le portrait inconscient

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La cure du silence (Extrait de la Ronde du 6 avril 2020)

11 lundi Mai 2020

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la ronde

Aujourd’hui 11 mai 2020, jour fatidique du « déconfinement » en France, je publie un texte que j’avais écrit pour la Ronde du 6 avril dernier, autour du thème « silence/s », publié ce jour-là sur le blog « La dilettante » de ma très chère amie Marie-Noëlle Bertrand (@eclectante).
G.M.

LA CURE DU SILENCE

« Quand Isabelle dort plus rien ne bouge »
Jacques Brel

Pendant ces jours qui vont devenir des mois, nous nous découvrons tous plongés dans la même pensée (qui n’est pourtant pas une « pensée unique”) formant en chacun de nous un épais nuage de silence.

C’est d’abord le silence de tout ce qu’on ne doit même pas murmurer, puis le silence des mots qui ne seraient pas nécessaires ni opportuns, enfin le silence qui ne brise pas le silence qui règne au-dehors de nous par une voix déplacée, par un accent exagéré, par une gaffe, soit-elle insignifiante même.

Notre silence, tout comme le silence au-dehors, ce n’est pas le résultat d’un vent destructeur mais, au contraire, la prouve vivante de notre capacité, individuelle et collective, de résister respectueusement à la peur… qui, à son tour, est en train peut-être d’apprendre à s’exprimer silencieusement, essayant de ne pas faire du bruit quand elle doit sortir de son redoutable silence ou lorsqu’elle comprend que l’heure est venue d’y rentrer vite.

Le silence devient ainsi la ressource extrême où les humains vont puiser pour être en mesure de supporter le chagrin que déchaîne le silence de ceux et celles, autour de nous, qui disparaissent à jamais, ajoutant leur silhouette invisible aux sombres statistiques du silence.
Chacun de nous a donc besoin d’une provision supplémentaire de silence, voire d’un endroit silencieux et secret, installé à mi-chemin entre le cœur et l’esprit, pour y héberger la douleur pour ces frères humains qui meurent à notre place, s’écroulant un à un, qui sait où, dans une silencieuse bataille qu’il ont dû se résoudre à combattre du jour au lendemain, sans transition, pour avoir offert un seul baiser, pour avoir serré une seule main ou alors pour avoir aidé, un jour, un autre être humain à se lever et marcher.

Tout cela ne jaillit pourtant pas, dit-on, de l’invention de quelques esprits malades. Pendant que coulent physiquement autour de nous des jours étranges, pourtant foudroyés par une inattendue beauté printanière, l’ancien vacarme de la ville essaie de se faire oublier ou bien s’approche timidement de notre fenêtre, sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger le silence éphémère  de notre prison large ou étroite.

Demeurer en silence c’est finalement le moindre mal, un seuil invisible que nous apprenons à ne pas franchir, pour sauver nous-mêmes ainsi que les autres, évitant de les traîner dans le gouffre, rien que par un seul geste d’amour.

Cependant il reste debout, ineffaçable en chacun de nous, le désir de revivre le plus tôt possible ce geste, avant d’arpenter un à un les lieux où le pas des autres ne nous faisait pas peur, où leur voix nous attirait par sa chaleur unique et sa prodigieuse essence vitale.

D’ailleurs, nous ne pouvons pas nous empêcher de rêver, en dépit des bornes physiques et mentales de notre enfermement. Par exemple — en cachette, dans un cagibi de l’esprit que j’ai bâti tout seul avec les armes patientes du silence —, je me vois confortablement assis dans une voiture à pédale où des hommes très adroits ont appliqué, à la place des roues, des skis de bois parfaitement lisses et silencieux.
En cette hypothèse, aussi hasardeuse qu’hantée de clairvoyance, le moindre bruit serait préjudiciable au succès ainsi qu’à la première timide démarche de mon entreprise farfelue.
Et voilà que dans mon cagibi, sans faire de bruit, un vent gelé s’est faufilé, tandis que le grand hublot bleu, lui aussi en silence, demeure scandaleusement ouvert sur le vide.
De là-haut, nous pourrions glisser, mon traîneau et moi, avec la certitude de tomber sur un boulevard parfaitement blanc, lisse comme s’il y avait une épaisse pellicule de neige et bien sûr silencieux.
Si le blanc est la synthèse de toutes les couleurs, le silence est la grande couche où tous les bruits de la terre s’estompent… cela revient à une intime évidence :
« Le blanc est la couleur même du silence ! »

En sortant par le grand hublot bleu de mon cagibi, je vais sans doute découvrir qu’il n’y a aucune solution de continuité entre mon silence intérieur, le silence de la ville et le silence du monde.
En un éclair, une fois rattrapées les portes les plus éloignées de Paris, je vais découvrir aussi qu’au-dehors d’elles on respire le même silence.
Un silence qui parle.
Un silence qui retient le souffle.
Un silence désespéré et indomptable à la fois.

Un silence qui m’exhorte pourtant à être sage, à ne pas commettre le sacrilège si longuement échafaudé de rendre visite un à un à tous les endroits que je connais autour de moi, en m’approchant des portes où d’autres personnes — connues, inconnues, peu importe — savourent le même silence que moi… et frapper, même de façon imperceptible, par un toc toc que n’importe quelle autorité jugerait en dessous du seuil de silence autorisé.
Cela déclencherait inévitablement un vacarme endiablé qui tout de suite après se propagerait comme une maudite inexorable contagion.

Et l’on perdrait toutes les vertus du silence.
Donc, en attendant que tout le monde se réveille guéri, je renonce au privilège de cette petite pièce luxuriante et décide, en me taisant, de faire tout ce que je peux pour que cette immense, invisible étendue de maisons et de rues, de terrains vagues et de champs demeure paisiblement effondrée dans le silence.

Parce que personne n’a jamais su aussi bien écrire que se taire. Parce que celui qui se tait donne, par le silence, son accord à la cure du silence. Parce que le silence est d’or.

« Sinon, j’ai toujours su que tout ce qu’on peut « éviter » — en faisant recours à notre esprit de conservation ainsi qu’à la force de notre amour pour les autres frères humains — va rendre sans doute moins « inexorable » toute vague destructrice et meurtrière dont la science et l’intelligence des hommes généreux est toujours en condition de connaître et maîtriser la portée. »

Giovanni Merloni

LA CURA DEL SILENZIO

« Quand Isabelle dort plus rien ne bouge »
Jacques Brel

In questi giorni che diventano mesi ci troviamo tutti a pensare, credo, le stesse cose. O la stessa cosa, che forma una spessa e quasi tangibile nuvoletta di silenzio dentro ognuno di noi.
Il silenzio di tutte le cose che non si debbono dire, che secondo noi non è bene dire, innanzitutto per non rompere il silenzio che è fuori di noi con una voce stonata, con un accento sbagliato, con una anche piccolissima gaffe.
Il nostro silenzio, come quello di fuori, non è il risultato di un vento devastatore ma, al contrario, la prova della nostra capacità individuale e collettiva di resistere rispettosamente alla Paura… che, a sua volta, sta forse imparando a esprimersi silenziosamente, facendo attenzione a non fare rumore quando deve per forza uscire dal proprio terribile silenzio o quando capisce che è venuta l’ora di rientrarvi in fretta.

Il silenzio si rivela così  l’estrema risorsa a cui possono attingere gli umani per poter sopportare il dolore provocato dal silenzio di coloro che intorno a noi, chissà dove, spariscono per sempre, andando ad aggiungersi alle cupe statistiche del silenzio.

Ognuno di noi ha dunque bisogno di una provvista supplementare di silenzio, ovvero di un luogo silenzioso e segreto, situato a metà strada tra la mente e il cuore, dove ospitare il dolore per la scomparsa di coloro che ci lasciano per morire al posto nostro, cadendo uno a uno, chissà dove, in una silenziosa battaglia che si son trovati a dover combattere dall’oggi al domani, senza transizione, per aver dato un solo bacio, per aver stretto una sola mano o per aver aiutato, un giorno, un altro essere umano ad alzarsi e camminare.

In questi giorni strani che non scaturiscono, purtroppo, dall’invenzione di qualche mente malata ma scorrono fisicamente intorno a noi con una loro inattesa bellezza primaverile, l’antico rumore della città cerca di farsi dimenticare o si affaccia timidamente, sulla punta dei piedi, per non disturbare il precario silenzio della nostra piccola o grande prigione.

Il nostro stare in silenzio è dunque il male minore, una soglia invisibile, che ci stiamo abituando a non varcare, per salvare noi stessi e tutti gli altri esseri umani possibili e immaginabili che noi stessi potremmo trascinare nel baratro, magari per un solo gesto d’amore.

Ma resta vivo, insopprimibile in ognuno di noi il desiderio di rivivere al più presto quel gesto e di ripercorrere uno a uno i luoghi dove il passo degli altri non ci faceva paura, dove le voci ci attiravano con tutto il loro calore e le loro essenze vitali.

Non possiamo impedirci di sognare, pur nei limiti fisici e mentali del nostro « enfermement ».. Per esempio, a me piace, in segreto, in un cagibi della mente che mi sono da solo costruito con le pazienti armi del silenzio, immaginarmi seduto su una antica carrozza dove, al posto delle ruote, qualcuno che lo sa fare ha applicato una slitta perfettamente levigata e silenziosa.
In questa mia azzardata e forse antiquata ipotesi, ogni rumore potrebbe pregiudicare l’esito o anche la sola messa in pratica della mia stramba iniziativa.
Dunque nel cagibi è entrato, in silenzio, un vento gelato e una porta si è aperta silenziosamente sul vuoto.
Da lì potremmo scivolare, io e la mia slitta silenziosa, certi di trovare il boulevard perfettamente innevato e silenzioso. Il bianco è la sintesi di tutti i colori come il silenzio è la grande coltre dove sono assorbiti tutti i rumori della terra (direi perfino che « il bianco è il colore del silenzio »).
Partendo, scoprirei che non c’è nessuna soluzione di continuità tra il mio silenzio interiore, il silenzio della città e il silenzio del mondo.
In un baleno raggiungerei le porte estreme di Parigi e scoprirei che anche fuori di esse si respira lo stesso identico silenzio.
Ma sarebbe per me un sacrilegio, ritrovare uno a uno tutti i luoghi che conosco intorno a me, avvicinarmi alle porte di tutte le persone che come me stanno bene o male assaporando il mio stesso silenzio e bussare, anche impercettibilmente, con un toc toc che qualsiasi autorità considererebbe al di sotto della soglia di silenzio consentito. Provocherei un baccano che subito si propagherebbe come un maledetto contagio.
E si perderebbero tutte le virtù del silenzio. Dunque io rinuncio al privilegio di questa stanzetta segreta come al più scandaloso dei lussi e, tacendo, decido di fare la mia parte in questa immensa invisibile distesa di case e strade sprofondate nel silenzio.
Perché un bel tacer non fu mai scritto. Perché chi tace acconsente fieramente e orgogliosamente alla cura del silenzio. Perché il silenzio è d’oro.

Giovanni Merloni

Août 1976, Rome (via Calandrelli) – La contribution de Joseph Frish à la Ronde du 6 avril 2020

06 lundi Avr 2020

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Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est le thème du « Silence », dans tous les sens possibles. J’ai le grand plaisir d’accueillir Joseph FRISCH, auteur du blog JFrish Ma propre contribution est publiée sur La dilettante  de Marie-Noëlle Bertrand (@eclectante). Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.

G.M.

Août 1976, Rome (via Calandrelli)

Incapable de dire précisément qui il était, maintenant il hésitait entre ses propres souvenirs et ceux que les autres lui avaient transmis dans leurs livres, et il sentait chaque jour sa vie plus envahie, grignotée par les fumées du rêve : ni dates, ni repères donc, mais seulement jour après jour le glissement familier du soleil d’un mur à l’autre de l’appartement.

Ainsi ayant désormais abandonné la maîtrise de sa propre existence, il voyageait dans un univers de papier, d’images, d’architectures, dont jamais il ne serait propriétaire, spectateur des saisons, passager des cartes de géographie, sautant d’une décennie à l’autre, passant brusquement du sommeil à l’étonnement s’il apercevait son propre reflet dans un miroir, curieux de tout ce qui traversait son désordre mental, comme s’il était un voyageur clandestin, émerveillé, dans le dédale d’un musée désert, d’y rencontrer des formes et paysages connus, ou ces silhouettes fugaces de jeunes fantômes pleins de grâce, leurs voix survivantes, les chants d’oiseaux et refrains d’autrefois.

Joseph FRISCH

Cette beauté provisoire de la vie

15 vendredi Nov 2019

Posted by biscarrosse2012 in échanges, contes et récits

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Cette beauté provisoire de la vie

Député socialiste lors de la première législature républicaine, mon père se confronta à de nombreuses « épreuves » en mettant dans son mandat autant d’enthousiasme que d’expérience de la loi, notamment du droit administratif. Apprécié vivement par ses collègues ainsi que par les leaders de son parti, il n’eut pourtant pas de chance avec son collège électoral de Grosseto en Toscane, frappé par le succès parallèle du Parti communiste. Donc, il ne fut pas réélu aux élections politiques de 1953. Accompagné pour le reste de sa vie par cette blessure non cicatrisable, il ne cessa pour autant de couver le désir de rentrer un jour proche dans la vie politique active, sa véritable vocation. Cependant, il refusa courageusement tout rôle grégaire dans son parti et repartit à zéro. Ou alors, comme le disait notre regretté Massimo Troisi, il recommença par trois.
Un : il pouvait exercer l’activité professionnelle d’avocat civil. Deux : il avait à son côté une femme exceptionnelle, qui pendant des années, toujours avec le sourire, porta sur ses épaules une partie considérable du poids économique de la nouvelle situation. Trois : tout en ayant une profonde passion pour la musique, alimentée par une longue fréquentation du violoncelle, mon père était un grand photographe ainsi qu’un infatigable chauffeur.


En découvrant ses vieux films enroulés, dont la plupart des images, jugées moins bonnes, n’avaient pas été imprimées, je me suis moi-même engagé dans l’épreuve, difficile sinon impossible, de récupérer, mettre en valeur et garder la mémoire de ce qui a existé et ce serait dommage de perdre.
Mon père avait un talent naturel pour les portraits. Cependant, il ne se jugeait pas immortel : il voyait bien claire devant lui la précarité de toute existence. Voilà pourquoi il se sentait obligé d’exprimer à chaque déclic son immense gratitude à la divinité invisible qui protégeait notre famille. Sinon, il partageait avec ma mère une idée toute spartiate, mais absolue, de la beauté qu’on ne doit pas trahir. Il s’agissait en même temps de la beauté des choses et de la beauté de la vie.
Moi, je pourrais ajouter d’autres évidences que ces épreuves révèlent : non seulement le sentiment commun d’une famille heureuse et pourtant consciente d’être menacée par les brusques allures du monde. J’y vois déjà tracées ou même sculptées les épreuves que chacun de nous devra endurer tout au long de sa vie future.

Après les épreuves que nos parents durent affronter, chacun de nous en a enduré. Suivant des pistes apparemment différentes, se liant à des noms de personnes et de lieux bien éloignés les uns des autres. Et pourtant j’y reconnais un destin commun, une sensibilité tout à fait particulière, où les idiosyncrasies et les mythologies s’entrelacent en un écheveau impossible à démêler. Certes, on était très soudé et nos dates de naissance ne pouvaient être plus proches : ma sœur Barberina est née le 27.2.1944, suivie par moi le 16.10.1945 et par mon frère Francesco le 20.7.1947. Cependant, cette beauté provisoire de la vie que mon père a su immortaliser en quelques déclics — révélant un geste heureux ou la parution soudaine d’un rayon de soleil — fait désormais partie de notre ADN et finalement de notre essence vitale commune.

Giovanni Merloni

Life’s Hardships (contribution de Marie-Noëlle Bertrand à la Ronde du 15 octobre 2019)

15 mardi Oct 2019

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la ronde

Principe de la Ronde : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui nous devons nous tenir au thème de : « l’épreuve ». J’ai le grand plaisir d’accueillir une très chère amie : Marie-Noëlle Bertrand (@eclectante), auteur du blog « La dilettante  ».
Ma propre contribution est publiée sur le blog de Franck’ « à l’envi »

Life’s Hardships

À l’épreuve du temps qui passe,
dans le courant du fleuve,
tourner les pages de l’album.
Combien pour le temps de pose,
attendre la révélation,
éprouver pour avancer.

Dans la chambre noire de l’épreuve,
une histoire singulière,
un cheminement unique.
Passé et présent,
envers et endroit,
expérience et construction.

Fixer le noir soleil,
traverser le deuil,
accéder à la résilience.
Fondu au noir,
accentuer le contraste,
accéder à la lumière.

Prisme de l’épreuve,
perception,négatif et positif,
affronter l’avenir.
Défier le flot,
pas de pause,
pas d’objectif.

Toujours est un possible,
jamais est un leurre,
ne pas obturer l’avenir.
Contre les rigueurs du sort,
à la face des aléas de la vie,
ne pas jeter sa dernière carte.

Texte et images :
Marie-Noëlle Bertrand

Voici l’ordre de la Ronde du 15 octobre : « épreuve »

Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com/ , chez

Marie-Noëlle Bertrand http://ladilettante1965.blogspot.com/ (…)

Giovanni Merloni https://leportraitinconscient.com/

Franck https://alenvi.blog4ever.com/articles

Noël Bernard http://cluster015.ovh.net/~talipo/

Marie-Christine Grimard https://mariechristinegrimard.wordpress.com/

Jacques https://jfrisch.wordpress.com/

Dominique Autrou https://ladistanceaupersonnage.fr/category/journal/

Les sept désirs d’un septuagénaire (Extrait de la Ronde du 15 mai 2019)

15 samedi Juin 2019

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la ronde

Aujourd’hui, je publie un texte que j’avais écrit pour la Ronde du 15 mai dernier, autour du thème « désir/s », publié ce jour-là sur le blog JFrish de Joseph FRISCH.
G.M.

Giovanni Merloni, Le duo, acrylique sur toile 61×46 cm, 2019

Avant 1968, dans ma langue d’origine, le mot « désir » était presque un tabou, évoquant sans doute, sous l’empire absolu d’une église omniprésente, le « desiderio della mela » (désir de la pomme) dont Ève fut subjuguée, précipitant l’immense peuple des humains dans la faute et, par conséquent, dans les pièges du pouvoir absolu et de la censure.
Certes, dans l’incontournable film en bande dessinée de Walt Disney, Cendrillon chantait de sa voix argentine :

«…Les rêves sont des désirs » .

Et, bien sûr, les personnes cultivées avaient retenu une notion plus ou moins vague de la leçon de Freud, ô combien sage et libératrice !
Les pauvres adolescents comme moi, tiraillés par les devoirs et les urgences brusques d’une nouvelle vie jaillissant sans transition des cendres de l’enfance, recherchaient les réponses dans les livres.
Heureusement, dans notre appartement spartiate — que ma mère avait su quand même rendre élégant —, il y avait une bibliothèque où les livres maudits n’étaient pas cachés !
Mon premier maître d’insoumission ce fut le Boccace, prodigieux connaisseur des langues anciennes et courageux témoin d’une grande vitalité souterraine au sein d’une région — la Toscane au XIIIe siècle — où les préceptes de l’église cognaient contre une société en brusque évolution. Sa magistrale ironie ne se séparait de l’aspiration aux sentiments purs et élevés qu’en face de l’évidence des faits et des comédies que le désir provoque, surtout quand il est contrarié ou empêché.
Par le biais de la dérision des prêtres ou des moines maladroits, de mes ingrats treize ou quatorze ans, j’apprenais l’innocence de cette force animale suscitée par le désir irrépressible d’aller à la rencontre de la différence.
Mon deuxième maître a été Choderlos de Laclos. Ses « Liaisons dangereuses » à la couverture céleste, tout en m’ouvrant ce monde du XVIIIe siècle propice au dialogue épistolaire, révélèrent à mes yeux le véritable enjeu : ce que le désir déjouait c’était la possibilité d’être libre. En attendant la liberté, on s’accordait le plaisir d’être des libertins… Une façon peut-être de lutter pour avoir une orbite dans le firmament hiérarchiquement établi de la cour du Roi.
Avec le temps et les lectures, où les romans occupaient la plus grande place, j’ai appris enfin que le désir ne peut pas être relégué au seul témoignage de notre vie amoureuse ou, pour mieux le dire, sexuelle.

Ensuite, avançant dans le chemin de la vie, on se voit au fur et à mesure démunis, hélas, face à certains genres de désir. Il y a pourtant une sorte de compensation : de nouveaux désirs remplacent les anciens. Ou, tout simplement, ils s’y ajoutent selon une progression directement proportionnelle à l’âge. Si après les 12-13 ans on n’a qu’un désir au monde, après 20 ans on en a deux, trois après les 30 ans et ainsi de suite…

Les sept désirs d’un septuagénaire

J’ai le désir de retrouver le souffle après la chute,
renouant brusquement avec les surprises du jour.

J’ai le désir de changer en sourire de joie
la grimace figée d’un émoi délétère.

J’ai le désir de remonter la montagne
en écartant dignement les cailloux roulants.

J’ai le désir de nous frayer un chemin de liberté
main dans la main avec mes camarades en colère.

J’ai le désir de sortir indemne
de l’abrupt récit de notre histoire trahie,
leurrée par la beauté des lieux où nous avons grandi.

J’ai le désir de partager le projet gigantesque
d’un monde respectueux de lui-même,
de peuples qui cessent de se suicider,
de gens qui arrêtent de s’entretuer.

Et je désire enfin qu’on laisse vivre
les poètes et les bêtes,
les arbres et les Vénus en marbre,
les insectes et les architectes,
nos villes natales avec leurs cathédrales,
les vérités des livres et des humains ivres !

Giovanni Merloni

Désir ou Amour (La contribution de Marie-Christine Grimard à la Ronde du 15 mai 2019

15 mercredi Mai 2019

Posted by biscarrosse2012 in échanges

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la ronde, Marie-Christine Grimard

Principe de la Ronde : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui nous devons nous tenir au thème du : « désir ». J’ai le grand plaisir d’accueillir Marie-Christine Grimard (@GrimardC), auteur du blog «Promenades en ailleurs ». Ma propre contribution est publiée sur le blog JFrish de Joseph FRISCH Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde !

« Le désir est bien au-dessous de l’amour, et peut-être n’est-il même pas le chemin de l’amour. »
Alain

Désir ou Amour

Le désir se niche dans les détails

Un battement de cil
Un frôlement de mains
Un parfum de jasmin
Un bruit de pas sur les pavés

L’amour efface tous les détails

Un instant d’éternité
Un goût d’immensité
Un parfum d’infini
Un partage sans limite

Le désir n’est qu’un pâle reflet de l’amour

Vouloir pour posséder
Désirer pour avoir
Gagner pour exister
Obtenir pour annexer.

L’amour ne possède pas,
Le désir convoité
L’amour libère,
Le désir asservit
L’amour transcende,
Le désir rapetisse
L’amour donne
Le désir prend
L’amour suffit.

Texte et image : Marie-Christine Grimard

Voici l’ordre de la Ronde du 15 mai : « désir »

Hélène Verdier écrit chez Marie-Noëlle Bertrand

Marie Noëlle Bertrand écrit chez Dominique Hasselmann

Dominique Hasselmann écrit chez Noel Bernard

Noel Bernard écrit chez Guy Deflaux

Guy Deflaux écrit chez Jean-Pierre Boureux

Jean Pierre Boureux écrit chez Marie-Christine Grimard

Marie-Christine Grimard écrit chez Giovanni Merloni

Giovanni Merloni écrit chez le blog JosephFrish

Joseph Frisch écrit chez Franck Bladou

Franck Bladou chez Hélène Verdier

 

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Le silence est l’infini de la musique (Extrait de la Ronde du 15 janvier)

15 vendredi Fév 2019

Posted by biscarrosse2012 in échanges, poèmes

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la ronde

Aujourd’hui, je publie un texte que j’avais écrit pour la Ronde du 15 janvier dernier, autour du thème « musique/s », publié ce jour-là sur le blog La dilettante  de Marie-Noëlle Bertrand (@eclectante).
G.M.

Giovanni Merloni, Le miroir brisé, collage numérique, 2007

Le silence est l’infini de la musique

Entre toi et moi, je ne vois que montagnes
d’incompréhension, que lagunes d’oubli,
que mers empoisonnées et ambiguës
où s’effondrent les arbres de cocagne
pointant au sommet d’étranges îles perdues.

Ta trompette sous le bras, ambitieuse
un beau soir tu as fui. De tes lèvres moqueuses
fredonnais un retour d’hirondelles
où sombraient nos jolies ritournelles
nos lointaines paroles d’amour.

Tu reviendras de ta ronde inféconde
la tête entre tes mains, déçue du monde
où tu n’auras trouvé que frénésie
qu’envie de tout brûler. Pas de poésie,
surtout, ni d’alchimie, comme entre nous.

Combien de fois, sans prudence
tu jouais de ton truc, que pour moi, le silence
et la joie de s’y perdre, d’y trouver
l’unisson, tel un chœur insouciant de violons,
et l’harmonie, pour une vraie symphonie !

Le silence est l’infini de la musique.
Aux pôles opposés de la même cité
nous en savourerons d’infinies variétés
sans que cesse désormais la cruelle douleur
de te perdre à jamais, ô musique de mon cœur !

Giovanni Merloni

Giovanni Merloni, Le Nozze di Figaro, huile sur toile 70×100, 1984

Promenades (Contribution de Joseph Frisch à la Ronde du 15 janvier 2019)

15 mardi Jan 2019

Posted by biscarrosse2012 in échanges

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la ronde

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est le thème des « Musique(s) », dans tous les sens possibles. J’ai le grand plaisir d’accueillir Joseph FRISCH, auteur du blog JFrish Ma propre contribution est publiée sur La dilettante  de Marie-Noëlle Bertrand (@eclectante). Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.
G.M.

Promenades

C’est que je passe toujours par la rue Vandamme à droite, j’atteins la fin de la rue de la Gaité, Bobino et les quelques cafés en train d’ouvrir, le matin est frais, plein d’atomes de bleu cobalt, de phosphorescences, on entend un merle, un corbeau dans le petit square Gaston Baty, des pas qui résonnent dans l’humidité de la rue. Il n’est pas sept heures et j’arrive sur le Boulevard Edgar Quinet, le kiosque n’est pas ouvert, pas plus que le magasin des Beaux-Arts. J’aime ce trajet entre des acacias urbains aux pieds desquels des mains anonymes ont installé des plantes, qui va jusqu’à la station de métro Raspail. A ma droite le long mur du Cimetière Montparnasse est comme une vieille connaissance, presque un club aux horaires d’ouverture très libres, où se réuniraient mes amis, à gauche la Grande Chaumière et le libraire Tschann ne sont pas loin, puis voila la rue Campagne Première et l’Hôtel Istria où se réunissaient les surréalistes. On sait que Rimbaud habita là – on en sait pas à quel numéro exactement – quelques mois au printemps 1872, partageant sa chambre avec Jean-Louis Forain. Il y avait à l’époque un foyer pour cochers et certainement des écuries, tout près donc du passage d’Enfer dont j’aime à penser qu’il s’inspirerait plus tard pour sa Saison en Enfer. Je m’arrête un instant, et sur l’harmonica je joue quelques notes, des courtes phrases musicales que je double en refrain, et qui me donne ensuite l’envie de chantonner.

Le violet de la nuit s’étire en glacis sur le boulevard, je suis seul, heureux et inconnu, et je sais que le printemps revient.

Dans les journaux du matin on ne voit que la trace des empires qui s’effondrent : c’est que tout l’effort ordinaire des puissants est de monter le plus haut possible, pour s’écrouler misérablement dans le silence.


Texte et photo : Joseph Frisch
En ce 15 janvier 2019, la ronde des « Musique(s) » tourne comme ça :
Dominique Hasselmann chez Dominique Autrou: La distance au personnage, Dominique Autrou chez Hélène Verdier :simultanées, Hélène chez Noël Bernard : Talipo, Noël chez Jacques d’A. : La vie de Joseph Frisch, Jacques chez Giovanni Merloni : Le portrait inconscient. Giovanni vient de nouveau chez moi : Éclectique et Dilettante ; ensuite, j’attrape la main de Guy Deflaux qui me reçoit de nouveau chez lui : « Wanagramme :Emaux et gemmes des mots que j’aime ». Puis, Guy chez Marie-Christine Grimard : Promenades en ailleurs, Marie-Christine chez Jean-Pierre Boureux : Voir et le dire, mais comment ?, Jean-Pierre chez Dominique Hasselmann : Métronomiques, etc.

Des figures… humaines (Extrait de la Ronde du 15 novembre 2018)

15 samedi Déc 2018

Posted by biscarrosse2012 in échanges, contes et récits

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la ronde

Aujourd’hui, je publie un texte que j’avais écrit pour la Ronde du 15 novembre dernier, autour du thème « figure/s », publié ce jour-là sur le blog JFrish de Joseph FRISCH.
G.M.

Antonio Donghi. In villeggiatura

Des figures… humaines

« Comme autant d’arbres constellant le paysage des paradis perdus de notre enfance et jeunesse, les figures du père et de la mère avec celles des grands- parents, des tantes, des oncles et des cousins aînés ne sont pas forcément les seules qui ont assisté avec bienveillance et curiosité à l’évolution de ma personnalité en me « donnant l’exemple », comme l’on dit, ou alors en me proposant un chemin plus accidenté, pour ainsi dire « hérétique » qui m’a donné la chance de respirer le souffle de la liberté et de la beauté. Je suis doublement redevable à ceux qui m’ont appris à respecter le travail et le sacrifice nécessaires à bâtir et entretenir toute petite ou grande communauté humaine, en me fournissant en même temps les outils indispensables pour apprendre moi-même à reconnaître et aimer la beauté dont la nature, la poésie et l’art nous font cadeau… »
Après avoir écrit ces premiers mots, j’étais déjà fatigué et même épuisé. Les figures qui se promenaient parmi les bancs lançaient de temps en temps des regards désolés et impatients aux collègues installés derrière la chaire : est-ce qu’on avait bien choisi le sujet du thème en classe ?
À mon avis, c’était tout à fait inhabituel de condenser l’énonciation du devoir en classe en un seul mot : « figure ». Bien sûr, cela a été dit, on peut décliner ce substantif jusqu’au pluriel. Et ils ont bien fait à le préciser, parce qu’en fait ce serait inexact et trompeur de se borner à une seule figure hiérarchiquement posée sur un trône comme un roi absolu. Mais ils auraient pu mettre une explication, nous donner quelques repères en plus… Heureusement, Giuliano Manacorda, mon professeur d’histoire, nous a rassurés sur ce point : « ne songez surtout pas à Napoléon ou à Garibaldi ! Vous seriez obligés de fantasmer aussi autour de leurs figures d’exilés et de leurs îles… » avait dit le professeur d’un ton complice.
« Oui, c’est ça, avait ajouté Antonia Cellini, professeur d’histoire de l’art. Il faut s’éloigner de l’idée de l’icône ou de la représentation sacrée, même s’il s’agit bien évidemment de figures ayant eu un rôle très important dans les différentes civilisations ! »
Mon voisin de banc voudrait me montrer une illustration scandaleuse dont il s’est procuré une copie : un tableau, très fameux, d’un peintre nommé Courbet.
« Mais tu vas trop vite aux conclusions, je lui rétorque. Si Manacorda a la même vision laïque et anticonformiste que la Cellini (descendant, fort probablement, de l’excellent sculpteur Benvenuto Cellini…), cela ne veut pas dire que le professeur Pagani ou la Rizzo, par exemple, malgré leur approche respectivement mathématique et scientifique, soient-ils d’accord pour développer le thème de la figure à partir de la transgression comme principe fondateur ! »
Me voyant discuter de façon audible avec mon camarade, le professeur d’italien, Steno Vazzana, nous a rappelé Dante et l’Arioste :
« Vous devriez savoir que ces deux maîtres absolus de l’écriture figurative ont soumis leur talent visionnaire et débordant à l’intransigeante discipline de la musique des mots, ayant enfin le but de célébrer la dignité de l’homme et son devoir de se dépasser ! » Puis, il s’est approché de mon oreille — suscitant immédiatement la jalousie de toute la classe — et m’a soufflé un conseil : « souviens-toi de la métaphore ! »
Rouge de honte, je remets mon nez sur la feuille déjà chiffonnée et très peu présentable, mais je ne trouve pas une bonne métaphore à laquelle m’accrocher. Je reprends donc mon vagabondage à tâtons : est-ce qu’il existe une figure qui ne s’inscrit pas dans une enceinte de forme rectangulaire, ou, plus rarement, ronde ou ovale ?

Mon père au musée

« Mon père m’a transmis l’amour pour la musique et une certaine curiosité pour le dessin. Ma mère – goutte après goutte – m’a appris l’amour pour les trésors cachés dans les églises, les musées et les villes anciennes et aussi le goût pour les étoffes, les papiers colorés. Elle faisait de son mieux pour chercher tout ce qui pouvait rendre, par la beauté d’une petite lumière inattendue, plus supportables notre austère foyer et notre façon de sortir, dignement habillés, dans le monde… Donc, j’ai été élevé surtout par l’exemple… »
J’avais fini d’écrire ce mot, « exemple », quand il s’est produit dans la salle un vacarme inattendu : sans saluer personne, mon ancienne professeur de français, Hortense Lamy, au milieu des applaudissements de ses élèves les plus dévoués, s’est rapprochée de moi :
« Écoute, mon enfant, j’ai une surprise pour toi : te souviens-tu de Cyrano de Bergerac ? Il a le même nez que ton professeur de mathématiques et le même cœur que celui de lettres… Il va t’aider ! »
« À côté des figures en chair et os que nous avons appris au fur et à mesure à reconnaître et aimer, avant de les installer dans notre « cosmos affectif », elles sont innombrables les figures qui nourrissent notre imaginaire de lecteurs : voilà ce que Cyrano a eu la bonté de me dicter… En fait, ajoute-t-il, si la poésie peut très bien dessiner ou peindre par les mots et leur musique les figures humaines, en les rendant immortelles, la peinture et les arts visuels en général ont la faculté de fixer l’esprit et l’âme du sujet représenté, en l’inscrivant dans des décors plus ou moins adaptés… »
« Il faut d’ailleurs bien situer la figure par rapport au paysage, ai-je ajouté, en empruntant mes réflexions à la farine de mon propre sac. Si le paysagiste a l’ambition de décrire analytiquement ou saisir au vol un coin de monde qu’il aime et découvre en même temps, le peintre de figures s’engage à « zoomer » des parties privilégiées, des scènes où d’habitude la figure humaine s’installe au milieu : des scènes où l’on racontera-évoquera synthétiquement un événement ou, symboliquement, une histoire… »
J’étais finalement en train de me caler dans le thème le plus intéressant de mon devoir, quand je me suis aperçu d’un rire suffoqué, éclaté sur mon côté entre mon camarade et Cyrano. Ce dernier regardait obliquement la reproduction en noir et blanc de l’œuvre incontournable de Courbet, tandis que mon camarade insistait à dire qu’il n’y a pas d’art sans transgression. Cyrano avait lui aussi visité la Cappella Sistina et connaissait tout ce que Michelangelo avait dû endurer avec ces corps nus… Il avait aussi entendu parler du Caravage et de sa profonde rébellion contre l’hypocrisie des scènes sacrées aux visages sans aucune personnalité. Certes, le Caravage avait en lui une certaine violence… cependant, de sa brusque révélation de la vérité jaillissait une telle beauté !
« La figure étant toujours révélatrice d’un choix, d’une volonté de représentation fidèle ou déformée, ai-je vite écrit dans l’espoir de réussir enfin à dire, avant le son du tocsin scolaire, quelque chose de correct. On peut passer de la figure charismatique à la caricature, de la vision décalée à l’expression transgressive… voilà pourquoi la figure humaine a été toujours soumise au jugement des communautés les accueillant ou les rejetant en fonction de leurs différentes mentalités et cultures … Voilà pourquoi en certaines sociétés l’on arrive même à considérer les figures humaines comme autant de chevaux de Troie ayant pour but la destruction de leurs convictions et usages…»

Paolo Merloni, Mon arrière-grand-père au bureau, acrylique sur toile, 2005

En me réveillant de ce rêve « instructif » qui virait déjà au cauchemar, j’ai commencé à regarder d’un œil différent le petit tableau qu’avait fait mon enfant Paolo lors de sa première exposition, consacrée au thème de la famille. Comme vous pouvez bien le constater, il était parti de la photo en noir et blanc de la figure paternelle la plus charismatique dans notre famille et l’avait petit à petit transformée. Sa transgression n’a rien à voir avec la série de photos de Marilyn qu’Andy Warhol avait ressuscitée comme héroïne de la répétition. Mon grand-père Giovanni, par le biais des couleurs tout à fait inédites que Paolo avait choisies, semble se réjouir des caresses moqueuses de son arrière-petit- fils tandis qu’il demeurerait probablement ennuyé entendant lire des tomes autour de sa vie extraordinairement vivante et de sa mort ordinairement triste.

Giovanni Merloni

« Des jours et des jours tu dérivas / Mais jamais-jamais tu n’arrivas / Là-bas » (La contribution de Dominique Autrou à la Ronde du 15 novembre 2018)

15 jeudi Nov 2018

Posted by biscarrosse2012 in échanges

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la ronde

Principe de la Ronde : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est à un thème que nous devons nous tenir : « figure (s) » (dans tous les sens du mot). J’ai le grand plaisir d’accueillir Dominique Autrou, auteur du blog la distance au personnage. Ma propre contribution est publiée sur le blog JFrish de Joseph FRISCH Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde !

« Des jours et des jours tu dérivas / Mais jamais-jamais tu n’arrivas / Là-bas »

Cher Giovanni,

Ce ne sera pas facile, mais je vais essayer de le dire. Tu me pardonneras, j’en suis convaincu, quelques imperfections, une mémoire défaillante, de possibles inexactitudes, etc. Après tout, l’exercice, c’est juste un petit bout de la peau sur la table.
C’est le jour de la Toussaint, cher Giovanni, vers le milieu de l’après-midi, que j’ai commencé de réfléchir au thème de la ronde. « Figures », donc (coquetterie personnelle, j’essaierai de ne pas écrire à nouveau ce mot par ici). Il faisait gris clair, les nuages filaient haut, le jardin brumait doux, la maison était calme ; beau décor pour les revenants, comme tu sais. Quatre jours plus tard, le dimanche, des marins bien réels allaient quitter Saint-Malo à quatorze heures tapantes en direction de Pointe-à-Pitre. La Route du Rhum fêterait ses quarante ans, je boirais à notre santé, et cette lettre serait terminée.

La première édition de la transatlantique française, en 1978, fut un évènement considérable, même si le parcours s’annonçait a priori moins austère, presque plus facile dans la douceur alizéenne que son modèle anglais à la limite des icebergs, de Plymouth à Newport ou à Boston. Toute la semaine avait connu l’arrivée des voiliers dans le bassin Vauban, il y avait de quoi s’en mettre plein les yeux, et le passage des écluses, la veille du départ, fut un point critique lorsqu’on vit manœuvrer, à distance humaine, des marins prestigieux. J’ai souvenir, en particulier, de la silhouette élégante d’Alain Colas, avec ses rouflaquettes qui le faisaient ressembler à un Capitaine d’Empire, mais je me rappelle aussi les jurons retentissants de Florence Artaud, pour qui la manœuvre s’était moins bien déroulée (je ne la connaissais pas du tout avant que Ouest-France n’en fasse un portrait détaillé dans son supplément occasionnel). À vrai dire, je regrettais un peu l’absence du massif Tabarly, et de ses silences. Et puis on n’avait pas encore inventé la transat en double, mixte tant qu’à faire (ou non, why not), un truc à ne pas vouloir forcément arriver le premier, ou alors si, au contraire, enfin bref.

Le lendemain matin nous étions au Cap Fréhel, pressés au bord du ravin parmi la foule démesurée qui nous ferait passer, aux informations télévisées du soir, pour une colonie de macareux moine (ou de guillemots de Troïl). Vers midi la brume s’était levée à demi, la mer blanchie par les sillages des vedettes, bateaux suiveurs et chalutiers de marins-pêcheurs sortis pour l’occasion, rendait difficile la lecture du plan d’eau. C’est à peine si trois ou quatre mâts plus hauts que les autres, à l’horizon vers Cancale – et vu d’ici plus toilés –, laissaient deviner l’existence d’une régate avant la bouée jaune de Fréhel, amplifiée métonymiquement pour l’occasion par un ferry de la Brittany (sur quoi, des VIP). À partir de là allaient s’écrire concrètement toutes les performances individuelles à portée planétaire, « de la poésie moderne, de la poésie en action, de la réalité et du rêve, une noble formule de vie, – et non seulement de la bonne propagande comme le jugent les officiels » pour paraphraser Blaise Cendrars à propos de St-Ex dans La Vie dangereuse. Aussi, prendre la mer, Giovanni, quelle affaire ! Sur la butte, dans chaque groupe quelqu’un avait son transistor à portée d’oreille pour illustrer l’image rendue par les jumelles. Enfin, c’était une fête populaire, au fond, un bol d’air sur la France giscardienne finissante. Sur la route du retour, dans la lande on avait croisé cette espèce de carriole, ou de chariot en bois, meuble décoratif abandonné là depuis longtemps par une équipe de tournage après les prises de vue d’un film américain (avec Kirk Douglas, une histoire de Vikings) sur le Fort la Latte. Peut-être dort-elle encore, maigre charrette vermoulue, au fond d’un jardin de Plévenon ou des Sables-d’Or. Tout comme dort Manureva englouti, perdu démantibulé dans un abysse caribéen, on allait finir par le savoir jusque dans les boîtes de nuit (« Des jours et des jours tu dérivas / Mais jamais-jamais tu n’arrivas / Là-bas ») .
Bien sûr.

Chose curieuse, je n’ai pas retrouvé les photographies de cette époque. Elles doivent pourtant être en évidence au fond d’une des caisses étanchéifiées au scotch dans la cave, les miennes en vrac, et celles de ma mère étiquetées, datées et classées par ordre chronologique. Oui mais dans quelle caisse…
Je me relis, ce soir, avec sur le nez les lunettes pour voir de près, plus légères et confortables que celles aux verres progressifs dont je n’ai pas l’usage à la maison ; les flous du lointain, dans cette configuration, n’étant guère impénétrables. En levant les yeux, sur la bibliothèque du salon j’aperçois soudain comme une carte postale, une image bleutée dont les contours brumeux, pour la raison précitée, ne me permettent pas de savoir ce qu’elle représente, mais dont la forme générale du motif me semble en liaison très nette avec tout ce que je viens d’écrire (et là ce sera fini, Giovanni, je te le promets, la limite symbolique des 5000 signes après quoi l’attention baisse, paraît-il, ne sera dépassée que de peu). Je me rapproche donc du rayon, et c’est en effet une carte postale, je m’en souviens maintenant, achetée avec les petites-filles quand nous étions allés ensemble au musée Picasso. Grande baigneuse au livre, 1937, est-il inscrit au dos (je t’en joins une copie que tu pourras faire apparaître, si tu veux bien, à la suite de ma lettre ; chaque lecteur plissera et déplissera les yeux à sa convenance). Tout y est, inutile d’argumenter, le résumé de l’affaire est manifeste : la lectrice, concentrée sur elle-même, sur la forteresse de sa lecture, tient son histoire sous les yeux comme le marin son compas, et le vent dans la voile – spinnaker gonflé à bloc(s) – est le destin du monde, l’horizon arrondi diffracté tout là-haut, le bleu appliqué sur le corps de la terre.

Je te salue, cher Giovanni

Dominique Autrou

Pablo Picasso, Grande baigneuse au livre, 1937

Texte et image : Dominique Autrou

Voici l’ordre de la Ronde du 15 novembre : figure(s)

Guy Deflaux chez Marie-Noëlle Bertrand

Marie-Noëlle Bertrand chez Dominique Hasselmann

Dominique Hasselmann chez Hélène Verdier

Hélène Verdier  chez Marie-Christine Grimard

Marie-Christine Grimard chez Dominique Autrou

Dominique Autrou chez Giovanni Merloni

Giovanni Merloni chez Jacques d’Anglejan

Jacques d’Anglejan  chez Franck Bladou

Franck Bladou chez Guy Deflaux

 

 

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