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Archives de Tag: Giovanni Pascoli

X, Y, Z, W VIII/VIII, Éloge de la désacralisation et du scandale

02 jeudi Oct 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits, portraits d'auteurs

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Giovanni Pascoli, X Y Z W

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Panorama Mezdag, Scheveningen

X, Y, Z, W… VIII/VIII, Éloge de la désacralisation et du scandale

Avant de m’aventurer dans un autre conte-récit, qui devrait démarrer le prochain mardi 7 octobre, je voudrais ajouter quelques petites réflexions à partir du texte de Giovanni Pascoli publié hier (Digitale pourprée) et de la coïncidence du lieu de son inspiration, Sogliano al Rubicone, qui est par hasard un endroit primordial dans ma formation sentimentale et affective.
Comme vous avez pu l’apprécier, dans ce poème, une des sœurs cadettes de Pascoli, Maria, rencontre des années depuis son ancienne camarade Rachele et touche avec elle un sujet assez scabreux. Comme il arrive souvent dans la vie, Rachele répond à la question de Maria, avec une simple affirmation : oui, elle a goûté du fruit interdit, elle s’est promenée là où il ne fallait pas se promener.
Cette fleur inquiétante et même mortelle qui hantait le jardin potager des carmélites de Sogliano n’était en fait que le symbole d’un péché qui allait se concrétiser ailleurs, en dehors de ce monde cloîtré. Rachele n’a pas besoin d’ajouter rien, parce que Maria est tellement proche d’elle, qu’elle peut tout imaginer, même dans les détails.
Cette poésie jaillit probablement d’un épisode que Maria avait raconté au frère : la peur de la fleur au liquide mortel ; la camarade ayant un penchant pour l’aventure. Mais il est aussi tout à fait possible que dans ce duo, dans la réalité, à la place de Rachele il y eût le poète en personne, calé dans le rôle de celui qui confie à sa sœur une transgression ou alors un amour.
Voilà pourquoi le poète n’exprime aucun jugement, ni envers la chasteté prudente de Maria ni envers l’audace libertine de Rachele… Dans cette poésie, tout comme en beaucoup d’autres textes, Pascoli exprime la nécessité primordiale et, j’ajouterais, absolue, de « vanter la faute » ou quand même de l’avouer. Parce qu’à partir de la « confession » de la faute même, de la transgression plus ou moins effective pourra se déclencher le dénouement de sa tragédie intime.
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Panorama Mezdag, Scheveningen

D’ailleurs Sogliano, considéré par Pascoli comme un véritable havre de paix et de sérénité, a été choisi comme endroit idéal (en dehors du contexte de la vie quotidienne) pour y installer (ou projeter) des événements cruciaux de la vie du poète.
D’abord la mort du père, qu’on avait retrouvée dans L’âne. Cette poésie, si nostalgique de la figure du père, évoquée par le poissonnier en train de dormir sur la charrette (tout comme son père mort), représente le contreautel de Digitale pourprée. Car l’orphelin talentueux et génial avait besoin d’abord d’inscrire la figure du père dans la mythologie de sa mort brutale et précoce, ensuite il lui fallait une piste pour se libérer de son ombre envahissante.
Dans Digitale pourprée, le deuxième thème poétique que Sogliano met en valeur est celui de l’exil de ses deux petites sœurs dans le couvent (1)  et le successif rapprochement de Pascoli avec elles, en 1882, après la longue parenthèse universitaire de Bologne. Une circonstance primordiale, car après cette rapatriée familiale Pascoli renoncera définitivement à la vie insouciante et dissipée de l’étudiant rebelle pour assumer le rôle de chef de ce qui restait de la famille décimée et détruite. Une « nouvelle famille » avec les sœurs qui seront ainsi « sauvées » d’une vie de renfermement et de sacrifice.

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Panorama Mezdag, Scheveningen

Je veux maintenant utiliser Sogliano — se transformant de plus en plus dans un lieu imaginaire – pour une réflexion à voix haute sur le « motif » de quelques-uns de mes contes (dont le dernier ici publié) et, en parallèle, sur le noyau de l’inspiration poétique de Giovanni Pascoli et, avec lui, d’une partie importante de la poésie italienne. Je ne veux pas dire que j’ai suivi ou poursuivi ce maître incontournable. Je ne veux pas dire non plus que mes textes ne pourront jamais ressembler à ses textes.
Je me borne à reconnaître des points de vue communs relativement à certains mots : père ; orphelin ; lutte pour la survie ; désir de garder sa personnalité ; besoin de s’exprimer ; amour et respect pour la famille ; intransigeance ; volonté d’indépendance ; esprit en définitive rebelle ; amour pour la transgression ; necessité de désacraliser (2) et de briser la glace de toute hypocrisie et de toute idée reçue.

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Panorama Mezdag, Scheveningen

J’ai bien réalisé les coïncidences rétrospectives de « ma » Sogliano avec celle de Giovanni Pascoli (3) quand j’étais déjà à Paris et que la maison de mes cousins avait été déjà vendue. En y revenant avec l’esprit d’aujourd’hui, je me souviens d’un monde sévère et compréhensif à la fois, où le respect était dû, où l’humanité était profonde, tandis que l’ironie était toujours débonnaire, caractérisée par un grand amour pour le paradoxe et aussi par un brin de folie.
Pendant l’adolescence, autour des quatorze ans, ce fut à Sogliano que je contestai pour la première fois mon père (un épisode qui rappelle vaguement un rêve angoissant de la Conscience de Zeno de Italo Svevo). À part cela, je ressentais indirectement l’écho de quelques conflits familiaux très éloignés et sans conséquences, tout cela ne faisant qu’un avec l’éducation au mythe des aînées, à la modestie, à l’effacement vis-à-vis de modèles insaisissables, toujours à l’extérieur de la famille…
J’ai eu bien sûr un grand-père homonyme ainsi qu’un père extraordinaire. Tous les deux sont morts assez jeunes, laissant des vides ou même des gouffres terribles dans la famille…
J’ai vécu cela tout comme d’autres, beaucoup d’autres. D’ailleurs, devenir orphelin est, tôt ou tard, inévitable pour tous. Mais, tous les gens ne réagissent pas de la même façon aux mêmes évents de la vie…
La vie même, avec les contraintes et les fautes, et les contraintes héritées des fautes… s’ajouterait elle-même au travail du destin. Un destin renonciataire aboutissant dans l’effacement ou alors dans un personnage drôle et sensible, quelqu’un qui « aurait pu faire » que la vie a écrasé…

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Panorama Mezdag, Scheveningen

Je crois que Pascoli, comme tous les orphelins sans moyens qui ont dû surmonter des difficultés énormes avant de trouver leur « ubi consistam », n’avait pas d’autre choix, au passage de Sogliano, que de renoncer au bonheur personnel et à la vie insouciante, en échange du seul engagement qui pouvait lui donner la force d’avancer : la poésie comme métier. Et peut-être, le fait de se cloîtrer avec les deux sœurs dans une famille vouée à la chasteté la plus austère lui semblait alors une petite renonciation.
D’ailleurs, dans la société de son temps, Pascoli avait à faire avec un contexte très rigide, qui le rangeait dans une case dont il ne devait pas sortir. S’il n’y avait pas eu la protection de Giosué Carducci, un homme tout à fait exceptionnel à son époque, Pascoli n’aurait même pas eu la possibilité de sortir du lot du travail honnête et répétitif de professeur de lycée.
Mais, évidemment, l’immense talent naturel de cet homme génial et sensible — un talent exaspéré et affiné par les douleurs et les renonciations à la plénitude de la vie — l’aida à configurer, par la poésie, une personnelle et très moderne vision du monde dont aujourd’hui l’on commence de plus en plus à s’apercevoir.

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Panorama Mezdag, Scheveningen

Au temps de Pascoli, dans une Italie à la recherche d’elle-même, au-delà de quelques rares îles de culture et de liberté le conformisme était à l’ordre du jour. On était empêchés d’exprimer librement ses idées jusqu’au bout. En dehors de rares exemples (Giovanni Verga, Antonio Fogazzaro, Camillo Boito), le roman en Italie n’a pas eu la même autorité qu’en France ou en Angleterre.
Pascoli n’avait donc d’autres voies pour réagir à l’effacement et au silence que la poésie. Une poésie où la nostalgie de l’enfance heureuse et le chagrin réitéré pour le manque du père (et de nombreux membres de la famille morts l’un après l’autre) se mêlent à une forme élégante et cryptique de rébellion, se dévoilant à travers les non-dits, les inquiétudes, les mystères…
La rébellion souterraine de Pascoli n’aboutit que rarement à une véritable désacralisation du père aimé ainsi que du monde autoritaire et sourd émanant de quelque façon de la figure figée et en fin de compte, mystérieuse du père même.
Mais sa poésie s’inscrit parfaitement dans la typologie de toutes les rébellions et contestations qui ont eu besoin de la désacralisation et du scandale pour affirmer leur identité créatrice. De Edgar Allan Poe à Luigi Pirandello ou D.H.Lawrence, Mikhaïl Boulgakov, Vladimir Nabokov, Boris Pasternak… une liste infinie…
Avec la poésie ou le roman, même à partir de nous-mêmes, concentrant notre attention sur de petits détails de la vie quotidienne, tout comme cette description de Pascoli, à peine esquissée par un geste rapide, d’une rencontre fatale (entre Marie et Rachel), nous pouvons exprimer un jugement qui peut assumer une valeur universelle ou, tout simplement, lancer un S.O.S..

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Giovanni Merloni

(1) Où bien sûr les religieuses ont été affectueuses et très accueillantes avec les pauvres orphelines. Et pourtant il faut rappeler que, dans cet enfermement qui risquait s’éterniser, la hampe de roses venimeuses représente objectivement une menace (même plus grave que la perdition qui attend au-delà du mur, déguisée en homme tentateur et porteur de ruines).
(2) Dans mon petit vocabulaire, je considère la désacralisation comme un moteur indispensable pour exister. Paradoxalement, la désacralisation peut se révéler plus corrosive et même brutale là où plus forts et sincères sont les sentiments du sacre. Désacraliser quelqu’un, dans mon esprit, ce n’est pas du tout l’abattre moralement et humainement puisqu’on ne peut pas l’abattre physiquement. La désacralisation est le premier pas pour une forme plus profonde de connaissance des autres ainsi qu’un moyen d’expression artistique très efficace et parfois indispensable.
(3) La scène évoquée dans la poésie L’âne se déroule sur la montée de la route de Savignano à Sogliano, juste à dix mètres de la maison de mes cousins ; le couvent évoquée dans la poésie Digitale pourprée, où les soeurs de Pascoli ont passé des années de leur vie, est le meme couvent ou j’allais voir la supérieure Virginia Luisa, soeur de ma tante Maria.

X, Y, Z, W… VII/VIII, Tant de douceur… qu’on meurt !

01 mercredi Oct 2014

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits, portraits d'auteurs

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Giovanni Pascoli, X Y Z W

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X, Y, Z, W… VII/VIII, Tant de douceur… qu’on meurt ! 

Avec le mot FIN vient juste de terminer le conte-récit en six épisodes « X, Y, Z, W… » et déjà le rideau se lève pour en saisir les échos. Comme à la sortie d’un cinéma où l’on a assisté à un film qui nous a touché, et que nous cherchons sur les affiches quelques traces, d’habitude décevantes, de cette gueule unique, de ces gestes inimitables, et cetera. Dans le cas ci-dessus, sans trop vous ennuyer, je voudrais offrir quelques suggestions de ce que s’est passé dans les coulisses de cette curieuse histoire.
Un tel sujet ne se peut pas exploiter de façon adéquate dans un seul billet. Je le ferai peut-être plus avant. Pour le moment, je me borne à vous rappeler une circonstance basilaire. Tout au début des publications de ce portrait inconscient, j’avais affiché une vielle photo de famille (un daguerréotype), que j’avais située dans une maison de campagne à Sogliano sur le Rubicone (dans la Romagne de mes origines), où mon grand-père Zvanì trônait au milieu d’un groupe de gens affectionnés et respectueux. À partir de cette photo, j’avais entamé une petite recherche sur l’enfance et l’adolescence de mon grand-père qui m’avait donné envie de me faufiler dans l’histoire parallèle d’un autre Zvanì, beaucoup plus célèbre et de dix-huit ans plus âgé que mon grand-père, Giovanni Pascoli, grand poète du XIXe siècle (mort en 1912), que j’ai essayé alors de mieux connaître, pour le plaisir de mes lecteurs aussi. Au cours de cette recherche, je suis tombé sur deux poésies majeures qui se déroulent à Sogliano sur le Rubicone. D’ailleurs, ce dernier n’est pas seulement le pays commémoré par l’unique photo en couleurs que je connais de mon grand-père. En dehors de mon habitation à la ville, celle de nos cousins de Sogliano a été la principale sinon la seule maison « de campagne » qui ait eu de l’importance dans mon enfance et adolescence. Or, la première de ces deux poésies de Pascoli (« L’âne », dont je vous ai déjà parlé) se déroulait au long de la route en montée venant de la via Emilia, juste avant l’arrivée au pays de Sogliano, en face donc de la maison — en retrait par rapport à la route — où habitaient pendant l’été lesdits cousins. C’est là — dans cet endroit très humble, près d’une rambarde de fer d’où l’on peut profiter d’un formidable panorama sur les collines ensoleillées de Romagne — que l’avalanche humaine ( ! ) a échoué.

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Dans la deuxième poésie (« Digitale pourprée ») Pascoli évoque le couvent des religieuses carmélites situé au bout du pays, en haut vis-à-vis de la maison et de la rambarde panoramique. C’est le même couvent où j’allais avec mes familiaux faire visite à la mère supérieure, sœur Virginia Luisa, la sœur aînée de ma tante Maria, une des jeunes debout dans la photo de la fameuse tablée. Les tendres souvenirs de ces innocentes visites aux religieuses cloîtrées — juste un peu troublées par l’idée de ce monde inaccessible au-delà de la grille —, se sont mêlés, dans mon conte « innocent et blasphème », à d’autres suggestions, tout à fait étrangères à ma sensibilité d’alors ainsi qu’à la réalité de ces gens de Romagne, toujours portés à une vision saine et sincère des rapports humains. Et pourtant, cette poésie « tendre et sensuelle » de Giovanni Pascoli (que je n’avais pas lit avant, je le jure !), contient des inquiétants parallèles avec mon récit.
Pour une lecture plus efficace de ce « poème de la nostalgie », je l’ai « adapté » (utilisant les mots mêmes de Pascoli, dans l’hypothèse d’une exploitation théâtrale.

Giovanni Merloni

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Giovanni Pascoli : « Digitale pourprée » (1898) 
(traduction et adaptation sous forme de dialogue de Giovanni Merloni)

I
Elles sont assises, en train de se regarder l’une l’autre. Marie, maigre et blonde, est très simple dans ses vêtements tout comme dans ses regards ; mais l’autre, Rachel, est frêle  et brune… Deux yeux simples et modestes fixent deux yeux qui brûlent.
MARIE — Est-ce que tu y es retournée, là-bas ?
RACHEL — Jamais ! »
MARIE — Donc, tu ne les as plus revues ?
RACHEL — Jamais plus, mon amie.
MARIE — Moi, au contraire, j’y suis retournée ; et je les ai revues mes blanches sœurs ; j’ai eu la chance de les revivre les années douces que toi-même tu as connues, ces années petites qui caressent le cœur…
RACHEL (Elle sourit).
MARIE : — Écoute, est-ce que tu te souviens du potager emmuré ? des ronces avec les mûres ? des genévriers où sifflent les grives ?
des buissons amers ? de ce chant mystérieux, secret, avec cette fleur, qu’on appelait la fleur de…?
RACHEL : — …de la mort. Oui, ma chère.
MARIE : — Était-ce vrai ? Moi j’y croyais tellement, Rachel, que je ne serais jamais passée à côté de la triste fleur. En fait, on disait que cette fleur avait une sorte de miel capable d’enivrer l’air, que sa vapeur inondait l’âme d’un oubli douce et cruel. (Emportée par ses mots, Marie pose sa main sur la main de sa compagne.) Ah! Ce couvent au milieu de la montagne bleue !
Les deux amies regardent au loin.

II
D’un coup, dans le bleu intense du ciel de mai, elle voient surgir leur monastère, plein de litanies et d’encens. Tandis qu’elles se plongent dans cette vision, leurs pensées se parfument de la senteur des roses et des giroflées, ainsi que d’une sensation d’innocence et de mystère.
Des mélodies — oubliées là-dedans sur des claviers à peine effleurés — bourdonnent dans leurs oreilles, remontent à leurs bouches…
Ah! qui était-ce ce jour-là cet hôte chéri qui leur sourit aux grilles  ? d’où elles rentrèrent alors plus rouges et gaies au vacarme des chambrées ; et qu’en ce jour précis, plus haut, Ave, leurs voix en chœur vont répéter, Ave Maria ; jusqu’au moment où Elles pleurent (pourquoi ?)…
Elles pleurent, un peu, dans le couchant doré, sans qu’il y ait une raison. Que de fillettes couraient autour d’elles dans le blanc potager ! Un endroit blanc et bavard. Petit à petit, accompagnées par le bruit de voiles au vent, elles arrivent toutes. Dans la chambrée, quelqu’une reste pour lire un de ses bons livres. À l’écart d’elles, agiles et saines, une hampe de fleurs — ou alors de doigts éclaboussés de sang, des doigts humains — exhale l’haleine de sa vie inconnue.

III
Elles se serrent un peu plus les mains. À cette heure elles ont vu
leur enfance, les chères années lointaines. Des douces souvenirs se déclenchent. Elles savent tout l’une de l’autre, rien qu’à cette touche muette. Combien est-il triste et pieux l’éloignement du dernier salut !
RACHEL — Marie !
MARIE — Rachel !
RACHEL (Elle pleure. Puis, s’adressant à elle-même) : — Adieu !
(Puis, en adressant la parole grave envers Marie, sans lui confier ses yeux noir elle murmure) : — Moi, oui, je goûtai cette fleur. J’étais seule avec les cétoines vertes. Le vent amenait l’odeur des roses et des giroflées. Dans le cœur, j’avais le langoureux ferment d’un rêve qui brûla pendant la nuit avant de s’éteindre à l’aube, dans mon âme ignorante. Marie, je me souviens de ce soir grave. L’air pulsait de la lueur d’éclairs silencieux. Je m’aventurai légère, prudente, montant en haut par de moelleux terre-pleins herbus. L’herbe touffue me retenait les pieds. Tu souris ? Et j’entendais un voix disant : Viens ! Viens ! Et il y eut tant de douceur ! Ô combien !
MARIE (Elle lève les yeux stupéfaits, elle voit maintenant, tout en écoutant, traversée par un long frisson…)
RACHEL — Il y en eut tellement, tu vois… qu’on meurt !

Giovanni Pascoli

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Giovanni Pascoli : L’âne. Une traduction hasardeuse

21 dimanche Juil 2013

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Giovanni Pascoli

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

Vive le beau temps qui rend les vacances crédibles ! Jusque aujourd’hui, dimanche 21 juillet, je n’ai rien envisagé. Il est possible que je profite du calme relatif da cette ville qui d’ailleurs offre des alternatives très agréables à la solitude et au manque de repos et détente physique. Je pourrais aussi faire de brèves escapades dans un ou deux de ces merveilleux endroits d »Île de France entourant Paris. Ou alors, je pourrais me rendre là où habitent et lancent des signaux de fumée mes correspondants éperdus dans le réseau virtuel, vainquant ainsi la paresse présomptueuse de tout savoir en deçà de la connaissance physique des lieux. Selon les liens qui me sont devenus les plus familiaux je pourrais aller à Avignon, Poitiers, Pas-de-Calais, Barcelone, Mons, Fribourg, Luxembourg, La Haye…
Même si je me décide à ne rendre visite qu’à un seulement de ces correspondants, il me faudra une dizaine de jours pour que cela soit d’abord une rupture, ensuite une vacance saine.
Cet ambitieux projet me contraint, chers lecteurs, à effectuer une modification de rythme vis-à-vis de mes publications dans la période estivale.
D’ailleurs, pour ne pas succomber aux fatigues du loisir, avant de partir il faut se reposer.
Pendant les vacances, d’ici à dimanche 15 septembre, je continuerai mes publications tous les mardis, vendredis et dimanches de chaque semaine au lieu que tous les jours.

pascoli

L’âne de Giovanni Pascoli, une traduction hasardeuse.

Pour conclure le cycle presque ininterrompu de mes publications journalières et lancer un pont estival vers les publications de septembre, je considère comme stratégique ce poème de Giovanni Pascoli, dans lequel l’image poétique du « retour du poète à Sogliano » se fusionne intimement avec la vision filmique du « retour du père mort à San Mauro ».
Sogliano, commune située en position dominante au milieu des collines reliant la Romagne au Marches ; San Mauro, île heureuse, du moins dans le souvenir de Pascoli, encastrée entre la route Émilie et la mer.

Je vous laisse lire ma traduction à moi, dans laquelle j’ai essayé de respecter le plus que possible soit les intentions de Pascoli soit ses fondamentales contraintes poétiques. Fin du mois de septembre, je reprendrai ce texte pour l’intégrer dans le vie de Pascoli et aussi dans l’histoire de la Romagne à l’enjambement des siècles XIX et XX.

Je veux ici remercier Marina Foschi pour les photos qu’elle m’a gentiment envoyées. Elles font partie d’un plus grand travail sur les lieux qu’elle réalisa en 1972 avec notre commun ami et camarade Sergio Venturi, récemment disparu. Je crois que Sergio serait content de voir  Sogliano al Rubicone – ce modeste et pourtant vivant village situé au milieu des collines de Romagne – efficacement représenté ici grâce à ces photos émouvantes pour leur simple et joyeuse beauté.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

Giovanni Pascoli (1855-1912) : L’âne (Premiers petits poèmes, 1897)

I
L’âne… m’apparut tout devant : c’était un soir
d’octobre, en route vers Sogliano. En train
de monter, le courrier crissait  jusqu’à choir.

Moi, je regardais en arrière, vers la plaine
où déjà mon San Mauro s’effaçait de l’air
— oh mon nid d’alouette dans le grain ! —

où luit parmi le vert, frôlant les claires
brèches de villes bourgs cités, telle un dragon
bercé par le doux chant de la mer

la Marecchia argentine. Dès que glouton
ravi je fus à cette vue, me retournai, et noir
comme un écueil au milieu rose d’un lagon,

noir au-dessus du changement  provisoire
de la couleur du ciel, inexplicable ombre nette,
noir et immobile là-haut comme ostensoir

je vis un âne avec sa charrette.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

II
Rien d’autre ? Non. D’une mystérieuse
pente venait le chant des vendangeurs,
venait le chant d’une vendangeuse :

glissant par-ci par-là dans la rumeur
des roues. J’entendis une voix disant :
— Et l’on m’a dit déjà que l’amour meurt —

Moi, rien que ça ; mais plus que ça sûrement
entendit l’âne là-haut, tout en sombrant
dans la mort du soleil en plein éclatement

Par intervalles je vis qu’il ne bougeait pourtant
pas son ombre longue avec ses longues oreilles
pour ce couplet ainsi long et touchant

quitte à se tordre lors d’une ritournelle
claire, la voix d’une cornemuse enflée
âpre, sortant d’avide vorticelle…

Sur la charrette le chauffeur dormait.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

III
Ronflait au milieu de la route solitaire
Écume, le rauque poissonnier pieds nus,
ton fils, ô Bellaria aux aubépines claires.

Par le vin de Bagnolo pris et vaincu
fut-ll en revenant ; l’autre, peu à peu,
voulant sa route seul ne suivre plus,

s’arrêta (dépourvu de bâton !) au feu
des vêpres. Au dos, de ces flottantes joues
de ce fort souffle rauque il écoutait le jeu.

Je vis l’un dormant sur les bourriches nues,
lors du passage : et l’âne, Chut ! Qu’il dorme !
parut-t-il faire signe envers les sonores roues.

L’un sur les paniers, et sur ses quatre ormes
l’autre, pas moins immobile que cet être humain.
Rien que son ombre à lui, longue et difforme

paîtrait sur le talus à l’odeur vague de thym.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

IV
Tandis que l’homme, la chère âme léchée
par l’oubli, dormait au centre de la grand-route
auprès du foyer sa femme, oh l’attendait.

S’il eût juste allé là où des gens, sans doute,
sont maîtres en poêlées, sous cet abri soudain
où le fragon et le genêt crépitent ;

à Montetiffi ; à Montebello, où d’entrain
encore le merle bleu de son plein gré
aime revenir dans ton château lointain ;

elle déjà l’attendait ; au Luso, la cabane usée
n’entendrait plus de cette femme l’orgueil
du tourbillon frémissant de la fusée ;

parce qu’elle réveillait déjà le feu, par feuilles
sèches, et tamisait, avant de mettre son
pied dehors, aux femmes assises près du seuil

demandant, de temps en temps : Le voit-on ?

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

V
Cet homme était là-haut, loin de la mer
sur le mont bleu ; sans le savoir : à peine
croyait-il suivre son allure légère

Non, déjà touche-t-il à pas hardi la plaine
en sentant sursauter au-dessous du chariot
ton pavé résonnant, ô ville humaine ! [1]

Non, déjà de San Mauro il reconnaît le mot
d’Ave Marie le son sans retenue
grave et suave, parmi le bruit du trot.

Non, c’est la Tour : dans le noir connu
de son parc il saisit le pinson au très gai cri
tout en galopant au tour du coin de la rue.

Dès l’arrivée, il hurle : Hue ! mon chéri
L’air de la mer lui piquait le front,
et le sable engageait : Hue ! Mais celui

était là-haut, figé contre le bleu du mont.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

VI
Écume, le sable entrave ! Homme, l’arène
ligote les roues ! Le peu de route resté
On le fera bien sûr avec un peu de peine :

mais c’est la fin, au juste ! La fin, on est
déjà au but, au repos ! Écoute : du chant
de mille vagues la mer va te fêter.

Allez ! On ralentit maintenant ; mais avant
on a couru vraiment ! Voilà Bellaria, ô Écume !
Allez ! Touche la joie, bel homme ! — Pourtant

l’âne ne bouge pas. L’homme rêve. Brume
mouvante en taches noires contre le ciel pourpré,
les chauve-souris bondissent dans l’air en grumes.

Un son de cloches frappe à travers un voile léger
de terres lointaines ; et tout se décolore.
Là-bas une femme implore la mer tourmentée

fixant son ombre muette : Ne se voit-il pas encore ?

Giovanni Pascoli

(traduction en français de Giovanni Merloni)

TEXTE ORIGINAL de la Fondazione Giovanni Pascoli

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

[1] Savignano dans le texte original

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 21 juillet 2013

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