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« …un ciel plus bleu que les yeux d’un enfant » (Première excursion dans la poésie de Francis Vladimir)

27 dimanche Jan 2019

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Alexandre Blok, Claire Dutrey, Francis Vladimir, Poètes sans frontières, Vital Heurtebize

Giovanni Merloni, L’autunno è i tuoi capelli, aquarelle 50 x 70 cm, 1976

« …un ciel plus bleu que les yeux d’un enfant » (Première excursion dans la poésie de Francis Vladimir)

Le prochain vendredi 22 février à 14 h 30, Francis Vladimir, un ami poète que je connais depuis quelques années et estime beaucoup, sera l’invité des Poètes sans frontières avec sa « Célébration », un texte poétique à mon avis unique. Avec Vital Heurtebize et Claire Dutrey, j’aurai l’honneur de présenter Francis Vladimir et le faire connaître, j’espère, à quelques-uns de mes lecteurs, que j’invite vivement à se rendre, ce jour-là, au Hang.’Art, 63 quai de Seine, 75019 Paris.
Je vous donne ici-dessous quelques anticipations de son œuvre poétique vraiment intéressante et belle. À partir de l’enregistrement vidéo de sa présentation de « Célébration » à la librairie parisienne « Au gai Rossignol ».
G.M.

Vendredi 26 octobre 2018, Au Gai Rossignol de Paris, Francis Vladimir a dit quelques morceaux de « L’automne », extrait de « Célébration », son dernier texte poétique (Video YouTube)

« Que dit ce pleur d’automne ? »
Alexandre Blok

Regarde ce ciel d’automne
Avec ses longs cheveux
Crinière dans le vent
On dirait qu’il chevauche
L’absolu au galop
(p. 120, « Célébration » de Francis Vladimir, éditions Au Pont 9)

Voici le bel automne
Le danseur des couleurs
Qui se balance aux branches
Pour ne faire qu’un corps
Avec un ciel d’alcool.
(p. 113, ibidem)

C’est un automne nu
Qui à présent s’installe
Sans habit ni soulier
Pyromane écorché
De ses couleurs suspectes
(p. 113, ibidem)

Les premiers jours
D’automne
Sont encore inaudibles
Ils ont la foi tronquée
De toute fin d’été.
(p. 86, ibidem)

À la nuit et au jour
Qui se donnent la main
Sous les larmes d’automne
Quand tout semble à jamais
Relégué au passé
(p. 111, ibidem)

J’ai vu des spectres blancs
Dans le grand lait du ciel
Venant de nulle part
Ils ont lâché sur nous
Leur féérie d’automne
(p. 110, ibidem)

Avec des fils d’argent
J’ai arrimé les bas nuages
Blancs que l’automne amoncelle
Sur nos têtes chenues
Grand miroir renversé
(p. 112, ibidem)

Ce sont de grands tissus
Qui traversent le ciel
Une main mystérieuse
Et expérimentée les coud
Au fronton de l’automne
(p. 112, ibidem)

Je les ai vu passer
Du matin jusqu’au soir
Ces grandes banderoles
Que le satin du ciel
Déploie au grand automne
(p. 112, ibidem)

Des étoffes et des couleurs
Toujours pour faire un ciel
Plus bleu que les yeux d’un enfant
Que l’automne tardif
A surpris dans son jeu
(p. 113, ibidem)

Sur la table du ciel
Des monceaux de nuages
Tissus effilochés pour des habits
D’automne que les astres
Lointains refusent d’endosser
(p. 112, ibidem)

C’est un métier bruyant
Qui file à l’horizon des fils
D’or et d’argent que l’automne
Insensible noue à mon cou
De condamné à mort
(p. 113, ibidem)

Il y a dans le ciel une langueur
D’automne, une langue de feu,
Cheval en équilibre
Qui se cabre et hennit, âme
Violette qui se met au galop
(p. 118, ibidem)

La lune est un étang
Céleste. Les passereaux
D’automne la transpercent
La nuit
Pour d’autres horizons
(P.116, ibidem)

D’autres yeux ont pleuré
Et le ciel, informe marécage,
À son tour a pleuré
Sans savoir le pourquoi
De l’automne qui pleure
(p. 116, ibidem)

L’équinoxe d’automne
Où le temps se partage
Dans l’équité des astres
Dernier soupir d’été
Dans les branches des arbres
(p. 82, dans « L’été », ibidem)

Oui nous avons couru comme jamais
Heureux de cette vie aux formes abondantes
À présent tout s’étiole, la terre n’en peut mais,
Et la saison multiple se défie de l’automne
Avec ses tissus froids rapiécés de fils d’or.
(p. 112, ibidem)

Il flotte dans l’air d’automne
Des particules élémentaires
Qu’on se plait à saisir d’un regard
Vagabond comme si la vie
Se résumait à traquer l’indicible
(p. 103, ibidem)

Une harmonie d’automne
Faite de feuilles séchées
Et de couleurs passées
Comme un point d’absolu
Au-devant d’un corps nu
(p. 104, ibidem)

Les géraniums ont changé de couleur
De leurs teintes pourprées
Ils colorent l’espace qui dort sur la terrasse
Et l’air tout alentour
Instille l’harmonique de cet été indien
(p. 102, ibidem)

Dans le jardin d’automne
Les fleurs les arbres
Et les semis cachés
Ont la teinte discrète
Sobre et dépareillée
(p. 100, ibidem)

Les semis d’automne
Sont vigie d’espérance
On dépote, on arrache,
On creuse, on arrose,
On se sent plus léger
(p. 103, ibidem)

Une rose d’automne
Pleure d’éternité
De sa couleur exquise
Elle mime en silence
Les soubresauts d’une âme
(p. 125, ibidem)

Le langage des fleurs
La parole cachée
Que le jardin d’automne
Au secret bien gardé
Ne déflore jamais
(p. 103, ibidem)

Les arbres se souviennent
De leur enfance et dans le ciel
Couleur de geai ils comptent les années
Et les générations que l’automne
Disperse d’un même mouvement
(p. 111, ibidem)

Je regarde l’érable avec ses bras
Si amples qu’il tutoie les nuages
Et le puits qu’il vénère a la mine
Sévère des pierres centenaires
Que l’automne balaie.
(p. 90, ibidem)

Le figuier tremble sous le vent
De l’automne. Il a des larges feuilles
Et des figues trop hautes, trop mûres,
Elles tombent une à une, odorantes
Et très molles, elles collent aux doigts
(p. 90, ibidem)

Sur la feuille d’automne
Voici que disparaît
La couleur de l’été
Et qu’apparaît soudain
Une papille d’or
(p. 97, ibidem)

C’est une journée d’automne
Avec ses couleurs mauves
Et ses pigments safran
Le feuillage muet s’est défait de son or
Sous l’étoffe du ciel
(p. 103, ibidem)

La campagne était belle, d’une lenteur
De vague, sans écume et sans force,
Lorsque la mer, fatiguée, assagie, se fige à son tour
Les yeux alors s’obstinent en quête d’horizon
Et l’automne essoufflé devient un ami sûr
(p. 108, ibidem)

L’automne a déposé inquiet
Son grand manteau troué
La terre est jonchée de feuilles à l’éclat
Lourd mouillé et presque noir
Que le vent par endroit soulève avec effroi
(p. 108, ibidem)

Deux arcs-en-ciel se sont superposés
Dans le ciel menaçant leurs jambes
Étaient visibles puis les couleurs
D’un coup ont fondu tristement
Dans la lueur d’automne
(p. 107, ibidem)

L’horizon n’était barré par rien
Sauf quelques bosquets d’arbres qui, au loin,
Semblaient des casemates où des chevreuils
Bivouaquaient en famille et l’automne, lui,
Avançait à grands pas surchargé de couleurs
(p. 108, ibidem)

Les cieux à l’infini
Sont un jardin céleste
Où l’automne promène
La pourpre et l’or
De son manteau de deuil
(p.103, ibidem)

Dans le café du coin
J’entends parler les gens
De la pluie du beau temps
Mais des rancœurs aussi
Que l’automne déploie
(p. 105, ibidem)

C’est un café fréquenté
Par les gens d’alentour
Des salariés des travailleurs
D’ailleurs et des voisins penauds
Dans leurs habits d’automne
(p. 105, ibidem)

Au détour d’une phrase
Un mot parfois suffit
Et le regret se fait
D’aller voir si ailleurs
L’automne est accueillant
(p. 105, ibidem)

Dans les longs jours d’automne
Tout nous semble si long
Si rangé que l’équinoxe même
Quelque part sur la terre
Renonce à partager le temps
(p. 125, ibidem)

La liturgie d’automne
Un chant amplifié
Par la nature même
Qui se remet en chaire
Ou le genou à terre
(p. 114, ibidem)

Automne, saison des parenthèses,
Où la vie rétrécie se suspend à un fil
Dernier miroir tendu d’une équation
Distante, Insoumission d’une âme, rongée,
Sacrifiée, en plein vol dispersée
(p. 126)

L’homme que je suis devenu
Regarde devant lui
Mais il ne sent plus rien
Ni l’automne mélancolique
Et tendre ni son éternité
(p. 113)

Des mots toujours des mots
Des signes fabuleux des cris
D’oiseaux de proie et des ailes
Géantes en quête de saison
D’automne en majesté
(p. 85)

Francis Vladimir

Juin 2018, Francis Vladimir jouant une pièce d’Anton Tchékhov à Paris

Juin 2018, Francis Vladimir et Marie Aubert jouant une pièce d’Anton Tchékhov à Paris

Cher Francis,
Sincèrement, j’ai beaucoup aimé, vendredi dernier, cette rencontre poétique au Gai Rossignol.
Dans une ambiance libraire on ne pouvait plus cohérente à l’esprit rêveur de l’assistance, ta « lecture par cœur et à voix juste » des Célébrations m’a profondément touché.
Non seulement pour ta présence d’acteur, que j’avais déjà appréciée cet été dans une interprétation de deux « shorts » de Tchékhov pleine d’humour et de verve existentielle. Vendredi j’ai trouvé cette présence encore plus charismatique, avec ta façon désenchantée et intime de nous partager à la fois l’émotion des saisons et le dialogue intérieur du poète engagé et sensible que tu es.
Avec cette « lecture libératoire » — qui ne se dérobe pas aux contraintes de la vie mais dépasse nonchalamment celles de l’édition —, tu m’as fourni une clé indispensable pour aller au-delà de ma première lecture, peut-être trop respectueuse de la configuration de la page, me donnant la chance de me faire une idée plus pertinente de ce que représentent pour toi les quatre saisons, que tu célèbres à l’échelle du temps humain et dramatique qui les traverse.
En t’écoutant, j’ai apprécié l’importance de ton travail, consistant à mon avis moins dans le creusement en profondeur que dans l’endiguement illuminé de ce que ton être généreux et sans doute volcanique laisse jaillir spontanément : comme dans le théâtre de Tchékhov, épuré même quand il s’agit de déchirantes passions, tu recherches dans l’essence impressionniste des images, se mariant prodigieusement à l’essence philosophique des mots, la clarté d’un discours que tout le monde peut enfin comprendre et reconnaître comme sien.
Tu instaures un dialogue merveilleux entre les images et les mots et ce dialogue correspond parfaitement au dialogue intérieur du poète visionnaire que tu deviens quand tu te racontes…
Moi aussi, je m’étais mesuré — en des aquarelles versifiés — avec le thème des saisons, en y mettant en valeur l’importance des cheveux. Moi aussi j’ai toujours cherché la façon de me raconter de façon théâtrale, à travers un dialogue avec un, cent, mille autres personnes vivantes ou disparues qui constellent mon ciel diurne ou nocturne. J’ai longuement songé à une lettre à une personne libre de préjugés et pourtant animée d’une sincère et tenace disponibilité à l’écoute. Jusqu’ici, ce dernier « roman de ma vie » n’a pas trouvé la bonne route pour s’exprimer, tandis que les souvenirs flottent péniblement avec les regrets et les remords, ne se fixant que rarement sur des fragments poétiques ou alors sur des textes forcément fictifs, où les personnages se débattent dans leurs déguisements comme Hercule dans la tunique de Nessus…
Dans tes « Célébrations », les Saisons sont des interlocuteurs neutres mais pas du tout indifférents !
D’ailleurs, elles sont des immenses royaumes, où le particulier et l’universel cohabitent, nous apprenant à décliner le grand avec le petit, la feuille avec la petite étoile tombante, l’arbre avec les immenses et redoutables constellations qui essaient inutilement de mesurer l’infini.
Les Saisons rythment le temps de nos vies : elles sont toutes les mères et tous les pères du monde et, en même temps, elles sont nos parents à nous, ces êtres exigeants et indulgents, se révélant présents ou absents selon ce que décide la loi du Temps qui tout efface et métamorphose.
Entre « infini » et « inattendu », les Saisons, pour toi, ne sont pas que les décors du théâtre de la vérité : elles forment une partition invisible où ta musique intérieure peut s’épanouir ; elles sont la métrique idéale pour tes vers dramatiques et le rythme le plus approprié pour ta quête incessante d’un sens et d’un but à notre vie d’hommes écrasés et de poètes insoumis.
Giovanni Merloni

Mon cher Giovanni,
il est difficile de répondre à une adresse aussi éloquente comme tu as bien voulu le faire.
Je sens combien tu as saisi l’essence de ce que j’ai essayé de dire avec « Célébration ».
Ce que je creuse est bien de l’ordre du sensitif qui rejoint l’interrogation que chacun de nous pose à la vie. Cette avancée de noctambule, d’équilibriste sur la corde raide du peu de temps qui nous est imparti, j’essaye de la mener en me prenant en main du mieux que je le peux et en tendant la main à ceux qui veulent bien la saisir et m’entendre.
Il est bien vrai que le désenchantement n’est jamais loin mais sans doute est-ce pour ça que je m’efforce de réenchanter avec des mots fusains sur la toile de l’existence, le quotidien dont les saisons sont partie prenante, de manière cadencée ou répétitive, mais avec cette prégnance qui fait que l’homme et la femme se retrouvent enrôlés dans le tourbillon de la vie, quel que soit le rôle qu’ils y jouent.
Merci mille fois pour ces mots chaleureux, venus du coeur, dits avec une justesse profonde, qui rejoignent et permettent de partager l’intime conviction que la poésie est salvatrice, que l’art tout court nous élève bien au-dessus de nous.
Et si le sentiment du merveilleux m’habite c’est que je le retrouve dans les regards et les mots échangés avec les autres.
Je ne sais s’il y a une bonne route à prendre pour dire ce que nous avons en nous, pour extirper le sens que nous recherchons et que nous accordons à ce qui nous entoure, au monde tel qu’il va (bien ou mal), mais je sais que la tentative est nécessaire et vitale et qu’elle nous réconcilie avec nous-mêmes et le monde.
Nos royaumes ne sont rien s’ils n’accueillent les pèlerins égarés, les blessés du coeur, les amochés de la vie, les grands solitaires en quête de la dernière étoile, c’est pourquoi j’ai voulu leur offrir cette magie qui opère à portée de mains et sous nos yeux, dès lors qu’on s’attable au quotidien et qu’on apprend à l’accepter.
Si nous nous évadons nous le ferons ensemble et nous goûterons à une liberté possible.
Francis Vladimir

« …quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi » (Rencontre des Poètes sans frontières avec Régine Nobécourt-Seidel)

25 vendredi Jan 2019

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Claire Dutrey, Hang'Art, Poètes sans frontières, Régine Nobécourt-Seidel, Vital Heurtebize

Vital Heurtebize et Régine Nobecourt-Seidel

Je suis dur
Je suis tendre
Et j’ai perdu mon temps
À rêver sans dormir
Partout où j’ai passé
J’ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte accroché au plus haut des entrailles
À la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille
Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement
Pierre Reverdy, Tard dans la vie

« …quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi »

En début d’après-midi, vendredi 18 janvier 2019, la petite salle que le Hang’Art prête chaque mois aux Poètes sans frontières était déjà presque pleine : beaucoup de personnes aux visages connus, répondant à l’appel de Vital Heurtebize et Claire Dutrey, se sont ajoutées au petit groupe des indéfectibles qui sont là depuis septembre dernier.
Donc, on a commencé bien la nouvelle année ! Pour moi, c’est la progressive découverte d’un vaste réseau de rapports et d’échanges qui dure depuis plus que vingt-cinq ans désormais autour des Poètes sans frontières. Un travail dont Vital Heurtebize s’est chargé avec un engagement constant et une force d’agrégation unique. Je n’avais pas compris, par exemple, qu’il n’y avait pas que les Jeux floraux de Picardie, avec leur prix Renée Vivienne. J’ai découvert, vendredi dernier, l’existence des Jeux floraux du Béarn et d’autres encore, constitués auprès de différentes régions de cette France généreuse et prolifique et réunis, grâce à la clairvoyance et l’autorité morale de Vital Heurtebize, dans cette association des Poètes sans frontières qui reconnaît à la poésie une fonction humanitaire et demande donc à ses membres de participer, par leurs initiatives, à la récolte de fonds à soutien des gens en détresse.
Cela a déclenché en moi un souvenir chéri : pendant deux périodes distinctes de celle que j’appelle « ma vie d’autrefois » — à Bologne dans les années soixante-dix et à Rome dans les années quatre-vingt-dix —, mon travail d’architecte-urbaniste m’a donné la chance de m’occuper au fur et à mesure de différentes réalités de la même région en favorisant des échanges entre elles : cela a fait déclencher une confiance réciproque tout à fait inattendue et une prodigieuse disponibilité à collaborer (la Région avec les Communes, par exemple). En dépit des énormes différences entre la plaine du Pô bordée des Apennins et la vaste région qui encercle Rome, l’impressionnante richesse culturelle et humaine venant des différentes réalités que je découvris à ces époques rebondit de temps en temps dans ma mémoire, avec la sensation d’avoir pu, malgré tout, réaliser quelque chose d’utile et positif.
Je m’amusais beaucoup avec les noms curieux de certains villages et je regrette encore des rencontres qui ont marqué ces tourbillonnants allers-retours, la tête pleine de propos et de questionnements…

Vital Heurtebize et Régine Nobecourt-Seidel

À présent, je découvre une profonde affinité entre mon esprit d’autrefois, celui d’un homme de bonne volonté se consacrant volontiers à une activité noble, même si presque invisible, et mon esprit d’aujourd’hui, celui d’un poète sans frontières qui ne vit ni dans l’une ni dans l’autre de ses patries (L’Italie d’origine, la France d’adoption), et partage pourtant, avec d’autres poètes, des sentiments communs qui vont aussi dans la direction de l’autre avec la conscience qu’il s’agit d’un frère.
Certes, tous les poètes n’ont pas été foudroyés sur la route de Damas. Ils considèrent rarement leur expression libre comme une mission fraternelle. Rarement sont-ils en mesure d’aller au-delà de leur monde exclusif et circonscrit. Donc, même s’ils possèdent parfois la force de briser la boule qui les accompagne et les renferme tel un étau étoilé, ce n’est pas dit que leur message sera forcément altruiste et généreux.
Cependant, au bout de son chemin, la poésie, même la plus rebelle et abrupte, poursuit toujours la lumière de la Bonté et de la Beauté. Tous les petits fleuves, torrents ou ruisseaux ayant leur source dans une douloureuse nécessité d’expression poétique vont tôt ou tard s’échouer dans l’immense mer du partage et de la réconciliation.
Dans le monde entier, la France est sans doute le pays le plus sensible à l’importance des mots, à la force des mots, à la responsabilité que comportent les mots. Cependant, les premiers temps de mon séjour à Paris, j’étais étonné par le nombre de cercles de lecture et d’ateliers d’écriture auxquels se soumettaient aussi, à ma grande surprise, des écrivains et des poètes reconnus. Je m’en émerveillais et me disais aussi que c’était une caractéristique de la culture française, celle de tout faire passer par une école : « qu’elle soit l’école pour tous ou une école d’élite, cela ne change pas grand-chose ! » Avec le temps, cette première impression s’est complètement renversée. Moi aussi, échangeant sur Internet à partir de mon blog et de mon compte Twitter, je me suis mis plusieurs fois à l’épreuve en des ateliers d’écriture poétique comme les « vases communicants » lancés par François Bon ou la « ronde » de Dominique Autrou et Hélène Verdier. Cela m’a aidé à saisir le sens profond de ces échanges, ayant pour but primordial le développement et l’approfondissement de la connaissance de la langue et de la littérature française. J’ai enfin compris que l’apprentissage de l’écriture, véhicule irremplaçable d’une culture de plus en plus vaste et partagée, ne devrait pas s’arrêter, comme il arrive à la plupart de nos concitoyens, au terminus des études scolaires. Il faudrait continuer, même si l’on n’a pas envie de devenir poète jusqu’au bout, parce qu’au fur et à mesure qu’on apprend à lire et à s’exprimer correctement on devient plus civilisé, perméable à la connaissance et ouvert aux autres.

Régine Nobecourt-Seidel

Vendredi dernier, Régine Nobecourt-Seidel, invitée de Vital Heurtebize et des Poètes sans frontières« avec son dernier recueil poétique — « De lunes, de rêves et d’embruns » —, nous a amené l’âme et l’esprit de sa Provence natale, nourris par son enfance dans les hauts de France : « Si je suis ce que je suis, dit-elle, c’est parce que j’ai vécu en Picardie une enfance particulière ».
Ondoyant entre ces deux paysages ô combien antagonistes, Régine nous invite à l’accompagner dans une longue traversée au rythme d’une marche courageuse et même héroïque où s’alternent l’enthousiasme naïf pour la force représentative des mots et la sensibilité à fleur de peau envers les couleurs et les bruits de fond venant du magma de l’existence ;

« Sur l’onde de ma nuit, intensément je vis,
responsable, gonflée de mille nouvelles envies
et s’affirment mes choix !
Sur le bord de ma nuit
quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi. »
Régine Nobecourt-Seidel, « Révélation » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 55

En fait, par sa marche, elle traverse les lieux de sa mémoire telles les tombes des aînés ou alors les ombres fuyantes de son passé à elle. Des lieux qui demeurent pourtant séparés et inaccessibles.
Ce sont les lieux qui l’inspirent ou alors s’agit-il de vagues qui montent à la gorge avec les mystères impénétrables qu’elle porte en elle-même des vivants et des morts ? En s’identifiant tout à fait dans l’esprit du poème ci-dessus de Pierre Reverdy, Régine Nobécourt-Seidel a declaré : 

« Je suis dure
Je suis tendre
Et j’ai perdu mon temps
À rêver sans dormir…. »

En lisant les poèmes ci-dessous, vous pourrez y saisir une grande énergie, mais aussi le poids des épreuves endurées, voire les traces de quelques cicatrices qu’on ne peut pas effacer : la poésie assume sans doute, pour elle, une fonction apaisante et consolatrice. Chaque poésie pourrait se transformer en chanson. En même temps, ce vécu douloureux où les déchirures et les ruptures ne semblent pas complètement s’apaiser représente pour Régine un patrimoine identitaire auquel elle ne saurait pas renoncer. Elle ne veut pas oublier, elle revendique au contraire sa diversité, son unicité de femme et d’auteure. Elle semble d’ailleurs suspendue au beau milieu de sa traversée, incertaine sur le chemin à emprunter au tournant peut-être décisif de sa vie. Elle déclare qu’il n’y a plus de beauté dans notre monde. La poésie saisit la lumière du présent là où elle se trouve à éclater, par une hasardeuse coïncidence d’évents favorables. Sinon la poésie en cherchant la lumière, ne rencontre pas forcément la beauté…

Giovanni Merloni

18.01.2019 – Extrait du récital poétique de Régine Nobecourt-Seidel (vidéo)

« Pour Régine Nobecourt-Seidel qui se dit agnostique, il est troublant de voir combien des luttes et des combats qui sont les siens, elle en sait les mêmes remous et les pièges que les grands contemplatifs et mystiques de tous les temps ! Comme eux, cette souffrance de vie est aussi ce qui la fait vivre et rechercher la terre de paix dans les moindres brisures et éclats de l’instant. »
Marie Tuyette, préface à « De lunes, de rêves et d’embruns» de Régine Nobécourt-Seidel

18.01.2019 – Claire Dutrey lit « À fleur de nuit » de Régine Nobecourt-Seidel (vidéo)

Solitude grande
quand gronde le silence des mots
à fleur de peau
à fleur de rêve
à fleur de nuit.

Abîme sans fond
entrevu noir profond
quand gonfle le soufflé de l’absence
dans le creuset
des vagues d’amer.

De flux en reflux
s’amoncellent regrets ou remords.
Résilience.
Et toujours l’haleine chaude
de l’Auran blanc des souvenirs.

Clairières d’enfance en secrets emportés
loin, trop loin
par d’autres à peine entrevus, très loin
dans les vestibules d’un autrefois
pourtant en étoiles d’avenir.

Éblouissement au goût de sel
en cette nuit de solitude grande.
Et puis plus rien.
Sombrer enfin dans
le ventre offert du sommeil.

Régine Nobecourt-Seidel, « À fleur de nuit » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», pages 37-38

Claire Dutrey

Enfin la fin d’un soir
qu’ensemencent les erreurs
du jour en partance.

Ma pensée se vrille de vaines attentes,
ma vue se brouille et
s’emmèle dans la pelote nouée
des réticences et des défis
mal ficelés d’une opaque journée.

Nouvelle nuit ondoyant mes insomnies
tendues du drap bleu horizon.
Mensonge toujours en devenir.

Trahison.

Régine Nobecourt-Seidel, « Trahison » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 11

L’âme des cyprès en étoiles de sanglots
s’évapore,
nappe d’oubli fangeux au-dessus des tombes
et des ombres qui flânent encore.

C’est un jour finissant sans ardeur ni ferveur,
un jour qui s’effrite en larmes sans saveur ni candeur.

L’haleine des buis s’ennuie
et résonne
au ras des souvenirs en péril dans le silence gris
des grès et des marbres écornés.

C’est une nuit qui s’invite en tapinois.
C’est une nuit contrite qui déjà, sur les flots, se noie.

Le souffle de ton cœur étreint la cime de tes rêves
et coulent
dans tes veines, en saccades vaines,
le doute et de ta finitude, la certitude.

C’est un autrefois qui se mêle, s’éternisant,
dans ton aujourd’hui perdu et fourbu.

C’était le jour des morts, c’est la nuit des vivants.
C’est l’océan qui, au loin
lance,
sans foi ni loi, son lancinant cantique cynique.

C’est un autrefois qui sommeille et tremble
en étranges nuées fatiguées sur fond d’antiennes moirées.

Régine Nobecourt-Seidel, « Soir sur les tombes » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», pages 16-17

Je marche seule en gris et noir, noir et blanc, dans le blanc laiteux du ciel et le vert des prairies piquées de vaches, blanc et noir, le vert de gris de ma Province natale.

Ô âmes grises de mes vertes années acidulées, vous vous diluez en l’écume mousseuse des nuages si bas qu’ils semblent vouloir me happer pour m’y dissoudre à jamais.

Mais je marche encore.

La main infatigable du temps n’a cessé de tourner le moulin ancestral de nos moissons. Elle moud sans faillir nuit et jour et sans fin les mille grains de nos vies en chagrin noyé dans la lie du regret, de la colère, des remords parfois.

Et je marche.

Fouler la terre de l’enfance et recueillir la cendre d’un passé définitivement révolu et muet, enfoui sans avoir livré ses secrets !

Le vent de la lame aiguisée de la troisième fileuse me hérisse le poil et me glace tandis que la pluie, à ma place, se met à pleurer sur la plaine définitivement désolée. Plus douce que les larmes pour les cicatrices mal refermées.

Et je marche.

À nouveau rejoindre le fleuve paresseux qui, de sommes en veilles, s’étale en son lit, pas pressé de rejoindre la mer. Lui, il semble toujours sommeiller en attente de rares éveils de soleil. Il berce inlassablement tous ces enfants du monde entier venus mourir en ses bras généreux et nourrir la terre grasse de ses flancs.

Goût fade de ce qui est à jamais perdu et pourtant si vibrant, si lumineux dès qu’on ferme les yeux et respire à pleins poumons tous ces effluves à nul autre pareils, ce chant d’une terre qui nous a fait naître et grandir.

Régine Nobecourt-Seidel, « Frissons en terre d’enfance » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», pages 27-28

Une escapade au goût d’amande amère
sur fond de cassis et de pain d’épices
notes de tête en rhum et vanille
et puis vapeurs-haleines
en échange de paroles entre ciel et terre

Brûlures de neige, brisures d’âcres gouttes
en carillons de décembre
et ce sont visages en vagues de sourires
pour mieux cacher comme le fait neige
les fêlures de l’âme et les crevasses du cœur

On festoie, voile tendu dessus l’hier
et rideau sur demain
C’est fin d’année en noir et blanc
noir sur ciel d’offrandes virginales
Clairvoyance ou naïve foi

Régine Nobecourt-Seidel, « Parenthèse d’hiver » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 42

Sur le bord de ma nuit j’enjambe le pont des Soupirs
et m’envolent les flots cotonneux !

Sur l’onde de ma nuit
flottent et s’égaient mes tourments.
Vogue, vogue ma confiance !

Dans le sillage de ma nuit
je joue l’innocent dauphin fantasque
et me dérobe le vaisseau des songes.

Dans les vagues de ma nuit
me laisse emporter en éclats d’obsidienne
et se brise le miroir de ma conscience.

Alors s’ouvre un espace infini, autre lieu, autre vie
visages qui se superposent, sourient, parfois me supplient.

Me souffle l’insaisissable étoile vers des rivages sauvages
où s’échoue ma galère harassée. Fini l’esclavage !

J’aborde sur ces terres inconnues, toujours renouvelées
des rêves sages ou fous aux couleurs de souvenirs,
aux parfums surannés d’expériences inouïes, insensées !
Gesticulations, vapeurs de silence d’embruns en devenir.

Mille passions s’époumonent et s’assouvissent.
Des sentiers de pierre de lune s’ouvrent, se déploient.

M’aspirent et s’y libèrent mes espoirs, s’y dessine un destin,
s’y perdent mes doutes et y fleurissent mes dessins.

Dans les vagues de ma nuit,
l’Inconnu me grise et me soumet.
J’agis et tout se délie.

Dans le sillage de ma nuit,
se pressent les vivants et les morts réunis
en murmures et confidences et je me réjouis.

Sur l’onde de ma nuit, intensément je vis,
responsable, gonflée de mille nouvelles envies
et s’affirment mes choix !
Sur le bord de ma nuit
quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi.

Régine Nobecourt-Seidel, « Révélation » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 55

« L’homme traqué est rond point cerné d’angoisse : le poète occupe depuis le début la place du mort » (Rencontre des Poètes sans frontières avec Philippe Courtel)

03 jeudi Jan 2019

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Claire Dutrey, Hang'Art, Philippe Courtel, Poètes sans frontières, Vital Heurtebize

Philippe Courtel, Vital Heurtebize et Claire Dutrey

« L’homme traqué est rond point cerné d’angoisse : le poète occupe depuis le début la place du mort »

« L’homme traqué est rond point cerné d’angoisse
alors qu’il se croit dans la bonne rue
il erre quelque part dans ses songes
et ne sait plus quelle est l’adresse de ses rêves »
Philippe Courtel, L’homme est un univers, La Nouvelle Pléiade, 2018, page 7

Inclinons-nous sur les rêves fous du poète
prisonnier de son habitacle
dans la position malheureuse du visionnaire
occupe depuis le début la place du mort
Philippe Courtel, Précipiter la falaise, La Nouvelle Pléiade, 2017, page 43

Philippe Courtel

Au Hang’Art, le 14 décembre dernier, pendant la rencontre des Poètes sans frontières avec Philippe Courtel et ses deux livres cités ci-dessus, une discussion intéressante et inattendue s’est déroulée sur la figure du poète contemporain ou, pour mieux dire, sur ce que c’est un poète aujourd’hui.
Nous avons été transportés par la force des vers et la personnalité de Philippe Courtel, dramatique et auto-ironique à la fois, mais aussi par le contraste entre ce jeune professeur et poète à l’esprit inquiet et problématique et la figure charismatique et solide de Vital Heurtebize. Si je ferme les yeux et n’entends que leurs propos… je ne vois pas que l’élève dévoué face au maître bienveillant qui ne cachent pourtant pas leurs différences réciproques… je pourrais croire que j’ai devant moi un poète maudit du XIXe siècle, plaidant l’innocence de son inspiration terrifiée devant le calme assuré d’un Victor Hugo, le plus ouvert parmi les grands hommes…
Giovanni Merloni

Philippe Courtel

« Vos visages attentionnés, votre attention nourrie d’empathie…
Vital, merci ! tu donnes la parole à ceux à qui on ne la donne jamais… Ce que tu aimes c’est la beauté non reconnue…
Claire, merci ! tu portes vers le ciel la voix du poète et sa fragilité devient enchantement… tu es la moitié du ciel… de son ciel !
…Et surtout l’Academie Renée Vivien et la très grande poétesse Marie Vermunt… cofondatrice il y a vingt ans du prix des Jeux floraux de Picardie qui m’a permis d’accéder à La Nouvelle Pléiade plusieurs fois. Cette institution — l’Académie créée au nom de Renée Vivienne, une poétesse au sens poétique exceptionnelle — célèbre la beauté de la femme en chants d’amour rebelles et inséparables d’une poésie vraie. Merci, Marie !

Je me sens bien chez vous, j’ai tout à apprendre de vous ! Ces multiples talents, Monsieur Jean-Yves Salmon par exemple… ce regard au-delà du présent, livré sur l’horizon, dans un ailleurs qu’on ne peut que deviner et que vous sentez. Moi je suis d’une respiration moins souple… c’est difficile d’être poète… toute la vie de Vital !
Le plus important c’est que j’écris… Comme Pascal, j’ai horreur de moi… et ce que je suis ne m’intéresse pas. Je me tais, à présent… j’aime me taire derrière les mots… qui n’ont plus besoin de moi, mais de Claire pour les rattraper… et Claire a apporté “les nuages… les nuages qui passent… les merveilleux nuages” de Baudelaire ! »
Philippe Courtel

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

« J’ai de la chance. Sans toi, je n’aurais pas pu parler ! C’est une salle qui est donnée pour les pauvres poètes… donc c’est une chance pour nous d’être là… de trouver un refuge. »
Philippe Courtel

Philippe Courtel

La rencontre entre Vital Heurtebize et Philippe Courtel se déroulant dans une séquelle attachante de répliques au bord du comique, nous avons vu petit à petit se renverser des certitudes ou des idées reçues à propos de la fonction de « guide » qui serait implicite dans la figure du poète. Philippe Courtel est un vrai poète parce qu’il découvre en toute son évidence et même au-delà de l’évidence la tragique vérité du monde. En manque progressif de culture et de tolérance entre les humains la dure réalité d’injustices et violences de plus en plus insupportables s’ouvre grande devant son regard forcément appréhensif et sensible, qui le rend capable d’entendre et de raconter de façon transfigurée et poétique ce qu’il a vu tout comme s’il l’avait vécu en première personne. Une façon inévitable, d’ailleurs, de s’exprimer dans un monde qui se précipite dans l’abîme sans faire aucune concession à l’espoir.
Cependant, le poète doit rester sur le pas de la porte, obligé de ne pas dépasser la ligne de confidentialité. Cela le sauve sans doute de tout mélange, de toute compromission, le laissant en bonne compagnie avec les immortels qui ont souffert de son même amour pour la vie, de son même idéal de fraternité et de paix : « l’homme est un univers ».
Giovanni Merloni

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

VITAL : — Quelle est ta couleur préférée ?
PHILIPPE : — Le bleu, comme notre chère Claire.
VITAL : — Je t’emmène avec moi sur une île déserte… Quel est le bouquin que tu emmènes avec toi ?
PHILIPPE : — Éducation européenne de Romain Gary
VITAL : — Quelle est la qualité première que tu te reconnais ?
PHILIPPE : — Je suis conscient… j’adore la vie, je sens sa brièveté. Je crois que les artistes, les poètes ont peur de mourir parce qu’ils sentent que c’est extraordinaire de vivre ! C’est ça notre avantage. On sent que tout dépend d’une vie qui n’a pas trois mille ans… comme on sait qu’on va mourir, on voudrait la tenir ! On aime la vie et je crois qu’on est conscient de la vie qu’on aime…
VITAL : — De l’amour de la vie !
PHILIPPE : — L’amour de la vie.
VITAL : — Quel est alors le défaut ?
PHILIPPE : — Je suis conscient de n’être pas grand-chose…
VITAL : — Être conscient de n’être pas grand-chose c’est une faiblesse par rapport au monde dans lequel nous sommes, à une existence où chacun se croit le meilleur… supérieur aux autres… Dis-moi quel est le défaut le plus important, le plus nocif pour toi.
CLAIRE : — Le manque de confiance…
PHILIPPE : — Oui, le manque de confiance en moi, oui, oui. J’ai mis dix ans, avant d’appeler… [il indique Marie Vermunt pour évoquer les prix obtenus aux Jeux floraux de Picardie…]
VITAL : — Dans la musique classique, quel est… un seul morceau, un seul titre d’une œuvre musicale que tu aimes ?
PHILIPPE : — Le Boléro… non… la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel ! [Il s’accompagne par des gestes imitant des caresses pour apaiser un peu la douleur, tel un rassurant chapelet de prières…]
VITAL : — Quel est le compliment que tu aimerais qu’on te fasse ?
PHILIPPE : — La porte. Mais oui, la porte. C’est un poète à la porte, c’est un vrai poète à la porte. C’est ce qu’on dit aux poètes : — à la porte !
VITAL : — Quel est le défaut que tu ressens le plus chez les autres ?
PHILIPPE : — L’agressivité.
VITAL : — Et quelle est la qualité que tu aimes le plus chez les autres ?
PHILIPPE : — La tolérance… [en indiquant Vital]… Il est tolérant ! Je ne serais pas là, sinon !

Claire Dutrey

Ce paysage d’enfance
brisure de l’âme
où tout s’enfonce
l’espoir au fil de l’eau s’épuise

Le vent vieux
bouleverse les tuiles du présent
l’homme titube happé par l’appel de la mémoire
se penche dangereusement

Pont débordé par l’eau du passé
exposé aux désillusions
la jetée ininterrompue trempe ses doigts tristes
dans l’abreuvoir de la conscience humaine

Ce paysage d’enfance
brisure de l’âme
où tout s’éloigne
l’espoir dérivé au fil de la rivière s’ennuie

Et l’espoir couché sur la mer
devient jet de pierres
la promenade frileuse sur la dune
révèle la dangerosité du rêve

Prolonger la pensée
ou précipiter la falaise
tout dépend d’un souvenir
radieux ou imaginé

Ce paysage d’enfance
brisure de l’âme
où tout disparaît
l’homme au fil de sa vie se noie…
Philippe Courtel, Précipiter la falaise, La Nouvelle Pléiade, 2017, p. 9

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

Il faudrait pouvoir indiquer
le sud aux oiseaux migrateurs
en partance sans grève
pour la patrie des rêves

Dire l’errance
comprendre le drame
tout ce que les oiseaux grelottent
avec leur boussole mystérieuse

Il serait idéal d’être en mesure
de saisir ce qu’on désigne par tragédie humaine
du passé pressé sous les pas
ne revient jamais

Tout prouver des aléas
du rêve en voiture d’enfant
entre rives perdues de vue
et cailloux dérivant sous les roues

Il faudrait pouvoir fêter
l’arrivée des hommes migrateurs
au bout de la piste
sur l’esquif des songes

Je t’aime d’amour sincère
en route vers un pays sans carte
vers un midi perdu
qui nous attire comme un aimant
Philippe Courtel, Les cailloux, Précipiter la falaise, La Nouvelle Pléiade, 2017, page 17

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

Je n’ai averti personne de mon retour
et personne ne m’a vu entrer
je n’ai normalement rien à craindre
des autres vivants

Alors quels sont ces pas
dans l’escalier qui me cherchent
que veulent ces démons de moi-même
sans répit ni indulgence

Je vais un peu partout
me cognant la tête sans espoir de lumière
Je vais et je viens papillon perdu
dans un univers de néons

Je n’ai averti personne de mon voyage
et personne ne m’a vu appareiller
je n’ai normalement rien à redouter
de l’étendue des océans

Demain est une barge
égarée sans vivants
ni mains à serrer ni chemins à découvrir
l’espoir s’éloigne de la berge

En pleine mer
il faut pourtant plier bagages
vers une escale inconnue
laisser ses soucis à la consigne

Je n’ai averti quiconque de mon départ
et personne ne connaît mon embarcadère
je n’ai normalement plus rien à redouter
du diable ni de moi-même
Philippe Courtel, Personne, Précipiter la falaise, La Nouvelle Pléiade, 2017, page 24


Philippe Courtel et Vital Heurtebize

Mon passé flanqué sur mes talons
me rattrape grandes enjambées
son destin prémédité
nul n’échappe
Je suis ce désespéré sans avenir

Drue sur moi tombe la pluie
pour me noyer comme piéton
malgré son obstination
succombe son espoir
Un rêve de cerceau me prend

Mon passé lancé à mes trousses
me pousse méchamment dans le dos
car derrière moi accourt
à grandes enjambées mon premier amour
Celui qui me creva le cœur

Encore hurle à la mort
ce moment terrible de vous
sur vous ce piège à loup
se referme impitoyable
La nostalgie vous saisit au collet
Philippe Courtel, Au collet, Précipiter la falaise, La Nouvelle Pléiade, 2017, page 64

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

J’ai du mal à tourner ma tête
au grimoire du passé
j’ai lu mon désespoir
L’hiver en maraude dont le corbeau se détourne

Une souche à débiter les mensonges
ô la mort de mon regard
sur mon épaule comme bagage
j’ai hissé le malheur

J’ai du mal à tourner la tête
vers les bois alentour
j’ai fait un fagot de ma vie
mieux une valise sous le bras

La lassitude j’ai lu dans vos yeux
ce sont les yeux des malheureux
qui se désespèrent
de ne pas voir venir le jour

J’ai couru sous les nuages
à la recherche de ma jeunesse
Je n’ai trouvé que feuilles mortes
des brindilles de souvenirs
Philippe Courtel, Le grimoire, Précipiter la falaise, La Nouvelle Pléiade, 2017,pages 78-79

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

J’aime visiter notre petite église
assise dans le vallon
saisir des avirons dorés
chausser les ornières de la boue

L’automne en tâches apporte
une vague de grues cendrées
emporte nos soucis
dans la malle des nuages

J’aime partager ta prière
malgré les cris du loup
dans le froid de Gévaudan
tu me parles de Venise

D’une ville qui va mourir
la tentation de l’épouser
ou héler une mouette égarée
un tram peint en gris

J’aime ta crique tentatrice
un escalier dissimulé sous la mer
ma femme des grottes
mieux un livre d’énigmes

Oiseaux migrateurs en difficulté
au loin les nageurs perdus
forment un triangle au souffle léger
un destin magique s’approche

J’aime nager en toi
traverser le détroit de tes bras
mourir d’angoisse
de te perdre un seul instant

Philippe Courtel, L’évangile, L’homme est un univers, La Nouvelle Pléiade, 2018, page 60

Philippe Courtel et Vital Heurtebize

Philippe Courtel, Vital Heurtebize et Claire Dutrey

« Philippe Courtel est un homme écorché vif qui laisse s’épancher de ses blessures un flot d’amour d’autrui qui exorcise sa propre douleur. Poète vrai ! Il n’écrit pas pour étouffer son lecteur de ses plaintes, il écrit pour lui montrer le chemin d’une possible renaissance. Poète vrai, il s’identifie à la misère du monde pour mieux l’éradiquer. Poète vrai, il pleure non de ses propres larmes mais de celles des autres.
« Ainsi, tout est sujet à son inspiration : la guerre dite « grande » qu’il n’a pourtant pas vécue, les heures sombres de l’occupation qu’il n’a pas connues non plus, « hier », pour lui, c’est « tout à l’heure » et c’est aussi « demain ». Il se fond dans la douleur, de toute éternité.
« Et pour l’exprimer, il use d’un langage à le fois surprenant et parfaitement accessible.
« Le choc de l’image se produit chez le lecteur au plus fort de son émotion. On se laisse prendre à sa poésie et le jury des jeux floraux de Picardie a fort justement couronné ce recueil de son grand prix. »
Vital Heurtebize

Philippe Courtel

Au-delà de la vitre, est-ce la mort une chose vivante elle aussi ? (Rendez-vous des Poètes sans frontières avec Jean-Yves Lenoir)

03 lundi Déc 2018

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Claire Dutrey, Jean-Baptiste Besnard, Jean-Noël Cuénod, Jean-Yves Lenoir, Vital Heurtebize

Vital Heurtebize et Jean-Yves Lenoir

Au-delà de la vitre, est-ce la mort une chose vivante elle aussi ? 

Ces petits papillons, qu’on appelle éphémères,
Que nous dis-tu, poète ?
Qu’un bénitier de pierre,
Dans le froid, dans la glace, a retenu leurs ailes.
De mes aïeuls sont-ils, – ô mon père, ma mère,
Les ombres immortelles ?

Jean-Yves Lenoir, dans « Pardi ! », La Nouvelle Pléïade, 2017 (page 7)

Vital Heurtebize et Jean-Yves Lenoir

Les rencontres poétiques au Hang’Art (Paris 19e) se font de plus en plus intéressantes, passionnantes et, sans doute, pour ceux qui y auront participé, mémorables. Vendredi 23 novembre 2018, dans un coin tranquille de ce vaste local auprès du bassin de la Villette, d’habitude accaparé par les jeunes gens en quête d’insouciance, Vital Heurtebize et les Poètes sans frontières ont accueilli Jean-Yves Lenoir, écrivain, poète et homme de théâtre reconnu depuis plus de quarante ans.
Acteur, metteur en scène, enseignant la diction et l’art dramatique, Jean-Yves Lenoir dirige la compagnie de théâtre Le Valet de Cœur à Clermont-Ferrand. Ses passions : Molière, la langue française et son évolution au cours de l’Histoire.
Auteur de pièces de théâtre, de nouvelles, d’essais et de plusieurs recueils de poèmes, Jean-Yves Lenoir a été invité pour nous parler de son dernier texte poétique : « Pardi ! », publié en 2017 par la Nouvelle Pléiade

Jean-Yves Lenoir et Claire Dutrey

Je regrette vivement de n’avoir pas eu le réflexe d’enregistrer : d’abord la conversation entre Vital Heurtebize et Jean-Yves Lenoir ; ensuite la vive voix de Claire Dutrey qui nous a fait cadeau d’une lecture touchante et très intelligente des extraits les plus significatifs du livre ; enfin le débat entre l’invité et les poètes présents où l’on a pu apprécier à fond l’humanité et la grande sincérité de cet Auvergnat d’adoption qui nous a parlé comme à des amis, sur le fond d’une question ancestrale qui tôt ou tard frôle l’imagination de l’être humain.
Un jour, nous serons accoudés au dernier balcon de la vie, ou, si l’on veut croire à la voix de Claire — qui donne au mots de ce poète une résonance particulièrement mystique, douloureuse et apaisée à la fois —, en regardant la pluie à l’encre violette qui coule lourde ou légère, nous imaginerons de dialoguer avec des êtres invisibles qui nous attendent au-delà de la vitre. Ou alors de dialoguer avec la mort comme s’il s’agissait d’une nouvelle vie :

L’automne a ses couleurs de chasselas.
Ce sont pourtant des gouttes violettes, presque noires, qui tombent sur ma fenêtre.
Violettes, presque noires : encre violette, lourde, collante, comme le goudron qui, chaque année, revêtait la coque de notre barque.
Sur l’Indre.
Ces gouttes m’indiquent de me préparer. Je pose un genou sur les carreaux du dallage. Confessionnal ?
— Debout ! dis-je. Pas de genou sur les carreaux du dallage, il y a trop de fierté en moi ! Debout !
Je reste droit : droit devant la fenêtre, droit embarrassé de mes bras comme je l’ai toujours été, un peu ridicule.
— Sais-tu que tu es un peu ridicule ?
Les gouttes sont épaisses. Elles dessinent des formes qu’il m’appartient d’interpréter. Je n’ai pas le temps d’interpréter, je dois faire ma toilette. La grande toilette du dimanche dans la bassine en fer, nu devant la fenêtre.
— Et si l’on me voit ?
— La pudeur n’est pas de mise.
Je remercie le Créateur de m’envoyer ces gouttes d’encre violette presque noire, annonciatrices du départ.
— Je ne prendrai pas de valise.
Que mettre dans une valise ? Un brin d’herbe ? Un brin d’herbe fragile qui, sur le trottoir, perce le goudron ?
— Le goudron ! Les gouttes d’encre.
Ou bien quelques pivoines ébouriffées sur leur vase ?
Ou bien une marqueterie de pierres dures, un huile sur toile de Jean-Baptiste Monnoyer ?
Il y a belle heure que j’ai laissé de côté ces objets qui m’étaient chers. Il me suffit de savoir chantonner la symphonie en sol mineur et murmurer pour moi-même :
— « Non. L’amour que je sens pour cette jeune veuve Ne ferme point mes yeux aux défauts qu’on lui trouve… »
Les gouttes d’encre s’épaississent sur la fenêtre.
Autrefois, sur le banc de la petite école, ma voisine, Janine, émaillait ses dictées de gouttes d’encre violette.
— Des pâtes ! Ça cache les fautes, murmurait-elle en riant.
Cacher les fautes ! Toute ma vie, j’ai eu la sensation d’être observé, d’être coupable sous le regard. Toute ma vie j’ai caché des fautes imaginaires.
Je m’en vais, je pars. Je ne prends à la main qu’un cartable.
— Créateur, dites-moi qu’il y aura là-bas chez vous, des dictées à l’encre violette ! Oui ! S’il vous plaît !
Vite un cahier de quatre-vingt-seize pages, à grands carreaux, à grande marge. Et une trousse d’écolier.
Je suis prêt.

Jean-Yves Lenoir, « L’encre violette », dans « Pardi ! », La Nouvelle Pléïade, 2017 (pages 11-12)

« Je suis prêt » ! conclut sereinement Jean-Yves Lenoir.
Dans un de ses poèmes les plus touchants, Vital Heurtebize parvient à la même disposition d’esprit :

L’existence n’était qu’une entre-parenthèse :
je la quitte aujourd’hui sans regret ni rancœur.
Sachez que nul fardeau désormais ne me pèse :
Je retourne à ce monde… Eh ! la joie dans les cœurs !

Vital Heurtebize, « Eh ! la joie dans les cœurs ! », « Sur les Parvis du Temple », La Nouvelle Pléiade, 2018, page 88.

Au bout de sa riche production poétique et de sa vie d’homme engagé dans la transmission des valeurs de la culture et de la solidarité, Vital Heurtebize nous propose enfin une conception « religieuse » de la mort, qui ne se sépare jamais de l’idée du dépassement de nous-mêmes et donc d’un chemin d’élévation de l’esprit et de l’âme qui nous amène à Dieu une marche après l’autre : une sorte d’itinéraire « de l’esprit (et de l’âme) vers Dieu » comme celui que proposa de son temps Saint Bonaventure aux philosophes chrétiens.
La vision philosophique et humaine de Jean-Yves Lenoir ne s’éloigne pas beaucoup de cette même idée d’un escalier entre terre et ciel qu’il faut grimper si l’on veut « grandir et apprendre la vie » jusqu’à la dernière minute qui nous est accordée.
Suivant ses mots, l’aspiration profonde de Jean-Yves est celle de pouvoir continuer à dialoguer avec lui-même tout en s’interrogeant sur le mystère de la beauté qui nous entoure : « Qui a créé cela ? » dit-il, s’accompagnant d’un geste efficace à l’intention du bassin de la Villette, de son ciel lumineux, de ses passants insouciants, de ses arbres et ses barques…

Au-delà de la vitre, est-ce la mort une chose vivante elle aussi ? En fait, on ne demande au ciel que de mourir en paix, de protéger notre mort individuelle par la survie heureuse de ceux qui nous entoureront au moment du départ. On s’attend du Ciel — ardemment et silencieusement dans notre for intérieur — qu’il garde sa beauté et ses bienveillants caprices pour que la sagesse et l’amour chez les humains ne cessent pas de prévaloir sur la bêtise et la haine.

On me dit que les nuages ne transportent plus l’automne.
Ni la pluie.
La pluie d’automne, et son chlorure de sodium, ses molécules de zinc que la gouttière posait jusque sur ma langue.
Les nuages : de grands paniers d’osier, embellis de crayons de couleurs. « Du bleu, du rose, du blanc, du vert, du blême », récite le poète. Dans une trousse, avec une fermeture Éclair.
— Une fermeture à glissière, rectifiait ma mère.
Dans un étui, dans une boîte en fer, dans une boîte en bois à tirette et encoche !
Alignés, crayons de couleur, en bois, que je m’interdisais de tailler afin qu’ils restent unis toute leur vie : douze, dix-huit, vingt-quatre.
Ils transportaient des bancs de cire et des prières. Je priais. Oh ! oui,je priais, quand les nuages transportaient des missels et des pages dorées et des signets de soie. « Mon Dieu, faites que, mon Dieu, faites que…, s’il vous plaît. »
Je n’oubliais jamais . « S’il vous plaît ». Car les nuages d’automne, si disciplinés dans leur voyage depuis l’océan, m’enseignaient la courtoisie. J’aimais la courtoisie des nuages et cette révérence qu’ils dansaient juste au-dessus de moi, lorsqu’ils se rencontraient et fusionnaient.
J’aimais leurs parfums de cire et de bougie mêlés : bien sûr ! puisque j’étais agenouillé sur notre banc d’église. Parfum de laiton de la petite plaque vissée dans le dossier du banc : « Famille Duchêne-Huault ». La terre grasse – déjà les champs sont boueux, déjà quelques flaques creusent l’allée de la forêt : c’étaient les paysans, par leurs brodequins, qui portaient la terre grasse sur le dallage de l’église. Et cette espèce d’herbe mouillée, parfum de chanvre sous les statuettes de stuc, sous l’harmonium, nitrate de potassium, salpêtre.
Une champlure sur les mains de mon père qui rentrait de la cave.
Un savon chaud enveloppant ma mère, des pieds à la tête. Ma mère, disais-je, est un chaudron de lessive à elle seule.
— S’il vous plaît.
Et chacun des nuages en forme de grelot, — Tu sais bien, Janine, les grelots qui vibrent sur les tiges des graminées, — Les amourettes ! — Les amourettes, oui, que je cueille, que j’assemble, en un bouquet pou toi.
On me dit pas que les nuages ne transportent plus l’automne.
Ni la pluie.
On me dit.
Que c’est à moi, vieil homme, d’inventer les nuages de l’automne,
et d’inventer la pluie.
C’est à moi, vieil homme, de coller sur le ciel des gommettes de couleur, du bleu, du rose, du blanc, du vert, du blême.
De crayonner,
d’écrire sur le papier des gouttes de pluie.
On me dit.
Des gouttes de pluie d’automne.
S’il vous plaît

Jean-Yves Lenoir, « On me dit » « Pardi ! », La Nouvelle Pléïade, 2017 (pages 76-77)

Christian Malaplate

Jean-Baptiste Besnard

Aujourd’hui, le thème de la disparition va devenir moins une question individuelle que l’annonce d’une mort collective, où le constat d’un analphabétisme de retour attaquant et meurtrissant les valeurs fondatrices de notre société s’accompagne dramatiquement au spectacle quotidien de « guerres qui n’ont rien su apprendre de l’Histoire » et d’actes violents contre l’humanité et sa culture :

Hiver à voyagé depuis l’enfance,
Charriant ses pierres et ses copeaux de givre. Ses dentelles de glace sur l’ourlet des chemins. Ses ruisseaux grossis de glaise, couleur d’écorce lorsqu’un fil de lumière traverse les nuages.
Voyagent les chemins, les raizes boueuses où le soulier se prend au piège, voyagent aussi les terres durcies dans les champs recouverts d’herbe rase séchée.
Craquement sous la semelle.
Allons ! l’odeur de terre et d’herbe est venue jusqu’au soir, convoyant avec elle l’odeur antique de cave. Jusqu’au soir, cette odeur antique de cave, qui mêlait la roche et le vin, les tonneaux, les outils de charronnage, l’humidité suintant des parois.
Voici, incertain parmi les campagnes et les brumes, imaginaires peut-être, les logis allongés, faisant l’amour sans fin, sans repos, tandis que les fosses rondes, presque parfaitement rondes : il en est ainsi d’Hiver qui dessine la géométrie, invoquent le silence. Deux touffes de joncs — Hiver méticuleux rectifie : trois touffes de joncs et des bouquets de chêne et des claies de peupliers fiers, plats, décharnés célèbrent ces vêprées.
Trop d’adjectifs, pensé-je, me relisant. L’hiver est nu.
Nu !
Et froid.
Ce sont des campagnes et des brumes rassurantes.
Rassurantes puisque j’entends une voix qui chuchote :
— À quoi bon, là-bas, ce tumulte des hommes de ce monde, ces guerres qui n’ont rien su apprendre de l’Histoire ? On les appelle aujourd’hui terrorisme, fanatisme, extrémisme et l’on redit « guerres de religion » !
Voix de Voltaire ? De Dieu ? De Non Dieu ?
Rassurantes puisque Hiver a voyagé depuis l’enfance.

Jean-Yves Lenoir, Hiver à voyagé depuis l’enfance, « Pardi ! », La Nouvelle Pléïade, 2017 (pages 27-28)


Le thème de l’au-delà chez les Poètes sans frontières

Si j’avais su garder une trace plus précise de la rencontre de vendredi 23 novembre, j’aurais pu mieux exploiter la tâche de relater le fond de ce « discours » que nous ont confié à l’unisson la verve irrésistible de Vital Heurtebize, le charisme de Claire Dutrey et la « présence contagieuse » de Jean-Yves Lenoir.
Ce qui a rendu particulièrement intéressante cette rencontre, en plus de l’ancienne familiarité et amitié entre Vital et Jean-Yves ce fut donc la coïncidence thématique qui était aussi une correspondance d’états de l’âme et de l’esprit entre ce « Pardi ! » de Jean-Yves Lenoir et « Sur les Parvis du Temple » de Vital Heurtebize, tandis que chez les Poètes sans frontières on ressentait encore vif et vibrant l’écho d’un troisième livre : « En état d’urgence » de Jean-Noël Cuénod, qui pose la même question en l’inscrivant de façon encore plus explicite – s’inspirant sans doute à une conception de l’au-delà laïque et matérialiste, très proche de celle de Diderot – dans les sombres décors du Paris au lendemain du Bataclan et des meurtres en chaîne d’une nuit de massacre.

Jean-Noël Cuénod

Dans ce texte émouvant et forcément amer, Jean-Noël Cuénod choisit des mots très efficaces et poétiques à la fois pour exprimer son désespoir profond au sujet de la mort collective s’échouant dans un « bilan » :

Dans les sillons du ciel
Homme petit homme
Tu as semé tes larmes

Creuse creuse creuse
Ta tombe tu tombes
Tu tombes
Dans le sein moelleux puant
De la sous-terre

Tu te terres
Te taire
Tu n’es qu’un bruit qui fait tinter
Le silence

Jean-Noël Cuénod, « Bilan », dans « En état d’urgence », La Nouvelle Pléiade, page 44.

Est-ce une coïncidence ? Rien qu’en deux mois, entre le 21 septembre et le 23 novembre quatre poètes — Vital Heurtebize, Jean-Noël Cuénod, Jean-Yves Lenoir et Jean-Baptiste Besnard (qui dans son « Au fil des ans » ne s’est montré pas moins sensible à ce même sentiment de catastrophe imminente) – se sont rendus dans un endroit on ne peut plus parisien, le bassin de la Villette, l’un des lieux-témoins de l’identité de Paris et de sa lutte acharnée pour exister au jour le jour, en dépit de toutes les intrigues et les fanatismes qui voudraient l’écraser en le défigurant, et ils ont ajouté leurs voix sensibles et inspirées à la question de notre au-delà, dévoilant bien sûr des conceptions philosophiques assez différentes, mais ouvrant la voie à un discours commun.


Olivier Lacalmette

Nous vivons à l’époque d’une profonde déception morale et culturelle, notamment vis-à-vis de ce monstre technologique et financier qu’on appelle « croissance », amenant chez quelques-uns une richesse exagérée et éphémère, tandis que la plupart des citoyens du monde se retrouvent coincés dans la détresse et la solitude.
Les « guerres de religion » ne sont alors qu’une des innombrables facettes de l’action destructrice de ce monstre technologique et financier qui semble désormais échapper au contrôle des nations : même si, de toute évidence, « les Rois sont nus » les plus graves outrages aux principes de justice et d’humanité ne font plus scandale ! À toutes les latitudes, les Rois, même nus, ne cessent pas de diviser leurs peuples pour les neutraliser et leur imposer un pouvoir absolu et aveugle. Même en France, l’ancienne République dont nos ancêtres nous ont fait cadeau au prix de leur sang semble avoir oublié ses règles de démocratie, ses contrepoids aux excès de pouvoir, son esprit de solidarité et de respect pour chaque citoyen. Et les citoyens, abandonnés à eux-mêmes par le manque de réponses cohérentes de gouvernements soi-disant démocratiques, cognent contre l’impuissance de leur indignation, de leur insoumission même…
Tout cela nous fait bien comprendre que personne ne prendra sérieusement en charge les problèmes de la planète, à commencer par le changement climatique. Notre disparition personnelle s’inscrit désormais dans une période vraiment néfaste où la violence de l’accumulation du pouvoir et de l’argent — tout en amenant la disparition des saisons avec des profonds changements physiques des lieux que nous avons appris à aimer —, ne fera qu’accélérer les procès de migration des peuples d’une partie à l’autre de la planète.
« Que restera-t-il de tout cela ? Dites-le moi ! »

Les grands hommes, par le sacrifice de leur vie, consacrée à la création et à la transmission de pensées profondes et généreuses imprégnées de beauté, laissent une trace et des preuves de leur passage dont la postérité ne devrait jamais se passer. C’est dans une telle transmission que réside le peu d’éternité qu’on peut soustraire à l’oubli d’un monde qui change continuellement, avec ce réflexe incorrigible de tout détruire et rien ne respecter de ce que les générations précédentes nous ont confié…
Heureusement, dans la postérité, on découvre toujours l’existence de terrains fertiles et de personnes animées, au contraire par un très sain sentiment de conservation : il ne s’agit pas seulement des œuvres connues et inconnues des artistes et des poètes en grand nombre qui nous quittent sans avoir eu le temps de nous faire connaître la totalité de leurs trésors, mais aussi de leurs pensées intimes et secrètes : elles sont très importantes pour achever enfin le portrait de ces hommes grands et pour compléter aussi la fouille passionnée de leur œuvre.
Au-delà de toute croyance, celle qu’énonce Ugo Foscolo par ses vers merveilleux serait en fait ma propre religion : celle de faire tout le possible pour que les traces excellentes de chaque civilisation soient gardées et remémorées pour que la sagesse et l’amour demeurent, soustrayant à l’oubli la beauté de la vie avec la saveur du temps où elle s’est déroulée au présent.

« A egregie cose il forte animo accendono
l’urne de’ forti, o Pindemonte; e bella
e santa fanno al peregrin la terra
che le ricetta. »

Ugo Foscolo, « Dei sepolcri »

(« Devant l’urne des forts, ô Pindemont ; et belle
Et sacrée elle fait au pérégrin la terre
Qui les recueille… »

Ugo Foscolo, « Les tombeaux, traduction de Gérard GENOT sur Chroniques italiennes n. 73/74, 2-3 2004.)


À la rencontre de M. Molière et M. Voltaire avec Jean-Yves Lenoir

La perception de l’au-delà qu’on reçoit après la lecture de « Pardi ! » de Jean-Yves Lenoir est très proche de celle d’Ugo Foscolo. L’auteur et metteur en scène serait peut-être d’accord pour ressusciter dans un théâtre « Les dernières lettres de Jacopo Ortis », ce magnifique poème proto-romantique en prose consacré au déchirement et à l’exil qui fut de son temps l’objet d’un silence assez brutal et souffre encore, à l’étranger et notamment en France, d’une sous-évaluation vraiment incompréhensible.
Tandis que des oeuvres comme celle-là demeurent ensevelies et destinées à l’oubli, que restera-t-il des tourments et des passions intimes qui y sont dévoilées ?
Que deviendront-elles les traces indélébiles qui sillonnent notre corps, quand celui-ci ne sera plus là ?
Jean-Yves Lenoir, un poète très sensible qui sans hésitations se déclare heureux — parce qu’il a eu la chance de consacrer sa vie au théâtre, où il a pu exploiter jusqu’au bout sa personnalité d’artiste tout en nourrissant son amour inébranlable pour la langue française — s’interroge pourtant sur le sens ultime de l’existence lorsqu’on atteint le moment de l’extrême bilan.
Qu’y a-t-il au-delà de la frontière invisible séparant les tourments et les passions de la vie du néant de la mort physique ?
La petite trace de notre passage, le souvenir ou la preuve de nos œuvres, avec les traits flous de notre figure unique, dont quelques-uns se souviendront et d’autres demeureront intrigués ?
Rien que cela ?

Après ma deuxième lecture de « Pardi ! », je crois avoir décrypté en cette « question de l’au-delà » pas seulement une interrogation sur l’éventualité d’un « après » de l’âme. J’y vois aussi un souci tout à fait humain, s’adressant à ceux qui resteront.


Il s’agit d’ailleurs d’un souci que je partage tout à fait parce qu’en fait tout cela se déclenche avec la sensation extrêmement douloureuse d’un manque primordial, d’une occasion ratée. Une sensation d’autant plus pénible que c’est un poète et homme de théâtre qui a été depuis toujours porté à la narration et à la réflexion. Quel est le souci qu’on dénoue et qu’on aime au bout de l’agréable et merveilleuse lecture du texte de Jean-Yves Lenoir ? Le souci de n’avoir pas tout dit ? Certes, c’est déchirant de n’avoir pu prolonger un peu leur vie et de quelque façon l’éterniser en la racontant, surtout pour ceux qui auraient été en mesure de le faire, et, comme le disait Gabriel Garcia Marquez, découvrent qu’ils ont vécu leur vie justement avec le but de la raconter. Mais je ne crois pas que ce poète qui ose scruter le mystère de la mort au-delà de la vitre s’inquiète vraiment de n’avoir pas eu le temps de confier quelques-uns de ses joies et tourments secrets à la postérité. Je pense qu’il s’inquiète surtout du dialogue, qu’un jour devra s’interrompre, avec ses interlocuteurs intimes et privilégiés, c’est-à-dire ses maîtres adorés, soient-ils des philosophes comme M. Voltaire ou M. Diderot ou des hommes de théâtre, comme M. Molière… Est-ce qu’il les rencontrera, encore, au-delà de la vitre noircie par les encres violettes ?

Giovanni Merloni



« Sans gendarme à pied ni concierge » (Jean-Baptiste Besnard invité des Poètes sans frontières)

30 mardi Oct 2018

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Claire Dutrey, Jean-Baptiste Besnard, Vital Heurtebize

Giovanni Merloni, Dans le métro, acrylique sur toile 50 x 65, 2009

« Sans gendarme à pied ni concierge »

Lors de la deuxième rencontre des Poètes sans frontières, vendredi 19 octobre dernier, au Hang’Art (61-63, quai de Seine, 75019 Paris) Vital Heurtebize et Claire Dutrey ont accueilli le poète Jean-Baptiste Besnard avec son recueil « Au fil des ans », La nouvelle Pléiade, 2018.

Né en 1933 comme Vital Heurtebize et comme lui, enseignant de langue et littérature française pendant toute sa vie, au contraire de son hôte, Jean-Baptiste Besnard ne se considère pas un poète engagé.
Toujours en retrait et comme perdu dans d’impénétrables rêveries, ce poète nous a pourtant bien expliqué sa dévotion infatigable à la poésie ainsi que son amour pour les paysages de la France, avec un penchant particulier pour la Bretagne de Saint-Malo et de la côte d’Armor… où il aime retourner avec les yeux de la mémoire : « Je veux… Revoir sous mes pieds/ Cet ancien sol nu…/Dépouillé de goudron/Pour retrouver/La fantaisie des chemins...»

Abruti par les bruits
Affamé de silence
Assoiffé d’espace
Je veux me nourrir
D’un souffle d’air
D’un murmure fugitif
Revoir sous mes pieds
Cet ancien sol nu
Dépouillé de goudron
Pour retrouver
La fantaisie des chemins. (1)

Creusant dans les paysages qui jaillissent tout au long de ces chemins, Jean-Baptiste Besnard confie à ses vers, dépouillés et cinématographiques, la lente et progressive révélation de son être caché, de son sentiment primordial de partage de la beauté de la vie, accompagnée par la conscience que toute beauté est donnée, qu’on la mérite ou qu’on ne la mérite pas. Toutes les choses sont périssables, avant de se métamorphoser ou disparaître ; cependant nous avons le droit et le devoir de garder en nous, tout le temps de notre vie, les traces et les preuves intimes de cette beauté, de ces moments de bonheur que la vie nous a accordés « au fil des ans ».

Dans l’espace où s’inscrit notre passion
Dans le champ où s’assouvissent nos désirs
Et dans l’épaisseur de la chair
D’un paysage déchiqueté
La terre chancelle et se renverse
Dans l’effusion de nos corps.
Sur le sentier
J’écarte pour toi les ronces
Au milieu des rafales
À travers la brume
Le ciel s’habille de gris
Tu te blottis contre mon corps
Incertitude d’une voix qui pousse
Un cri dans la nuit
Dans l’ombre des sommets
Des êtres d’obscurité
Abordent aux rives du néant
Moi je veux seulement voir
Ton visage dans le silence
Avant que le matin ne teinte de rose
La surface de l’eau. (2)

 

Jean-Baptiste Besnard

Son silence d’homme honnête et prudent se brise, heureusement, quand sa poésie prend le vol et sa voix s’impose, devenant au fur et à mesure
une voix qui aime raconter :

Cet amour de la mer
Se teint d’amertume
Quand le voile de la brume
Vire au crachin amer. (3)

une voix désenchantée et rebelle :

Le pavé de la rue est rose
Au crépuscule qui se trompe
Car un léger brouillard estompe
L’effacement exquis des choses. (4)

une voix libre et fière d’elle-même qui réussit à s’exprimer jusqu’au bout…

Enfoui dans la maison
Au milieu de mes livres
Une odeur qui m’enivre
Vient de l’horizon
Les flammes du foyer
Dessinent un rosier
Je me lève soudain
Voir celui du jardin.

Dans l’austérité du lieu
J’attends la béatitude
D’une pieuse solitude
En l’absence de tout dieu. (5)

…et avec une extraordinaire ironie :

Dans un coin du ciel
on entasse les nuages usagés
les astres rouillés
les étoiles brisées
les soleils éteints
et les lunes mortes. (6)

Vital Heurtebize et Claire Dutrey en train de lire
« Au fil des ans » de Jean-Baptiste Besnard

INVITATION

Chers amis,
Quand je suis devenu membre, en septembre dernier, des Poètes sans frontières, j’avais d’abord envisagé de vous contacter un à un pour vous inviter aux rencontres parisiennes de cette association.
Cela peut bien sûr arriver, mais il ne faut pas trop prévoir et « organiser » lorsqu’il s’agit de la poésie. Chacun suit son parcours et ses affinités. Donc, c’est à chacun de vous de juger l’intérêt et l’importance de ces rendez-vous poétiques au Hang’Art à Paris tous les troisièmes vendredis du mois à 14 h 30.

En septembre dernier, Vital Heurtebize avait présenté Jean-Noël Cuénod et son recueil « En état d’urgence », publié sur « La Nouvelle Pleïade » en 2018. Après cette rencontre du 19 octobre avec Jean-Baptiste Besnard — dont je viens de publier ici quelques extraits du recueil « Au fil des ans » — il accueillera, le prochain 23 novembre à 14 h 30, au Hang’Art, 61-63, quai de Seine, 75019 Paris, le poète Jean-Yves Lenoir de Clermont-Ferrand, comédien bien connu, qui est aussi directeur de théâtre, metteur en scène et auteur de pièces de théâtre.

Le 14 décembre, à 14h30 (toujours au Hang’Art), ce sera à moi de présenter le livre-biographie de Daniel Chétif au sujet de la « Présence du poète Vital Heurtebize », avec une belle anthologie de ses textes poétiques.

Je ne vous dis pas, rituellement, de « venir nombreux », comme l’on dit à chaque événement culturel et artistique. Je vous dis de venir, si cela vous dit, voir et entendre des voix qui pourraient vous intéresser et faire déclencher en vous le même esprit de partage et de participation, qui, malgré mes engagements multiples, s’est déclenché en moi même : d’abord autour de la figure charismatique de Vital Heurtebize qui ne cesse pas de faire don d’un talent poétique qui ne se sépare jamais d’une grande et sincère vision humaine et humanitaire de l’existence ; ensuite, autour de cet espace poétique francophone, créé en 1993, qui va au-delà des frontières et brise toute barrière « bureaucratique » entre les formes et les thèmes de la poésie ; autour enfin d’une possibilité de rencontre à construire et développer entre ceux et celles qui adhèrent aux Poètes sans frontières dans le but de retrouver un moment d’expression et de confrontation libres et sereines.

Claire Dutrey

Liberté

La porte n’a plus de maison,
La fenêtre plus de carreaux,
La cage plus de barreaux
La campagne plus d’horizon.

L’enfant perdu par sa famille
Erre dans un parc sans grille
Et sans fils de fer barbelés
Pour cueillir des fruits constellés.
On chassa la garde champêtre :
Il était vraiment détesté.
On peut entrer par la fenêtre
Dans un beau château dévasté.
Le lapin n’a plus peur des pièges
Et peut sortir de son terrier.
Les oiseaux chantent sans solfège,
Sans craindre un chasseur meurtrier.
C’est la liberté toute vierge
Sans gendarme à pied ni concierge. 

Jean-Baptiste Besnard

Poèmes : Jean-Baptiste Besnard
Texte : Giovanni Merloni

(1) Jean-Baptiste Besnard, Bruits
(2) Jean-Baptiste Besnard, Passion sans mesure
(3) Jean-Baptiste Besnard, Cet amour de la mer
(4) Jean-Baptiste Besnard, Le brouillard
(5) Jean-Baptiste Besnard, Dans la maison
(6) Jean-Baptiste Besnard, Débarras

Il suffit qu’au balcon de la nuit je me penche.. (rencontre avec Vital Heurtebize et Jean-Noël Cuénod)

24 lundi Sep 2018

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Claire Dutrey, Jean-Noël Cuénod, Poètes sans frontières, Vital Heurtebize

Vital Heurtebize et Jean-Noël Cuénod vendredi 21 septembre, à Paris

Il suffit qu’au balcon de la nuit je me penche.. (rencontre avec Vital Heurtebize et Jean-Noël Cuénod)

Le dernier vendredi 21 septembre, avec grand émoi, j’ai participé à une extraordinaire réunion des Poètes sans frontières, association culturelle et humanitaire à la fois, se déroulant dans un accueillant local auprès du bassin de la Villette dans le 19e arrondissement.
C’était la première fois que Vital Heurtebize animait une rencontre de poètes à Paris après sa démission de l’association des Poètes français dont il a été l’incontournable Président pendant plus que vingt années.
À l’ordre du jour de cette « assemblée d’amis », il y avait la présentation du dernier recueil de poèmes de Jean-Noël Cuénod, chroniqueur judiciaire et grand reporter à la « Tribune de Genève » ainsi qu’écrivain et poète reconnu : « En État d’urgence », sorti en 2017 chez les Éditions de La Nouvelle Pléiade, Grand Prix de poésie des Jeux floraux du Béarn 2017, est un profond et lucide reportage poétique de ce qui s’est passé à Paris — et notamment dans la place de la République qui venait juste d’être transformée et livrée à son rôle de pôle citoyen majeur — dans l’un des moments les plus tragiques de notre histoire récente, marqués chronologiquement par le massacre du Bataclan du 13 novembre 2015 et le début de la Nuit début, quatre mois plus tard, le 31 mars 2016. Vital Heurtebize et Jean-Noël Cuénod vendredi 21 septembre, à Paris

La présence, à côté de Vital Heurtebize, de Jean-Noël Cuénod, avec son livre juste et dense d’interrogations passionnantes, constituait déjà, en elle-même, la preuve de l’existence d’une profonde affinité, liant ces deux hommes hors du commun, qui allait même au-delà de l’œuvre extraordinaire de chacun d’eux : le même impératif moral et la même conscience face à nos collectivités menacées de régression dans la barbarie :
« La destinée collective et le destin individuel, affirme Jean-Noël Cuénod, se bousculent, se pénètrent… Agir sur ce qui doit être balayé pour faire advenir un monde où l’humain cessera enfin d’être écrasé par le Système cupide ».
« Le poète, dit Vital Heurtebize dans son commentaire au recueil de Cuénod, ne cessera jamais de croire en l’Homme, mais au prix de combien de désillusions ! Une vague d’amour passera toujours et repassera sur nos désespérances, et s’il n’en reste rien “qu’un peu de sel à nos âmes”, remercions-en le poète : il nous a montré la voie de l’honneur. » Vital Heurtebize et Jean-Noël Cuénod vendredi 21 septembre, à Paris

En fait, la rentrée d’automne des Poètes sans frontières a marqué un tournant. Qu’est-il est arrivé, avant ? Qu’est-ce qu’on s’attend pour le futur ?
On a entendu Vital Heurtebize poser des questions essentielles, voire existentielles, à Jean-Noël Cuénod. On a entendu le poète « invité » exprimer son ressenti sur les événements qui ont bouleversé Paris et la France et demeurent lourdement présents dans notre quotidien de plus en plus hanté d’inquiétudes. On a entendu ce journaliste sensible et honnête développer des analyses, notamment sur la question épineuse de l’état d’urgence et de la Babel des propos contradictoires que nous ont livrés les Nuits debout place de la République…
Ensuite, on a entendu la voix sublime de Claire Dutrey, absorbée et nette, lire un extrait qu’on ne pouvait plus efficace et poétique à la fois :

« … Nuit Debout s’est couchée sans attendre son Grand Soir. Le flot de paroles n’a rien irrigué. Nous sommes toujours aussi secs. Et la place de la République a été nettoyée de tous les signes de la tristesse collective. Peluches, poèmes, fleurs, drapeaux, bougies qui faisaient luire des larmes les visages ne sont plus que détritus emportés par la voirie. Les derniers attentats ont recouvert les premiers d’une épaisse couche de salive et d’images.
L’état d’urgence, lui, reste permanent. Mais c’est d’un autre état et d’une autre urgence qu’il s’agit désormais. L’état d’urgence saisit tout être qui est traversé comme un éclair par la certitude de sa mort à plus ou moins brève échéance. Oh, certes, il se savait mortel, mais ce n’était qu’une idée chassée d’un revers de main comme une mouche inopportune. Et puis, l’éclair est tombé… tout est devenu urgence
…
La place de la République s’est vidée comme une piscine. Il ne reste que des pigeons sautillants et le reflet des nuages qui fait bouger les flaques. En haut, que se passe-t-il ? »

Jean-Noël Cuénod

Vital Heurtebize et Jean-Noël Cuénod vendredi 21 septembre, à Paris

Où est-elle la lumière ?
Et les poètes, que sont-ils devenus ?
Est-ce qu’un poète est toujours inspiré par la lumière, voire par l’honnêteté de l’esprit et l’intransigeance de l’âme ?
Dans l’une de ses réponses aux questions de Vital Heurtebize, Jean-Noël Cuénod avait dit aimer les poètes où l’on découvre la lumière. Et voilà que la lumière, synthèse des innombrables couleurs de l’existence, jaillit dans son texte « au ventre » de la vie :

« … Et les fumées du matin
Cachent encore des mystères

Nous respirons la poussière
Comme l’univers aspire
Ses planètes ses soleils
Pour en faire des trous noirs

Au ventre la lumière !
Des astres courent en nous… »

Jean-Noël Cuénod

 Vital Heurtebize et Claire Dutrey vendredi 21 septembre, à Paris

Tous les présents à cette réunion connaissaient les événements traumatiques qui avaient amené Vital Heurtebize à se séparer de sa créature la plus chérie. Oui, bien sûr, la Société des Poètes français existe depuis plus qu’un siècle, désormais. Mais c’est Vital Heurtebize qui l’a remise debout après une période de crise profonde. Cet homme généreux et combatif n’a fait que donner aux autres, se chargeant de toutes les besognes, de façon que l’association vive librement en multipliant ses initiatives en France et ailleurs. Il a d’ailleurs le grand mérite d’avoir cueilli au vol l’occasion d’un don à l’association pour qu’elle s’achète un siège, et c’est donc grâce à lui que depuis des années les Poètes français disposent, dans le quartier de l’Odéon, de cet Espace Mompezat dont des cohues de poètes et d’artistes ont pu profiter pour se rencontrer et se faire connaître.
Vital Heurtebize, voyant s’approcher un âge plus avancé, avait décidé un beau jour de passer le relais de la Présidence de l’association, sans pour autant se dérober à son rôle de guide, à son devoir de présence charismatique…
Tout en faisant partie moi aussi de cette association, je m’en étais éloigné les derniers temps pour une série de raisons personnelles, donc je ne connais pas les circonstances qui ont occasionné, comme on dit, la « conventio ad excludendum » qui a privé la Société des Poètes français de son homme meilleur.
Cependant, la déchirure a été sans doute violente et injuste, si Vital Heurtebize, dans son dernier recueil poétique, « Sur le Parvis du Temple », Éditions de La Nouvelle Pléiade, 2018, a finalement rendu public son effroi :

 .                          Claire Dutrey vendredi 21 septembre, à Paris

« Que sont “mes amis” devenus ?

Tous ces poètes que naguère j’ai connus,
des bruns, des blonds, plus ou moins grands, des gros, des maigres,
qui sont partis et jamais ne sont revenus ?…
Partis sur des propos envers moi plutôt aigres :

Me jetant à la face, un… mot, et s’en allant,
après m’avoir longtemps vénéré comme un maître,
avec mépris, ils m’ont privé de leur talent
que je n’avais pas su, selon eux, reconnaître… »

Vital Heurtebize

Oui, les poètes sont des hommes comme les autres. Et s’ils prêchent plus que les autres les bons sentiments, dont évidemment la fraternité, la solidarité, le respect, ils peuvent être plus que tant d’autres lâches et mesquins. Surtout quand ils sont en troupeau, comme les chiens et les loups, ils peuvent bien arriver à se passer du devoir de reconnaissance envers leurs pères et leurs mères !
Il m’est difficile de croire que des personnes que j’ai connues à l’espace des poètes français ont pu oublier ce que Vital Heurtebize a fait pour tout un chacun ainsi que pour la poésie française. Mais cela est arrivé, et il faut bien en prendre acte…

 .                        Vital Heurtebize vendredi 21 septembre, à Paris

L’avenir

Quand il faut s’arrêter, c’est bien simple, on s’arrête !
On lâche les brancards sans honte ni remords,
car on a su tirer assez loin la charrette
comme le cheval blanc que nous chante Paul Fort.

Sur le bord de la route on pose sa besace,
un maigre baluchon, mais devenu trop lourd,
il se trouvera bien quelqu’un qui le ramasse :
déjà, de toute part, on se presse, on accourt…

Tu verras ton labour dénigré tout de suite,
toi-même relégué parmi les vieux croûtons :
c’est qu’il faut du tableau gommer ta réussite…
N’avais-tu pas écrit naguère, « les gloutons » ?

Ils sont tous là ! prêts à griffer et prêts à mordre :
assoiffés de paraître, affamés de pouvoir,
ils vont sur ton passé répandre leur désordre…
« Le passé ! Circulez ! il n’y a rien à voir ! »

Va ! ne nous montre plus ces sourires moroses :
à quoi bon refuser qu’on te mette au placard ?
Dénigrer, condamner, c’est dans l’ordre des choses :
Les Fleurs de Baudelaire ont toujours leur Pinard.

Détourne ton regard de ce monde putride
pense à ton avenir et ne pense qu’à lui !
Sous ses lauriers ton front n’a pas pris une ride,
l’avenir n’attend pas : pour toi, c’est aujourd’hui.

Vital Heurtebize

Vendredi dernier, l’avenir est arrivé. Vital Heurtebize a retrouvé ses amis poètes les plus fidèles. D’autres reviendront, avec ce même enthousiasme de retrouver en cet homme bon et même trop démocratique leur repère et leur vie même.
Au bout de la rencontre, Claire Dutrey nous a fait cadeau de l’une de ses interprétations les plus spontanées, en nous livrant l’essence magique d’un poème particulièrement « vital » et touchant de Vital Heurtebize, où une « lumière blanche » nous amène l’écho solennel d’un amour extrême, très proche du divin :

La lumière blanche

Au balcon de la nuit, chaque soir, je me penche
et, chaque soir, je suis saisi du même émoi :
Je retrouve aussitôt cette lumière blanche,
et vive, et qui m’attend, et n’est là que pour moi !

Car elle est là, fidèle, à ma vie attachée
comme autour de mon corps une écharpe sans fin
qui me relie à mon existence passée
et m’entraîne vers l’autre inscrite à mon destin.

Et je suis là comme tulipe sur sa tige
que balancent des vents venus de nulle part.
Le vide sidéral me donne le vertige
et le froid perce sur mes haillons de vieillard…

Cette lumière est-elle blanche ? Je l’ignore !
je parle à l’infini ma langue de nabot.
Est-elle vive ? Elle est je crois bien plus encore !
Mais pour le dire, hélas, je n’ai pas d’autre mot.

Mais je sais qu’elle est là, pour moi, sans aucun doute
elle franchit d’un trait les mondes inouïs,
elle trace pour moi, dans l’univers, ma route
vers l’Ultime qui s’ouvre à mes yeux éblouis…

C’est ainsi chaque soir, cette lumière, blanche
et vive, me saisit et m’attache à ses pas :
il suffit qu’au balcon de la nuit je me penche…
Un soir je partirai mais ne reviendrai pas.

Vital Heurtebize

Claire Dutrey lit Vital Heurtebize (vidéo)

Giovanni Merloni

Vital Heurtebize « au balcon de la nuit » : avant ce « simple passage au-delà de la trame », aurons-nous « Le temps d’aimer… Dieu ? »

22 vendredi Jan 2016

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Boèce, Franco Cossutta, Giacomo Leopardi, Léo Ferré, Montaigne, Saint-Bonaventure, Vital Heurtebize

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Couverture illustrée par un tableau de Franco Cossutta

Accompagné par ces magnifiques illustrations « cosmiques » de Franco Cossutta à l’enseigne du bleu, qui est aussi la couleur dominante des vers de son dernier recueil — « Le temps d’aimer… Dieu ? » (Éditions des Poètes français, 2016) — Vital Heurtebize achève un de ses plus importants cycles de réflexions et d’inventions poétiques, qu’il a commencé il y a vingt ans, en 1996, lors de la publication de « Yénenga ou l’heure d’aimer Dieu » (1). Même dans les titres, ces deux textes sont vivement proches. Mais, si dans le premier recueil — inspiré d’une figure protectrice « croisée » dans une phase particulière de sa vie au Burkina Faso — « l’heure d’aimer Dieu » tombe à l’improviste, comme un réveil bienveillant ou une exhortation à découvrir en nous-mêmes les traces d’une présence divine, dans ce dernier livre, la question de Dieu assume pour notre Poète des proportions plus importantes.

Dans la vie intense — engagée et anarchiste à la fois — de Vital Heurtebize, une vie « sans Dieu ni Maître », la seule véritable « conversion » qu’on y pourrait découvrir, c’est une conversion « à l’envers » : venant comme beaucoup de jeunes de son âge d’une éducation catholique sans éclat ni passion, il fréquentait tout de même sa paroisse… lorsqu’il rencontra l’amour. L’amour qui sera tout au long de sa vie son unique religion :

Il en fut ainsi jusqu’au jour
où tu vins me parler d’amour
je ne sais plus ni quand, ni qu’est-ce…
…
Toujours est-il que ce jour-là,
il faut que je le reconnaisse,
ma vie avec toi s’en alla…

Il s’agit bien sûr d’un amour heureux, venant d’une rencontre unique… Un amour qui sut au fur et à mesure se projeter, par le biais de l’humanité franche et poétique de notre ami, sur un univers plus vaste. Professeur dans un lycée et ensuite chargé de hautes responsabilités dans le contexte scolaire, Vital Heurtebize a fait de son amour pour le proche une attitude concrète, soutenue par une cohérence sans borne où l’âme et l’esprit fusionnent : « pour vivre, il faut naître deux fois », affirme-t-il dans la préface d’un de ses recueils. La première vie c’est la vie qu’on reçoit et parfois on subit, la deuxième est la vie consciente que nous essayons d’assujettir au sentiment et à l’intelligence de la vie même que nous avons bâti en nous grâce à la « force dialectique » de l’amour.
Au cours de cette « seconde vie », notre ami généreux ne peut pas se dérober aux constats des mille misères et abîmes de douleur qui constellent, hélas ! notre vie quotidienne, où la mort est toujours aux aguets, de plus en plus difficile à accepter puisqu’il s’agit d’une mort qui souvent frappe lâchement ou sournoisement, sans nous donner le temps de comprendre ses raisons occultes.
Voilà alors que notre Poète, au milieu du chemin de sa seconde vie, en rencontrant Yénenga (2), lui demande de lui indiquer l’heure. Et Yénenga lui répond, « de sa voix la meilleure : c’est le temps d’aimer Dieu… »

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Été 2015, Vital Heurtebize dans son habitation à Orange

« Le temps d’aimer… Dieu ? » ne peut qu’être un livre riche et complexe, où la poésie se doit d’une double mission : celle d’alléger le poids inévitable de la réflexion, celle de briser la flaque terrestre où se reflètent les maux du monde pour y faire flotter librement les nébuleuses célestes.
Dans ce texte, un long, épuisant et généreux dialogue intérieur se décline autour de quatre moments cruciaux : la naissance ; la découverte de l’amour ; la rencontre de Dieu ; le passage…
Tout le monde, tout au cours de la vie se prépare à ce passage, auquel il arrive toujours mal préparé. On est tous de mauvais élèves qui préfèrent s’évader dans l’école buissonnière de la vie, avec ses leurres et ses joies éphémères. Vital Heurtebize nous convie pourtant à regarder dans le puits sombre de notre existence, pour en  démêler le sens le plus intime. Car dans le dialogue déchirant de cette redoutable veille annoncée nous aurons un ami, un allié, un interlocuteur qui n’aura pas peur de nous entendre et de nous répondre : « Va ! » susurre cette voix, qui résume en elle la voix du Fils et celle du Père. « J’irai », répond Vital, avec le courage d’une confiance pleine et sincère.

Au bout d’un parcours poétique où l’amour en toutes ses formes demeurait souverain, avec sa force unique qui rendait l’homme capable de vaincre le mal du monde ainsi que l’idée de la mort… Vital Heurtebize ne veut plus se soustraire à cette question extrême du « passage ». Évidemment, la force indomptable de l’amour pour les autres et pour la femme chérie ainsi que pour la ville de sa jeunesse va progressivement s’estomper dans la perspective de notre disparition. Ce qui compte dans l’amour c’est surtout la possibilité de donner quelque chose de nous aux autres. À l’approche de la mort, cet amour-là ne nous aide pas beaucoup. Nous sommes seuls. Vital Heurtebize, homme généreux et spontanément porté à aimer ses semblables, s’oblige alors à regarder de façon plus réaliste le monde auquel il a tant donné, prenant conscience de la grande faiblesse des « innocents » vis-à-vis de ceux qui détruisent, abîment, tuent, restant souvent impunis. Depuis son balcon, il observe longuement sa ville menacée, avant de lui consacrer son poème « en dernier chant d’adieu » :

Il est temps de brûler tes anciennes icônes :
ceux qui se sont un jour assis sur de faux trônes
n’aborderont jamais la demeure de Dieu.

Plus avant, notre Poète, au bout d’un récit passionnant au sujet de la disparition de son père, après avoir « recueilli… la fervente parole afin de la rendre un jour » à ses enfants, s’en va :

…La vie est une école
faite de beaucoup plus de morts que de vivants.

Accompagné par l’ombre bienveillante de son père, devenu invincible par la force de l’amour, Vital Heurtebize s’interroge sur ce Dieu de la religion qu’il juge trop éloigné de la réalité des hommes et des femmes. Il s’adresse à Jésus, en reconnaissant en lui la force d’un message révolutionnaire. Il est sans doute fasciné par cette idée de Dieu qui devient homme, acceptant d’être le Père et le Fils à la fois… Lisant ses vers élégants et comme stupéfaits de ce qu’ils découvrent dans leur itinéraire rhabdomancien, on a l’impression de voir Jésus en personne. Qui pourrait s’exprimer avec ce « Va ! » que je citais avant sinon Jésus ? Car en fait en répliquant « J’irai », l’homme accepte avec conviction un engagement qui va au-delà d’une seule vie :

Donne-moi ta Parole et je la porterai
à mon peuple égaré, perdu sur la montagne,
Il suffit que ton verbe au combat m’accompagne :
et fort de ta présence, où tu voudras : j’irai !

L’élévation mystique de notre Poète — qui déclare ici et là sans complexes, sinon un véritable athéisme, du moins une vision « libre » de la religion (et de tout ce qui flotte au-dessus et au-delà de notre sensibilité forcément limitée d’hommes communs) — ne peut pas s’arrêter à Jésus. Ou alors il confie à Jésus, tout comme à son propre père, le rôle de guide, comme Dante avait fait avec Virgile. Mais cela ne se déroule pas comme un véritable voyage dans un Enfer de la mémoire ou dans le Paradis d’un rêve. Tout en héritant de Saint-Bonaventure, l’élève de Saint-François-d’Assise, la suggestion de l’itinéraire de l’Esprit vers Dieu (« Itinerarium mentis ad Deum »), Vital Heurtebize, comme Boèce, renie les Muses et assigne à la Philosophie le rôle essentiel de consolatrice et de compagne :

…je reviens de mes peines recluses
et reniant pour toi la légende des muses,
je dis qu’entre tes mains je ne crains plus la mort.

Dans un des poèmes de ce recueil, Vital Heurtebize avoue que jusqu’ici, il n’avait pas voulu ni Dieu ni Maître… Voilà que dans son « itinéraire intime » au sujet du mystère de la mort, il ne se borne pas à choisir un Dieu père et fils à la fois, écrivant avec élégance et force d’arguments un petit évangile apocryphe que José Saramago (l’auteur de « L’évangile selon Jésus ») aurait aimé énormément. Il choisit aussi un Maître de sa taille. Ce maître, lui transmettant le courage de doubler son « je », n’est pas le grand poète Rimbaud, mais le grand écrivain et philosophe Montaigne (3) :

Quand je dis « Je », c’est toi qui parles dans mon cœur.
…
Je ne sais plus si c’est ma voix si c’est la tienne ?
si je parle en ton nom sans artifice aucun,
c’est parce que nous deux nous ne faisons plus qu’un,
qu’au monde il n’est plus rien à moi qui me retienne.

Mais, quand on approche de l’épilogue — où vous retrouverez la mystérieuse Yénenga qui donna l’élan initial à cette rocambolesque aventure philosophique (je dis « rocambolesque » comme un compliment, bien sûr, ayant bien connu ce fabuleux personnage de Rocambole qui s’engage pour le bien jusqu’à renoncer au bonheur d’une vie paisible) —, la poésie prend le dessus. Il s’agit des vers accompagnant le « passage » sans trop de règles ou d’explications à fournir :

Au balcon de la nuit je me penche souvent
car l’espace infini du cosmos me fascine.
Là, je suis du regard le cortège savant
des routes d’or qu’une invisible main dessine…

Ça, c’est tout simplement merveilleux ! J’aime ces vers qui concluent cette énième « ode à la vie respectueuse de la mort » et je m’y reconnais : le balcon, la ville, l’infini. Un infini humain d’où rebondit la vie qui continue comme celui de Leopardi. Un infini cosmique aussi, où la mélancolie du « déjà vu » gonfle de larmes nos yeux se perdant dans le « bleu indigo » du cosmos :

Ainsi, quand je me penche au balcon de la nuit,
je comprends que ma mort ne sera pas un drame,
mais un simple passage au-delà de la trame
où se fondra mon âme au monde de l’Esprit.

Giovanni Merloni

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Tableau de Franco Cossutta

Vital Heurtebize : « Le temps d’aimer… Dieu ? »

Ma ville

Te voici donc ma ville !… Amant de tes attraits,
je sais les mille chants de tes blondes prêtresses,
tes antiques sérails aux murs de forteresses
et l’enchevêtrement de tes jardins secrets.

Fidèle à tes appels, je viens à ton mystère
et le garde enfoui jusqu’en mes profondeurs.
Je scrute l’horizon de mes blanches hauteurs,
mon pied droit sur la mer, mon gauche sur la terre…

Dors, ma ville !… Je sais que vont venir les temps
où mes mains sur ton front mettront un diadème .
Sur ta lèvre à nouveau fleurira mon poème.
Aujourd’hui, seul, je veille et c’est toi qui m’attends.

Accueille mon poème en dernier chant d’adieu.
Il est temps de brûler tes anciennes icônes :
ceux qui se sont un jour assis sur de faux trônes
n’aborderont jamais la demeure de Dieu.

Le stylo, la feuille blanche

Sur son bureau, l’avait-il vraiment oublié
ou plutôt laissé-là pour que je le recueille,
mon père, son stylo ?… Posé sur une feuille
blanche comme un mouchoir soigneusement plié.

Avant de s’en aller, qu’a-t-il voulu me dire ?…
Ce stylo noir sur ce feuillet de papier blanc !
J’ai pris la feuille et le stylo, j’ai fait semblant
de lire ! et suis parti. L’heure était au délire.

Ça pleurait de partout, les amis accourus,
Les parents oubliés, les voisins, une foule
comme une immense mer emportant sur sa Houle
le frêle esquif, bercé de discours incongrus :

« Il était le meilleur », « on l’aimait bien, cet homme »
« c’était un être bon, modeste et généreux,
le cœur toujours tout grand ouvert aux malheureux »
Bref, si ce n’était pas… Un saint, c’était tout comme !

Quand juste est le portrait, l’éloge ne l’est pas :
A quoi bon ces discours et tous ces ronds de jambe ?…
Je me suis retiré loin de ce dithyrambe,
abasourdi par tous ces propos de judas…

De ma poche, j’ai ressorti la feuille blanche
et là, quel ne fut pas mon désarroi !… j’ai lu
ce qu’avant de partir, mon père avait voulu
me dire, quelques mots de sa main ferme et franche :

« Quand sonneront pour moi les heures ténébreuses,
avant mon dernier souffle, avant le noir linceul,
tu viendras près de moi, mon fils, tu viendras seul,
écartant les « amis », les sots et les pleureuses.

Alors, tu me liras les pages du Phédon
où Socrate a montré que l’âme est éternelle
et comme un vieux cheval heureux qu’on le dételle,
je descendrai dans l’ombre en invoquant Platon »…

Quelques mots de ferveur pour unique héritage !
Mais ils ont dit la longue marche de l’Ancien
qui demeura fidèle en tout temps, à tout âge,
à ce Temple idéal qui fut toujours le sien.

J’ai recueilli pour moi la fervente parole
afin de la rendre un jour à mes enfants
puis je m’en suis allé… La vie est une école
faite de beaucoup plus de morts que de vivants.

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Tableau de Franco Cossutta

J’irai

Donne-moi ta parole et je la porterai :
que ma voix retrouvée à la tienne réponde !
De village en village et jusqu’au bout du monde,
soutenu par ta force et ton verbe, j’irai…

J’irai ! car il est l’heure et je me sens de taille,
depuis que dans mon cœur, ton cœur s’est établi,
à reprendre à l’envers la route de l’oubli
et conduire pour toi cette ultime bataille.

J’irai par tes chemins jusqu’au fond des déserts
faire en ton nom jaillir les oasis nouvelles,
j’irai boire l’absinthe aux rives éternelles
du fleuve qui souillait les pâturages verts.

Et je remercierai le fleuve jusqu’aux sources
où l’onde pure émeut l’épi de blé.
Là, mon peuple à ton nom se tenait assemblé
avant d’aller se perdre au hasard de ses courses.

Donne-moi ta Parole et je la porterai
à mon peuple égaré, perdu sur la montagne,
Il suffit que ton verbe au combat m’accompagne :
et fort de ta présence, où tu voudras : j’irai !

Après six-mille ans

Ce pays de lumière et d’arbres et de fleurs
c’était toi !… Ton soleil baignait la plaine immense…
le sable de ta plage était doux… l’abondance
de mon mil foisonnait sous les flots de chaleurs…

Or, bientôt, par la mer sont venus les voleurs !
Ils ont tué tes fils pour crime d’innocence,
ils ont souillé tes champs de fétide semence,
ne laissant derrière eux que nos cris et nos pleurs…

J’ai vécu six mille ans à nourrir ma tristesse,
à ressasser ce meurtre, à revivre sans cesse
et le temps de la honte et le temps du remords…

Mais voici : je reviens de mes peines recluses
et reniant pour toi la légende des muses,
je dis qu’entre tes mains je ne crains plus la mort.

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Tableau de Franco Cossutta

« Je »

« Je » ! c’est parfois le nom qu’en secret je te donne
et, dès lors, m’autorise à parler en ton nom !
c’est faire preuve, j’en conviens, d’un bel aplomb !
mais je me dis, mine de rien « il me pardonne ! »

Je ne sais pas vraiment d’où me vient cette voix,
qui parle de nous deux ? qui de nous deux l’écoute ?
c’est comme une alchimie intime et je redoute
les accents rigoureux qu’elle accuse parfois.

Car cette voix, la mienne ou celle d’un bon maître,
me dicte en quelques mots ma vie au quotidien :
elle est comme la voix de mon ange gardien
elle me dit tout le mystère de mon être.

Elle me parle avec tendresse, avec rigueur,
elle se fait sévère ou sait se faire tendre
et « Je », tu deviens « tu » pour mieux te faire entendre
Quand je dis « Je », c’est toi qui parles dans mon cœur.

Je ne sais plus si c’est ma voix si c’est la tienne ?
si je parle en ton nom sans artifice aucun,
c’est parce que nous deux nous ne faisons plus qu’un,
qu’au monde il n’est plus rien à moi qui me retienne.

Ainsi, je peux parler en ton nom, en tout lieu,
et le jour, et la nuit, puisque partout tu règnes !
Je ne dis rien de mieux que ce que tu m’enseignes
et je dis que bientôt, demain, je serai Dieu !

Passage

Au balcon de la nuit je me penche souvent
car l’espace infini du cosmos me fascine.
Là, je suis du regard le cortège savant
des routes d’or qu’une invisible main dessine.

Des vastes profondeurs qu’anime un vent léger
montent les chants sacrés m’annonçant le prodige
que mes jours et mes nuits n’ont su se partager
et je me sens soudain saisi par le vertige :

Au fond des champs déserts, l’horizon dévasté
n’est qu’une immensité qui me prend et m’aspire
et qui jette sur moi son obscure clarté
promettant que ma mort à ma mort sera pire !

Ne nous arrêtons pas, mon âme, c’est ailleurs
que finit l’existence et commence la vie,
plus loin sont les vins doux et les fruits les meilleurs.
C’est la route vers Dieu que nous avons suivie.

Je dépasse ma mort et porte mon regard
plus loin : il n’y a plus ni de temps, ni d’espace,
l’air s’y fait plus suave et le ciel moins blafard.
Mon âme, c’est vraiment ma mort que je dépasse !

Nous voici parvenus au-delà du tombeau,
ici, la chute d’eau de ses embruns m’asperge,
là, c’est l’épi de blé près de la chute d’eau,
vois ! mon corps fatigué dans ta lumière émerge !

Du monde je m’abstrais et je parle aux oiseaux,
j’écoute leur concert de musiques célestes.
Plus rien ne leur fait peur, ni ma voix ni mes gestes,
ils viennent sur mes mains comme sur les roseaux !

Si ce n’est pas vraiment l’Eden des prophéties,
je sais qu’il y fait bon dormir, qu’aucun écho
n’en vient troubler le calme et qu’un ciel indigo
recouvre à l’infini le champ des galaxies.

Ainsi, quand je me penche au balcon de la nuit,
je comprends que ma mort ne sera pas un drame
mais un simple passage au-delà de la trame
où se fondra mon âme au monde de l’Esprit.

Vital Heurtebize

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(1) Il suffit de lire les titres de la plupart des recueils dont Vital Heurtebize nous a fait cadeau en ces vingt ans pour y reconnaître un motif inspirateur commun :
Yénenga ou l’heure d’aimer Dieu (1996)
Le temps ultime (1999)
Le temps sublime (2001)
Le temps de vivre (2005)
Le temps d’aimer (2010)
Le temps des Hommes (2014)
Le temps de la Sérénité (2014)
Le temps d’aimer… Dieu ? » (2016)

(2) Avec « Yénenga ou l’heure d’aimer Dieu » notre Auteur avait publié un texte où les thèmes du religieux et du passage du monde de l’homme au monde le l’Esprit commencent à être exploités.

(3) « Dans l’amitié dont je parle, les âmes s’unissent et se confondent de façon si complète qu’elles effacent et font disparaître la couture qui les a jointes. (…) Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant: Parce que c’était lui, parce que c’était moi.» (Montaigne)

G.M.

Mon premier bouquin français

10 jeudi Sep 2015

Posted by biscarrosse2012 in les unes du portrait inconscient, poèmes

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Angèle Casanova, Ève de Laudec, Brigitte Célérier, Claire Dutrey, Claudine Sales, Elisabeth Chamontin, Florence Zissis, François Bonneau, Françoise Gérard, Hélène Verdier, Hervé Lemonnier, Jocelyne Turgis, José Defrançois, Marie-Christine Grimard, Marie-Noëlle Bertrand, Nicole Peter, Noël Bernard, Noëlle Rollet, Serge Marcel Roche, Vital Heurtebize

Il m’est arrivée par la poste, juste hier, 9 septembre, le jour de l’anniversaire de ma fille cadette, un joli colis contenant quelques copies de mon premier bouquin français : « Poèmes d’avant l’amour », publié par les Editions des Poètes français. Je suis bien conscient de ce que cela signifie. En même temps, je suis tranquille, confiant, heureux de pouvoir transmettre quelques miettes d’un trop long discours.

Giovanni Merloni

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« Puisqu’il en est ainsi… » un nouveau recueil de poèmes de Jean-Jacques Travers

01 dimanche Fév 2015

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Jean-Jacques Travers, Poètes et Artistes Français, portrait du dimanche, Société des poètes français, Vital Heurtebize

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(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

« Puisqu’il en est ainsi… » un nouveau recueil de poèmes de Jean-Jacques Travers

« Mon âme est pleine de chagrin, pourtant je préfère ne pas me plaindre… » : par cette citation du poète suédois Pär Lagersvist, Jean-Jacques Travers entame ses Réminiscences. Un texte poétique qui rentre parfaitement dans son esprit extraordinaire, capable de nous amuser et nous étonner par sa vision philosophique tout à fait libre et libérée de tous les préjudices possibles. Un texte capable aussi de nous toucher intimement, en nous attirant dans un dialogue qui va de quelques façons nous changer. C’est bien sûr le changement du voyage, telle une révolution permanente tout au long de la vie de Jean-Jacques Travers qu’il partage avec nous lecteurs. Mais c’est aussi, surtout, le changement qui se vérifie mille et mille fois au cours de notre vie même. Les mille morts et les mille renaissances de l’homme observant son déchirement et son incrédulité vis-à-vis des merveilles qui s’évanouissent et celles qui s’affichent à l’horizon avant de frôler de près notre peau stupéfaite.
En avril 2014, j’avais présenté ce « vrai poète » à partir de vieilles publications qu’il m’avait gentiment prêtées. À présent, j’ai le plaisir de partager avec vous, avec ces Réminescences, la lecture de quelques poésies que je viens d’extraire du nouveau recueil de Jean-Jacques Travers : Quae cum ita sunt : Puisqu’il en est ainsi…, aux Éditions les Poètes français, disponible près de l’Espace Mompezat, 16, rue Monsieur Le Prince, 75 006 Paris.

Giovanni Merloni

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Réminescences

«Mon âme est pleine de chagrin,
pourtant je préfère ne pas me plaindre »
Pär Lagersvist

De tant d’aveux ourdis mais jamais proférés
J’ai malgré moi, ce soir, si douce souvenance
Que les rudes remous des remords abjurés
Vont s’effaçant, bercés de soyeuses cadences.

Ô vieux mots démodés, vos antiques splendeurs
Résonneront sans fin de nos fracas ultimes
Et ma voix incertaine en ces bris de ferveur
Épellera longtemps les prénoms trop intimes.

Et que restera-t-il de ce corps brun musclé,
De ces yeux, de ces mains, de ce cœur chaud qui vibre
Quand retentira l’heure abrupte et sans clarté,
Quand l’abstrait giclera de ses oblongues fibres ?

Ah que restera-t-il de mes crissants matins,
De mes blonds souvenirs, cendreuses transparences,
Mais que restera-t-il des rires enfantins,
Des fugaces fraîcheurs aux fragiles fragrances ?

Que restera-t-il donc d’une vie éphémère,
De tout ce qui fut MOI de Tout ce qui fut MIEN :
Une pâle mémoire, une carcasse amère,
Un prénom désappris et puis, un soir, plus RIEN…

Véhémences

J’ai vécu d’autres jours, j’ai connu d’autres lieux,
J’ai rêvé d’autres soirs, j’ai veillé d’autres morts,
J’ai tremblé d’autres soifs, j’ai humé d’autres cieux,
J’ai hâlé d’autres cœurs, j’ai hanté d’autres sorts,
J’ai hélé d’autres voix,
J’ai halé d’autres croix…

J’ai vu les nuits d’enfer, étouffé sous les chocs
Du vent polaire abrupt éructant sa rancune,
Et j’ai pleuré, livide en des déserts de rocs,
La mer polie et moite aux branchages de lune…

En des destins confus, verdâtres et vitreux,
Ma pauvre âme a craqué sous le gong des bourrasques,
Emmêlant ses sanglots aux suintements visqueux
Du sang des printemps morts aux parfums lents et flasques…

Mort au soleil ! Mort aux étoiles ! Mort au jour !
Viennent la nuit, la tempête et ses noirs supplices !
En ricanant le vent pourchasse mes amours
Dans les ruisseaux bourbeux, boursouflés d’immondices…

Laterité

Je n’aurai donc été que racleur de miracle,
Débrailleur d’idéal, débardeur d’ironie :
Me voici devenu déserté tabernacle,
Assèchement d’amont, lagune à l’agonie…

Chanson de mon cœur
(Sydãmeni laulu)

Ton Amour était là… Mais je n’en ai rien su :
Il me fut tant donné… Mais j’ai si peu reçu…

Oui, je veux retrouver les marins assoiffés,
Les éclairs alanguis, les grondements d’aurore,
Les délires d’azur, tes cheveux décoiffés,
Tes yeux doux et brumeux, oui, tout revoir encore…

C’était au temps fougueux de mes larges épaules,
C’était au temps d’avant les sourires avides
Des gueules de l’emploi mimant leurs jeux de rôles
Et des pitres piteux aux esbroufes cupides…

Je n’étais qu’impatient, improbable, impétueux
Tout mon être flambait de toutes ses ferveurs,
Incandescent, fiévreux, j’avançais à pleins feux
Et je rêvais alors d’AUTREPART et d’AILLEURS…

Ton Amour était là… Mais je n’en ai rien su :
Il me fut tant donné… Mais j’ai si peu reçu…

Exil intime

Les jours d’ici sont comme des jours d’Après,
D’Après Tout, d’Après moi, sans couleur et sans son :
Abstraite altérité, sans goût et sans regret,
Comme des jours d’Après les jours d’ici me sont…

Ces jours d’Après viendront comme les jours d’Avant
Et seront confondus sous le Temps péremptoire :
Jours d’Avant, jours d’Après passeront tels le vent
Et c’est ainsi, hélas, que l’on écrit l’Histoire…

Jean-Jacques Travers

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(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Jacques-François Dussottier, poète nomade, poète halluciné « à fleur de peau »

23 dimanche Mar 2014

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Jacklin Bille, Jacques-François Dussottier, Poètes et Artistes Français, portrait du dimanche, Vital Heurtebize

Le poète que je vous présente aujourd’hui, Jacques-François Dussottier fait partie lui aussi depuis longtemps de la Société des Poètes français. Tout en adhérant, comme Michel Bénard, au mouvement poétique des Intuitistes, il a déclaré à plusieurs reprises qu’il privilégie une poésie qu’il qualifierait de poésie de « l’instinct » : « …tous ces « éclairs », ces mots de « lumière » qui dans ma tête 
tournent sans cesse en une ronde souvent infernale,
 cette poésie de « l’instinct » où j’essaie de faire vivre l’émotion, 
le souffle, la tendresse
 et une certaine beauté des mots… »
Jacques-François Dussottier a bien sûr ressenti les suggestions de la poésie picturale et musicale qu’on peut retrouver dans les vers sensuels de Michel Benard ainsi que dans les lyriques dramatiques ou engagées de Vital Heurtebize. Cependant, dans ses vers je trouve quelque chose de particulier se détachant nettement d’une idée classique de la poésie. Comme le dit lui-même, J. F. Dussottier est un poète nomade, un poète halluciné, déraciné et rebelle. Même quand il chante la femme et l’amour, un sujet qu’il maîtrise sans artifice ni exagération, la douleur de l’existence jaillit immédiatement de ses vers comme une deuxième nature ayant une sensibilité à fleur de peau…
Je vous laisse découvrir librement les atouts particuliers de ce poète avec deux renseignements :
— Les trois premiers poèmes ont été extraits depuis le recueil titré « À fleur de peau » (publié en 2000), tandis que les autres vers font partie de la récolte poétique titrée « Ô femme ».
— Récemment, j’ai eu le plaisir d’assister au vernissage de Jacklin Bille (*), une amie sculptrice que j’avais plusieurs fois rencontrée à l’espace Mompezat des Poètes français. Ses sculptures denses et touchantes s’inspirent toujours au numéro deux. Donc, d’abord à l’amour et à l’art de la rencontre ; ensuite à la lutte incessante du bien contre le mal ; enfin à l’émerveillement ainsi qu’à la suggestion créatrice de la juxtaposition du noir et du blanc et aussi, bien sûr, du plein et du vide…
Je trouve qu’un duo formidable va se déclencher de façon tout à fait naturelle, rien qu’en créant les présupposés pour une rencontre entre les poésies (et les personnages) de Jacques-François Dussottier et les sculptures (et les personnages) de Jacklin Bille. Chacun décrit l’autre. Chacun accompagne l’autre. Cette fois-ci, pour une question de priorité du thème, ce sera Jacklin à accompagner Jacques-François. Une autre fois, qui sait ? on pourrait envisager une « jam-session » où les rôles seront renversés.

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Jacklin Bille, La lecture

Jacques-François Dussottier, poète nomade, poète halluciné « à fleur de peau »
(poésies commentées par les sculptures de Jacklin Bille)

Poète nomade
poète halluciné
dans cette douleur d’exister.
J’irai hurler à la nue
mon désir, ma révolte
avec l’énergie de mon désespoir.
Poète de l’instinct
de la déchirure
du cri
de la passion,
la poésie est mon errance
en des mots incandescents
essaims de poèmes en offrande
de tous ces lambeaux de moi-même.
Mes vers viennent de l’ailleurs
du monde des poètes et des fous.

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Jacklin Bille, Méditation

Nu dans mon innocence d’homme
Je m’égare au hasard de la langue,
Je vis de la vie des mots
Mots confidents de ma solitude,
Je suis la page blanche
Espace ouvert à perte de vide,
Maraudeur du langage
J’inscris au fil du feu, de la folie
Mes mots caravaniers, buissonniers,
Bonheur d’écrire, souffrance d’écrire
J’écris des matins de naufrage
Dans la rouille et l’amertume,
Des mots qui font trembler mes mains
Cris muets suspendus à l’encre des larmes,
Je suis en survivance
Je suis mon souvenir
La raison jusqu’à la déraison
Dans des silences perdus au bout de l’écriture.
Avec des mots venus d’ailleurs
Nomade du désir, de la tendresse,
L’amour est mon passé, ma mémoire.
Le poème que je tisse est un cri
Le goût de l’autre, ma passion rebelle,
Les raisons d’être fou dans la mémoire d’aimer.
J’existe aux mots de l’amour
Et la parole est femme au terme de mon poème.

billie 4a 400

Jacklin Bille, Méditation

Pétales d’aube
Dans le sang du matin.
L’espace sans marge
A rompu ses amarres
Dans la mouvance de l’ombre.
Aux horizons d’errance
À l’extrême du souvenir
J’ai volé l’éphémère
Aux lilas du temps.
Habité de mélancolies
Je goûte des mots enfuis
Et murmure aux fissures de la nuit
Des écharpes de paroles
Au sablier des vents.

billie 4b 400

Jacklin Bille, Méditation

Ô Femme
Tu es le point du jour
Toi mon rivage, mon embellie
Mon intime transhumance
Vers ton être déshabillé de lumière.

♣

Tu es ma maîtresse
Depuis longtemps
Ô Poésie
Je te prends souvent
Mais tu me possèdes
Depuis la nuit des temps.

♣

Le poème que je tisse est un cri
le goût de l’autre, ma passion rebelle,
les raisons d’être fou dans la mémoire d’aimer.
J’existe aux mots de l’amour
et la parole est Femme au terme de mon poème.

réflexion 180

003_billie 10 180

Jacklin Bille, Réflexion

Au jardin du Luxembourg
Je reviendrai chercher mes souvenirs
Au lieu de mes premiers amours
Je viendrai me rajeunir.
Je la vois, je les revois
Ces biches au cou de porcelaine
Fraîches et naïves, oh ! Mes premiers émois
Votre peau avait odeur de marjolaine.
Assis sur un banc près des frondaisons
Je recherche vos visages et je ferme les yeux
Qu’êtes-vous devenues depuis tant de saisons
Vous mes écolières aux longs cheveux soyeux ?

billie 2 400

Jacklin Bille, Au creux de ta main

Je suis cet homme de sable
vêtu de cette transparence
éclaboussée d’étoiles.

♣

je suis l’homme virginal
dans le chant de l’être
et j’écris l’éternité de nos chairs
perdu dans la clarté de tes yeux.

billie 1 400

Jacklin Bille, Plénitude

Ô toi ! Ma belle écolière
Dont j’ai perdu depuis longtemps la trace
Dans mes bras tu fus la première
Ton souvenir est toujours en moi, tenace.
Dans le passé de mon adolescence
Au premier matin du premier amour
Souvent à toi soudain je pense
Au fil du temps, au fil des jours.
Qu’est-tu devenue ?
Te souviens-tu de moi ?
Quand j’effleurais ta peau nue
Et tes sens aux abois.
Vers quelles amours as-tu vogué ?
Es-tu restée aussi jolie
Comme le premier brin de muguet ?
Toi, ma première folie !
Ô toi ! ma belle écolière
Dont je ne me souviens plus le prénom
Dans mes bras tu fus la première
De mon adolescence, le joli démon.

billie 3 400

Jacklin Bille, Regard vers l’avenir

J’ai erré dans ces chambres
Où l’amour était à la fête
Dans ces lits abandonnés
Où ne s’aime plus personne
Ces lieux fermés de nous
Où tout n’est plus qu’outil
Chambres vides de corps amoureux
Huis clos de nos cris éteints.

billie 5 400

Jacklin Bille, Attirance

J’écrirai de mes lèvres
Sur ta peau
Tous les mots
Avec amour, avec fièvre.

♣

Aimer d’un trait de lumière
Pour donner asile à mes rêves.

billie 6 400

Jacklin Bille, La main égyptienne

Baisez moy mon amourette
Mille baisers sur votre bouche guillerette
Mes lèvres sur vos yeux
Où se mirent les cieux.
Sur vos lèvres décloses
Plane une odeur de roses
Baiser volé, douceur de votre bouche
Vos lèvres que tendrement je touche.

billie 8 400

Jacklin Bille, Femme recto verso

Insulaire de l’amour
Je dérobe ton souffle
À la moisson des sens.

♣

Je suis une larme au bord de ta paupière
Qui perle comme une goutte de rosée
Je viens du fond de ton être et j’erre
Puis je glisse sur ta joue, égarée.

billie 9 400

Jacklin Bille, Illusion

Parfum éphémère
Parfum d’une nuit.
L’air frissonne
De mille effluves
Qui étourdissent ma narine
Et je sombre enivré
Aux floraison
Exhalées de ton corps.

♣

Tu n’auras fait que passer dans mon cœur
Ma lèvre de tes baisers n’a pas perdu la trace
Et ton souvenir à mon être est encore tenace
Au désespoir de l’amour qui meurt.

♣

L’éternité, c’est un caillou dans l’onde
Mais nul ne revient sur ses pas.

004_billie 11 180

Jacklin Bille, Accord

Tu es mon point de jour
Joyau serti de tant de larmes
Toi mon rivage, mon embellie
Ma citadelle conquise.

♣

L’amour est ma religion
ton cœur mon église,
mon amour est un emportement aveugle vers la lumière,
tes yeux les vitraux d’une chapelle,
la passion est une exaltation de l’âme,
tes mains dans les miennes, une prière…

♣

Clameur des mots
quand l’amour devient cicatrice,
je suis la soif
je suis la faim
nu jusqu’à l’innocence,
j’ai choisi l’indécence
pour sublimer l’audace d’aimer
dans cette violence de mon désir pour toi
Femme !

Jacques-François Dussottier

« Plus qu’un recueil de poésie amoureuse, un bréviaire d’amour… Avec une extrême discrétion qui rend plus forte encore la sensualité amoureuse de son chant, le Poète confie à la Femme ses sentiments les plus profonds, ses désirs les plus sourds. Il exalte avec beaucoup de pudeur cette part de lui-même qu’il ne saurait exprimer avec autant de force et de vigueur s’il devait la dévoiler au grand jour blafard de notre monde profane. Car ici, nous ne sommes plus dans l’existence quotidienne : Jacques-François Dussottier nous fait franchir la trame, ce voile fin qui nous sépare de la vraie vie et il nous entraîne sue les degrés de l’amour sublime, vers les Hauts-lieux où souffle l’Esprit, nous permettant d’entrevoir, ne fût-ce qu’un bref instant, cette Lumière où tout n’est que pur amour…
Vital Heurtebize, Lauréat de l’Académie Française

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Jacklin Bille, Jumeaux

(*) Jacklin Bille travaille principalement la pierre en taille directe, technique des sculptures des plus délicates et difficiles, ne laissant aucun droit à l’erreur : « Des heures de réflexion avant de frapper… j’en fais surgir des figures, des corps, surtout de femme, plutôt stylisés, mais en essayant de traduire les sentiments de joie, d’amour, de doute et de peine… C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière ; la main pense et unit la pensée à la matière… »

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 23 mars 2014

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