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En quête d’un rythme, loin de la citadelle autodestructrice (débris de l’été 2014 n. 20)

18 jeudi Sep 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits

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Débris de l'été 2014

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En quête d’un rythme, loin de la citadelle autodestructrice 

Si je devais trouver le coupable — c’est-à-dire l’éminence grise (le « padrino ») qui a voulu tisser la trame de mon destin en décidant qu’il devait y avoir une déchirure, une rupture, une séquelle particulière d’événements révolutionnaires se traduisant dans l’acte concret du déménagement radical et définitif —, je choisirais peut-être parmi d’autres boucs émissaires La foule de Bordeaux, ce manuscrit « arche de Noé » dans lequel j’avais tout chargé.
Pas seulement les couples réguliers irréguliers, mais aussi leurs fantômes et débordantes fantaisies.
En fait, une véritable foule (de Cesena ou de Bordeaux ; de Rome ou de Bologne) sont spontanément montés sur ce vaisseau corsaire, dans l’espoir, même pas trop caché, de se sauver, de se couper les ponts derrière, pour entamer une nouvelle vie loin de la citadelle asphyxiante et auto destructive.
Maintenant, en refermant le livre, je me rends compte qu’il était comme un billet d’amour. Une sérénade à la belle Aquitaine. Une révérence à la lueur tiède d’un réverbère. Car en fait cet amour sans bornes, cette passion historique et géographique… tout cela a été primé par un accueil chaleureux ainsi que par une affection constante dans le temps.
Bien évidemment, tous les soins et toutes les fêtes ont été apprêtés juste pour moi, le capitaine du navire. J’ai eu la chance d’être admis dans les salons ou invité dans les hôtels particuliers. Les gens de l’équipage ne faisant qu’un avec les passagers anxieux de liberté ont été au contraire abandonnés à eux-mêmes, suivant les caprices des vents et des marées.
Le manuscrit, avec sa couverture en bois, flotte encore. Cependant, plusieurs pages — mouillées, déchirées, pourries ou simplement collées les unes aux autres — ont perdu leur ancienne splendeur. Je suspecte par exemple que les personnages mineurs y ont pris le dessus, tandis que Julien Charpentier…

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Bordeaux, 2006

Et pourtant entre 1996 et 2006 dix ans étaient déjà passés… Comme je vous ai raconté, en juillet 1996 j’eus finalement l’occasion de piétiner moi-même les rues de Bordeaux, de grimper sur le Pey Berland et sur la Dune de Pylat… Je fus accueilli dans la glorieuse maison au numéro 7 de la rue Ségalier, ainsi qu’hébergé dans une villa près de Saint-Jean d’Illac, elle aussi destinée à rentrer dans mon imaginaire flottant à la dérive dans la mer redoutable de la littérature.
Dix ans depuis, le Testament immoral (Testamento immorale) dont j’ai publié ici les premiers quatre chapitres) sortit en mai 2006. Ce fut mon dernier acte créatif avant de quitter l’Italie. En septembre, à la veille du départ du grand camion GONDRAND avec nos choses, j’avais d’ailleurs presque achevé une troisième version en italien de la « foule ».
Entre la première ébauche en italien et cette troisième version, la question de la traduction (et de tout ce que cela comporte) a eu un rôle primordial ainsi qu’un poids décisif et excessif.

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Bordeaux, place de la Victoire, 2006

Je ne vais pas vous ennuyer avec la liste des nombreux passages de cette « odyssée ». M’inspirant au livre qui me toucha énormément pour sa vitesse presque frénétique, Moll Flanders (de Daniel Defoe), une vitesse qui n’enlevait rien à la force vitale et romantique de la narration, j’essayerai de vous conduire dans ce monde fou où les gens stupides peuvent paraître très intelligents tandis que les gens exubérants, au contraire, doivent tôt ou tard se rendre à l’évidence de leurs incapacités.
Voilà, la course à obstacles démarre. Je rentre de Bordeaux et je reprends la tranche de livre que j’avais abandonnée. Avec les suggestions de la ville du XVIIIe et le souvenir d’un visage féminin glissé derrière une vitre, je profitais de toutes les fissures temporelles que mes engagements graves et solennels me laissaient. Mon ordinateur domestique m’aidait beaucoup, celui du bureau, dans les demi-heures creuses, aussi. En fin 1997, mon amie Sylvie, dans l’enthousiasme béat de me croire sur la parole un écrivain qui mérite… porta une copie de mon premier manuscrit à la librairie Mollat. Là, elle avait sympathisé avec Isabelle C., l’attachée de presse. En février 1998 le même manuscrit obtint le prix Frontiera, un prix international animé par des journalistes. Un de membres du jury me conseilla quelques « éditeurs italiens de qualité », mais ma proposition tomba dans l’indifférence générale. Quelques mois après, un éditeur de Cesena publia Il quarto lato (Le quatrième côté), le livre jumeau de la « foule ». Conforté par cette deuxième reconnaissance, et par le relatif succès rencontré parmi les lecteurs, je trouvai le courage d’appeler au téléphone la librairie Mollat. Très gentiment, Isabelle C. me dit que le libraire-éditeur ne publiait pas de roman. « Mais, ce livre vient d’obtenir un prix littéraire ! » insistai-je. « Oui, c’est dommage, me répondit-elle. En fait, notre lectrice franco-italienne était enthousiaste… »
Il me suffit de cette dernière phrase, après réflexion, pour rappeler de nouveau la pauvre attachée de presse. Elle me donna sans problèmes le numéro de cette lectrice, destinée à rentrer depuis peu dans le cercle de mes amitiés les plus strictes.

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Paris, les Halles 1998

En août 1998, après une visite plus fouillée de Bordeaux et de ses alentours avec ma femme et ma fille, je me rendis pour quelques jours à Paris. Là, je rencontrai cette lectrice et traductrice en français… mais par une mystérieuse séquelle de petites circonstances assez banales et pourtant incroyables, nous ne parlions pas du tout de mon livre ni de mon rêve. Je ne me rappelle même plus la raison pour laquelle je renonçai alors à poursuivre cette piste…
L’année suivante, en 1999, une chère amie romaine me présenta Jean-Marie. Ce jeune homme de Bordeaux était venu tout seul en Italie, à pied ou en autostop, après avoir quitté bruyamment sa famille à l’âge de dix-huit ans. Quand je l’ai connu, il venait juste de se marier avec une jolie femme originaire d’une des communes de la côte d’Amalfi, au sud de Naples. Jean-Marie écrivait des poèmes et plaçait Victor Hugo au sommet du piédestal. Il accepta de traduire mon livre même s’il était alors un peu tortueux déjà dans la langue italienne. Ce fut un long et passionnant travail que je dus interrompre à plusieurs reprises pour manque d’argent, mais aussi pour la survenue de nouveaux projets. En janvier 2000, je publiai en fait mon deuxième livre, Roma città persa (Rome ville perdue), avec une petite maison d’édition. Gaetana Pace, la patronne, était une poète très poignante et combative. Elle avait fort aimé mon texte, affichant un intérêt de plus en plus évident pour mon travail littéraire. Ce fut elle qui publia mon premier recueil de vers (Il treno della mente, Le train de l’esprit), s’intéressant aussi à ma « foule » ondoyante et incertaine.
En août 2001, Sylvie insista pour que nous vinssions à Paris. Une de ses amies vint à Rome passer ses vacances dans notre appartement tandis que nous habitions rue Keller, à deux pas de place de la Bastille. Je croyais être dans une phase avancée de la traduction du « livre français » dont j’avais amené une ébauche… mais une douche écossaise m’attendait. D’abord, une lectrice parisienne trouva que là-dedans il n’y avait pas « l’intelligence du texte ». Ensuite, rentré à Rome, Gaetana me dit qu’un personnage, Théophile, ne lui semblait pas suffisamment exploité.

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Bordeaux, 2006

Voulez-vous savoir la suite ? J’ai retravaillé le texte avec l’aide de Jean-Marie et de Philippe, mon ami expert du Bordeaux néoclassique, qui nous avait hébergés pendant dix jours en 1998 dans son appartement de la rue Ségalier. Évidemment, mon penchant et même passion pour la langue de Mauriac et de Gide ne pouvait pas suffire, dans les années 2001-2002, à remplir les vides, à trouver les nuances, à maîtriser le rythme. J’avançais, envoyant des mails à Jean-Marie et à Philippe, qui me répondaient bien sûr… mais ce n’était pas un triangle parfait.
D’accord avec Philippe, on décida quand même d’envoyer le livre à un certain nombre d’éditeurs, dont la plupart ne répondaient pas. Ce fut à ce point là que Gaetana insista pour que je publie le roman en Italie. Je n’étais pas trop convaincu, j’aurais eu besoin d’un temps de recul et de réflexion. Le texte demandait aussi un certain souffle sur la page. La maison d’édition ayant des soucis de longueur, les lignes imprimées étaient finalement trop petites et trop serrées. Le livre qui venait d’un formidable laboratoire et d’une expérience unique ressemblait au contraire à une vieille valise de la Seconde Guerre dans laquelle on aurait fourré un nombre excessif d’objets et même de personnes, dont ma soeur de quelques mois. Ce qu’un critique débonnaire appela — le jour de la présentation dans une librairie près de piazza Colonna — de la « pacotille ».
Contrarié pour cette édition hâtive et dangereuse — le livre aurait eu besoin d’au moins cinquante pages blanches en plus pour s’y étendre de façon convenable —, je relançai successivement avec les maisons d’édition françaises. Mal conseillé, je ne sus pas réagir à une réponse qui n’était pas méchante de la part de Balland. On avait aimé l’histoire, mais quelques-uns dans le comité de lecture avaient trouvé le rythme inadéquat…

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Une vitrine de Bordeaux, 2006

La vie court, les vicissitudes pressent. Le travail qu’on appelle « alimentaire » prend souvent beaucoup plus d’importance qu’on ne voudrait. Les soucis de l’expression et de la traduction sont obligés à plusieurs reprises de se taire. Des livres en attente, sagement photocopiés et reliés par Tiziano, le jeune homme aux cheveux roux qui travaille comme une mule dans son trou à deux pas du Tribunal, tandis que le rapport jusque-là fiévreux et intense avec Bordeaux, Paris, la France et la langue française devient petit à petit un luxe rétrospectif se condensant dans un geste : — ah, quand j’écrivais le livre sur Bordeaux… Ah, Gérard Biscarrosse ! Ah, Julia Socoa !
Les circonstances de la vie m’éloignèrent de Gaetana aussi. Je la rencontrai la dernière fois sur le parvis de l’église de San Giovanni des Fiorentini, endroit incontournable où s’accoudent les premières maisons de la célèbre via Giulia.
Elle m’avait invité à lire à la belle étoile mes dernières poésies.
Je ne lui dis pas que j’avais repris le travail infini. En fait, je n’avais pas compris ce que Balland m’avait très gentiment écrit. Je l’avais décidé. Mon « livre de la vie » devait s’affranchir de deux défauts basilaires : l’exubérance (qui me poussait vers un excès de précisions) et la réticence (qui enlevait parfois de la force à mes actions ainsi qu’à mes personnages). Je me dis aussi qu’il m’avait toujours manqué un vrai contexte éditorial. J’avais besoin de conseils et aussi d’une dialectique serrée, comme je l’avais souvent trouvée dans mon travail d’architecte et d’urbaniste.

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Bordeaux, le Grand Théâtre, 2006

Entre 2004 et 2005, j’entamai, avec le regard extérieur de Carla G., la réécriture de la foule de Bordeaux en fonction du dépassement des limites que je viens de citer. Cette révision a continué jusqu’en 2007, quand j’étais déjà à Paris. Quelque temps depuis, je fus en condition de maîtriser un peu mieux la langue française. Alors, tout en abandonnant dans un tiroir le texte italien achevé, j’ai procédé moi-même à la traduction des parties ajoutées ainsi qu’à la révision de celles qui appartenaient au texte précédent, avec l’aide de deux amies, Nicole D. et Catherine D.. Je crois que j’ai trouvé le rythme et que je suis sur une bonne route. Car si je ne parviens pas encore à toutes les nuances de la langue française, l’intelligence du texte italien, de mon texte, est assurée. J’attends un éditeur courageux qui saura cueillir l’originalité de mon travail ainsi que la vérité de mes histoires. Il y a encore un peu de travail à faire, peut-être, mais c’est vraiment peu vis-à-vis de la plupart de mes autres textes qui sont encore en deçà d’une compréhensibilité quelconque.
J’ai déjà publié, ici, le premier volet de « la foule », les Visionnaires, que j’ai récemment mis à jour avec l’aide d’Elisabeth C. et je suis maintenant en train de peaufiner avant de l’envoyer à des éditeurs que j’estime.
Et puisque la question de la traduction rentre désormais sans remèdes dans mon ADN franco-parisien, j’avance aussi dans la proposition en langue française de mes autres textes.
À partir du prochain mardi 23, en attendant de renouer avec les débris et les strapontins qui plus me conviendront, je reprends la publication du Testament immoral, que je n’abandonnerai pas jusqu’au dernier vers.

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La mer d’Arcachon, 1996

Giovanni Merloni

AIR LITTORAL (débris de l’été 2014 n. 19)

16 mardi Sep 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits

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Débris de l'été 2014

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AIR LITTORAL 

Tout le monde est désormais rentré dans la rentrée. De pas assurés et menaçants, la date du passage de l’équinoxe approche. Je suis donc obligé de ranger mon cagibi au sixième étage, essayant d’y fourrer à jamais les derniers débris de l’été 2014. Selon mes calculs approximatifs, j’en ai encore pour deux petits rendez-vous : aujourd’hui et jeudi prochain. Je laisse alors en dehors de la porte du cagibi (qui ne ferme pas bien) juste deux trucs.
Le premier, c’est une séquelle de mots empruntés depuis mon enfance et adolescence à ce merveilleux monde du cyclisme, reliant strictement trois pays d’Europe : la France, la Belgique et l’Italie. Les mots concernés seraient infinis ainsi que les images où se mêlent :
… Le Giro d’Italia et le Tour de France ; la francophone Paris-Roubaix et l’italienne Milano-Sanremo ;
… La gueule triste de Jacques Anquetil (maître du chrono) ou celle du Luxembourgeois Charly Gaul (grimpeur sans rivaux) ;
… Le bouquet des fleurs données, avec la bise de la miss étape au coureur vainqueur ;
… La voix haletante et prête à exploser du chroniqueur radio ;
… Les gens installés depuis le matin sur les bords incommodes de la route…
… Les mots « exploit », « échappée », « peloton », « se lancer à la poursuite », « bagarre », « sprint », « banderole » !
Je ne sais pas si tous les mots que j’ai évoqués correspondent bien en français, exactement, dans le sens et dans l’esprit, à ce que j’entendais de mes treize et quatorze ans lorsqu’avec mon frère nous nous rendions voir la télévision chez Diego, un ami d’à côté juste un peu dirigiste et antipathique, à cause de sa condition d’enfant unique.
Maintenant, avec la sagesse de l’expérience (toujours tardive), je connais un peu mieux les multiples nuances de sens du verbe exploiter, tandis qu’avant de venir définitivement en France j’utilisais le mot « exploit », au beau milieu de ma langue maternelle, juste pour exprimer un grand effort qu’un résultat a primé. Je parle de résultat au lieu de prix, car toute ma vie a été constellée d’exploitations parfois déchirantes et pénibles, qu’un bref ou long état de grâce (dû à ma satisfaction intime) a presque toujours suivies…
Rarement, mes exploits ont été couronnés par ce qu’on appelle une reconnaissance visible, un petit applaudissement ou aussi un succès évident. Cependant, presque toujours, j’ai ressenti que mes efforts avaient été appréciés, que mes bagarres ainsi que mes fuites avaient été acceptées et pardonnées.
(D’ailleurs, dans le travail, par exemple, dans la profession libérale, si le client paie sans trop attendre et retire gentiment son paquet, cela veut dire que cela suffisait abondamment.)
Ces mots français que provisoirement je vais garer, sous forme de petite Tour Eiffel invisible, sur le côté gauche de la porte du cagibi, ce sont pour moi comme une espèce de pilier. Autour d’eux, comme autant d’anneaux en forme d’auréoles dorées glisseront petit à petit, jour après jour, d’autres mots ou phrases ou souvenirs de visages, de paysages, d’usages.

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Près de l’autre montant de la porte, je laisse un autre truc important. Une valise des temps de la Deuxième Guerre, peut-être la même valise où ma sœur, faute de mieux, a passé la première année de sa vie contrariée et rarement heureuse. Maintenant, cette valise est pleine de haillons, elle est comblée de linge inutilisé ainsi que de photos d’inconnus de famille et de mots… tous les mots de ma langue sonore et coulante, musicale ou vulgaire, selon les cas. Il y a là-dedans toutes les expressions possibles, apprises dans de vieux livres ou entendues sur le palier d’un bus… tous les mots de cette langue métamorphique, se mêlant aux mots dialectaux, aux termes juridiques ou techniques, ou sportifs. Des mots comme « exploit », « fuga », « gruppo », « inseguimento », « mischia », « volata », « filo di lana », « traguardo »…
Parmi les autres, ce mot « traguardo » (« ligne d’arrivée »), exprime très efficacement, dans ma langue, la cloison invisible qui sépare l’homme de son but primordial et de toutes ses cibles nécessaires. Car notre bonheur possible, notre ailleurs désiré nous pouvons toujours le regarder à travers cette cloison…
Où est-elle placée, cette cloison séparant l’Italie de la France ? Au milieu du tunnel noir creusé dans le Mont Blanc ? Entre Ventimiglia et Mentone, un voile parfumé voltigeant dans l’insouciance d’un bouchon estival ? Dans le ciel surplombant sur le miroir bleu de la mer ?

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Étrangement, je n’avais pas pensé à mon ancestral amour pour la France quand je partis la première fois de Rome à Bordeaux, en juillet 1996. Mon but primordial (mon « traguardo ») consistait dans un rêve : me rendre idéalement et physiquement jusqu’à la « fin des terres », l’ouest extrême d’Europe, c’était la course opiniâtre et désespérée pour rattraper le soleil avant le couchant. La course impossible en contre-jour, pour empêcher au soleil de se coucher… Bien avant d’installer mon ailleurs privilégié entre le phare de Cordouan, le Cap Ferret et la dune de Pylat… J’avais appelé « Finisterre » ma première adresse électronique.
J’ai déjà raconté quelque part dans ce blog la circonstance scandaleuse et tout à fait hasardeuse qui accompagna le choix de cette ville alors inconnue, dont le nom évoque moins l’idée très honnête d’une sieste au bord de l’eau que le goût pervers d’un naufrage dans le vin rouge foncé. C’était à cause du nom Garance et de ce film inoubliable, où la mélancolie se marie à la patience. D’ailleurs, Baptiste — cet homme maigre et sublime qui ressemblait comme une goutte d’eau (et peut-être de vin aussi) à mon père, devenu dans le temps mon alter ego et aussi (pourquoi le nier ?) une partie de moi — reste pour moi le héros de l’équilibre entre la joie et la douleur.
Cela a été inévitable, dans l’écoulement de ma destinée déjà signée, que je vinsse finalement à vivre à deux pas de l’Atmosphère et de l’Hôtel Nord, chers à Arletty. Dans un quartier d’ailleurs très proche de ce boulevard du Temple, c’est-à-dire du boulevard du Crime où, tout en frôlant l’entrée du théâtre des Funambules, cher à Jean-Luc Barrault, la belle Garance pouvait atteindre les planches des tréteaux consacrés aux performances d’un mime célèbre nommé Baptiste. Avant, lorsque j’envisageais de situer mes complications sentimentales et mes troubles d’urbaniste frustré dans un endroit extrême, civilisé et sauvage à la fois, l’immense réserve indienne d’Aquitaine s’affichait comme un merveilleux « jamais vu ». Un endroit qui pouvait faire partie de la France comme de n’importe quel autre pays du monde. Pour que ce soit à l’ouest, et que la position du soleil par rapport à la côte soit à peu près la même que celle de Rome et de son littoral…

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Rue Barbier, Paris

En février 1995, j’avais entamé mon roman de formation dont l’action… se déclenchait à partir de la foule du boulevard du Crime. Au milieu de la foule, Garance avance avec assurance pour en sortir avec élégance… La même foule devient de but en blanc suffocante comme les sables mouvants et rigide comme un étau quand Baptiste, jusque-là incapable de saisir la vie au vol, décide, trop tard, de poursuivre Garance et vivre avec elle.
Le désir de conjuguer cette scène mère avec l’idée de l’ouest extrême m’avait fait longuement hésiter. Déjà au début de mon expérience d’écriture, j’avais demandé à Sylvie, mon amie parisienne — qui m’avait parlé un jour avec enthousiasme de cette ville —, de m’aider à trouver quelques éléments pour rentrer dans l’esprit de Bordeaux et de ses alentours. D’abord, elle m’avait répondu avec une liste de bibliothèques que j’aurais pu consulter par la poste. Je n’avais pas le temps ni le tempérament pour une recherche pareille. J’avançai, traîné par le plaisir peut-être exagéré de vivre dans une fiction tout à fait possible, où les lieux de l’action, avec leurs noms suggestifs, devenaient petit à petit familiers. À part Julien Charpentier — voltigeant dans les pages comme une véritable ombre de Banqo, nom et prénom que j’avais empruntés à un camarade de mon bureau, mort prématurément, que j’appelais depuis toujours avec ce sobriquet —, les autres personnages prenaient leurs noms des localités autour de Bordeaux : il y avait donc Baptiste Andernos, Hélène Lacanau, Gérard Biscarrosse, Octave Maubuisson, Julia Socoa, Raymond Libourne, Yves Malagar… Quant à Ludovico Quaroni et Bruno Zevi, mes professeurs d’architecture — des éternels rivaux entre eux —, je les avais rebaptisés respectivement Bruno Royan et Louis Soulac en raison de leur position géographique en deçà et au-delà de l’estuaire.
La consultation de l’atlas de la France et de l’encyclopédie Larousse, ne faisant qu’un avec la mémoire que je gardais de mes lectures — de Rousseau à La Fontaine ; de Verne à Balzac ; de Saint-Exupéry à Sartre ; de Flaubert à Stendhal ; de Camus à Vercors — me donnèrent plusieurs suggestions. Je créai par exemple un premier personnage, Yves (destiné à être remplacé dans le temps par Octave Maubisson, ensuite par Octave Laclos), un avocat frénétique, vivant dans l’extrême banlieue de la ville là où commencent les Landes (dont j’avais trouvé quelques éléments pour en tirer une description suffisamment fidèle). Celui-ci, partageant l’amour pour les idées de Rousseau avec l’esprit unique de Jean de La Fontaine, avait l’habitude de se promener longuement dans les Landes tout en profitant du rythme de son pas à la cadence poétique. Il aimait écrire dans l’air ombragé les textes de ses plaidoiries avant de les fixer dans la mémoire pour les retranscrire au retour…
Mais petit à petit, en absence d’informations plus précises (Internet n’existait pas encore, Google Earth non plus) je commençai à tourner à vide. Par ailleurs, le poids spécifique se fit entendre des histoires de famille ainsi que de l’expérience très vive de la dialectique politique et culturelle dans les communes très civilisées de la région Emilia-Romagna. Le premier brouillon, sans titre, avec deux âmes en lutte silencieuse — la place du Popolo de Cesena et le pont imaginaire sur la Garonne — engendra un texte hybride, que j’aimais pourtant et que je fis lire au petit groupe d’amis qui m’inspiraient confiance.
Parmi des avis assez variés, dont je garde jalousement les traces, un seul conseil fut résolutif.
Mon ami Alvaro Vatri — voix off à la radio italienne et chef d’un chœur appelé Polyphonia, avec lequel j’étais en train de réaliser de petits spectacles multimédias où la musique et le chant se mêlaient à la peinture ainsi qu’aux textes littéraires — me dit au téléphone : « Jette le masque, Giovanni ! Ici, je ne trouve que le parfum du vin de Bordeaux, d’ailleurs très volatil. Au contraire, je cogne contre une passerelle de Fellini, où très fort est le rôle des maires et de discussions acharnées typiques de l’Emilia-Romagna ! »
Il suffit de cette conversation pour me convaincre. Comme dans une succession patrimoniale, je coupai en trois morceaux, sans aucun scrupule, le texte que je venais d’achever. La partie centrale, dominée par la figure de Gérard, fut provisoirement reléguée dans un tiroir, avec tous mes rêves océaniques et le pauvre avocat randonneur des Landes. Il restait le début et la fin du livre, dominés par la figure de Baptiste. Celui-ci devint Libero tandis que sa fée taquine, splendide et insaisissable, cessa de s’appeler Garance pour prendre le nom de Solidea.
J’eus le temps d’accomplir assez rapidement l’écriture de ce roman aîné titré « Il quarto lato » (« Le quatrième côté »), un livre qui coulait même trop facilement sous mes doigts, où effectivement la passerelle des personnages d’une province aussi paresseuse que lumineuse revenait à son patron (Fellini) et à sa patrie (la Romagne sanglante et brûlante de vie).
Je me consolais à l’idée que le sang de Romagne (et son vin très fort qui s’appelle Sangiovese) pouvait sans problèmes remplacer le vin de Bordeaux et tout ce qui tourne autour de lui… quand je reçus un paquet.

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Montesquieu aux Quinconces, Bordeaux 2006

Dans le paquet, il y avait un livre à la couverture rouge et bleu : « Je t’écris de Bordeaux », c’était le titre. Henri de Grandmaison l’auteur. Un journaliste nantais installé à Bordeaux qui travaillait pour Sud-Ouest avait publié ce bouquin, par les types de Mollat, où je pouvais trouver tout ce qui pouvait me servir pour entamer une histoire avec un minimum de fondement. À l’intérieur du livre, une dédicace m’attendait, signée par l’auteur même.
C’était Sylvie qui m’envoyait ce petit cadeau à l’immense valeur. Tout de suite après, je l’appelai au téléphone. On était en juin 1996. En juillet, je partis. Une formule de voyage que je n’ai répétée que deux fois et que je n’oublierai jamais. D’abord, on décolle de l’aéroport de Ciampino (au sud-est de Rome) pour descendre depuis deux heures à peu près à Montpellier. Déjà, le survol de la Méditerranée et la vue depuis le hublot des bouches du Rhône donnent la sensation d’un paysage irréel… « Ça, ce n’est pas la France », me disais-je… « Rien à voir avec Paris, les châteaux de la Loire, la Bretagne… »
Mais la plus grande surprise ce fut de monter sur l’avion à hélices de l’AIR LITTORAL…
Tandis que, ne faisant qu’un avec mon hublot près de l’aile, j’essayais inutilement de fixer dans la mémoire le très vaste territoire jaune au-dessous — et d’y reconnaître une petite ville entourée de remparts comme Carcassonne, ou alors une grande ville traversée par la Garonne comme Toulouse — je me demandais pour quelle étrange loi de la destinée (et de l’amitié) Sylvie (originaire d’Agen et vivant à Paris, boulevard Soult) avait à Bordeaux un cher ami.
Quand l’avion-jouet atterrit et que je montai sain et sauf dans une confortable voiture, j’appris qu’il y avait quelque chose de vraiment impénétrable dans cette histoire littéraire (et littorale) que je venais de reprendre pour les cheveux. L’ami de Sylvie était un avocat, comme l’Yves des premières ébauches. Comme lui, il habitait juste à l’orée des Landes. Comme lui, il aimait s’y promener longuement, débitant par cœur les fables de La Fontaine. Pendant ces premières inoubliables vacances littéraires, l’on cita plusieurs fois un vers de ce dernier : « On ne doit pas plaire/ à tout le monde et à son père ».
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« Et pourtant je vous tends mes paumes déçues » (débris de l’été 2014 n. 18)

11 jeudi Sep 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits

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Débris de l'été 2014, portraits de poètes

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« Et pourtant je vous tends mes paumes déçues » 

« Quand on pense qu’on peut enfin résoudre un problème, le problème a changé… », disait dans sa redoutable sagesse le mythique Mao Tse-Toung. Et bien sûr, les contextes aussi changent. Donc notre mesure ainsi que notre sentiment du temps évoluent ou précipitent en fonction des hommes qui s’installent au pouvoir et aussi des hommes qui nous racontent la contemporanéité. Tandis que les marées suivent des règles constantes et prévisibles et que les vents du nord ou de l’ouest gardent leur nom légendaire, les hommes gardent ou gâchent les trésors que d’autres hommes leur laissent, dans un hasard terrible et mystérieux.

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Saint-Malo, le Corps de Garde, 2014

« D’ailleurs, ici tout est beau, tout flotte dans un incroyable équilibre entre Nature et Culture », on peut le dire encore aujourd’hui lorsqu’on s’accoude aux remparts de Saint-Malo.
Cependant, si je ferme les yeux, je ne peux pas jurer qu’une telle conscience de la valeur d’un patrimoine (naturel, culturel, humain) soit vive et respectée de la même façon à Dubrovnik ou à Rhodes ainsi qu’à Nettuno, là où des citadelles entourées de remparts, avec une certaine ressemblance avec Saint-Malo, surgissent près de la mer.

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Nettuno, 1978

Quand je rouvre mes yeux, je me sens provisoirement à l’abri : une certaine idée de civilisation « résiste », malgré les changements terribles du troisième millenium désormais entamé. En même temps, je m’attarde volontiers sur ces mots listés au hasard comme autant de cartes postales : Nettuno, Rhodes, Dubrovnik. Des localités que l’aventure m’a fait frôler, seul ou en bande…

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Saint-Malo, les remparts, 2014

Il y a huit ans pile, le 11 septembre 2006 nous débarquâmes à la gare de Bercy, ma fille et moi, avec le glorieux « Palatino ». Le même train pendulaire qui avait inspiré Michel Butor pour son incontournable « Modification ». Un livre que j’aurais lu plus tard, en me rendant compte, grâce à lui, que mes deux pôles n’étaient pas que les deux Panthéons (de Rome et de Paris) et que même en me « modifiant » profondément au cours des premières années depuis l’installation… une décision très nette avait été déjà tranché lors de mon premier été « tout français ».
Maintenant, je peux me considérer comme un parisien, ayant eu la chance d’appartenir à une génération « communarde » à l’esprit ouvert et disponible au dialogue, dont j’ai « retrouvé » ici nombreux représentants. Et pourtant, beaucoup de questions s’accoudent à mon rempart.
« Est-ce que j’ai pris cette décision assez radicale, pas trop différente vis-à-vis d’un départ volontaire pour la Légion étrangère, rien que pour éviter d’en prendre d’autres, encore plus difficiles ? »
« Avais-je vraiment tout fait, puisant dans ma patience et dans mes talents pour tenir le coup ? »
« Ai-je en définitive recouvert d’une apparence hardie une honteuse renonce ? »
« N’ai-je pas fait, au final, le même choix du fameux Guépard qui avait tout changé pour rien ne changer ? Qui était-ce, Garibaldi, dans mon destin particulier ? »

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Saint-Malo, embarcadère de la compagnie Corsaire, 2014

Je ne peux pas répondre.
Je me rassure en me disant que le centre de ma vie m’a suivi. Ici à Paris je suis le même sujet que j’étais à Rome et à Bologne ainsi que pendant mes héroïques vacances à Procida et à Cesenatico.
Je me console en voyant qu’ici j’ai trouvé des choses que je désirais, qui m’étaient essentielles. Un peu plus d’ordre dans la même confusion de la vie. Un peu plus d’écoute, quelques petites reconnaissances en plus… Ce peu c’est déjà beaucoup.
Ici, j’ai des amis et j’ai déjà traversé le deuil avec la disparition de quelques-uns de mes nouveaux proches…
J’aime Paris. Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, elle est la plus belle ville du monde parce qu’elle a su croître harmonieusement, en dépit des coups violents de l’Histoire, en gardant son identité ainsi que sa mesure humaine.

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Rhodes, 2005

Je ne suis pas complètement seul. Ma famille m’a suivi… Nous parlons entre nous dans notre langue, tout en évoquant ce monde au-delà de la mer et des montagnes auquel nous avons appartenu et qui nous appartient encore… Il est présent dans nos discussions, dans nos rêveries, dans notre façon d’entendre la nature, la culture, l’amour… Et pourtant, au fur et à mesure que les années s’écoulent, l’Italie glisse de nos mains avec de petits effondrements.
Si on pouvait imaginer pour un instant toute l’Italie surprise par la nuit, avec ses milliards de petites lumières tout au long des routes, coagulées en essaims plus serrés en correspondance des petits villages… J’imagine, chaque fois que je me cale dans la nuit parisienne, qu’une de ces lumières (ou lucioles) s’éteint de but en blanc. Une rue, une balustrade, un pré, une cour avec un arbre au centre, un trottoir aux ombres nettes… un boulevard sous la pluie, un escalier de pierre, une porte, des voix… tout cela disparaît d’un coup de ma vue sans faire de bruit, sans que je n’en sache rien, sans avoir même le droit de protester.

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Dubrovnik, 1965

La plupart des lieux qui m’étaient familiers vivent sans moi, se prenant la liberté de garder ou changer leur apparence sans demander mon avis… Je considère cela comme insupportable jusqu’au moment où une voix taquine m’exhorte à réfléchir : « On peut s’éradiquer des lieux, me dit-elle, mais combien regrette-t-on l’absence des personnes qui ont compté pour nous ? » Oui, c’est vrai, ce sont les personnes qui me manquent.
« Ma io deluse à voi le palme tendo » (« Et pourtant je vous tends mes paumes déçues »).
Le regret fusionne avec le remords. « Quand on pense qu’on peut enfin résoudre un problème, le problème a changé… » Et voilà que le fugitif plein d’enthousiasme se retrouve au centre du gué :
« Ni viande ni poisson, je ne peux pas garder deux amours, comme celui de la chanson. Rome s’éloigne de plus en plus de Paris et, en même temps, la nostalgie devient dévorante rien qu’à songer à tel ami, à telle amie, au frère, au fils, à la cousine… Huit ans, c’est encore peu pour me dire intégré dans cette nouvelle réalité. Ces mêmes huit ans représentent déjà un temps énorme s’ils doivent mesurer la désintégration vis-à-vis de ma vie précédente. En dehors d’un tout petit groupe de gens rentrant en général dans ma famille, personne ne se sent en devoir de me chercher pour me dire ce qui se passe. Personne ne m’avertit de la mort de quelqu’un qui pourrait m’être cher. Car j’ai abandonné mon pays, donc je suis mort, à mon tour, le premier. Il ne me reste alors qu’avancer, comme Orphée, sans me tourner en arrière. Dans ma marche, je rencontrerai toujours en contretemps les nouveaux morts et les nouveau-nés de mon pays aimé. En même temps, puisque partir c’est mourir un peu, je trouverai un jour la force d’accepter ma disparition… et de saluer avec un sourire ma nouvelle naissance. »

Voilà ce que pourrait penser un sujet fort nostalgique que la paresse empêche de maintenir un lien équilibré avec les personnes qui comptent dans sa vie précédente. Et voilà la leçon de cette impressionnante échéance huit ans depuis. Je vais tout de suite me renseigner.

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Campo de’ Fiori, 1978

Giovanni Merloni

L’œuf, la poule et la liberté (débris de l’été 2014 n. 17)

09 mardi Sep 2014

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Débris de l'été 2014

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L’œuf, la poule et la liberté

Parmi les nombreux sujets que je voudrais exploiter, il y a eu toujours celui du sens qu’il faudrait savoir donner au Temps. En fait, quoi qu’on fasse ou qu’on essaye, le Temps coule à côté de nous (et sous les ponts bien sûr) avec une splendide indifférence.
D’ailleurs, ce Merle moqueur (toujours en train de nous encombrer ou nous échapper) semble s’amuser assez devant nos efforts maladroits de lui tenir tête.
Nos frustrations le gâtent, nos illusions le hissent sur le plus haut piédestal.
Si un jour devions-nous le rencontrer, il serait même capable de nous dire à brûle-pourpoint : « Est-ce que je vous ai demandé quelque chose ? »
Je songeais, ce matin, à cette rentrée de septembre qui va sanctionner le terminus de la brève course d’un bus peuplé des « débris de l’été 2014 ». Je pensais à cette rentrée située huit ans pile après mon débarquement dans la ville des lumières (et des frères Lumière) ou, si l’on veut, dix ans après cet automne 2004 où je dessinais comme un forcené… tout en essayant de me souvenir des années terminant par quatre…

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En septembre 1964, à la sortie du lycée de mes dix-neuf ans pas encore accomplis, je dus prendre pas mal de décisions. Il me semblait être vieux, et pourtant sain et sauf sur cet embarcadère de pierre qu’heureusement la vague océanique des troubles du passé ne pouvait pas atteindre.

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En septembre 1974, au beau milieu d’un travail finalement intéressant et engagé, à Bologne, je ne voulus pas me soustraire à mon difficile destin d’homme et de père. On peut dire que le même jour qu’une sorte de « gloire » me câlinait en m’accueillant comme dans une cour de princes dans le palais d’Atlas du Roland furieux… mes engagements humains et amoureux m’en éloignèrent brusquement.

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En septembre 1984, après une espèce de parenthèse colorée dans les nimbes d’une maison tour au beau milieu du vacarme débonnaire du centre de Rome, je me voulus charger de changements, de déménagements, de durs et monotones voyages pendulaires. Mais paradoxalement, dans le maximum du sacrifice, un espace heureux se dégagea, de plus en plus important… lorsque ma peinture se rencontra avec l’opéra lyrique de Mozart…
En même temps, en Italie comme partout, de grandes mutations s’affichaient… Alors que je me sentais déjà vieux, déjà étranger vis-à-vis des enthousiasmes révolus des années 1960 et 1970… j’étais sans le savoir en deçà de modifications encore plus impressionnantes et profondes…

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En 1994, tandis que mes voyages à Bologne devenaient de plus en plus rares, je m’aperçus de but en blanc que Rome aussi était belle et charmante. En même temps, je découvrais la psychanalyse. Mes deux fils ainés se faisaient adultes, ma fille cadette, juste en septembre, accomplissait ses neuf ans… Et le destin m’offrit de grandes satisfactions dans le travail d’urbaniste ainsi que dans l’écriture… Finalement, entre mes quarante-neuf et mes cinquante ans je m’aventurai dans le roman.
Pourtant, tout en me demandant si c’est l’œuf ou la poule qui vient le premier, tout en rêvant de vivre dans une sorte d’illusoire liberté… je ne cessai pas pour autant de me compliquer la vie.

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En 2004, de mes cinquante-neuf ans, je n’avais pas encore acheté une malle pour y stocker mes nombreux « enfants » illégitimes. Je dessinais et j’écrivais mes textes poétiques sur un téléphone portable « palmaire » qui m’obligeait à des vers plus étroits qu’une cravate de torero. Il existait déjà Internet ainsi que le mail art… mais je n’étais pas encore devenu un blogueur.

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Voilà. En septembre 2014 je suis encore dans un endroit de passage, plein de bagages inutiles, comblés de photos et de souvenirs flottant dans un agréable désordre. Je n’ai pas vraiment entamé le rangement de mes choses dans une véritable malle. Je me demande d’ailleurs si cette malle doit avoir la forme d’un œuf ou celle d’une poule. Je me demande aussi où est la liberté…

Je me demande surtout, finalement, ce que je peux réellement faire, au jour le jour.
Entretenir un blog ? Bien sûr.
Publier mes poésies, du moins un ou deux recueils parmi les plus importants pour moi ? Bien sûr que oui.
Peindre de petites gouaches tout en revenant à certains grands tableaux qui attendent depuis des années (comme la « Traviata », par exemple) ? Oui, ce serait une joie.
Vivre ?

Je ne peux pas tout faire. Même si je renonçais à vivre, je ne pourrais pas faire bien toutes ces choses en même temps. Se mêlant au vent et aux tempêtes, le Temps moqueur m’attendrait au passage pour me flanquer de gifles.
Je suis un peu fatigué aussi, ayant maintenant le même âge où Jean Jacques Rousseau se plaignait de la lenteur de sa tête. Il fatiguait, c’était l’âge. Et moi aussi, je vous l’avoue, j’ai la tête fatiguée, de temps en temps. L’aide extraordinaire que m’offrent les nouvelles technologies est d’ailleurs tout à fait contradictoire. Si d’un côté elles me soulagent plus qu’une secrétaire dévouée, il est vrai aussi qu’elles me poussent trop facilement à des élans d’omnipotence dangereuse et même néfaste… On ne se fatigue plus à dicter son manuscrit à une belle dactylo… et pourtant l’on risque de brûler son cerveau en rangeant de façon obsessionnelle tous nos messages électroniques dans des boîtes plus ou moins « intelligentes »…

Je ne trouverai aucune véritable liberté en me dérobant vis-à-vis des orgueilleux engagements que j’avais assumés il y a quatre jours. Je ne la rencontrerai pas non plus en changeant dorénavant de vitesse. Mais, voilà, même si cela ne me donnera pas la chance de trouver ma formule magique, c’est-à-dire le juste milieu entre l’œuf et la poule, ma contrainte est désormais fixée. Je serais là, ici sur ce blog, tous les mardis, les jeudis et les dimanches. Et j’y serai librement.008_uovo gallina libertà000 180Giovanni Merloni

« Pourvu que les rendez-vous ne deviennent pas des échéances » (débris de l’été 2014 n. 16)

04 jeudi Sep 2014

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Débris de l'été 2014

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Giovanni Merloni, L’intellectuel organique, août 2014

Mes chers lecteurs,
À la veille du rendez-vous des vases communicants de septembre, je voudrais honorer avec vous l’esprit de la rentrée — scolaire, littéraire ou artistique — avec quelques petites réformes.
Comme vous avez bien compris, je ne suis pas un révolutionnaire, même si je garde une tendance (souterraine ou parfois évidente) aux petites rébellions sans conséquence.
Je recherche l’ordre et j’en souffre. J’aime me donner des contraintes sévères et je m’y soumets spontanément moi-même… quitte à en avoir marre… comme ça, de but en blanc, à l’improviste.
On dirait que c’est l’esprit de conservation qui me rappelle l’existence d’un corps, avec ses nécessités, ses soucis et désirs…
Vous savez bien de quoi je parle. Personne ne m’a obligé à publier sur mon blog tous les jours. Et je ne fais pas cela dans le sentiment d’une corvée ou d’une obligation quelconque.
Je le fais, au contraire, très volontiers, car j’ai des choses à dire ou à ranger dans ma tête et j’aime bien faire cela à voix haute, endigué en avance par les réactions de personnes que j’estime… Je ne pourrais que très péniblement renoncer à cette confrontation, à ce rendez-vous avec le blog ne faisant qu’un avec le rendez-vous avec ceux qui le liront… demain, c’est à dire avec ceux qui lisent, par exemple aujourd’hui, ces notes que j’aurai écrit à peu près douze heures avant.
Dans une communication précédente, j’avais essayé de résoudre mes soucis par un hymne à l’irrégularité, que j’ai ensuite essayé de pratiquer.
Mais cela ne fonctionne pas. Dans la myriade de solutions possibles ainsi que de façons de s’exprimer à travers le blog, on voit bien qu’il y a toujours (partout) un troupeau de gens qui ne peuvent pas se passer de publier tous les jours.
C’est comme pour le mariage. J’ai toujours classé l’humanité en deux catégories étanches. D’un côté, ceux qui ne se marient jamais. De l’autre côté, ceux qui se marient toujours.
J’appartiens à cette deuxième catégorie humaine et je fais partie aussi, je ne sais pas pourquoi, du troupeau des gens qui ressentent fort le tocsin matinal qui sonne impérieusement le réveil : est-ce tout prêt ? ai-je ajouté le lien pour expliquer qui était Pisacane ? ai-je contrôlé que la photo puisse s’agrandir ?
Je n’ai d’ailleurs que rarement l’embarras d’un manque d’inspiration ou de nécessité. Ce qui parfois me bloque c’est plutôt une question de forces épuisées, ou alors ce sont de textes que je considère comme inachevés…
Je voudrais que ces rendez-vous librement recherchés et choisis ne deviennent pas des échéances, des Fourches Caudines inexorables.
Et je ne veux pas publier n’importe quoi, juste pour boucher un trou…
Si j’arrivais à une telle alternative, je cesserais immédiatement et je disparaitrais tout en demeurant en vie. Car je préfère toujours le mal-être de la solitude à l’évidence d’une tromperie.
Oui, vous pouvez me visiter quand vous voulez. J’en suis orgueilleux et ravi. Mais je fermerais la porte à tout le monde si je m’apercevais avoir trahi moi-même, ce que je suis effectivement, ce que je veux dire soit dans le registre sérieux (parfois lyrique) soit dans le registre « nonchalant » (parfois picaresque).
Pardonnez-moi pour cette « déclaration ». Je n’avais d’autres buts que celui de vous rassurer à propos de mes sentiments d’amitié et d’estime envers vous tous.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 4 septembre 2014

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Un rendez-vous prêt à porter (débris de l’été 2014 n. 15)

03 mercredi Sep 2014

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Débris de l'été 2014

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Il arrive tôt ou tard, et plusieurs fois dans la vie, d’attendre quelqu’un au croisement de deux rues, demeurant debout sur un étroit trottoir baigné par le soleil diagonal du matin ou de la fin de l’après-midi.
Il arrive d’avoir les jambes engourdies et la tête traversée par d’étranges sifflements.
Il arrive d’avoir besoin d’une chaise ou d’un banc public n’ayant d’autre chance, en alternative, que d’appuyer juste un instant une épaule contre l’encadrement d’une porte ou d’une vitrine.

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Tout le monde bouge autour de nous.
Heureusement, personne ne s’aperçoit de nous, de notre béret appuyé tant bien que mal sur des cheveux nerveux, de notre gêne qui serait évidente si quelqu’un ou quelqu’une avait envie de nous examiner.
Nous attendons. La personne concernée n’arrive pas encore au rendez-vous… Nous profitons alors de ce temps d’attente pour rêver ou pour essayer de raisonner…

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Parfois, nous attendons quelqu’un sans qu’il y ait eu un accord pour se rencontrer.
Nous attendons quelqu’un qui passe d’habitude par ce carrefour… Mais il arrive aussi que nous attendions quelqu’un dont nous connaissons très peu les habitudes. Quelqu’un — ou quelqu’une — qui pourtant nous intéresse beaucoup.
Il — ou elle — nous intéresse tellement que nous avons décidé de l’attendre, coûte que coûte, pendant un temps infini… Ou alors de revenir régulièrement, tous les jours à la même heure, avec la contrainte d’une halte qui, selon le calcul des probabilités, donnerait la chance au hasard de nous nous faire rencontrer… une deuxième fois.

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Plus souvent, nous sommes là parce que quelqu’un nous y a convoqués.
D’un ton péremptoire et même pédant, notre ami — ou notre amie — nous a indiqué sans trop de détails le nom d’une enseigne, le nom de la station de bus la plus proche. Ou alors, tout simplement, il nous a dit : « On se voit là… » avant de disparaître dans la foule ou dans le fil gris du téléphone.
Donc nous attendons, en nous interrogeant tout le temps si c’est bien là… qu’il fallait attendre, ou dans un autre endroit complètement différent.
« En disant « là », elle voulait dire « là où on s’était rencontrés la dernière fois »… lors de notre rendez-vous inoubliable qui a duré une journée entière et… une bonne partie de la nuit… »
« Ou alors elle parlait de notre première rencontre ? Oui, d’accord, mais… où était-ce ? »

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En attendant une personne de famille, telles notre mère ou notre femme, la question du lieu du rendez-vous assume d’autres formes. Car c’est nous qui avons décidé l’endroit. Notre angoisse, dès que les premières minutes de retard commencent à s’écouler, c’est que cette figure “indispensable et bien sûr unique” pourrait avoir mal compris le nom du lieu ou l’heure du rendez-vous ou les deux choses ensemble.
En général, ce type d’attente est tellement pénible que nous plongeons facilement dans un état d’indifférence mélancolique et  nous ne voyons plus rien.
Le monde passe à côté de nous comme une multitude d’ombres, et nous devenons nous-mêmes des ombres.

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Aujourd’hui, avec le téléphone mobile, se perdre devrait être plus difficile. Et pourtant, combien de gens ont l’habitude d’éteindre leur portable ou de le faire tomber dans un puits ! J’attends. En attendant, je me rends compte que je suis piégé. Vous souvenez-vous de l’histoire de Marinette chantée par Brassens ? C’est une histoire de rendez-vous ratés. Et pourtant l’homme dévoué et amoureux peut librement bouger. Patience s’il arrive toujours trop tard aux rendez-vous que Marinette lui donne ! Moi, je ne sais même pas si c’est trop tôt ou trop tard… Et Marinette est peut-être là, cachée au-delà du pavé aveuglant, au milieu d’une foule en forme d’ombres. Elle peut me voir sans que je puisse la voir à mon tour. Et si je m’éloigne… elle arrive tout de suite et va s’embêter parce que je ne suis pas là…

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Un rendez-vous prêt-à-porter…
C’est peut-être l’idée de rendez-vous la plus banale. Mais c’est aussi la plus confortable. On arrive tous les deux pile au croisement entre la rue de Dinan et la rue de Toulouse. On regarde les montres pour les synchroniser… On entre dans un bistrot pour faire le programme. On en sort avec un itinéraire précis. On s’accorde le temps d’une promenade sur les remparts. On profite de la marée basse pour rendre hommage au tombeau de Chateaubriand sur le Grand Bé. On rentre en contre-jour se protégeant des éblouissements par des lunettes Polaroïd. On dîne. On monte à l’étage. On grignote nos crêpes au chocolat sur le petit canapé en face du lit. On est là, tous les deux. Sains, heureux, ponctuels…

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Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 3 septembre 2014

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Que c’est laid l’ignorance ! (débris de l’été 2014 n. 14)

02 mardi Sep 2014

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Débris de l'été 2014

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Que c’est laid l’ignorance ! (Quant’è brutta l’ignoranza!)

« Amadouer le souvenir de Saint-Malo… »
Oui, c’est vrai, « les meilleures choses ont une fin, par exemple les séjours en Bretagne… »
Et pourtant, si je ferme les yeux — tandis que des persistances rétiniennes flottent sous forme de rochers et de sables ou de barques pliées sur le côté en attendant l’heure fixée pour la marée haute — je vois de gens en noir et blanc qui discutent avec animation.

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Penne, 1948

Parmi ce groupe d’intellectuels assis librement dans le coin d’ombre de la terrasse d’un bar, il y a le cousin de mon père, Giorgio G., sa sœur Angelina et, en retrait, leur mère aux yeux perçants et transparents, Enrichetta. En France, elle s’appellerait Henriette, tandis que Georges et Angèle seraient les noms de ses enfants, tous les deux sur la cinquantaine, cultivés, intelligents ainsi que doués, comme Enrichetta d’ailleurs, d’une explosive ironie.
À côté de Giorgio, il y a sa femme Maria, dont je n’oublie pas la franchise et la chaleur de l’allure. Tandis que les gens assis font vivre de leurs éclats de rire et attitudes imprévisibles le bar de Penne — un pays très vivant des Abruzzes —, mon frère et moi nous essayons d’improviser un micro match de foot avec notre cousin Enrico, qu’en France on appellerait Henri.
Engagés dans notre activité sportive maladroite, nous n’écoutons que des échos des discours que « les adultes » entament, coupent ou relancent de même que nous faisons avec notre boule dégonflée…
En fait, il n’y avait pas que les G., représentants en chair et os du même nom de famille qu’avait porté Mimì, ma grand-mère paternelle (glorieuse et héroïque femme du Zvanì de Romagne, dont quelques-uns de mes lecteurs pourraient se souvenir).
Dans cette ombre, gentiment offerte par deux ombrelles jaunes, il y avait aussi mes cousins Paolo et Massimo P., mon père et ma mère ainsi que de chers amis devenus désormais des habitués de ce village qui n’est pas loin ni de la mer Adriatique ni du Gran Sasso, célèbre et généreuse montagne que les gens d’ici adorent comme une espèce de divinité personnifiée.
Au centre ou pour mieux dire au barycentre psychologique de ce groupe vaste et élégant, il y avait l’oncle Nicolino, resté longuement veuf après la disparition précoce d’Irma, la plus âgée des deux sœurs aînées de mon père.
Il était le chef naturel, le leader incontesté de ce petit « clan » de gens honnêtes à l’esprit noble et généreux. Ils étaient des privilégiés, peut-être. Car ils appartenaient à une génération où l’exercice de la profession — de journaliste (comme l’oncle Giorgio), d’architecte (comme Raffaelino, le frère de Nicolino), d’avocat (comme mon père) ou de médecin (comme Nicolino même) — ne rencontrait pas les mêmes difficultés que ma génération lors de l’impact avec le travail.
Ils étaient bien sûr encore plus privilégiés vis-à-vis des gens qui sortent aujourd’hui des universités italiennes avec un diplôme ainsi que de bonnes notes sans trop espérer d’obtenir un travail cohérent avec leurs attitudes et talents.
Et pourtant tous ces gens pour la plupart disparus auraient pu être vulgaires, malhonnêtes, corporatifs, obtus, renfermés dans leurs convictions rigides. Pas du tout. Ils étaient limpides, intransigeants, ouverts et généreux. Et, lorsque Nicolino prononçait une de ses expressions typiques, tout le monde lui faisait écho :
— Que c’est laid l’ignorance ! avait dit encore une fois Nicolino, d’une voix légère et à peine audible, qui arriva jusqu’à l’oreille distraite des trois jeunes footballeurs.

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Penne, 1959

J’aime maintenant imaginer, assis dans une chaise libre de ce même bar, l’écrivain et scénariste Ennio Flaiano, de passage à Penne, en provenance de son village, situé juste à quelques kilomètres de distance. Un homme génial que j’aimerais adopter comme le énième oncle de cette vaste famille des Abruzzes.
Que dirait-il ? Il raconterait timidement sa dernière escapade en France. D’abord à Paris, ensuite à Mont-Saint-Michel et Saint-Malo… Il essayerait peut-être d’expliquer que l’ignorance est fille de la division :
— Impossible se mettre d’accord pour gouverner lorsqu’on ne fait que multiplier les centres du pouvoir… Et dans l’embarras des rivalités acharnées, on se trouve toujours d’accord pour laisser dans l’ignorance tous ceux qui ne sont pas concernés, la majorité de nos compatriotes, en fin des comptes…
— Mais l’ignorance est partout ! dirait sans doute quelqu’un plus courageux ou plus indifférent.
— D’accord ! L’ignorance s’installe et prolifère aussi bien dans les pays en forme d’archipel, comme l’Italie, que dans les pays en forme de monolithe, unis et gouvernés depuis le centre… Comme l’Union Soviétique… répondrait Flaiano. Je le vois, d’ailleurs, toujours prêt à réfléchir, demeurant honnêtement perplexe vis-à-vis des merveilles de ce monde flou au-delà du rideau…
– D’ailleurs en France, tout comme en Angleterre et dans les autres pays plus évolués d’Europe, ajoute-t-il, on a bien compris que la civilisation « convient » !

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Penne, 1959

Tous les présents au bar de Penne seraient d’accord avec lui.
— Elle rapporte des avantages, même à l’administration de la justice et de la paix, s’exclamerait l’oncle Giorgio.
— En tout cas, personne en France n’aurait le courage de nier la valeur de la culture, en commençant par la langue, les musées, les théâtres… Nicolino ajouterait.
— La culture, l’instruction publique, le soutien à l’art, à la musique… tout cela aide les gens à supporter les difficultés de la vie, dirait mon père.
— Panem et circenses ! s’écrierait bien sûr l’oncle Ennio dans un élan de véritable passion. Les grandes nations d’Europe ont bien appris la leçon des Romains…
— Car ils sont parfaitement conscients de la nécessité de se battre, d’être toujours à la hauteur des défis de l’Histoire, ajouterait mon père, modéré en politique et passionné pour la musique de Beethoven et Tchaïkovski.

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Vers Le Gran Sasso, 1959

C’est à ce point-ci que la discussion parfois glisse dans un piège. L’orgueil de l’intellectuel qui consacre sa vie à une lutte acharnée contre l’ignorance, qu’en Italie risque de convenir au pouvoir même plus que la civilisation… cet orgueil cède le pas au doute. Car il est très rare qu’en Italie la culture, dans le sens plus noble et plein du terme, se marie à un pouvoir quelconque. Sauf des exceptions, des îles entourées de mers menaçantes : un certain cinéma, un certain théâtre, une certaine littérature, des psychanalystes de grande envergure, des hommes de sciences, des journalistes exceptionnels, des politiciens honnêtes…
 Il est facile alors de tomber dans le fatalisme, arrêtant pour un moment de lutter. Voilà pourquoi j’imagine un final que mon oncle Nicolino n’aurait jamais pris en considération…
— Tandis qu’à l’étranger on a tranché une fois pour toutes à faveur d’une civilisation d’État… ajouterait dans mon hypothèse Giorgio, toujours caustique, nous savourons jusqu’à la lie notre illusion de pays baigné dans la bonne chance. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Je ne veux pas dire que Dieu est ignorant…
— Nous sommes irrésistiblement attirés par un gouffre, tu dis… lui répliquerait l’oncle Nicolino, juste un peu agacé.
— La faute est à la solitude, à l’incapacité de bâtir une culture active, en dehors des cas isolés de quelques génies qui ont eu le hasard de s’exprimer… s’exclamerait Ennio avec chaleur.
— Des génies que personne n’écoute, hélas, l’interromprait mon père.
— Tout cela va rendre nous-mêmes des ignorants, des présomptueux, isolés dans nos petits mondes provinciaux. Nous resterons sans remède des ignorants ! répliquerais-je, en prenant brusquement la parole dans l’étonnement de tous les adultes.
— Nous sommes une minorité de rêveurs intransigeants et désintéressés au milieu d’une minorité de gens qui prêchent la civilisation en se battant tant bien que mal contre l’ignorance, conclurait Flaiano. Mais c’est une bataille entre la baïonnette et la mitrailleuse. Nous sommes comme les héros de Sapri :


Ils étaient trois cents,
ils étaient jeunes et forts
et ils sont morts (1)

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Saint-Malo, Maison du Corsaire, 2014

Giovanni Merloni

E vola vola vola…

(1)
Eran trecento
eran giovani e forti
e sono morti…

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première et Dernière modification 2 septembre 2014

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Dernières vagues avant l’oubli (débris de l’été 2014 n. 13)

01 lundi Sep 2014

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Débris de l'été 2014

débris été 2014 180 Dernières vagues avant l’oubli

Dans une pièce théâtrale très poignante de … Lagarce (« Derniers remords avant l’oubli ») — que j’avais vue en 2008 avec ma fille au théâtre de la Bastille, rue de la Roquette —, après une longue séparation Paul et Hélène, ne faisant qu’un avec leurs nouveaux partenaires, reviennent lors d’un dimanche fatal sur le « lieu du délit » : une grande maison avec jardin qu’ils avaient achetée un jour pour une bouchée de pain en commun avec David, cet ami avec qui ils ont vécu une véritable passion. Depuis, Paul et Hélène en sont partis, et se sont construit une autre vie, tandis que David est resté là…
Le sens primordial de cette pièce est dans la différente notion que chacun des trois amis-amants (et rivaux) s’est formé vis-à-vis du passé commun.
Comme il arrive toujours dans la vie, ceux qui avaient fiché le camp ont dû supporter de terribles remords pour avoir quitté David, donc ils gardent encore l’envie de tout éclaircir sinon la secrète espérance de pouvoir miraculeusement renouer leurs liaisons d’amitié ou d’amour, effaçant toutes les traces de l’ancienne rupture.
David, celui qui a dû souffrir davantage dans la première phase de cette séparation, maintenant n’est pas disponible au jeu de la rapatriée ni à celui des fouilles rétrospectives..
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001_1964_018 - copie 180

Une de mes amies les plus chères disait parfois qu’il vaut mieux avoir des remords que des regrets… Bien sûr, étant elle une personne responsable et respectueuse d’autrui, elle était toujours prête à prendre en charge ses éventuels remords…

J’avais un souvenir très particulier de Saint-Malo, où je suis revenu cet été, cinquante-six ans après… exactement le 16 août ! Le hasard plus total a choisi ce jour avec une précision tout à fait incroyable. Car en fait j’avais passé avec ma famille la journée de la mi-août 1958 à Saint-Malo dans un état d’enthousiasme et d’allégresse hors norme, imaginant d’y rester pour toujours… Et pourtant nous avions négligé un aspect essentiel. Trop tard on avait cherché où dormir. Il n’y avait plus de chambres ni à Saint-Malo, ni à Dinan… À Rennes aussi toutes les tentatives avaient été vaines. Et finalement, les cinq membres de la petite famille, dont le plus jeune avait alors onze ans, furent obligés de dormir dans les étroitesses d’un Fiat 1100 noir…
Encore aujourd’hui je ne peux pas me passer de me souvenir du supplice (que mes jambes trop longues et claustrophobes ne m’aidaient pas à supporter) ainsi que de l’écho douloureux d’un de premiers disques à 78 tours. Une chanson venue de la France dans cette époque de guerre froide et de présence encore encombrante de la guerre passée :

Je me souviens, ma mère m’aimait
et je suis aux galères…

cette voix d’Yves Montand qui nous rapportait une certaine idée d’héroïsme dans la disgrâce :

Je me souviens, ma mère m’aimait,
mais j’ai cru Madeleine…

(En fait je n’avais pas compris les raisons des larmes de ma mère chaque fois que le disque roulait sous la pointe imprécise…)

J’ai pas tué, j’ai pas volé,
je voulais courir la chance
J’ai pas tué, j’ai pas volé,
je voulais que chaque jour soit dimanche

002_maree bretoni

Voilà. Cette mi-août je la ressentais comme un dimanche d’innocence où chacun devrait suivre ses pulsions vitales, d’homme et d’animal. Pourquoi pas ?
Maintenant, dans la voiture serrée, avec la seule véritable gêne du bruissement des voitures glissantes à côté avec leur liberté légère, je comprenais confusément la raison des larmes de maman se projetant sur mon corps irrégulier d’adolescent comme une destinée inébranlable…
Mais je ne savais pas combien de cachots et de galeries et de tortures et de mystères de vies confiées aux hasards les plus totaux se cachaient dans les souterrains des remparts, de la ville même de Saint-Malo, dans les navires, et même entre les plis de la basse ou de la haute marée.
D’autres côtés, en vive contradiction avec mes tentatives de rébellion, tel un rêve violent et merveilleux vis-à-vis de mes vaines implorations pour qu’on me laisse étendre sur le pré mouillé près de la roue… il y avait le magique souvenir de la foule en fête, de ses chants et ses danses !

Oh près de ma blonde
qu’il fait bon dormir !

Pendant toutes ces années, je n’avais jamais eu le courage d’envisager une escapade à Saint-Malo, peut-être à cause de cette espèce de rejet que la ville même m’avait fait subir telle une brusque déchirure au beau milieu d’une des rares fêtes de ma vie…
Bon, n’exagérons pas. J’en ai eu de fêtes… Mais ce partage de la France qui danse, ce contact simple et immédiat avec des gens qui savaient aimer si simplement la vie… je me rendais parfaitement compte que c’était extraordinaire…
Mon père ne me laissa pas sortir de la voiture, même si j’avais essayé par tous les moyens de le convaincre. La pénible interruption des vacances joyeuses accéléra le retour en Italie…
Finalement, avec un séjour de quatorze jours, j’ai eu la chance de me prendre une revanche vis-à-vis de cette lointaine contrariété. Avec le grand soulagement de retrouver les mêmes gens, les mêmes danses, le même esprit hagard et joyeux à la fois…

Oh près de ma blonde
qu’il fait bon dormir !

003_provino_031 - 180

D’ailleurs, on n’a pas eu le temps de s´ennuyer… si l’on considère que juste le dernier soir nous nous sommes rendus près de l’embarcadère hors de la porte Dinan pour assister au phénomène de la haute marée…
Je me suis trouvé à fixer cet écume qui montait et redescendait tout en submergeant une zone où nous avions longuement traîné en goûtant le soleil et le vent tandis que les bateaux de la compagnie du Corsaire s’alternaient avec leurs différentes propositions de tour aquatique…

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 1 septembre 2014

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Quatorze jours corsaires (débris de l’été 2014 n. 12)

31 dimanche Août 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits

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Débris de l'été 2014

débris été 2014 180

Quatorze jours corsaires 

Partir s’extirpant aux pénibles habitudes
Arriver camouflés dans d’étranges manteaux
Rouler sans attendre sur le bord de l’enclos
Imaginaire et physique des remparts
Savourant des allègres inquiétudes.

Siroter le ciel, avaler le silence
Accrocher aux cloches nos envies débridées
Introduire le projet d’existences insensées
Naviguer par ellipses et cadences
Traversant les sables irisés.

Mille enclos franchir, dans la ville hardie
Ancrée par de fils invisibles aux enclos de la mer,
Liaisons que mille sculpteurs ont figées en calvaires.
Ô Bretagne où est-elle ta sortie ?

Giovanni Merloni

paolo scaletta - copie 180

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première et Dernière modification 7 avril  2014

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Torno subito (débris de l’été 2014 n. 11)

15 vendredi Août 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits

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Débris de l'été 2014

débris été 2014 180

Mes chers lecteurs,
Mes quatorze jours de vacances commencent demain. Je ne sais pas si là où je vais avec ma famille j’aurai la possibilité de me brancher à Internet ou pas. Si cela m’est accordé, je vous enverrai une carte postale virtuelle de temps en temps. D’ailleurs, je voudrais un peu me dégourdir les jambes en visitant quelques-unes des merveilles de Bretagne. J’amène avec moi un album de feuilles au format A3, cinq couleurs primaires, une palette, ainsi qu’une confection de pinceaux. Le verre avec l’eau pour diluer mes idées je l’emprunterai sur place.

Bonnes vacances aux partants ! Belles journées en ville aux restants !
En vous donnant rendez-vous dimanche 31 août, en dessous de l’inscription

TORNO SUBITO ! (1)

002_torno subito 2 180

J’accroche à ma vitrine un tableau que je viens juste de terminer.

Giovanni Merloni

(1) Je reviens tout de suite !

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première et Dernière modification 15 août 2014

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