un bourgeois-bohémien aux solides bases philosophiques culturelles et morales. Il a bien sûr une conscience politique très profonde. Mais ce n’est pas seulement en raison de cela qu’il sent l’urgence de transmettre. Il y a un fort esprit dialectique en lui, avec le courage de douter.
D’ailleurs, cet homme qui a souffert pour s’affranchir et se libérer maintient toujours vif le souvenir de sa vie passée. Il y revient volontiers, avec respect et même nostalgie…

4) Le « personnel » est-il « écarté du politique »  ?
Si le « personnel » dans les romans de Staraselski est protégé, « écarté du politique », tout de même affleure dans chacun de ses personnages une exigence, de plus en plus marquée, d’affirmer ses problématiques existentielles…
Voilà une hypothèse « alternative » et « dialectique » que je me permets de lancer : « mais, en fin de compte, si l’on se trouve à mal parti, confrontés à l’hypothèse assez probable de devoir mourir, pour qui et pourquoi devrait-on avoir envie de raconter l’histoire qui s’est déroulée autour de nous, que nous partageons bien sûr avec passion en lui donnant peut-être quelques petits apports personnels ? Pour une postérité que nous n’avons pas procréée ? Pour transmettre quoi ? »
Je crois que Marc-Antoine Doudeauville désirait surtout transmette à Coursault, un jeune qui aurait pu être très bien son fils, ses propres joies secrètes. Et j’essaie de deviner sa principale joie secrète… À la mort de son « chef et maître », l’avocat Claude Adrien Dunoyer, en découvrant de façon abrupte et traumatique que celui-ci était son père, il apprend aussi que Dunoyer avait eu une relation d’amour fou avec une couturière, dont Marc-Antoine avait connu juste le nom de famille, Perrault. Marc-Antoine Doudeauville est en définitive fier d’être le fils de cette couturière. Cet amour caché, revenant à la surface, le bouleverse parce qu’il déstabilise le système de valeurs et de règles qu’il a toujours essayé de respecter.
Revenant en arrière dans la lecture, on se souvient à ce propos de Laurence, la couturière que son ami Sebastien Bréhal aimait éperdument…
Quant à la Fantine des « Misérables », à laquelle je pense spontanément, elle « avait la farouche bravoure de la vie ».
Dans la tragédie des Buddenbrook de Thomas Mann, le personnage principal, Thomas, assez ressemblant à Claude Adrien Dunoyer, plonge dans le scandale familier et social à cause de son amour partagé avec une fleuriste…
Et ce personnage de Julie ? Quel rôle a-t-elle dans la vie de Marc-Antoine Doudeauville ? Celui-ci a souvent besoin d’évoquer Julie, cette femme de chambre qu’il a connue quand il habitait dans la soupente de la rue des Maçons, tout comme il raconte, avec la même régularité de ses deux rencontres hebdomadaires qu’il consacre à son amie Constance de Durbois. Il parle de Julie avec un certain détachement imprégné de paternalisme, de Constance avec un respect qui ne se dément pas. Pour atteindre enfin le but professionnel de devenir un avocat reconnu, comme il le mérite, il est bien possible que Marc-Antoine Doudeauville ait renoncé à vivre publiquement son rapport avec Constance tout en renonçant, il me semble, à l’amour pour Julie. Bien sûr, cela dépendait beaucoup des mœurs et des sensibilités de son temps, ainsi que des règles en fait de mariage entre membres de classes sociales différentes. Mais Constance était trop en dessus de Marc-Antoine tandis que l’autre était trop humble. Donc, en définitive, il a mené jusqu’à l’accident sur le chemin de Belleville la même vie que son père. Une vie de satisfactions et de petits plaisirs dans laquelle était banni le mot liberté. En fait, le jour où il décide de briser le mur de silence et d’ouate que ses tuteurs avaient érigé autour de lui, lorsqu’il ose rendre visite à la sœur de sa pauvre mère, songeant peut-être que sa mère n’était pas morte lors de son accouchement et que cette femme Perrault était en vérité sa propre mère, vieille, mais encore en vie… Il est violemment renversé par un carrosse sur le chemin de Belleville…
La preuve de mon hypothèse ? Pendant les sept jours de son récit fouillé et constellé de merveilles historiques et littéraires, Marc-Antoine Doudeauville a trouvé bien le temps de dévoiler ses secrets au jeune écrivain-sténographe, y compris le coup de théâtre de sa véritable naissance, sans que son meilleur ami André de Maisonneuve ne fût jamais présent. Aurait-il tout avoué si celui-ci avait au contraire assisté à ses confessions ? Certes que non. Bien sûr, Maisonseule connaissait tout de cette mère Perrault, de cette tante qui vivait auprès du chemin de Belleville. Mais peut-être, il ne savait pas la raison de l’envie brusque de Marc-Antoine de la voir. Il avait besoin d’un nouveau repère, d’une complice pour s’autoriser à briser le cercle qui lui levait le souffle, à vivre de façon peut-être moins impeccable, mais plus sincère… (3)
Dans les dernières pages de cette « histoire française », apparemment hors danger, guéri avec toute la sympathie et le soulagement de ses lecteurs, Marc-Antoine Doudeauville pourra assister à la « rupture annoncée » de la Révolution, mais qui sait s’il assumera en futur des attitudes plus explicitées, en renonçant aux conforts du compromis ! Sera-t-il capable de choisir la liberté, pour lui aussi ? Ou alors, emporté par les événements, il oubliera tout pour se contenter d’avoir « tout raconté » ?

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Giovanni Merloni

Dans les prochains jours (lundi 26 et jeudi 29 octobre) je consacrerai deux billets à une brève sélection critique de quelques morceaux de cette « histoire française » pour essayer d’en rendre mieux l’histoire et l’atmosphère.

(1) Gabriel García Márquez, en exergue à « Vivre pour la raconter », son livre de mémoires d’enfance et de jeunesse.
Dans ce roman d’une vie, l’auteur fait revivre, à chaque page, les personnages et les histoires qui ont peuplé son oeuvre, du monde magique d’Aracataca à sa formation au métier de journaliste, des tribulations de sa famille à sa découverte de la littérature et aux ressorts de sa propre écriture.

(2) Celui qui lui a donné un nom similaire au sien et l’a secrètement aimé d’autant plus qu’il était issu d’un « grand amour ». On peut imaginer la grande émotion et satisfaction de Dunoyer en voyant sous ses yeux son fils grandir et progresser… d’ailleurs, le fait d’avoir amené Marc-Antoine à la fameuse séance de la flagellation du Parlement de Paris est sans doute révélateur…

(3) Le thème de la couturière qui s’efface complètement ou meurt tragiquement fait le pendant avec ce métier hyper social de l’avocat (le métier du père).
La mère de Marc-Antoine, « une femme Perrault » dont on ne saura jamais le prénom, était une couturière. Elle ressemble à la Fantine des Misérables… Laurence, la fiancée de Sébastien qui périt tragiquement lors d’une manifestation, elle aussi est une couturière…

« Sur les toits d’Innsbruck » : le combat émancipateur de Valère Staraselski

24 dimanche Mai 2015

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« Sur les toits d’Innsbruck » : le combat émancipateur de Valère Staraselski

« Sur les toits d’Innsbruck » (Cherche Midi, 2015) ce n’est pas le premier livre de Valère Staraselski sur lequel j’essaie d’exploiter un commentaire cohérent et fidèle. Avant de le lire, j’imaginais en avance, sur la base des lectures précédentes (Le maître du jardin, dans les pas de La Fontaine ; Un homme inutile, L’adieu aux rois, Dans la folie d’une colère très juste), que je ne serais pas capable jusqu’au bout d’en rendre la richesse, la complexité et la poésie.
Peut-être parce que j’avais toujours découvert, en cet Auteur, derrière l’évidence de ses sujets et le courage de ses personnages, une façon tout à fait originale de voir les choses et ressentir l’essence de la vie.
Une attitude intime ou même secrète qu’à mon avis il préfère cacher plutôt que révéler. Une sorte de réticence et de pudeur qui fait l’unicité de son langage et sa force, obligeant le lecteur à une réflexion admirative et impuissante à la fois : comment fait-il à réaliser, à chaque fois, un nouvel équilibre, toujours prodigieux, entre le combattant et le poète, entre le critique littéraire engagé et le créateur, entre l’observateur sage et scientifique et le passionné de la langue ?
Je comprenais toutes ces vérités, j’en recueillais les preuves et finalement je n’étais pas vraiment capable d’expliquer pour quelle raison, au bout de la lecture des romans de Staraselski, j’en sortais toujours enrichi et ému, avec un esprit de solidarité et de partage inconditionnel que pourtant je ne réussissais pas à transmettre comme je l’avais souhaité.
Avec ce dernier roman, j’ai la sensation de découvrir finalement des clés évidentes, de saisir la cohérence entre le message moral, social et politique, toujours présent dans les livres de Staraselski, et l’histoire des hommes et des femmes qui leur donnent la vie. La pudeur est encore là, tout comme l’absolue liberté de la langue. Cependant, cette fois-ci, rien ne m’empêche de pénétrer à fond le sens de cette histoire ayant l’unité théâtrale d’espace, de temps et d’action justement au milieu des montagnes flottantes au-dessus de la vallée de l’Inn et de la ville d’Innsbruck en Autriche.

Mlle Wolf avançait sans bâton, petit sac au dos, lunettes de soleil et étroit chapeau posé sur sa chevelure châtain qu’elle portait courte, à la garçonne. De taille moyenne, bien proportionnée, dotée de petites oreilles rondes et de pommettes à peine saillantes, elle affichait en permanence une expression volontaire. L’air d’altitude, on ne peut plus pur, qui lui picotait l’intérieur des narines jusqu’à l’agacement parfois, et les rendait humides, la dopait.
…La grande aiguille de la pendule du refuge avait parcouru la moitié du cadran quand les éclats de voix de gamins ou bien les rires de randonneurs attablés finissaient par la tirer du sommeil…. Une fois debout, ses longues jambes pleines et ses fesses bien dessinées en faisaient une beauté. Elle saluait d’un sourire les jeunes gens du service, tous en habit traditionnel, et, réajustant son sac et son chapeau, quittait Hallerangerhaus. Elle repartait en sens inverse d’un pas qui paraissait à la fois contraint et décidé. Quelque chose de rêveur semblait accompagner chacun de ses gracieux déhanchements…

Plus en général, ce qui fait vivre librement les personnages — dans le respect des règles d’un roman joué sur les deux plans de la rêverie et de la conversation —, c’est le choix d’un pas en arrière. D’abord, Valère Staraselski s’écarte « tactiquement » de la première ligne du combat politique, s’éloignant de la ville de Paris et des grandes villes en général, des endroits d’où beaucoup d’espérances ont été chassées pour faire place à la solitude, à l’impuissance et à la pollution. Certes, Staraselski ne s’en éloigne que métaphoriquement et provisoirement, tandis que son porte-parole dans le roman, le français Louis Chastanier, se sent en devoir d’expliquer la raison de son abandon : il a attrapé l’asthme et cela l’oblige à se sauver dans les Alpes.
Mais son pas en arrière ne se borne pas à ce retour symbolique et politique à la nature. Car le lecteur a aussi le sentiment d’être invité dans un voyage à rebours dans le temps, dans l’histoire de la littérature et dans l’histoire tout court.
Voilà Chastanier et Katerine Wolf, la protagoniste absolue du roman, foudroyés depuis le premier instant sur la route de Damas avant de se transformer en « couple de promeneurs solitaires » disposés à rêver à l’unisson selon l’esprit de Goethe ou de Jean Jacques Rousseau.

…Le regard droit devant elle, Katerine Wolf avait juste remarqué un homme en short, penché en avant, le pied calé sur l’arrête d’une roche… Et, quelques secondes plus tard, lui était parvenu le son d’une voix qui l’avait hélée en ces termes : « Que comptez-vous faire de toute cette force, mademoiselle?… Veuillez m’excuser mais je voulais vous demander… C’est encore faisable, le Glungezer, à cette heure ? »
« Vous êtes un original, vous !… Bien sûr ! Ce n’est tout de même pas l’Annapuma ! … Mais s’il s’agit d’attraper la dernière descente du télésiège, alors mieux vaut ne pas trop traîner ! »…
Aussitôt dit, aussitôt fait, ils se mirent en route comme s’ils se connaissaient depuis toujours. L’espèce de fraternité des montagnards s’imposa d’emblée entre eux.

Voilà que la longue discussion conclusive entre Chastanier et le père communiste de Katerine évoque immédiatement le « calme » des rencontres d’Yalta entre Churchill, Roosevelt et Stalin et, en même temps, les dialogues superbes entre les deux officiers français et allemand dans La grande illusion de Jean Renoir.

M. Wolf… ajouta que, pour le passé… les expériences communistes ne pouvaient sérieusement pas être réduites à un mouvement liberticide et criminel. À une tragédie sanglante. De sa voix un peu lasse, il reconnut en revanche que ce mouvement avait été, trop souvent, une sorte de religion sans miséricorde. L’expression d’un volontarisme exaspéré, insensé ! Et il rappela le génocide khmer puis relata l’ordre du président Mao de détruire tous les oiseaux de Chine, car considérés comme nuisibles pour les récoltes… Aujourd’hui, on avait à faire à ces hypercapitalistes qui peuvent imaginer un monde dépourvu d’animaux sauvages mais surtout pas privé de l’omnipotence de technologies de destruction massive de ressources naturelles !
….L’opinion du Français était que la quête du profit, devenue le critère absolu, contribuait pour l’essentiel à fragmenter, à isoler, à compartimenter les sociétés des pays d’Europe autrefois plus solidaires. Incités à la recherche du bénéfice ou acculés à la survie, les individus se comportaient de façon égoïste et souvent cruelle, loin de toute moralité, n’hésitant nullement à léser autrui. L’insensibilité progressait à vue d’œil. L’explication résidait, à ses yeux, dans cette réalité que la période de relative stabilité économique et d’aisance pour la classe moyenne était désormais bel et bien révolue.

En creusant encore plus dans cette hypothèse du pas en arrière, que j’espère ne déplaira pas à l’auteur de ce livre magnifique, je vois en cela, moins dans l’esprit que dans la forme élégante et insouciante, un retour au roman philosophique du XVIIIe siècle, ayant en Diderot et Voltaire les représentants les plus évidents.
Valère Staraselski adopte cet artifice, car il ne saurait pas séparer l’histoire de ses personnages de leur contexte, donc de l’histoire où ils sont objectivement plongés. D’ailleurs, le thème primordial de son engagement politique et moral, aujourd’hui, est celui de soutenir la bataille dure et difficile contre la destruction progressive de la nature et de la culture tout en scrutant les horizons brisés et flous de la vieille Europe. Cela n’a pas importance si l’Autriche n’a pas toujours été un modèle de démocratie et de liberté. Ce qui compte, maintenant, l’Autriche est sans doute le pays européen qui se charge plus que les autres de la protection de ses forêts, donc de ses poumons et de son corps sain.
Avec ce choix « politique » et « structurel », notre auteur ne s’oblige pas à d’autres pas en arrière. La langue élégante et poétique qui se déroule au cours des randonnées de Louis et Katerine et de ses moments aventureux ou dramatiques est la langue de nos jours. Une langue extrêmement dépouillée et musicale, qui réussit parfaitement à reproduire les voix des acteurs qui entrent en scène avec leurs exactes nuances et caractéristiques.
On reconnaît d’ailleurs dans ce roman, encore plus que dans les précédents, un flux poétique constant, avec une prodigieuse justesse des émotions sentimentales et amoureuses qui font évoluer la rencontre entre Louis et Katerine vers une entente profonde, dans un crescendo sobre et romantique à la fois. Tout cela est parfaitement cohérent avec la structure narrative, basée, comme je le disais, sur les deux niveaux de la rêverie et de la conversation philosophique. D’ailleurs, la structure même du roman ne fonctionnerait pas si bien s’il n’y avait pas, en contrepoint, cette conversation humaine, irrationnelle et sentimentale.
Le choix de la ville d’Innsbruck et de ses montagnes comme théâtre du roman est aussi extrêmement important. Car cette région de l’Autriche d’au-delà des Alpes a été miraculeusement épargnée vis-à-vis de la violence destructrice de l’homme qui ne cesse de transformer des zones de plus en plus vastes de la planète en immenses poubelles à ciel ouvert. Et cette retraite idéale et privilégiée amène avec elle la conscience d’une redoutable menace. La beauté de la nature, l’enchantement des forêts et des montagnes en dessus des trois mille mètres ont la même importance narrative de la beauté de la jeune femme née au lendemain de la chute du mur de Berlin ou la beauté d’un chevreuil. Ce sont toutes des beautés menacées : au cours de la narration, on est pris par le sentiment de la mort aux aguets, prête à détruire le petit bonheur, le rare équilibre qu’on essaie de savourer et s’accorder tout au long de cette « résistance silencieuse » qu’est devenue notre vie quotidienne. Une vie d’équilibristes sages, parfaitement conscients que rien n’est donné pour toujours, rien n’est escompté. Au commencement du roman, on apprend déjà, par quelques mots, que la vie de la jeune Katerine a été marquée par une intervention chirurgicale qui laisse entrevoir une menace qui l’accompagnera toujours.
La mort brutale et sublime du chevreuil « quittant la vie avant terme » représente elle aussi un signal de précarité.

Ils demeurèrent de la sorte, sur le banc, longtemps, très longtemps à guetter. La pluie, qui avait menacé tout l’après-midi sans se montrer, s’était mise à tomber. D’un coup, ils l’entendirent puis l’écoutèrent fouetter les vitraux et tambouriner sur les bardeaux du toit. Dans cette rumeur d’eau, leurs regards se perdirent dans la contemplation des vitraux alors que l’obscurité se densifiait peu à peu et se répandait à l’intérieur de La Chapelle, gagnant bientôt le moindre recoin. Dans la pénombre naissante, le Christ en croix semblait couver des yeux l’animal blessé au pied de l’autel… À un moment, Katerine, qui frissonnait, se rapprocha jusqu’à se blottir contre Chastanier. Celui-ci l’accueillit d’un geste naturel empreint de douceur cependant qu’il songeait de manière obsessionnelle à l’œil du chevreuil. À cet œil désespérément ouvert. Terrible : animal ou humain, le regard de stupeur et d’incompréhension, de peur sans fin, de qui va quitter la vie avant terme.
…« Voilà ! » murmura l’homme en plongeant à plusieurs reprises la lame de son couteau dans la terre. Il renifla d’un coup sec et, se redressant, il fit le signe de croix. « Voilà », répéta-t-il plus haut, puis il recommença à se signer avant d’ajouter à voix très basse : « Elle a fini de souffrir. »

La disparition de Madame Schwab, la grand-mère empressée et discrète de Katerine, représente enfin la précarité de l’identification des gens avec les lieux.
Ce sera un hasard total celui qui amènera Louis Chastanier à s’installer à Innsbruck — dans une espèce de fuite orgueilleuse et de coupure radicale avec son passé —, donnant à sa jeune « compagne » Katerine l’envie d’y revenir. Sinon, la mort de Madame Schwab aurait sanctionné, pour les deux personnages et leurs familles, mais aussi pour les lecteurs, la mort de la mémoire de cet endroit unique.

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Giovanni Merloni

Un Moyen Âge contemporain et même futur dans « La rive interdite » de Claudia Patuzzi

21 jeudi Mai 2015

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001_giovanni Mes chers lecteurs,
voilà ci-dessous le dernier article de cette série d’anciens commentaires, que j’avais publié comme « article d’ouverture », le 12 juillet 2010, dans mon ancien blog.
Ce fut juste autour de cette date que je commençai mon aventure de « blogueur ». Il y a exactement cinq ans, j’entamais une « carrière » assez courte et peut-être insuffisante, que je juge pourtant déjà longue, non seulement en raison de l’intensité du travail accompli, mais aussi de nombreuses « choses faites ».
Cinq années correspondent d’ailleurs, en Italie, au temps qu’on doit consacrer aux études supérieures et aussi, dans mon cas spécifique, au temps que j’avais décidé de « perdre »… pour atteindre la « laurea » (1) en Architecture, « rien qu’un bout de papier » selon ce que l’on disait, qui m’a pourtant permis d’accéder directement à l’examen pour l’habilitation à la profession d’architecte et, ensuite, au travail plus ou moins adapté à mes exigences ou rêves.
Donc, puisque je n’ai pas eu la chance de traîner pour attendre le bon moment pour rentrer dans le monde universitaire afin de m’y intégrer… et que j’ai entamé, au contraire, tout de suite après le diplôme, mon travail dans « le monde extérieur », je pourrais, par symétrie, considérer ces cinq années d’activité avec mes deux blogs comme une phase d’études de base ou universitaires… Un savoir-faire générique, dont il faut se libérer si l’on veut faire quelque chose dans la vie !
Mais je ne sais pas si j’en aurai la force. Car je commence à me plaire de cette activité paresseuse et engageante à la fois…

002_giovanni

Revenant à l’article que je vous propose ci-dessous dans sa version originale, j’avoue que j’aurais beaucoup de choses à ajouter au sujet de ce livre qui m’est devenu de plus en plus familier et que la plupart de vous ont lu dans « décalages et métamorphoses », le blog de l’écrivaine qui nous a fait cadeau de cette histoire belle et poignante.
Je pourrais d’ailleurs raconter ce que j’ai retenu de la double observation de ce livre sur le plateau théâtral du blog et derrière le rideau d’un laboratoire contigu au mien. Peut-être, un jour je me déciderai à le faire…
Maintenant, je me pose juste une question. De quelle façon ce livre, âgé désormais de cinq ans dans sa version française, a-t-il traversé ce temps ? A-t-il vieilli ? A-t-il, au contraire, rajeuni ?
« Après avoir tout lu, le plus attentivement possible, ferme le livre ! Ensuite, ferme les yeux et les mains comme dans une prière de l’esprit… avant de t’abandonner doucement au travail de la mémoire ! » Voilà ce que me disait au mot près mon grand-père maternel, Alfredo Perna. Certes, il s’accompagnait par des gestes très efficaces et surtout péremptoires. D’ailleurs, ce qu’il prêchait de sa façon gaie et charismatique devait se faire tout de suite après la lecture, pour rien ne perdre des passages logiques ou des images qui font de pont dans chaque narration. Ou des personnages…
Au cours de ces cinq ans de blog et d’apprentissage de la langue ainsi que des moeurs littéraires de France, combien de fois ai-je jeté mon regard sur cette jeune femme inspirée prénommée Regard ! Combien de choses ai-je apprises, dans ce « roman », au sujet de cette philosophie européenne qui essayait de s’émanciper du pouvoir absolu d’une église impérialiste et violente !
Cinq ans sont beaucoup, et je n’ai pas du tout respecté les règles qu’Alfredo Perna m’avait dictées. Maintenant, même si le livre est encore là, dans une étagère connue, je devrais avoir tout oublié, presque. Je ne devrais avoir qu’un pâle souvenir de cette fillette, de sa mère plantureuse, de son ami sincère, du jongleur Mathurin ainsi que de cette Gudule fabuleuse, ressemblant pourtant, comme une goutte d’eau, à ma tante Augusta, fille d’Alfredo…
Oui, c’est vrai, cette « rive interdite » a vécu parmi nous, s’emmêlant à la vie quotidienne de notre famille même, sans que nous en eussions la conscience entière. Elle a voyagé avec nous, jusqu’au jour où elle s’est miraculeusement superposée à la véritable rive parisienne, restée la même depuis toujours. Une espèce de coïncidence créée par le livre de Claudia Patuzzi nous a donné la chance de franchir ce mur invisible qui sépare le monde réel du monde qu’on apprend dans les livres…
Donc, je suis un lecteur privilégié, tel un habitué de la Comédie française ou de l’Opéra Bastille. Je pourrais moi-même endosser les draps de Mathurin, ou de Marcel, ou aussi d’un des voyous qui participent au viol de la misérable fillette, en me chargeant d’un énième sentiment de culpabilité… je pourrais aussi participer à la mise en scène, en film ou en bande dessinée de ce texte-cathédrale. Mon avis serait tellement partisan que je devrais finalement me taire.
Mais je suis sûr que n’importe quel lecteur éloigné et inconnu — même s’il y a cinq ans il n’avait pas tout compris, même s’il n’avait pas eu la chance de tout apprécier dans les nuances et cordes les plus intimes —, il serait maintenant en condition, les yeux fermés, de nous représenter les lieux, les personnages et le sens profond de ce livre qui résiste au temps.
Un livre-personne qui abandonne volontiers son étagère pour s’immiscer dans la vie réelle. Il me semble de le voir assez distinctement. Il est assis au petit matin sur un banc en pénombre du pôle emploi. Entouré d’une foule agitée, il est depassé par des gens rusés qui avancent à coups de coude… Mais il attend tranquille, imperturbable. Son « Regard » est confiant.

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Un Moyen Âge contemporain et même futur dans « La rive interdite » de Claudia Patuzzi

Un grand intérêt — pas seulement pour les Français qui aiment l’Italie ou pour les Italiens désormais installés depuis longtemps en France — nous vient de ce roman « La rive interdite » (Édition Normant 2010, 233 pages), qu’a écrit l’écrivaine italienne Claudia Patuzzi.
Publié en 2001 sous le titre « La riva proibita », ce livre avait été accueilli en Italie par de très favorables critiques. Ce roman touche d’ailleurs plusieurs niveaux de sensibilité et d’intérêt, ne se bornant pas à donner envie de connaissances plus approfondies, autour des sujets traités, à des lecteurs qui aiment à la fois la philosophie et l’histoire de Paris.
Sans se dérober au tableau vivant d’une partie cruciale de l’ancien Paris, Claudia Patuzzi met au centre de la narration une jeune fille dans une situation malheureuse et misérable qui ne voudrait pas renoncer à sa formation intellectuelle et humaine, malgré l’inégalité, la violence et l’ignorance du contexte auquel elle appartient. Elle ne veut pas renoncer non plus à l’amour, qui s’affirme toujours comme force traînante et révélatrice de la vérité.
Évidemment, le défi littéraire que l’auteure a affronté comporte un décalage continu entre la voix de Regard qui « découvre » la vie et la voix de l’auteure, qui explique à voix haute, au temps présent, un monde qu’on nous a souvent présenté de façon scientifique ou abstraite. Ce que je constate c’est une parfaite réussite de cette double narration (qu’on devrait multiplier pour deux ou quatre, car chacune des deux narratrices alterne la réflexion et la rêverie ; le plongeon dans une réalité qu’on ne pourrait plus impitoyable et la sortie dans les mondes de l’art, de la science du temps, de la religion ou de la philosophie).
D’ailleurs, plus que d’une réussite, on devrait parler d’une cohérence de ce double regard avec la personnalité même de l’écrivaine. Car en fait cette façon de raconter et de créer une scène fictive est « sa » façon spécifique de voir et d’être.
Je découvre aussi une incroyable cohérence dans ce Moyen Âge moderne ou même futur que Claudia Patuzzi traverse sur le véhicule invisible de la suggestion et de la télépathie. Elle n’a pas de complexes, étant parfaitement capable de lancer des ponts depuis son univers contemporain vers une ville qui « doit » nécessairement se tenir debout avec des règles, des habitudes, des rites qui « ne peuvent pas » trop différer des règles, des habitudes et des rites connus dans notre vie d’aujourd’hui.
Il suffit de faire un voyage à rebours, par exemple, dans nos années soixante ou soixante-dix du siècle passé, désormais refoulées et perdues dans des endroits de l’Italie maintenant effacés et insaisissables… pour s’apercevoir que ces années-là sont devenues même plus éloignées que le Moyen Âge à Paris… Car Paris possède bien sûr une identité absolument unique, qui n’a pas changé, peut-être, depuis sa naissance…
Les divers commentaires qu’on a écrits sur ce livre s’occupent surtout de souligner l’étonnante pertinence des descriptions du Grand Cul-de-sac, un quartier de Paris au XIIIe siècle dont beaucoup de traces et mémoires se trouvent dans les documents anciens et dans les œuvres de nombreux écrivains, Rabelais en particulier (nous sommes dans la rive droite, tout près de l’église de Saint-Merri et du Centre Pompidou, pas loin de l’ancienne place de Grève et de la Seine). Si le respect des lieux (et de la façon d’être et de vivre de la population installée à l’époque) est un souci primordial pour Claudia Patuzzi — essayiste experte ayant beaucoup fouillé dans les archives de Paris —, ces mêmes lieux ne seraient qu’une scène sans âme s’il n’y avait pas en elle, comme nous l’avons dit ci-dessus, un véritable talent dans la reconstruction et réinvention de la vie parisienne au Moyen Âge.
Cet exploit prodigieux — dont on pourrait profiter pour un film sans effets spéciaux — est dû aussi à la force du personnage-clé du roman, Regard, une jeune fille analphabète qui grandit au milieu des soins distraits de sa mère prostituée et les suggestions de quatre personnages extravagants et généreux (Gudule, Mathurinus, Péringerius et Geberlinus) qu’elle a découverts avec une sorte d’infaillibilité et qu’elle suit de façon aveugle comme de véritables maîtres de vie.
Avec sa tresse blonde que rien ne peut abîmer, elle traverse la scène du Grand Cul-de-sac et de ses alentours à la recherche d’un destin de liberté qui n’est pas la liberté de la richesse ou d’un train de vie plus tranquille. Elle confie, sans en être consciente, dans un progrès de l’âme que peuvent amener la connaissance et l’amour. Même si la vie ne lui épargne pas de preuves rudes et violentes tout à fait contraires, Regard voudrait s’en sortir.
Voilà une hypothèse anachronique et peut-être la projection d’une sensibilité féminine de nos jours qui ne rentre pas dans l’idée reçue de la condition humaine au Moyen Âge. Une petite provocation qui reprend, sous une différente psychologie, les attitudes anticonformistes de l’Esméralda de Victor Hugo sur les planches de Notre Dame de Paris.
Mais si cette hypothèse reste théoriquement praticable dans le cas d’une fillette en deçà de toute expérience, le lecteur restera doublement étonné et fort bouleversé quand il verra cette fille, violentée et abusée dans son âge encore tendre, essayer tout de même de croire à la possibilité de vivre, à l’amour.

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C’est à ce moment-là que deux aspects majeurs du roman deviennent évidents en assumant leur force vitale. La découverte de l’amour du jeune clerc Marcel — élève des philosophes Sigier du Brabant et de Boèce de Dace — se lie strictement au besoin primordial de Regard de « passer le pont », d’aller finalement voir ce qui se passe dans la rive gauche de la Seine, cet endroit dont on ne perçoit que des prohibitions et des menaces.
Toutes les aspirations vitales de Regard se concentrent alors dans ce but : franchir l’interdiction, renverser tout destin marqué en avance. Mais cela sera empêché par la force symbolique d’un seul mot. C’est le mot « philosophie » que Marcel prononce inspiré au cours des séances amoureuses, en provoquant dans la jeune femme des sentiments contradictoires aboutissant à une véritable jalousie. Elle ressent immédiatement cette « philosophie » comme un danger, une force capable d’emporter son ami loin d’elle. Une force antagoniste si c’est une femme qui s’appelle Philosophie. Une force bénigne, par contre, si elle apporte des changements dans tout ce qui est établi.
Cependant, la petite Regard ne possède pas tous les instruments nécessaires pour maîtriser une telle question. Elle osera donc franchir le fleuve, se déguiser elle-même en clerc pour voir « de ses yeux ». C’est le moment clou de la condamnation de l’hérésie de Sigier et de Boèce, le moment où la philosophie bienfaisante et rebelle est arrêtée sinon tué par la philosophie installée depuis toujours au pouvoir. Regard ne peut pas comprendre toutes les nuances de ce combat d’hommes et d’idées, mais elle comprend quand même que c’est la fin de quelque chose de très important. Et c’est la fin pour elle aussi. Car dans le moment plus dramatique de la dispute entre l’église officielle et les philosophes désireux d’inaugurer une nouvelle ère de la pensée chrétienne, elle s’aperçoit de la distance immense qui la sépare de Marcel. Il n’est plus l’amant tendre et passionné des fabuleuses rencontres derrière les buissons auprès des remparts. Il ne la voit pas, n’intervient même pas quand Regard est grossièrement agressée par un groupe de clercs. Plus tard, rentrée dans le grand-cul-de-sac, elle s’empoisonne avec de l’eau des égouts. Peu après elle se repentira de ce geste : « Ma vie est à moi », s’écriera-t-elle en mourant. Trop tard.
Un livre très poignant, capable de maintenir le lecteur dans un état de suspense continu. Peut-être, une fois refermé le livre, quelqu’un se demandera : « Pourquoi une Italienne a-t-elle voulu s’exiler à Paris pour s’y raconter ? »
Voilà une possible réponse. Le motif-clou de ce roman est justement dans cette idée aussi paradoxale que consciente de Claudia Patuzzi de se déguiser en une jeune misérable, à sa fois déguisée en jeune clerc, pour entrer en clandestin dans un milieu culturel parmi les plus reconnus dans le monde. D’une façon à la fois ironique et dramatique, elle veut témoigner à travers ce personnage vivant et sincère qu’elle aussi a finalement atteint, avec sa propre vie et son propre sang, la maturité d’une écrivaine digne de respect.

Giovanni Merloni

(1) Diplôme qu’on obtenait à mon époque (février 1970) à la fin de quatre ou cinq ans d’études universitaires (cinq pour la faculté d’Architecture.

L’art de la conversation dans la poésie de Jean de La Fontaine II/II

20 mercredi Mai 2015

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L’art de la conversation dans la poésie de Jean de La Fontaine

…D’ailleurs, La Fontaine avait mille protections invisibles, qui venaient de ses deux amours. Les femmes, bien sûr, représentant pour lui un complément indispensable de son être en continuelle transformation. Les maîtres anciens, qui étaient eux aussi des « alter ego » dont il avait besoin pour avancer.
Les femmes sont ses Muses inspiratrices, capables elles seules de le plonger dans la rêverie et de faire éclater en lui la volonté d’aller au-delà, de dépasser lui-même :

Qu’un vain scrupule à ma flamme s’oppose
Je ne le puis souffrir aucunement,
Bien que chacun en murmure et nous glose ;
Et c’est assez pour perdre votre amant.

Si j’avais bruit de mauvais garnement,
Vous me pourriez bannir à juste cause ;
Ne l’ayant point, c’est sans nul fondement.

Qu’un vain scrupule à ma flamme s’oppose.

Que vous m’aimez, c’est pour moi lettre close ;
Voire on dirait que quelque changement
À m’alléguer ces raisons vous dispose :

Je ne le puis souffrir aucunement.

Bien miens pourrais vous conter mon tourment,
N’ayant pas mis au contrat cette clause ;
Toujours ferai l’amour ouvertement,

Bien que chacun en murmure et nous glose.

Ainsi s’aimer est plus doux qu’eau de rose :
Souffrez-le donc, Philis ; car, autrement,
Loin de vos yeux je vais faire une pose,

Et c’est assez pour perdre votre amant.

Pourriez-vous voir ce triste éloignement ?
De vos faveurs doublez plutôt la dose.
Amour ne veut tant de raisonnement :
Ce point d’honneur, ma foi, n’est autre chose

Qu’un vain scrupule.

(Jean de La Fontaine, Rondeau redoublé, 1671)

Les maîtres du passé l’accompagnent dans son parcours vers la gloire en lui fournissant des histoires, des petites phrases, et par elles le sens de la continuité, la valeur même de la culture.
Car il n’y a pas innovation sans un rapport fort et sincère avec la tradition. Chacun choisit ses repères, ses amis au milieu de milliers de voix « clamantes in deserto ». Virgile réécrit Omère en faisant un chef-d’œuvre immortel qui n’a plus rien à voir avec le poème de son maître,  dont il garde pourtant l’esprit, le message éternel. Dante a besoin de Virgile pour parcourir ensemble ce voyage à rebours dans le passé lointain, où Virgile peut lui donner des renseignements utiles, et dans le passé voisin, où c’est Dante qui fait le guide à son guide. La Fontaine unit en lui l’esprit créateur du poète à l’esprit pragmatique de l’observateur de son temps et de tout ce qu’on lui offre, en particulier l’immense héritage de la culture grecque et latine. Il ne se borne pas aux plaisirs de l’invention poétique, mais se charge du passage du témoin du passé d’une rive à l’autre. En ramenant jusqu’au monde des vivants les œuvres des grands du monde des morts — car les anciennes langues grecque et latine sont de plus en plus réservées à une caste d’intellectuels très éloignés de la vie réelle —, il est bien conscient qu’avec lui une nouvelle langue française est en train de se former. Il en est le principal modernisateur. C’est cet aspect qu’on devrait regarder aujourd’hui avec une particulière attention. La Fontaine, en réécrivant de but en blanc beaucoup de textes anciens (par exemple Les amours de Psyché et de Cupidon, publié en 1669, tout de suite après les Fables de 1668), leur a donné une nouvelle vie. Ce que les traductions fidèles, mot par mot, ne réussissent jamais à faire.
D’ailleurs, pour avoir la grâce d’être accueilli, reconnu et finalement aimé, il faut aimer, aimer sans réserve. « Amor ch’a nullo amato amar perdona », dit Dante Alighieri : « tous ceux qui sont aimés, aiment à la fois ». Et La Fontaine aime sans réserve ses Muses inspiratrices aussi passionnément que ses œuvres immortelles, dont il devient, grâce à son amour sincère, le guide. Comme Dante recommandait Virgile, La Fontaine recommande Juvenal et Platon, Phèdre et Boccace.
C’est l’art de la conversation. C’est aussi l’anticipation du « contrappunto » en musique. La dialectique au service du plaisir de se plonger dans une histoire, qu’il soit prévu pour elle une chute de sagesse ou qu’il ne le soit pas. Une dialectique théâtrale, qui offre à tous ceux qui partagent l’évènement de l’interprétation du texte à haute voix, d’abord la consolation du rythme magique des mots, ensuite un primordial sentiment de partage. Une force se déclenche, qui n’est pas du tout soumise aux règles plus ou moins absolues que le pouvoir au dehors du théâtre impose. Et c’est la force d’une imagination sans préjugés et pleine d’anticipations vis-à-vis du procès de libération de l’homme qui va bientôt éclater.
De son temps, on a laissé à La Fontaine la gloire sans la lui reconnaître, on lui a laissé « molto onor, poco contante » comme à Chérubin partant à la guerre. Ceux qui se sont sentis obligés d’en abîmer la figure, comme Racine, avaient évidemment toujours peur que Jean de La Fontaine, après avoir été chassé en tant que poète de génie fût admis à la Cour pour son charme personnel. Et on a l’impression qu’il en avait même plus que les autres.

Giovanni Merloni

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P.-S. Les écrivains parlent de La Fontaine
. Que pensent-ils de lui ? 

(En allant, comme tout le monde, sur internet, j’ai trouvé des recueils de citations de grands hommes et d’hommes célèbres au sujet de La Fontaine homme et génie littéraire).

MAUCROIX (1619-1708) : « La Fontaine est un bon garçon,/ Qui n’y fait pas tant de façon./ Il ne l’a point fait par malice./ Belle paresse est tout son vice… »

MOLIERE (1622-1673): « Nos beaux esprits ont beau se trémousser, le Bonhomme ira plus loin que nous. »

Madame De Sévigné (1626-1696) : « Faites-vous envoyer promptement les fables de La Fontaine, elles sont divines. On croit d’abord en distinguer quelques unes, et à force de les relire, on les trouve toutes bonnes. C’est une manière de narrer et un style à quoi l’on ne s’accoutume point. »

Charles Perrault (1628-1703) : « Il n’a jamais dit que ce qu’il pensait, et il n’a jamais fait que ce qu’il a voulu faire. Il joignit à cela une humilité naturelle, dont on n’a guère vu d’exemple ; car il était fort humble sans être dévot, ni même régulier dans ses mœurs, si ce n’est à la fin de sa vie qui a été toute chrétienne. Il s’estimait peu, il souffrait aisément la mauvaise humeur de ses amis, il ne leur disait rien que d’obligeant, et ne se fâchait jamais, quoiqu’on lui dît des choses capables d’exciter la colère et l’indignation des plus modérés… Non seulement il a inventé le genre de poésie où il s’est appliqué, mais il l’a porté à sa dernière perfection. » (Charles Perrault, Les Hommes illustres qui ont paru en France)

Louis Racine (1634-1699) : « …Un homme fort malpropre et fort ennuyeux… Il ne mettait jamais rien du sien dans la conversation ; il ne parlait point ou voulait toujours parler de Platon, dont il avait fait une étude particulière dans la traduction latine. »

Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711) : « Les ouvrages de La Fontaine sont reçus avec des battements de mains. »

Jean de La Bruyère (1645-1696) : « Homme unique en son genre, modèle difficile à imiter ». « Un homme paraît grossier, lourd, stupide, il ne sait pas parler ni raconter ce qu’il vient de voir: s’il se met à écrire, c’est le modèle des bons contes, il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point: ce n’est que légèreté, qu’élégance, que beau naturel et que délicatesse dans ses ouvrages. »

Fénelon (1651-1715) : « La Fontaine a donné une voix aux bêtes pour qu’elles fissent entendre aux hommes les leçons de la sagesse. »

Voltaire (1694-1778) : « C’est un homme unique dans les excellents morceaux qu’il nous a laissés (…) ils iront à la dernière postérité; ils conviennent à tous les hommes, à tous les âges. (…) Tous ces grands hommes furent connus et protégés de Louis XIV, excepté La Fontaine. Son extrême simplicité, poussée jusqu’à l’oubli de soi-même, l’écartait d’une cour qu’il ne cherchait pas; mais le duc de Bourgogne l’accueillit, et il reçut dans sa vieillesse quelques bienfaits de ce prince. Il était, malgré son génie, presque aussi simple que les héros de ses fables. Un prêtre de l’oratoire, nommé Pouget, se fit un grand mérite d’avoir traité cet homme de moeurs si innocentes, comme s’il eût parlé à la Brinvilliers et à la Voisin. Ses contes ne sont que ceux du Pogge, de l’Arioste, et de la reine de Navarre. Si la volupté est dangereuse, ce ne sont pas des plaisanteries qui inspirent cette volupté. On pourrait appliquer à La Fontaine son admirable fable des Animaux malades de la peste, qui s’accusent de leurs fautes: on y pardonne tout aux lions, aux loups, et aux ours; et un animal innocent est dévoué pour avoir mangé un peu d’herbe. » (Voltaire, Le siècle de Louis XIV, ….)

Jean Jacques Rousseau (1712-1778) : « Composons, Monsieur de La Fontaine. Je promets, quant à moi, de vous lire, avec choix, de vous aimer; de m’instruire dans vos fables, car j’espère ne pas me tromper sur leur objet; mais pour mon élève, permettez que je ne lui en laisse pas étudier une seule, jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé qu’il est bon pour lui d’apprendre des choses dont il ne comprend pas le quart, que dans celles qu’il pourra comprendre il ne prendra jamais le change et qu’au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon. » (Émile, livre II)

Nicolas de Chamfort (1740-1794) : « Le style de La Fontaine est peut-être ce que l’histoire littéraire de tous les siècles offre de plus étonnant. » (Éloge de La Fontaine, 1774)

Wolfgang Goethe (1749-1832) : « La Fontaine est en si haute estime chez les français, non à cause de sa valeur poétique, mais à cause de la grandeur de son caractère. »

Alphonse de Lamartine (1790-1869) : « On me faisait bien apprendre par coeur quelques fables de La Fontaine, mais ces vers boiteux, disloqués, inégaux, sans symétrie, ni dans l’oreille ni sur la page, me rebutaient. »

Hyppolite Taine (1828-1893) : « C’est La Fontaine qui est notre Homère…il nous a donné notre oeuvre poétique la plus nationale, la plus achevée et la plus originale. »
« la fable est une mascarade; le simple déguisement des animaux en hommes fait sourire. Leur monde est la parodie du nôtre, et leurs moindres actions sont la critique de nos moeurs. La fable est donc par nature une comédie et le poète un railleur. »

André Gide (1869-1951) : « On ne saurait rêver d’art plus discret, d’apparence moins volontaire… on sent aussi qu’il y entre de la malice et qu’il faut se prêter au jeu, sous peine de ne pas bien l’entendre; car il ne prend rien au sérieux. »

Paul Valéry (1871-1945) : « Je ne puis souffrir le ton  rustique et faux [des contes de La Fontaine], les vers d’une facilité répugnante, leur bassesse générale, et tout l’ennui que respire un libertinage si contraire à la volupté et si mortel à la poésie. »

Jean Giraudoux (1882-1944) : « Les fables de La Fontaine ne nous montrent pas des hommes prenant des masques de bêtes, mais le contraire. Au-dessous du masque humain qui la couvre, demeure et vit sans trop se douter ce de que le fabuliste lui fait dire, la bête véritable. Au-dessous de cette avarice, de cette adulation qu’on lui impose, existe tout ce qui est félin, fauve, poilu, et parfois transparait d’une façon extraordinaire, écartant le déguisement humain; la candeur ou l’inquiétude animale. » (Les cinq tentations de La Fontaine)

Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) : « La Fontaine fait des fables, ben qu’est-ce qui va en faire maintenant?.. Il n’y a rien à ajouter; c’est fait, c’est correct. C’est plein.. C’est ça, c’est tout.. Et pis après, bé dame, après, y a pus rien à faire. »

Pierre Clarac (1894-1986) : « Il est des artistes qui, fixés sur un seul objet, s’efforcent; dans une contemplation immobile, d’y retrouver l’essence de la réalité et les secrets de l’univers. D’autres, tentés par tous les rayons et tous les reflets, dociles à tous les souffles, ne voudraient rien laisser au monde en dehors de leur oeuvre: Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle. Ils promènent à la surface des choses un émerveillement que n’abandonne jamais une secrète défiance. Jouir de tout sans s’attacher à rien, c’est leur devise; c’est celle de La Fontaine. Et c’est pourquoi son oeuvre est à la fois si enjouée et si amère. »

Georges Pompidou (1911-1974) : « La Fontaine, maître dans l’art classique de « faire difficilement » des vers faciles. »

Marc Fumaroli (1932) : « S’il est un lieu où tout le « siècle d’Auguste » vient se résumer, avec toute sa lyre et ses couleurs contrastées, c’est bien dans les Fables, où Virgile, Horace, les élégiaques, retrouvent leur voix sous celle de Phèdre et d’Esope, et où Ovide, qui a chanté tant de métamorphoses d’hommes et d’animaux, revient avec une tout autre séduction alexandrine que chez Benserade ou chez Du Ryer.  Lieu d’affleurement de tant de richesses contradictoires de la tradition poétique  française, les fables s’offrent en outre le luxe de réverbérer dans toute leur diversité les saveurs de la poésie romaine à son point de suprême maturité. Il y a bien quelque chose de pantagruélique dans l’art de La Fontaine, le plus érudit de notre langue; mais ce qui se voyait chez Rabelais, ce qui était voyant chez Ronsard, s’évapore chez lui en une essence volatile et lumineuse, où des visions dignes d’Homère apparaissent, et ne se dissipent pas. Le génie d’une langue et celui d’une culture millénaire se concentrent ici en un point où la justesse de la voix et celle du regard suffisent à tout dire d’un mot. »

Pierre Desproges (1939-1988) :  « Voici une définition tirée du D.S.U.E de Desproges (Dictionnaire Superflu à l’Usage de l’Elite et des Bien Nantis) envoyée par un visiteur de ce site: Ysopet n. m. du latin ysopetus (ysopetae, ysopetam, ysopetorum) Nom donné , au Moyen Age, à des fables ou recueils de fables imitées ou non d’Esope les ysopets d’Anne de Beaugency, de Charles de Brabant de Zézette d’Orléans sont parmi les plus célèbres. Avec cet effroyable cynisme d’emperruqué mondain qui le caractérise, La Fontaine n’hésita pas à puiser largement dans les ysopets des autres pour les parodier grossièrement et les signer de son nom. Grâce à quoi, de nos jours encore, ce cuistre indélicat passe encore pour un authentique poète, voire pour un fin moraliste, alors qu’il ne fut qu’un pilleur d’idées sans scrupules, doublé d’un courtisan lèche-cul craquant des vertèbres et lumbagoté de partout à force de serviles courbettes et honteux léchages d’escarpins dans les boudoirs archiducaux où sa veulerie plate lui assura le gîte, le couvert et la baisouillette jusqu’à ce jour de 1695 où, sur un lit d’hôpital, le rat, la belette et le petit lapin lui broutèrent les nougats jusqu’à ce que mort s’ensuive, ce qui prouve qu’on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Essayez de vous brouter vous-même les nougats, vous verrez que j’ai raison. »

Marcel Gutwirth (vivant) : « …dans l’exacte mesure où la fable confère à la bête le don de la parole, elle l’arrache à son mystère, la satellise, modelée qu’elle se retrouve sur la patron des penchants humains — vanité, couardise, jactance, perfidie. Réciproquement, dans la mesure où, ces traits, elle a eu à les loger sous le pelage d’une bête, la fable, en nous transportant hors de nous-mêmes, nous dépayse d’autant, ouvre le champ à l’aventure. » (Un merveilleux sans éclat, La Fontaine ou la poésie exilée.)

Patrick Dendrey (1950) : « L’utile se marie ici à l’agréable, se métamorphose même en forme d’agrément conscient et accepté: il est utile de satisfaire le besoin de beauté et de jouissance gratuite des hommes — il le faut. Ainsi se définit une morale « supérieure » de l’apologue, assimilée au désir de poésie, désir de beauté et de gaieté, conçu comme geste de rupture avec la réalité par la fascination dont il nous charme — mais aussi par l’éveil de conscience que son ironie critique y associe sans contradiction ni césure: car l’apologue « réveille ». Cette double tâche relève du pouvoir de la gaieté, tout à la fois charmeuse et incisive. Et la philosophie supérieure des fables consiste donc en une sagesse de la gaieté qui pourrait se définir comme le charme d’un plaisir lucide en même temps que d’un plaisir de lucidité. »

G.M.

« Rhapsodie sur un thème seul » de Claudio Morandini

16 samedi Mai 2015

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« Rhapsodie sur un thème seul » de Claudio Morandini, Manni Editori 2010

Lorsqu’on est déjà à moitié lecture – de plus en plus captivante –, on dirait que ce livre n’ait pas été écrit d’un Italien, et surtout pas du Nord américain Ethan Prescott ou de son compagnon Carl Thalberg. Même pas d’un Russe – comme le compositeur Rafail Dvoinikov – ou d’une Russe – comme son assistante Polina. Une sorte de dépersonnalisation entraîne le lecteur, en traversant sa peau, ses gestes et comportements. Ce sont peut-être les premiers symptômes de la transmutation babélique qui nous emmènera tous vers une identité planétaire nouvelle et tout à fait inconnue. Et c’est aussi le choix primordial de l’écrivain italien Claudio Morandini, auteur de cette « Rapsodia su un solo tema », un roman qui n’a pas encore été traduit en français (il s’appellerait ici « Rapsodie sur un thème seul »), que j’ai trouvé très intéressant pour un vaste réseau de lecteurs — bien au-delà du seul contexte italien. Ce choix correspond, je pense, à la nécessité qui caractérise ce roman : dire la vérité, raconter l’histoire d’un artiste pur et génial qui survit au système de pouvoir soviétique, dire tout cela d’une façon qui ne soit pas donnée ni obligée. Dire, en même temps, la vérité sur la liberté présumée dans laquelle un musicien dudit occident libre, plus jeune, analyse l’obscur dossier de son mythe russe, en révélant au lecteur et à soi-même ce que lui coûte la survie dans le système actuel, déréglé et postmoderne, qui connaît maintenant aux États-Unis une phase problématique sinon désespérée. Dire tout cela n’est pas facile, cependant Claudio Morandini y arrive, grâce à la nonchalance par laquelle le protagoniste s’exprime en mots et actions. En plus, le deuxième choix, celui de tourner toute analyse et chaque événement autour du thème musical ou pour mieux dire de la musique tout court, représente un véritable défi. En même temps, la musique, cette hydre à mille têtes, offre à l’auteur la possibilité de faire jaillir la vérité à travers plusieurs registres et plusieurs tableaux. Et ce livre cesse bien tôt d’être la rapsodie sur un thème de Rafail Dvoinikov — thème insisté, exclusif voire obsessionnel qui serait la force et la disgrâce de ce compositeur. En réalité, c’est lui, l’auteur, qui structure son livre sous la forme d’une rapsodie. La musique est donc un personnage omniprésent du livre. Elle est aussi la colonne centrale qui en soutient l’architecture, du premier mot jusqu’au dernier. Mais ce livre va bien au-delà de cela. Le protagoniste du roman, le narrateur voyageur nord-américain Ethan Prescott, est un musicien assez créatif, intégré en même temps dans un contexte élitaire et privilégié où l’on a désormais autorisé à s’occuper d’un auteur russe très âgé, très peu connu en occident, qui a eu de grands succès quand il était jeune, mais n’a pas su correspondre aux désirs d’un système de pouvoir aussi stupide et méfiant que celui de l’U.R.S.S. après les années 20 : « Dvoidikov, hardi sur le pentagramme, a du apprendre l’art de déguiser son tempérament, de faire semblant qu’il n’était qu’un simple exécutant de directives d’autrui – sans jamais y réussir : dans cet échec est la grandeur de sa musique, qu’aujourd’hui nous pouvons lire comme un exemple — entre les plus évidents – d’un art aussi irrésistible qu’il échappe à son créateur même. » L’histoire de Rafail Dvoinikov, que l’auteur a tissée avec une singulière complexité de niveaux narratifs – du niveau minimaliste du journal plein d’idées d’Ethan Prescott à celui où le même Prescott nous raconte de façon émotionnelle et émotionnante ses rencontres parfois inquiétantes avec le musicien russe et Polina, son assistante et interprète ; du niveau des incursions de la musique techno dans le travail artistique du narrateur-voyageur-musicien à celui des “reportages du futur” d’un contemporain de Mozart et Gluck qui ose fréquenter théâtres et salles d’enregistrement du vingtième siècle – cesse bien tôt de se présenter comme l’histoire de celui qui a composé “L’antisymphonie”, la “Symphonie numéro zéro” et d’autres œuvres novatrices. Ce ne sont pas seulement les vicissitudes aussi terribles que vitales de Dvoidikov qui tapent sur une seule touche, ou, si l’on veut, sur un seul thème. C’est évidemment Ethan Prescott, capturé par son voyage intercontinental qui le catapulte dans un train très incommode qui fait la navette dans la Russie post-soviétique — en l’obligeant à la douloureuse recherche du sens de sa propre vie et de soi-même —, c’est lui l’auteur, avec Claudio Morandini, d’une rapsodie sur un seul thème, c’est-à-dire d’un chant très complexe où le but primordial est celui de placer l’homme – avec toute la matérialité de ses sentiments – au centre de la scène. C’est juste là au centre de la scène que nous découvrons l’aspiration intime de ce livre : l’artiste le plus fatigué de l’absence de communication entre ses attentes d’expression et de contact et son public distrait et hostile – fatigué aussi des difficultés d’avoir des interlocuteurs qui ne soient pas des murs ou des voix ensevelies dans de vieilles partitions — aura des chances lui aussi. Il est inévitable. Il trouvera dans des rencontres – importantes ou casuelles – une raison pour avancer, pour insister, pour espérer. Le point caché de ce beau roman réside enfin dans la nature tragique d’Ethan Prescott, qui est aussi le moi-narrateur. Il porte son homosexualité de façon tranquille, jusqu’aux derniers chapitres, lorsqu’elle devient la cause d’une incommunicabilité infranchissable. Il ne peut pas correspondre à un sentiment partagé. Cela est un revers constant dans la vie de tout le monde, un anneau fragile qui nous fait apercevoir, d’un coup, en lecteurs, le côté dramatique d’un malentendu, lorsque de vraies passions sont en jeu. À mon avis, dans cette histoire douloureuse, qui place enfin la très célèbre musique – qui est aussi raison de vie — dans la perspective de son amoindrissement, Claudio Morandini a voulu dire : Oui, c’est probable, la gloire n’arrivera jamais. Une véritable gloire n’appartient pas à ce monde-ci, elle arrive toujours à quelqu’un d’autre, comme la mort précoce. Tout cela est prouvé par les compétitions éternelles, les jalousies et les envies qui assombrissent dès toujours les grands génies pour garder la place, du moins dans le présent, aux médiocres, aux vendus, et cetera. Mais il faut faire attention ! Si un jour la gloire arrive exprès pour nous — car elle a décidé qu’elle veut correspondre à notre amour inépuisé, à notre cour interminable et pleine de chefs-d’œuvre —, à ce moment-là il faut être prêts ! Peu importe si la gloire nous sourit parce que nous sommes adroits ou beaux et fascinants ou pour la somme de tout cela. Il nous peut arriver de provoquer l’amour de quelqu’un que nous avons rempli d’attentions. Il peut arriver, par conséquent, que la gloire, appelée Polina dans le livre, tombe amoureuse. Elle est convaincue, elle est prête, elle désire qu’on la ravît, qu’on l’emmène, avant d’être, comme on dit souvent de la gloire, chevauchée.

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Claudio Morandini

Ethan Prescott ne peut pas aimer Polina, car il est homosexuel. Mais cette passion qu’il a provoquée en elle ne le laissera pas tranquille. Ici la distance se reproduit entre l’artiste qui voudrait communiquer et le monde tout à fait indifférent. Une grande illusion se brise, la plus résistante certitude tombe, que nous avions gardée depuis nos années au lycée : les vers de Dante ne sont pas toujours vrais :

« Amor ch’a nullo amato amar perdona, mi prese del costui piacer sì forte, che, come vedi, ancor non m’abbandona. » « Amour, qui force tout aimé à aimer en retour, me prit de la douceur de celui-ci que, comme tu vois, il ne me laisse pas. » (1)

Mais, lorsqu’on arrive à la dernière page, avant la postface, le livre nous propose une nouvelle suggestion, totalement opposée. La gloire c’est nous, peut-être, car nous avons eu toujours un peu de gloire. Et si nous ne sommes pas capables de la donner à ceux qui nous aiment, nous ne pouvons pas la prétendre de ceux qui ne nous aiment pas.

Giovanni Merloni

(1) Dante, Enfer V 103-105, traduction de Jacqueline Risset.

TEXTE EN ITALIEN

Les étoiles s’étiolent « … et Alice Tao se souvint du futur » : un roman de David Elbaz, homme de science et écrivain

14 jeudi Mai 2015

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Hôtel de Massa : Tapisserie d’Aubusson sur un carton de Georges Rohner, 1956, dépôt du Mobilier national : « George Sand assise avec son éventail, pose-t-elle pour le tableau ? Elle est avec Gustave Flaubert, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alexandre Dumas. » 

Récit de l’entrevue, mardi 10 mai 2011 entre l’astrophysique et la littérature, près de la Société des gens de lettres, hôtel de Massa (« Quand la fiction vient aux scientifiques »)

Mardi 10 mai dernier, Pierrette Fleutiaux et Élisa Brune ont rencontré David Elbaz (« Et Alice Tao se souvint du futur », Odile Jacob 2010), Roland Lehoucq (« Mission Caladan, les tisseurs de vie », avec Claude Ecken, Le Pommier 2010), Jean-Pierre Luminet (« Les bâtisseurs du ciel, l’intégrale », Lattès 2010) et Michel Cassé (« Cosmologie dite à Rimbaud », Jean-Paul Bayol 2007).
Cela a été un événement mémorable, d’abord pour moi, ayant pu toucher des yeux et des oreilles, pour une fois de plus, ce que j’avais imaginé et prévu avant de m’installer en France. Je n’oublie pas que nous vivons dans cette planète menacée, dans une Europe en crise d’identité, et dans une France aussi, en train de subir elle-même — au nom surtout de l’argent, mais aussi d’idées « neuves » jaillissantes de nouvelles formes d’arrogance du pouvoir —, « d’incursions » et de « troubles » très inquiétants ayant pour cible ses institutions culturelles.
Cependant, on doit reconnaître la présence en France d’un « contexte » encore assez vivant et tout à fait « jeune », qui ne cesse pas de travailler dans la bonne direction d’un « progrès humain » et d’une grande disponibilité de la science à « s’interroger sur elle-même » et sur sa fonction de « pont » entre le passé et le futur.
C’est cela que j’avais imaginé, quand j’étais encore en Italie et mes connaissances de la France n’étaient liées qu’à mes lectures, à mes voyages et à certaines amitiés. Je pouvais me tromper, aidé en cela de nombreuses idées reçues qu’alimente une substantielle incompréhension réciproque entre les deux pays cousins, l’Italie et la France. Heureusement, au fond de ma conviction, maintenant je m’en rends compte, il y avait le sentiment que dans la patrie des belles-lettres les « mots » étaient encore respectés, même dans cette barbarie contemporaine qui semble tout emporter.
J’attends une autre occasion pour parler davantage de ce qui est en train de frapper gravement ma patrie, l’Italie. Un berceau de culture universelle et de « mots » immortels, elle est maintenant défigurée et presque meurtrie dans son essence intime. On nous a enlevé la vérité des mots, le sens des mots, la force des mots, en une Babel qui semble avoir la force destructrice d’un trou noir.
Mais, comme j’ai promis, je m’arrête là. Je reviens à l’occasion de ce 10 mai 2011 où j’ai eu la chance de participer à une rencontre entre science et littérature ou pour mieux dire, entre hommes de science qui sont aussi des écrivains et une multitude de personnages — écrivains, poètes, critiques littéraires et simples amants de la littérature — ayant comme repère la Société des Gens de Lettres et l’Hôtel de Massa.
L’idée, géniale, mais aussi « magique », si on peut le dire, de cette rencontre, a été de Pierrette Fleutiaux, une écrivaine autant reconnue qu’aimée d’un vaste monde de lecteurs. Elle nous a expliqué que depuis des années la SGdL est hébergée dans l’hôtel de Massa, qui se trouve juste à côté de rue du faubourg Saint-Jacques dans le même emplacement du célèbre Observatoire de Paris. Il fallait « mettre en relation » deux mondes contigus, qui partageaient le même jardin et qui, du reste, étaient déjà représentés ensemble dans la tapisserie accrochée au fond de la salle (où figurent, entre autres, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas et François Arago). Pierrette Fleutiaux n’a pas voulu trop ajouter, en sachant bien qu’on aurait assisté à de surprises au fur et à mesure que les écrivains-hommes de science se seraient présentés, avec leurs livres et formidables expériences.
La réunion a été surtout une occasion pour partager le bonheur, voire l’attitude ironique et confiante qui jaillissait de toutes les interventions. Les astrophysiciens, ces hommes spéciaux passant leur vie à scruter le ciel absorbés par un travail obscur, mais aussi enthousiasmant, obligés presque à avancer parmi trous noirs, quasars, galaxies et calculs incessants de distances et de vitesses, sont aussi des hommes en char et os, dont la sensibilité, loin d’être amoindrie par ce travail ultrascientifique, en est au contraire exaltée.
Tous les quatre astrophysiciens-écrivains, que Pierrette Fleutiaux a invités ce 10 mai dernier, partagent un sentiment commun : communiquer aux autres leurs découvertes, mais aussi leurs inquiétudes. Ils sentent d’abord la nécessité de briser un mur de primordiale incompréhension, car les questions en jeu — comme d’ailleurs la plupart des questions dont la science s’occupe — ne regardent pas seulement les gens directement et professionnellement concernés. Ils sont aussi conscients de la nécessité d’un langage directe, qui ne soit pas une vulgarisation de leur savoir banale ou même amusante, mais se charge, au contraire, de la vérité, voire de l’essence problématique de ce savoir.
En empruntant les mots splendides que Michel Cassé dédie à Rimbaud, on pourrait dire que « tandis que les étoiles s’étiolent, les mots deviennent abstracteurs de quintessence et de vie ». Les mots sont les étoiles dans l’univers des hommes. Ils sont aussi de véhicules dont on ne peut pas se passer si l’on veut lancer la connaissance de l’espace dans l’espace des humains.
Néanmoins, combien de trahisons ou d’éloignements de la vérité subit continument le travail des astrophysiciens. Ce n’est pas seulement un mur d’honnête incompréhension qu’il faut briser. Il faut rétablir, du moins dans certains contextes, un niveau commun de connaissance et d’évaluation des phénomènes dont les astrophysiciens s’occupent.

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Il faut considérer aussi, dans l’activité littéraire de ces hommes de science, un côté spécifique de « besoin » de sortir de la routine, de se débarrasser des expressions toutes faites, des formulations autant rigides qu’inadaptées à la communication. En plus, en traitant sans cesse d’étoiles et planètes aux noms suggestifs, qui ont évoqué dès la nuit des temps des vers immortels

« Che fai tu luna in ciel
dimmi che fai, silenziosa luna »

on peut bien comprendre la tentation, sinon la nécessité, de se plonger dans l’univers parallèle où les mêmes mots peuvent raconter voire expliquer différemment les mêmes choses.
« Je le déclare tout d’abord je suis double au suprême degré. Je souffre de dédoublement de la réalité, de strabisme intellectuel », dit autant efficacement que lyriquement dans son livre Michel Cassé. « Je ne me résous pas à l’idée que bleu est un nombre, une longueur fut-elle d’onde. Le langage des sensations (couleurs, sons, saveurs, odeurs, dites qualités secondes) est si pratique et poétique ! Du jour où j’ai obtenu une explication scientifique de la façon dont le soleil produit de photons, et du mécanisme de transformation des photons en électrons dans la rétine, je n’ai pas pour autant cessé de m’extasier devant le coucher de Phoebus à la crinière rougeoyante. Le caractère poétique des choses n’a point disparu, tout au contraire j’ai pénétré dans leur émouvante intimité atomique. J’ai l’impression de deux réalités, la réalité scientifique (sans cible, réellement, car générale) et la réalité sensible. Sans ou avec cible, je pourrais me définir comme un scientifique sensible. C’est un problème redoutable…. Parce qu’on a l’impression que les choses ne peuvent être à la fois comme la science dit qu’elles sont et comme elles sont données dans la perception ».
Donc, ces astrophysiciens généreux, qui sont aussi des écrivains extraordinaires et des poètes sensibles, ont besoin des mots soit pour mieux s’exprimer et se faire comprendre, soit pour se « consoler ».
Car rien n’est facile sous le ciel et même dans le ciel. Là-dedans aussi, il y a des mystères, des questions attendant des réponses, des guerres et de luttes de pouvoir.
Sévérin Boèce, entre 523 et 525, emprisonné et condamné à mort pour ses idées, écrit, dans un latin qui mêle la prose à la poésie, un livre mémorable, « De consolatione philosophiae », où la Philosophie, déguisée en femme providentielle et vénérable, l’aidera à se calmer, à sortir finalement de sa condition affreuse.
Dans notre cas, même si le mystère de l’infini est toujours présent dans les esprits des quatre astrophysiciens, la consolation des mots devient une nécessité surtout en certaines circonstances, où le « passage » des notions, des découvertes, ou des questions insolubles devient difficile, entre un monde et l’autre.
Comme nous dit Roland Lehoucq, ces gens de science, qui ne veulent surtout pas être laissés seuls, doivent apprendre à maîtriser « une aisance et une discrète touche d’humour qui rendraient digestes les propos les plus ardus ».

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« … et Alice Tao se souvint du futur » : un roman de David Elbaz, homme de science et écrivain

Cela dit, j’ai lu en premier « … et Alice Tao se souvint du futur » de David Elbaz (Odile Jacob 2010). Ce roman, qui n’a rien à envier à ses contemporains, m’a vraiment touché, non seulement par son élégance légère, mais aussi par sa formidable capacité d’entraîner, avec ironie et insouciance, une fonction primaire même si souvent sous-entendue : communiquer une problématique avancée et trouver dans les mots et dans l’histoire même du roman une consolation primordiale.
Sans trop entrer dans l’histoire racontée, j’ai trouvé un grand équilibre d’abord entre les personnages, ensuite entre les deux exigences dont on a parlé : celle de faire comprendre, celle de faire vivre une véritable histoire.
Un grand équilibre je le reconnais aussi dans les différents niveaux de langage que David Elbaz y a utilisé. Mais cela je le dirai après.
Le livre se déclenche, à mon avis, à partir de cette phrase :
« … le matin du vendredi 14 avril 2102, alors qu’il marchait dans la rue Cassini pour se rendre au Café de l’Observatoire, il était sur le point de tout arrêter. Il se tenait dans le prolongement de l’axe central autour duquel l’observatoire avait été bâti pour marquer le méridien d’origine, autrefois appelé la Méridienne de France, qui divisait la ville de Paris en deux parties égales. Duchemin venait de réaliser qu’il existait une analogie entre cette ligne imaginaire et la ligne de division des deux hémisphères du cerveau… »
Cette phrase, qu’on a lue dans la rencontre du 10 mai, exprime évidemment une sensibilité particulière, que d’ailleurs l’auteur synthétise dans sa dédicace : « écrire pour voir autrement ». Et qu’il exprime encore plus nettement au commencement du chapitre 9 : « l’avenir de l’humanité est-il inscrit dans son passé ? »
Le professeur Duchemin, l’homme de science qui a consacré sa vie aux recherches sur la mémoire, risque de terminer cette même vie en visionnaire inécouté. Véritable Malthus du XXIIe siècle, il préconise une amnésie généralisée qui serait engendrée par le totalitarisme de l’information et surtout du mal-information — venant d’Internet. « L’amnésie généralisée dont souffrait l’humanité devait déjà être perceptible dès le début du XXIe siècle, pourtant l’alerte n’avait pas été déclenchée. Tout au plus certains scientifiques avaient-ils émis l’hypothèse que l’utilisation intensive de l’informatique pouvait déclencher une atrophie du “muscle de la mémoire”, mais on ne les avait pas pris au sérieux. D’ailleurs, Duchemin lui-même avait été confronté à une opposition du même type. Ou plutôt à l’absence humiliante de réaction de la part de la communauté scientifique, ce qui était pire ».
D’un coup — un jour quelconque de sa vie parisienne qui ressemble en tout à la vie parisienne de nos jours du siècle XXIe —, grâce à la rencontre de Michele Marosa, un sujet dont l’anormalité est tout à fait unique et particulière, Duchemin devient l’apprenti sorcier, ou bien le Frankenstein qui ne se doute pas d’attraper l’occasion de sa vie.
Il part en Chine. Là-bas, il devient bientôt le directeur de l’UNUN, le plus grand centre de stockage de la mémoire qui n’ait jamais existé, installé juste dans les sous-sols de l’ancienne Cité pourpre interdite au centre de Pékin. En voyant les prodiges qui se vérifient régulièrement dans le cerveau de Michel Marosa, Duchemin monte sur cela une théorie et une activité qui bouleversent les certitudes et ouvrent les portes à l’espoir… Il est convaincu qu’il existe une « mémoire embryonnaire » pas seulement dans un recoin du cerveau de Michel Marosa, mais, probablement, de tous les cerveaux humains. On saura, à la fin du livre, qu’il se trompe…
C’est à ce point-ci, lors de la décision de s’installer à Pékin et d’y emmener son « monstre », qu’on fait la connaissance d’Alice Tao. Elle « habite » dans un autre siècle par rapport à celui de Duchemin et Marosa. Le 13 septembre 2008, cette femme à la « beauté mystérieuse, avec ses cheveux noirs qui lui tombaient sur le front laissant à peine l’espace à son regard de se frayer un chemin », monte sur l’avion qui la portera de San Francisco à Shanghai. Et Michel Marosa voyage avec elle, suit chacun de ses mouvements. Ils ont le même age et sont « connectés » entre eux sans se soucier des cent ans presque qui les séparent. À vrai dire, c’est Michel qui partage consciemment la vie d’Alice. Elle n’éprouve que de sensations de bouleversement, de temps en temps, qu’elle ne sait pas comment s’expliquer.
Et voilà la première remarque, très positive, que je peux faire : David Elbaz nous introduit dans cette histoire de la « connexion » entre Michel et Alice sans la formuler ni l’expliquer. Il évite ainsi toute banalisation de ce qui est découvert ou de ce qu’on découvrira.
Car le but de ce roman ce n’est pas seulement de structurer la narration par des événements vraisemblables et de la soutenir par la suspension, la peur ou le désir de suivre une histoire captivante.
Il va expliquer, à travers le personnage d’Alice — qui est une jeune astrophysicienne, consciente d’avoir observé un phénomène tout à fait inattendu et révolutionnaire dans la connaissance des galaxies, des quasars et des trous noirs —, qu’on est dans un moment très délicate. Si la découverte d’Alice Tao était « révélée » au monde scientifique, un nouveau paradigme s’affirmerait.
Avec la connaissance de Daniel, français d’origine, devenu acupuncteur avec un fort penchant pour l’exotérisme et la culture chamanique, qui deviendra le copain fidèle et fiable d’Alice, David Elbaz réalise, vers la moitié du roman, avant d’affronter les événements plus dramatiques et aventureux, une parfaite équipe multidisciplinaire, peu importe si cette équipe se réalise à distance de cent ans. Le chef est bien sûr Jean Duchemin, un professeur sur la cinquantaine, expert en matière de cerveau et de mémoire, tellement confiant de l’être aussi des méandres de la bureaucratie universitaire, qu’il se risque sur la seule parole d’un vieux chinois. Le deuxième, du même âge de Duchemin, est Jacob Zavel, un astrophysicien qui a découvert de façon tout à fait originale et insolite les « cordes stellaires » et l’énergie du Chellah. La troisième est l’astrophysicienne Alice Tao qui par ses observations de l’observatoire ESO dans le désert de l’Atacama au nord du Chili, confirmera la théorie de Jacob Zavel. En quatrième et cinquième, il faut considérer Michel Marosa, son correspondant dans l’autre siècle, et Daniel, son compagnon appartenant à la génération des jeunes hommes d’aujourd’hui.
Je ne peux pas dire plus de ce livre qui m’a vraiment passionné, soit pour l’intensité du sentiment qui l’a soutenu, un sentiment d’amour pour les humains et pour la civilisation, soit pour la capacité de faire glisser dans un langage tout à fait littéraire, les connaissances, les expériences et aussi les nombreuses et menues circonstances qui font de plus en plus croyable le tableau de la vie.

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Giovanni Merloni

« Terminus plage », un roman prémonitoire d’Alain Wagneur

13 mercredi Mai 2015

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« Terminus plage », un roman prémonitoire d’Alain Wagneur

« Richard Zamanski : un flic. Un homme brisé, qui a perdu son amour et cherche son honneur. » Se termine ainsi le premier chapitre de « Terminus plage » d’Alain Wagneur (Actes Sud, Babel noir, 2005).
Le deuxième commence comme ça : « Sur les lieux, c’est la Saint-Gyrophare. Il y a les véhicules des pompiers, des ambulances, les bagnoles de la police municipale. Toutes, feux de détresse clignotant, stationnent devant une grosse villa 1900 transformée en hôtel-restaurant ».
Nous sommes à Blainville — l’auteur nous avouera dans un entretien que Blainville est Royan —, une ville de vacances sur la rive droite de la Gironde en face de la mer. Il y a eu un incendie et l’hôtel La Capitainerie va s’effondrer dans quelques minutes.
On apprécie, dès les premiers pas de ce roman, la façon paresseuse, nonchalante et même vague de plonger le lecteur dans l’action. Car les faits se déroulent sur une scène toujours un peu décalée, du moins les événements qui ne touchent pas directement — ou pas encore – les deux protagonistes de cette « recherche de soi ».
Richard Zamanski, protagoniste principal, s’approche sans aucun enthousiasme à cette scène de fumée et de mort, qui se révèlera bientôt le lieu du meurtre d’un client de l’hôtel qui s’appelait René Martens. Il travaille ici depuis un an et, « pour un flic qui a fait toute sa carrière en DPJ à Paris, Blainville c’est la préretraite, un avant-goût de la mort, le placard avant le cercueil ! Terminus plage, tout le monde descend !  »
Avec le chapitre 4, un autre personnage entre en scène : « Jean-Claude Bertin est en train d’affecter quelques poignées d’euros à l’animation culturelle des quartiers dits sensibles… [Il est un] fonctionnaire de catégorie A, détaché à la politique de la ville » de Montgeron, une commune de la banlieue de Paris. Il va partir. À Limoges, sa mère, très inquiète, va l’obliger à une quête dont il n’avait pas besoin ni envie. Son père, un ancien commissaire de police en retraite, a disparu, peut-être le jour même de l’incendie de La Capitainerie.
L’histoire avance donc lentement. On a même la sensation que l’auteur hésite devant la cadence banale et répétitive de l’action des policiers, des sapeurs pompiers et de la justice. Un grand tourbillon (symbolisé par le gyrophare), un étalage d’efficacité qui ne dure qu’un jour. Après, la vie continue, avec les vacances, les ports de plaisance et les laissez-faire, sinon les complicités, envers certains personnages — avec en tête Ravaud, le propriétaire de l’hôtel — très bien connus et même fichés, mais qu’on épargne en certains cas, voire très souvent. Au deçà et au-delà de ce tourbillon, que d’ailleurs on ne pourrait pas aussi bien décrire que dans un « plan américain », Alain Wagneur nous promet une recherche de la vérité qui ne peut se passer de la complexité de notre vie contemporaine et des transformations dans les habitudes, les mœurs et la psychologie des personnages. C’est à cause de cela qu’il « balance » toujours la nécessité d’actions rapides et de réflexions lentes, car il faut prendre son temps, et remonter, si nécessaire, à Adam et Ève même, si l’on veut tout comprendre et faire comprendre.
C’est là aussi le pari d’une génération « compressée », celle d’Alain Wagneur, qui avait à peu près vingt ans en 1968 : une génération qui n’a pas eu de grandes chances jusqu’ici de se raconter et d’expliquer sa propre vision des choses ainsi que ses expériences… Je suis d’ailleurs convaincu que l’originalité de ce livre et de toute l’œuvre d’Alain Wagneur réside dans une halte significative qu’il interpose sagement entre la « rapidité qui haït les règles » (et aussi les règles d’une correcte communication) et la « lenteur » qui offre à celui qui expose et s’expose la possibilité de tout expliquer pour qu’il n’y ait pas de malentendus.
Cette lenteur est d’ailleurs devenue de plus en plus nécessaire, si c’est vrai, comme il est toujours vrai, que l’action du roman se déroule juste en six jours. Une action intense et tout à fait extraordinaire : « Bizarre comme l’impression de la durée peut-être élastique. Bertin fils a la sensation que les vacances de son existence durent depuis des semaines, des mois. »
Richard Zamanski, à l’âge de soixante ans presque, avait été réduit — après le sombre suicide de son dernier grand amour, Véra Trahner — à s’occuper « tout au plus de quelques cambriolages de villas inoccupées et mal protégées, quelques conneries de gamins mal élevés ». La nuit de l’incendie de La Capitainerie, il se propose pour l’enquête, mais on l’empêche.
Ce seront après des « pistes » découvertes par hasard, les fautes que les survivants à cette mort commettront, essayant d’effacer les traces de leurs réseaux illégaux, enfin ce sera un mélange d’intelligence et de fatalité qui emmènera Richard Zamanski à refermer le cercle jusqu’à arrêter la dérive des morts en série.
Mais le vrai protagoniste de « Terminus plage » est la question morale, esthétique aussi : le rapport avec l’argent, le fric, la facilité d’arriver à s’emparer d’une mallette avec un million d’euros au-dedans, la facilité de corrompre ou se laisser corrompre, la faible frontière entre légalité et illégalité, policiers et gens malhonnêtes. Tous meurtriers potentiels. (1)
Sauf Zamanski, qu’il y a un an avait frôlé le cachot pour avoir laissé son arme sur une table, et maintenant a toujours le soin de glisser son flingue dans un tiroir fermé à clé, lorsqu’il sort et qu’il ne veut pas le porter sur soi.
À l’opposé de Jean-Claude Bertin, un homme de quarante ans qui est peut-être incapable de trahir vraiment sa femme Brigitte, mais trahit enfin soi-même en devenant meurtrier parmi les meurtriers. Le fait-il pour l’argent ? Je ne crois pas. Il le fait pour plaire à son père, Philippe Bertin alias Philippe Berthier, qui depuis longtemps avait dépassé la frontière de l’illégalité, toujours en gardant le culte de son image de soi : une image de perfection et même de style.
Cependant, les deux personnages-clés, sans se connaître, travaillent ensemble, sans jamais se marcher sur les pieds.
Zamanski, de sa façon lente et systématique, découvre le « grand truc » qui liait un vaste monde de malfaiteurs internationaux tandis que Bertin junior, de façon ultrarapide, tout à fait incohérente et dangereuse aux autres et à soi-même, découvre le reste, jusqu’à rencontrer les « maîtres chanteurs » et les assassins.
Et voilà le coup de génie de l’auteur, par rapport aux romans policiers américains et aux récents polars français. Jean-Claude, fils méprisé de Philippe Bertin, ne songeant pas à aller à la police avec la prétention de tout résoudre en solitaire, ressemble à Philippe Marlowe, donc on ne doit pas s’étonner si le parcours qu’il suit est enfin plein de cadavres. D’un côté, il ne veut pas endommager son père, qui sinon finirait en prison. De l’autre, quand il était gosse, son père lui avait appris à tirer. Et, lors de sa rencontre avec Jessica Dunan, ancienne maîtresse de son père, toute l’histoire se déclenche : « — Et le chantage organisé ? C’est dégueulasse ! [avait dit Jean-Claude, au moment de la vérité.] — C’est même pas de lui ! Ça t’étonne, hein ? C’est moi qui ai eu l’idée. [lui avait répondu Jessica Duncan.] »
Ensuite, un crescendo de violence l’obligera à réagir. Mais il ne sera pas capable de s’arrêter, d’affronter un jugement, de mettre son flingue dans un tiroir et, surtout, de renoncer au fric.
Ce sera à la fin du roman, avec le dénouement de la vérité, que le rôle de Philippe Marlowe reviendra à Richard Zamanski. Car Jean-Claude Bertin, au moment donné, a cessé d’être le remplaçant d’un agent désinvolte pour devenir un criminel et Zamanski, dans la logique de cette histoire serrée et sans répit, se révèle finalement le responsable moral de toutes ces morts qu’il n’a même pas essayé d’empêcher.
Il faut d’ailleurs considérer qu’ici, comme dans les romans de Chandler, Zamanski agit contre les décisions de ses supérieurs. Lui aussi est un remplaçant. Il se charge de faire à son compte le bien qu’aucune police ne ferait jamais sur terre, tandis que Bertin « junior », le remplaçant qui continue et achève le mal entrepris par Bertin « senior », l’aidera sans le savoir jusqu’au bout.
Il faudrait préciser le rôle des autres personnages, dont quelques-uns se figent dans la mémoire du lecteur de façon très positive. D’abord Lolo, c’est-à-dire Laurence Fuzier, le lieutenant de Zamanski qui dès le début le pousse à la lutte. Ensuite : Véra Trahner, un fantôme bienveillant qui voltige sur la tête du flic ; Jacqueline Bissel (pour ne pas dire Bisset) qui est juste sur la frontière dont on a parlé et peut donc donner beaucoup de suggestions à l’enquêteur distrait et rêveur ; Robert Vautier, ancien commissaire de police à la retraite, associé de Philippe Bertin-Bertier dans son agence d’investigation privée, qui s’était arrêté lui aussi sur le bord du gouffre sans s’y jeter. Dans le portrait de ce dernier personnage, on profite d’ailleurs d’une très belle description, apparemment oisive : un train électrique frôlant la perfection, avec tous ces particuliers de la vie de tous les jours — et même des amoureux sur les bancs publics —, que Vautier entretenait avec un soin tout à fait particulier.
Tous les 25 commencements des chapitres de ce livre généreux et sublime sont eux aussi très beaux. Je vous cite, à titre d’exemple, les premières lignes du chapitre 17 : « Sur la falaise que longe un chemin, le chemin douanier évidemment, parmi les yeuses soumises au vent, c’est un petit bâtiment administratif fin XIXe, semblable à une école de village. Au-dessus de la porte d’entrée, il y a un pignon sur lequel flottent les trois couleurs. »
Une merveilleuse curiosité pour les architectures et les paysages entre Landes, Charente et Belgique, qui changent au milieu d’une singulaire monotonie. Toujours au moins deux niveaux de lecture, deux mondes en lutte entre eux : les parcours terrestres des bagnoles plus ou moins luxueuses de Zamanski et de Bertin Junior et le parcours maritime de ce Sealion, lion de la mer, qui sortant des eaux territoriales gagne toujours l’impunité…

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En se plongeant dans ce monde abîmé qui risque d’un moment à l’autre de devenir complice envieux et pas toujours inconscient de crimes de plus en plus effrayants, Alain Wagneur nous indique une route difficile et périlleuse, mais enfin l’unique possible si l’on veut sauver la société humaine et sa culture : éviter d’abord toute complicité visant à s’approprier de l’argent et du pouvoir de façon malhonnête ; se soustraire au chantage ; ne pas hésiter lorsqu’on peut dire ce qu’on sait et faire ça publiquement. C’est drôle et exaltant aussi de retrouver tout cela dans un livre qui semblait d’abord raconter de façon objective un monde qui va « hériter » de la société américaine de nos jours l’aspect le plus dégoûtant ; un livre qui nous décrit, par contre, un monde qui résiste : la France des bonnes valeurs qui pourtant existe !
Un roman passionnant et très bien écrit, savamment structuré, soulagé aussi par une charmante multitude de petites transgressions. Un « polar » qui devient « roman » avant de redevenir « polar », comme une vague qui se cogne et se retire depuis.

Giovanni Merloni

(1) Quand j’avais écrit ce commentaire, on était encore loin du scandale de l’hôtel Sofitel à New York et de successives révélations et procès autour des rencontres près du Carlton de Lille ayant comme protagoniste Dominique Strauss Kahn. Au-delà de tout jugement personnel, cela nous a obligés à voir et entendre jusqu’à quel point l’argent et le pouvoir peuvent conduire les hommes. Dans la « fiction » de ce roman « prémonitoire », tout cela est raconté en avance, avec presque les mêmes détails que les successives téléréalités nous ont confirmés un à un par le menu.

G.M.

« Un hiver avec Baudelaire », le premier roman d’Harold Cobert

12 mardi Mai 2015

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« Un hiver avec Baudelaire », le premier roman d’Harold Cobert

En me souvenant avec un grand plaisir de « L’ entrevue de Saint-Cloud » et de l’image croissante de Mirabeau, de cet « homme vrai et courageux » qu’on peut bien considérer comme « un de nous-mêmes »… j’ai récemment acheté le premier roman d’Harold Cobert, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2009.
On ne devrait peut-être pas lire à rebours les livres d’un auteur qu’on découvre, en partant du dernier publié. Est peut-être à cause de cela qu’avant de toucher ce très beau roman je songeais une rencontre imaginaire entre Harold Cobert et Baudelaire, en personne ou à travers une de ses œuvres.
Je suis resté donc surpris pour la terrible réalité du sujet et, je l’avoue, un peu méfiant aussi, pendant les premières pages, devant cette façon rapide et apparemment inélégante de raconter cette histoire.
L’unique chose que j’avais immédiatement remarquée c’était la dimension très exiguë des chapitres qui avaient dès le commencement des titres poétiques.
Cela m’a beaucoup soulagé. J’y ai retrouvé un peu la structure du « Spleen de Paris » et j’ai compris que cela aurait bien tôt eu un rôle dans cette histoire.
Moi je suis habitant de Paris depuis quatre ans, après y être venu plusieurs fois en touriste. En ces dernières années, je me suis formé une vision de Paris assez schizophrène, dans laquelle la présence constante des sans-abri – avec une « modernisation » qui prend en France aussi des allures de plus en plus « américaines », voire cyniques — m’a toujours suscité de réflexions très sérieuses. Dans mon sentiment actuel de la France et de Paris, il y a quand même la sensation que quelque chose de positif bouge toujours. D’un côté l’histoire et la forte identité « solidaire et progressiste » de la France. De l’autre côté un petit jeu statistique entre le bien et le mal, les hommes méchants et les hommes généreux. Tout cela me fait toujours espérer que même dans une grande capitale où tout arrive – et tout peut arriver – on peut « enfin » s’en sortir, retrouver une vision joyeuse et équilibrée de la vie, partagée avec nos semblables.
Cela dit, je me reconnais sans réserve dans l’esprit de ce livre, qui évoque, sans jamais le nommer, l’esprit des « Fleurs du mal ». Est-ce une coïncidence, à ce propos, que la péniche où Philippe Lafosse, le protagoniste, trouvera la façon de se sauver s’appelle justement « Le Fleuron » ?
Le grand intérêt de ce roman est justement dans le langage. Un langage sec, rapide, parfois bureaucratique, dépourvu de poésie lorsqu’il doit décrire la descente dans l’enfer, le terrible labyrinthe de l’horreur et tous les menus détails d’une méchanceté « du système » qui semblent organisés pour rendre les hommes incapables de réagir et de s’en sortir. Mais dans cette « masse grise », quelques cailloux lumineux apparaissent de temps en temps. C’est le fil d’Arianne de la poésie, voire de l’espoir, ou bien des voix rassurantes qui viennent de la profondeur de l’âme.
Car enfin Philippe sortira du labyrinthe grâce à des « dieux » qui l’aideront spontanément. En réalité, ce sera la poésie qui l’aidera à remonter. Cette poésie qui lui appartient jusque des premiers moments du récit.
Face aux difficultés, Philippe se renferme en soi même. Il ne veut pas déranger sa mère ni d’autres personnes et, même s’il glisse de plus en plus dans le gouffre, il ne crie jamais au secours. Il veut garder son esprit libre et la force nécessaire pour défendre son petit espace consacré à la fantaisie : déjà, quand il racontait la fable du prince et de la princesse à sa fille, il se trouvait piégé dans une situation douloureuse et sans issue. La fantaisie l’aidait à garder un provisoire équilibre entre ses sentiments. Et le fait que sa fille partageait sa rêverie et ne l’abandonnait jamais c’était la démonstration de l’importance de la fantaisie pour un homme linéaire comme Philippe, mais aussi pour une foule de lecteurs, peut-être beaucoup moins cohérente que lui, qui le suivra fidèlement comme des chiens.
Le chien nommé Baudelaire entre vivement dans la pénible histoire de Philippe – presque à moitié lecture — quand elle semble toucher le fond. Il risque d’être blessé ou même tué par des clochards plus anciens que lui, qui défendent leur coin comme une meute. Baudelaire avait déjà essayé deux fois de se faire adopter, mais Philippe n’était pas dans la condition – bonne ou désespérée – pour l’emmener.
Lorsque le chien attaque et sauve son nouveau patron, le lecteur marque un changement d’humeur immédiat. Philippe n’est plus seul. En même temps, le langage change, en devenant de plus en plus poétique. Symboliquement, l’auteur se substitue pour un moment au chien sauveur en devenant une véritable étoile comète. Philippe va connaître celui qui a baptisé Baudelaire son chien et trouver aussi, près de lui et sa femme Fatima, une nouvelle famille.
Mais ce crescendo de poésie et de petite, timide redécouverte de la joie de vivre ce n’est pas une fable.
Le message du roman est clair : pour devenir homme et garder son esprit sentimental, voire mélancolique, Philippe doit s’évoluer. Sans oublier ses contes de princes et princesses qui sont devenus son secret intime partagé avec sa fille Claire, il doit monter à la surface de la vie se confiant à la poésie de Baudelaire. Une poésie où le lyrisme et l’amour pour le vers musical et classique ne se séparent jamais de la conscience de la douleur, voire de l’horreur qui toujours accompagne nos destins.

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Giovanni Merloni

Mirabeau et Marie-Antoinette dans « L’entrevue de Saint-Cloud » d’Harold Cobert

11 lundi Mai 2015

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001_mirabeau cobert 003 180 Mirabeau et Marie-Antoinette dans « L’entrevue de Saint-Cloud » d’Harold Cobert

C’est un vrai plaisir pour moi de rencontrer des auteurs cherchant leur parcours original — en contre-tendance vis-à-vis de la demande courante de minimalisme — sans reculer devant à la responsabilité de se rapporter — soit en termes de rythme et de métrique, soit en termes de langage — aux grands poètes et écrivains français du XVIIIe, XIXe et XXe siècle. J’apprécie en plus, de façon particulière, les jeunes auteurs qui donnent vie à des personnages adultes qui, en gardant un regard naïf et inconscient sur la vie, ont quand même un « vécu » important où puiser pour y trouver la sagesse et le bon esprit pour réagir aux passages noirs de la vie. À ce propos, le choix du personnage de Mirabeau que fait Harold Cobert dans « L’entrevue de Saint-Cloud » (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2010) est très intéressant. Un homme qui avait tous les atouts pour aspirer, sinon à la gloire, à la reconnaissance, du vivant, de ses immenses mérites. Mais tout Paris était jaloux de lui, surtout à cause de ses rapports privilégiés avec les belles femmes. Même la reine de France, peut-être parce qu’elle était obligée de faire front à plusieurs questions qui auraient du toucher au roi son mari, même Marie-Antoinette, vis-à-vis de Mirabeau, oubliait d’être une femme et préférait le condamner plutôt qu’en considérer les bonnes intentions. L’auteur as une véritable sympathie – que je partage sans réserve — pour ce connaisseur de l’âme féminine, combattant de milliers de batailles d’amour. Car il est devenu — à travers ses batailles — tellement connaisseur de la vie et des hommes qu’il se sente le devoir absolu de se sacrifier pour la santé de son pays. J’ajouterai que Mirabeau travaille contre ses intérêts, donc qu’il ne cherche pas du tout la gloire. Il veut sauver la monarchie parce qu’il est convaincu qu’il est le seul français capable d’une semblable « acrobatie ». Il est donc conscient de se consacrer à un héroïsme que la gloire ne reconnaitra pas. Ou bien il est un antihéros, qui considère soi-même la seule carte disponible pour sauver la reine et sauver en même temps la monarchie en France. Donc, il fallait absolument convaincre Marie-Antoinette. Il est aussi convaincu qu’une femme est toujours une femme. Ses efforts resteront vains. Il ne réussira pas. Il payera un prix énorme dans sa brève vie et la postérité mettra toujours en discussion sa gloire. Mais son échec avec la reine n’est pas la conséquence d’une faute dans sa ligne de combat ou d’une approche moins que raisonnable. C’est Marie-Antoinette qui ne veut pas comprendre ses raisons, certes à cause de cette situation dramatique où elle se trouve. Ou bien elle ne raisonne pas seulement comme une femme. L’unique autorité qu’elle pourrait reconnaître à Mirabeau est dans le domaine des conquêtes galantes. Mais elle est doublement jalouse de cela. D’un côté à cause de son naturel féminin ; de l’autre à cause de l’attitude masculine qu’elle a acquise en conséquence de la lâcheté de Louis XVI. Ce qui m’a intéressé dans ce livre – au-delà des études précédentes d’Harold Cobert sur ce personnage, que donc il connaissait déjà — est le choix d’avoir considéré surtout l’importance des nombreuses « couches » d’expérience qui ont fait de cet homme, encore jeune, un homme sage. La sagesse peut-elle venir de l’expérience directe de la vie plutôt que d’une activité incessante de justes lectures et brillantes réflexions ? D’où rayonne la petite lumière qui nous fait parfois deviner les plus hasardeux mystères de la vie ? Je partage donc le profil d’homme sage et généreux que Cobert a choisi pour Mirabeau — et j’y trouve une façon moderne de faire revivre — comme si c’était à nos jours — ce monde du XVIIIe. En plus, Mirabeau, vrai ambassadeur entre les deux sexes, n’a jamais l’air d’un gigolo au genre de Valmont avec la marquise de Merteuil ni se prend pour un antiroi comme Marc-Antoine avec Cléopâtre. L’histoire humaine est pleine, en fait, d’hommes de génie que la passion pour les femmes a obligés à renoncer aux rôles principaux. Le phénomène de Mirabeau ouvre les portes à de nouvelles réflexions sur le rôle de l’amour — cette chose apparemment privée et tout à fait cachée – dans la formation de l’histoire. Je serais tenté, par exemple, de faire une petite comparaison entre Mirabeau et Gainsbourg… Un autre aspect de ce livre m’avait touché : le double jeu, qui coûtera au corps de Mirabeau le virement du Panthéon, est, dans ce livre, la seule condition pour sauver une certaine idée de la France qui aurait pu donner, peut-être, une différente suite à la Révolution. Cela ouvre aussi les portes à une réflexion sur l’importance du facteur humain dans les moments cruciaux de l’histoire…

002_mirabeau cobert 004 180 Giovanni Merloni

Le cahier rouge de Louise et sa vie contrariée II/II, un roman de Corinne Royer

09 samedi Mai 2015

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Le cahier rouge de Louise et sa vie contrariée II/II, un roman de Corinne Royer 

L’étranger
« Il hésitait. Comment partir sans rien savoir de Louise ? Tant d’attachement à cette femme jusqu’alors inconnue lui inspirerait forcément un retour sur cette terre protestante, aux confins de l’Ardèche et de la Haute-Loire, avec ses maisons aux toits de lauze, ses murs de pierre grise, ses hameaux raturés, les lieux d’un crime qu’il n’avait pas commis, mais dont il se sentait pourtant coupable. »
Avec cette phrase énigmatique, l’Américain James Nicholson entre en scène, révélant déjà l’incertitude et le fatalisme de son caractère, mais aussi l’attachement acharné à ses mémoires familiales, voire à ses origines encore nuageuses. Il est l’étranger tombé du ciel, mais aussi le fils prodigue qui revient à sa terre paternelle après avoir gaspillé sa fortune ailleurs. Il repartira bientôt, comme Ulysse, pour son Ithaque américaine, mais, avant, il doit descendre dans l’Enfer et se donner une pause revitalisante avec la belle Nausicaa.
Il est accueilli avec l’enthousiasme aveugle des uns et la méfiance aveugle des autres, dans ce village au cœur de la France à l’apparence insouciant ou traversé de tous les maux contemporains. Ici, encore de nos jours, restent vifs le chagrin et la rage impuissante vis-à-vis des dix-huit enfants disparus une nuit dans le bois, lors de l’Occupation nazie, jamais plus retrouvés depuis. Dans son inguérissable humanité, James Nicholson voudrait toujours savourer la vie comme des œufs à la neige ou de la crème anglaise, cependant son attachement à sa grand-mère retrouvée lui donne un sursaut d’orgueil. Il se sent coupable de ce « trou » dans le cordon humanitaire qu’il appelle crime. Il craint peut-être que Louise, sa grand-mère, en soit de quelque façon responsable.

La résidence des Sycomores
Cet étranger paresseux et maladroit, mais très honnête quant aux sentiments, arrive tard à la résidence des Sycomores, maison de retraite où Louise Sorlin l’avait longuement attendu, en brodant ses vraies initiales — J.H. au lieu de J.N. — en espérant ainsi de recoudre la terrible déchirure qui avait marqué sa vie. Il trouve sa grand-mère morte, entourée de très faibles signes de sa longue vie. Un monde prêt à devenir cendre à cacher dans un columbarium. Il ne veut pas de cette disparition totale, même s’il lui incombe de se charger des frais : « — incombe, madame, incombe… il faut le faire rimer avec colombe… Il faut y réfléchir. » En affrontant ses devoirs de petit fils au rythme intérieur de cet « incombe-colombe, incombe-colombe » qui résonne dans sa tête, l’Américain révèle son âme sensible, tandis que l’auteure révèle, elle aussi, un penchant pour la rêverie qui nous aide à trouver les justes mots pour affronter les joies et les douleurs de la vie. En tout cas l’Américain n’est pas descendu inutilement de son avion : « Dans l’autre tiroir, une montre, un foulard en soie bleu, un cahier rouge. Machinalement, James Nicholson s’était emparé du cahier. Il était retourné sur le lit, avait calé son dos avec un oreiller. Louise, elle, avait pour habitude d’en disposer trois sous sa tête… Un fils, Louise avait eu un fils qu’elle n’avait pas vu grandir. Cette absence l’avait à jamais privée d’air, elle l’avait laissée suffocante, essoufflée au moindre geste, à l’aube de ses dix-sept ans. Calé contre les oreillers qui dégageaient une forte odeur d’eau de Cologne, il avait ouvert le cahier. Sur la première page courait une écriture à l’encre bleue, serrée, légèrement anguleuse : « À mon fils, aux enfants qui seront les siens » »

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La chambre dix-sept
« Sur le rebord de la fenêtre, James Nicholson restera, immobile, regard coulant au loin par-dessus les toits. Nul ne saurait affirmer qu’il perçût réellement la voix de Nina ni même la berceuse melliflue des mots sur ses lèvres. La voix de Nina, pareille à la lecture du menu du jour. »
Dans la chambre dix-sept de l’hôtel One Toutou, il n’y a pas le vicomte de Valmont à l’écoute de la voix candide et affolée de Cécile de Volanges, même si tout le monde le pense.
Bien sûr, l’Américain, venu à Chambon-sur-Lignon pour connaître sa grand-mère française, a jugé Nina, la serveuse de l’hôtel et du restaurant, adaptée au rôle de liseuse du cahier rouge qu’il a trouvé dans un tiroir de la maison de retraite des Sycomores, où Louise Sorlin venait juste de mourir. Il n’a pas l’esprit pour s’adonner aux plaisirs qu’une jeune paysanne lui voudrait spontanément offrir. Il « doit » savoir.
De l’autre côté, même si elle a été véritablement foudroyée par la vision de cet étranger tombé du ciel, Nina ne peut pas se dérober à sa fonction de vestale du feu sacré : elle aussi avait connu la glorieuse Louise.
Donc, l’histoire d’amour entre Nina et James Nicholson reste suspendue. Elle n’a pas pu exploser déjà le premier soir, lorsque Nina, tout emportée et sûre de soi, était montée à l’étage. Elle se concrétisera peut-être après, quand la lecture sera finie. Du moins, le lecteur s’attend à cela.
Après un premier chapitre consacré à la « descente sur les lieux », c’est avec cette invention géniale de la lecture décalée du « cahier rouge » que La vie contrariée de Louise prend le large.

Nina et Pierre  
Petit à petit, suivant les histoires parallèles — celle de Louise, Franz et Virginia Hall ; celle de James Nicholson, Nina et Pierre ; mais aussi celle de Gerlou avec la belle Canelle, celle d’Antoine et du croque-mort aimant de la vie —, on comprend combien le Chambon-sur-Lignon d’aujourd’hui est encore étroitement lié à son passé. On comprend aussi, au-delà de l’héritage de la miraculeuse solidarité qui a soudé une entière population contre l’Holocaust, que les hommes et les femmes sont toujours les mêmes, chaque microcosme reproduisant dans le bien et dans le mal des caractères qui se répètent à l’infini.
Deux personnages de nos jours, Nina et Pierre, sont essentiels pour ce qu’en langage théâtral on appellerait d’abord l’intrigue, enfin le dénouement du roman de Corinne Royer.
Nina, serveuse au One Toutou, est appelée de son ami Pierre, une femme « facile ». Je dirais qu’elle n’a pas peur de suivre son naturel parce qu’elle a une force en soi-même, parce qu’en fin de compte elle « sait ce qu’elle veut ».
Pierre, au contraire, ne dispose que de sa force physique et de la bienveillance des habitants du village que nous rencontrons soit parmi les clients du One Toutou, où Pierre va souvent, soit parmi les vieilles dames hébergées dans la résidence des Sycomores, où il travaille.
Avant l’arrivée de l’Américain, les deux fiancés se rencontraient de façon très spontanée et peut-être sans se poser trop de questions. Nina suivant son attitude généreuse. Pierre en conséquence de ses limites graves.
Donc, tandis que dans la chambre dix-sept du One Toutou Nina fait revivre à son petit-fils Louise Sorlin et tout le monde qui était autour d’elle, Pierre, en plus d’une jalousie tout à fait compréhensible envers cet étranger séducteur, révèle un côté sinistre. En fait, agissant d’une façon que seule la maladie mentale peut justifier, avec le manque d’attention de tous ses collègues des Sycomores, Pierre « aide » la vieille Louise à mourir : « Elle avait montré à Pierre les trois oreillers, lui avait demandé : Aide-moi mon p’tit, aide moi… Il avait appuyé sur les oreillers sans excès. Les mains de Louise avaient à peine bougé, elle avait gaspé quelques secondes comme un lièvre pris au collet, sa jambe droite s’était légèrement rétractée avant de se détendre pour toujours. La gauche ne bougeait plus depuis longtemps. »
Après cette mort — qui est bien sûr à l’origine de la découverte du cahier rouge, donc du « rite » de la lecture des mémoires de Louise —, Pierre alterne son « aide » aux vieilles pensionnaires des Sycomores par une quête, de plus en plus affolée, d’une bonne raison pour continuer à survivre. Tout à fait complémentaire à Nina, qui agit à travers Louise, Pierre parcourt en long en large, comme une âme en peine, les mêmes lieux qui furent théâtre des actions de désobéissance civile au temps de l’occupation. Jusqu’à rencontrer les traces de Virginia Hall, maîtresse de vie pour Louise et lumineuse figure de la Résistance. Qu’aurait-il fait le pauvre Pierre, survécu à l’âge de huit ans à un accident terrible qui lui avait lourdement endommagé la parole, qu’aurait-il pu faire si cette Nina ainsi belle que forte restait avec lui ?
Quant à Nina, elle est enfin la figure dominante du livre. En passant du rôle de témoin à celui de protagoniste, elle « devient » Louise jusqu’au point de prendre sur soi la responsabilité de connaître la vérité et de s’y positionner. Tout de même que la femme d’Aveuglement de José Saramago qui, seule à garder la vue, finit pour assumer le rôle de guide et de salvatrice : « Vingt et une heure quinze, une ligne droite, parfaite. Pourtant Nina ne parvient pas a y voir autre chose qu’un fil de funambule, très haut tendu entre son affection pour James Nicholson et l’atrocité de l’histoire qu’elle devra lui révéler… Elle lui dira : Tous les enfants sont morts. Elle le lui dira ainsi, sur le ton de la lecture du menu du jour, et après, tout de suite après, elle ajoutera : C’est quoi votre parfum ? Ou alors, elle le dira d’une seule traite : Tous les enfants sont morts c’est quoi votre parfum ? »
Voilà, avec ce petit jeu de mots, qui nous rappelle les nombreuses perles poétiques du récit de Louise, Nina assume son destin. Elle ne cachera pas son amour à James Nicholson, son Franz américain. Car, entre toutes les vérités qui se sont petit à petit révélées, celle de son amour est bien sûr la plus importante.

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Le cahier rouge de Louise
Le drame des dix-huit enfants aurait-il pu être évité ? L’histoire racontée dans ce roman nous l’explique. Même si de façon imparfaite, l’amour coupable, mais tout à fait sincère de Louise envers Franz avait emmené ce dernier, pour une fois, à faire une bonne action, en soustrayant les dix-huit enfants à la déportation. Mais celle de Franz ne fut malheureusement qu’une action à moitié, que Louise aurait dû accomplir, si elle en avait eu la possibilité.
« Les Ogres étaient entrés au foyer des Lunes. Ils n’avaient découvert que des lits vides, encore chauds, mais ils avaient une liste de dix-huit noms, et le ton était monté. Ils ne repartiraient pas sans dix-huit enfants. Ils avaient menacé… Franz était là. Il parlait la langue barbare des Ogres et mimait leurs gestes brusques… Franz mon amour. Sans ces mots je me lèverais subitement, j’attraperais le grand couteau de boucher dans le tiroir du bas, je le planterai dans ton cœur. Et j’attendrais de savoir si j’ai mal. J’attendrais de savoir si j’étais là. Dans ton cœur… Magda à fait prévenir mon père… Il a tendu mes papiers. Puis il a traversé la pièce, jusqu’à Niels… Je me suis d’abord rassasiée de cette image…. Puis j’ai haï cet homme donnant en spectacle l’affection paternelle dont je l’avais toujours cru dépourvu… J’aurais voulu ne pas être sa fille. J’aurais voulu ne pas avoir ces papiers-là. Ne pas porter son nom. »
La scène suivante est digne de Kapo, l’inoubliable film de Gillo Pontecorvo :
« Magda a distribué des sacs remplis de saucisson, de fromage et de pain frais. On a même déniché quelques tablettes de chocolat… Les enfants pleuraient. Derrière les vitres, peu à peu, la buée les recouvrait… Niels me faisait un petit signe de la main… Jamais je n’avais vu les si grands yeux vides de Niels… Nous n’avons pas cessé de chanter, puis le miracle s’est accompli… Nous avons couvert de nos chants la langue barbare des Ogres qui nous invectivaient. Nous avons pris chaque enfant par la main, les avons fait sortir, l’un après l’autre, calmement… Soudain Niels à dégagé sa main. Il est remonté dans l’autobus… J’ai consenti, Niels, j’ai consenti à ton sacrifice…
C’est à ce moment là que le drame se figea dans tous les présents avec un sentiment de non-retour. Tout était perdu, les gens du village étaient tous avec Niels, l’esprit plongé dans l’antichambre de la mort. Cependant, comme il arrive souvent dans les tragédies classiques, un fait inattendu brise l’attention. Un objet s’affiche à la forte valeur symbolique : un pendentif avec un médaillon. Combien d’amoureux s’échangent leurs pendentifs ! C’est un rite ancestral très diffusé. En tout cas, s’il n’y avait pas eu une raison de vie ou de mort, Franz n’aurait pas poussé son désir de signifier son amour à Louise au-delà de toute prudence…
« Franz a fendu la foule. À ma hauteur, il a arraché le pendentif qui flanquait sa poitrine. Il l’a glissé dans ma poche… Il s’est retourné en criant : « Sieh drinnen nach ! »… Mon père m’a attrapée par le bras et nous avons traversé la foule silencieuse… Dans la cave, il m’a craché au visage. Puis avec une manche de fourche, il m’a battue jusqu’au sang… J’ai pensé aux enfants de la forêt, ceux que les Ogres n’avaient pas dévorés, mais qui devaient être rongé par la peur et le froid. »
Enfermée dans la cave, inquiète pour les premiers signaux d’une grossesse qui devenait de plus en plus certaine, Louise avait oublié le pendentif. Quelques jours après l’irruption bénéfique et salvatrice de Virginia Hall, Louise commence à regarder plus sereinement sa vie : « À qui vais-je donner naissance ? Les arbres et les fleurs savent à quoi ils vont donner naissance. Et moi, je l’ignore. J’ignore même en quoi consiste le fait de donner naissance… Cette phrase qui annonce le départ de Virginia, tard dans la nuit : Le requin a le nez tendre… La pire monstruosité peut receler un soupçon de tendresse… J’ai demandé à Virginia ce que signifiait Sieh drinnen nach. Virginia a souri : « C’est la plus belle chose qu’on puisse dire à quelqu’un qu’on aime. Cela signifie Regarde à l’intérieur. » »
Le jour venu de la naissance de son fils, Louise l’appelle Regarde-à-l’intérieur avant de le confier, comme avait fait Fantine avec la petite Cosette des Misérables à une dame à la capeline en train de partir en Amérique. Après quelques temps on reparle du médaillon. « Aujourd’hui, j’ai raconté à maman les mots de Franz lorsqu’il m’a tendu le médaillon. Et elle n’a rien trouvé d’autre à répondre : — Et alors, tu as regardé à l’intérieur ?… Elle a ouvert le médaillon… « Louise. Ai trouvé les enfants dans la forêts. Les ai mis dans les sous-sols de la Châtagneraie… Prends soin de toi. Et des enfants. Je ne sais pas quand la guerre sera finie. Je sais que je l’aurai gagnée à ma façon. Franz. »… Il aurait fallu ouvrir le médaillon avant. Bien avant. Maman l’a dit. Bien avant… Pourquoi n’en avais-je pas parlé à mon père ?… »

Giovanni Merloni

 

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