le portrait inconscient

~ portraits de gens et paysages du monde

le portrait inconscient

Archives de Tag: Aldo Palazzeschi

L’Italie de Perelà : du Roi Soliveau au Chevalier Inexistant (le rôle d’Aldo Palazzeschi)

15 dimanche Juin 2014

Posted by biscarrosse2012 in commentaires, portraits d'auteurs

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

Aldo Palazzeschi

001_ campo de fiori anni 80 (3) 180

Roma, Campo de’ Fiori, 1980

L’Italie de Perelà : du Roi Soliveau au Chevalier Inexistant (le rôle d’Aldo Palazzeschi)

« Je connaissais déjà les histoires de tous les hommes, leurs actions et sentiments sans savoir avec précision comment les hommes étaient faits, je connaissais les noms de toutes les choses sans savoir quelles étaient les choses qui correspondaient à ces noms, comme un aveugle qui ait reçu par enchantement la lumière. Je devais voir. » (1)
Avant de se caler dans le monde — passant du rôle du personnage à la mode à celui du confident, du concepteur d’un Code indispensable et finalement de l’accusé de tous les maux du monde — l’homme de fumée de Palazzeschi, alias Perelà, connaît en avance, dans l’esprit, ce qu’il vérifiera « physiquement » au jour le jour.
Et pourtant, en tant qu’homme de fumée, il ne peut pas vraiment éprouver des sensations physiques. Il est « venu au monde » déjà adulte. Comme Jésus Christ il a trente-trois ans et tout comme le Dante qui aborde les peines de l’Enfer il est déjà « au milieu du chemin de notre vie »…
À travers cette fiction, basée sur le décalage entre l’humanité (trop humaine) des gens en chair et os, que Perelà met à nu par son humanité à lui, tout à fait légère, aérienne et en définitive inexistante, Palazzeschi trouve la clé passepartout pour nous raconter de sa façon (avec un souffle universel, européen et français aussi) l’Italie de son temps.
Cela correspond parfaitement à sa poésie humaine et abstraite à la fois où — si l’on me permet un parallèle avec les arts plastiques de son temps — le futurisme de Boccioni et Balla fusionne avec le réalisme magique de Carrà et Donghi. Il n’insiste pas trop sur les symboles (comme le faisaient De Chirico ou D’Annunzio) ni sur les côtés pathétiques de la musique de l’âme (comme Pascoli). Il est moderne, désenchanté, pessimiste et désespéré. Sa parenté stricte avec Italo Svevo et Luigi Pirandello lui ouvre des horizons tout à fait précoces vis-à-vis du panorama provincial de cette Italie « de fumée » qui ne sait ni ne veut se mettre au pas des autres nations européennes.

Dans les romans successifs au Code de Perelà, Palazzeschi assumera une attitude plus prudente où l’ironie et le goût du paradoxe se marient souvent au choix de l’équidistance et de la réticence. Et pourtant, même dans « Roma » qu’il publie en 1953 il avance avec la même légèreté de Perelà, son personnage préféré et, en même temps, il semble découvrir une légèreté semblable dans l’objet de son observation à la fois agacée et bienveillante, le peuple de Rome.

005_roma003 180« 1945. Aucun peuple n’est construit pour la paix ainsi prodigieusement que le peuple de Rome : le ciel y a une couleur bleue légère, transparente, d’où le soleil teint de rose toutes les choses en faisant briller le sourire sur chaque bouche. Le peuple romain n’est pas adapté pour le drame tandis qu’aucun peuple ne peut vanter une histoire aussi dramatique, même pas le peuple d’Israël. Il ne connaît pas avec exactitude ce qui s’est passé dans cette très ancienne maison à lui, mais il en ressent vaguement l’haleine au-dessus de la tête. Il respire cela avec l’air. Il sait que d’innombrables événements se sont déroulés, que d’autres événements se dérouleront, et pourtant il n’aime pas les analyser ni leur donner une place dans son esprit, quitte à en extraire de temps en temps une fleur pour s’en orner. Le ver de la curiosité ne le ronge pas, celui d’une curiosité morbide encore moins. Il préfère agrandir les choses belles et commodes plutôt que les laides et inconfortables. Il ajoute aux premières des rubans et des franges, tandis qu’il cache à ses yeux les secondes le plus longtemps possible. Heureux d’exister, il aime la vie. Il n’est pas paresseux comme l’on dit, ni indifférent comme l’on peut croire, et pourtant il n’est jamais pressé. Il considère comme répréhensible que l’on vive essoufflés, car il aime goûter la vie avec l’esprit serein et qu’il est en cela un seigneur assez raffiné. Il ne poursuit pas les occasions, mais lorsqu’une d’elles passe devant lui il est bien capable de l’attraper par la touffe. Il ne connaît pas de fanatisme, il n’est jamais extrémiste, tandis qu’il juge les fanatismes et les extrémismes des choses grossières et de mauvais goût. Au fur et à mesure que les choses grossissent, il prétend les voir devenir petites, parce qu’il met en action ses propres énergies, ses résistances. Il emploie le maximum d’effort pour renforcer les épaules et arrondir le thorax, cela pour affronter les difficultés, celles qu’on ne pourra éviter, avec du sens de l’équilibre et de la santé. Vis-à-vis de n’importe quel régime ou forme de gouvernement il ne fait pas opposition, il l’accepte tout à fait, par principe, toujours en choisissant le côté qui lui convient le plus. Il aime le spectacle, la théâtralité. Les spectacles que le peuple romain sait donner sont d’une beauté inestimable, voilà pourquoi il est prêt à faire de bruit, beaucoup de bruit, avec la bouche, les mains… parce que cela rentre dans le bonheur d’exister et que rien ne le cache mieux que le bruit. Il aime écrémer le sommet de la coupe, il se méfie toujours du contenu. Il ne s’abandonne ni ne recule, il se défend. Il assume toujours la position de l’homme qui se protège, qui défend sa vie : son propre bien. Cet engagement à la surface le sauve toujours. Quand un régime tombe, sans aucune exclusion, il claque des mains même plus fort qu’avant, il les claque tout à fait. En ce moment, juste un peu, il se révèle. Et lorsqu’un matin on lui annoncera que ces hommes qui l’ont gouverné pendant plus que trente ans par autant de succès ont été fusillés dans une place de Milan, pendus avec la tête en bas, cela ne lui semblera pas une chose neuve ni grave, mais la plus naturelle des choses : “il y a ça aussi, on fait aussi cela, on peut faire même pire”, et ce n’est pas facile comprendre ce qu’il ressent. Il se referme pour se sauver, pour résister, car pour l’amour de la vie il doit se sauver, il doit résister, tandis que par un instinct de défense il claque des mains au plus fort que possible, jusqu’à faire le maximum de bruit. » (2)

002_campo de fiori anni 80 (4) 180Roma, Campo de’ Fiori, 1980

Comme on a dit dans les précédents billets, les origines toscanes de Palazzeschi ne s’effacent jamais, même après le séjour à Paris et l’installation à Rome. Donc, dans son amour partagé envers cette capitale tout à fait particulière — se révélant sous ses yeux le théâtre de toutes les contradictions —, il ne peut pas oublier les différences, encore fort sensibles de son temps, entre Italiens de différentes régions.
Pourtant, un lien formidable relie entre elles les expressions artistiques et littéraires ainsi que la façon de se rapporter aux institutions et à l’histoire de chaque habitant de ce pays béni par le soleil et la beauté, mais puni par les cycliques disgrâces et en définitive par une destinée dramatique.
Dans cette douloureuse contradiction (et subjective contrariété) typiquement italienne jaillissent tout spontanément des auteurs anticonformistes et rebelles (parfois sournoisement) comme Palazzeschi et Dino Buzzati ainsi que des personnages (héritiers du théâtre des marionnettes et de la « commedia dell’arte ») emblématiques et immortels comme Pinocchio ou le Chevalier inexistant.
J’espère pouvoir revenir avec l’esprit que cela mérite au personnage de Pinocchio, véritable métaphore de l’Italie et de son oscillation entre le chat et le renard, entre le mirage d’un bonheur trop facile (représenté par Lucignolo) et la punition qui attend toujours au passage (représentée par les deux carabiniers panachés). Car autour de cette fable désespérée (et solitaire, même dans sa laïcité anticonformiste), dans cette parabole morale qui n’accorde aucun espoir au pays des « cigales », il y a la prémonition de la diabolique alternance, typiquement italienne (mais possible partout dans le monde), entre la concrète expérience de redoutables plaisirs d’un « pays des jouets » tout à fait réel et la menace sinistre, elle aussi bien réelle, d’une prison où l’on peut finir d’un moment à l’autre, que l’on soit coupables ou innocents.
Dans ce même monde (toscan, romain, napolitain ou vénitien) ondoyant entre le mirage et le rattrapage, le Perelà de Palazzeschi se détache pourtant nettement de tous ces pantins (ou « burattini » ou marionnettes) qui assument en eux-mêmes tous les vices et toutes les faiblesses des Italiens en chair et os. Il ressemble plutôt au prototype le plus surréel de notre littérature : le roi Soliveau de Giuseppe Giusti (1809-1850). Juste un bout de bois sans vie, emprunté à une glorieuse fable d’Ésope (reprise par La Fontaine) pour mettre à nu le drame politique et institutionnel du « Risorgimento ». Giuseppe Giusti était lui aussi un « maudit toscan » comme Palazzeschi, donc il voyait la question de l’Unité nationale, encore inachevée de son temps, sous un angle particulier.

003_campo de fiori anni 80 (7) 180

Roma, Campo de’ Fiori, 1980

Son « roi Soliveau », calé dans la Toscane de Léopold II évoque plutôt, à mon avis, le roi du Piémont et de Sardaigne, l’énigmatique Carlo Alberto, dont Giuseppe Giusti voyait l’inconsistance et les objectives limites vis-à-vis de la complexité d’un pays habité de « grenouilles », aussi bruyantes qu’affectées par un inguérissable individualisme. Carlo Alberto n’était d’ailleurs que le « mal mineur » dans le but d’une Italie réunie, un bout de bois jeté dans un étang…

Le roi Soliveau (1841)

Face au roi Soliveau,
Qui échut aux grenouilles,
Je tire mon chapeau
Et fléchis le genou ;
Déclarant à mon tour
Qu’il leur tomba du ciel ;
Combien commode et beau
Est un roi Soliveau !

Il chut dans son royaume
En menant grand fracas ;
Car les têtes de bois
Toujours font du tapage ;
Mais bientôt il se tut ;
Et flottant sur les eaux
Il resta tout nigaud
Notre roi Soliveau.

De tout le marécage,
On vint voir ce machin :
C’est là le souverain
Qui faisait si grand bruit ? »
Coassait-on partout.
« C’est pour être sifflé
Que fait pareil bordel
Ce grand roi Soliveau ?

« Donc ce tronc raboté
Portera la couronne ?
Ou Jupin s’est trompé
Ou bien il nous couillonne :
Expulsons au plus tôt
Un roi aussi stupide ;
Qu’on renvoie en appel
Le dit roi Soliveau. »

Silence, taisez-vous !
Et laissez le royaume,
Ô bêtes que vous êtes,
À ce roi fait de bois,
Il ne vous gruge point,
Il vous laisse chanter ;
Point d’horrible massacre
Sous un roi Soliveau.

Doucement, au palais,
Emporté par le vent,
Il ballotte, et il flotte ;
Et jamais dans l’État
Ne pêche jusqu’au fond :
Ô science du monde !
Quelle sage cervelle
Que ce roi Saliveau !

Quand il veut au hasard
Dans l’eau plonger le chef,
Il reparaît bientôt,
Léger à la surface,
Comme l’instant d’avant.
Appelez-le Altesse,
Cela sied à merveille
À ce roi Soliveau.

Voulez-vous qu’un serpent
Trouble votre sommeil ?
Dormez donc satisfaites,
Là-bas dans votre boue,
Ô bêtes sans défense :
Pour qui n’a pas de dents
Est fait à sa mesure
Un tel roi Soliveau.

Un peuple comblé par
Tant d’heureuses fortunes
Peut bien se dispenser
D’avoir le sens commun.
Ah ! quel peuple parfait,
Et quel prince solide,
Quel sacro-saint modèle
Que ce roi Soliveau !
(3) 

Giuseppe Giusti

004_biscione suite (12) 180

Il ne faut pas oublier que le nom même de Perelà rappelle une « trinité », elle aussi typiquement italienne, où la Peine serait la souffrance du père, Dieu — et de la mère, la Madone — ; le Réseau — ou le filet — serait l’attitude au dialogue du fils, Jésus, tandis que la Lame serait en définitive l’épée de Damoclès toujours surplombante que le Saint-Esprit pourrait brandir de façon solennelle le jour du jugement dernier.
Et pourtant il est et reste « étranger dans sa patrie » pendant tout le déroulement de cet admirable antiroman (très adapté à des exploitations théâtrales ou cinématographiques pourvu que s’en occupent de metteurs en scène ou réalisateurs de grande sensibilité et goût). Perelà ne souffre pas les drames existentiels d’un Pinocchio qui doit tôt ou tard changer d’état en devenant un garçon (un brave garçon en plus). Il ne vit pas les anxiétés de l’éternel rattrapage ni de l’éternel jugement qui rendent précaires ses bonnes intentions.
Perelà est le premier « chevalier inexistant » de notre littérature. Son drame s’épuise dans la perception du gouffre le séparant des humains (et des humaines), dans son impuissance congénitale qui l’empêche de jouir des plaisirs terrains, ainsi que de faire quelque chose d’utile pour ces êtres maladroits et autodestructeurs dont il devient le miroir.
Je crois que Italo Calvino ne se soit pas borné à lire et apprécier les contes et les romans de la maturité d’Aldo Palazzeschi, comme on a vu dans sa lettre ici citée. Je crois que le père inconscient et distrait du Chevalier Inexistant est sans doute Perelà, le premier antihéros moderne de notre littérature.
Tous les deux… sont d’ailleurs tributaires du « Roland furieux » de l’Arioste… Dans l’histoire difficile et contrariée de la libre expression en Italie, un fil rouge relie sans doute la poésie et le théâtre, le roman picaresque et anticonformiste à l’idée d’un pays meilleur, toujours insaisissable au-delà d’une glace opaque assez difficile à briser.
Un fil de confiance et d’amour pour l’humanité relie aussi entre eux les mondes fantastiques de l’Arioste ou de Palazzeschi aux mondes plus tempérés et réalistes de Calvino et Buzzati… Et pourtant leurs messages et souhaits de liberté et fraternité, quitte à être célébrés, ne sont pas du tout suivis ou intimement compris.
L’Italie est le pays des métamorphoses qui n’offrent pas de concrètes voies de fuite. On y accepte facilement un roi Soliveau qui laisse tout le monde libre de gaspiller les immenses trésors dont on a hérité sans aucun mérite… on aime se distraire et rester en dehors de toute mêlée, lorsque le Soliveau est remplacé par le Serpent ou, plutôt, quand le bout de bois inoffensif se métamorphose en voleur et assassin. Dans un pays où le pantin peut se transformer de but en blanc, sans transition apparente, en marionnettiste diabolique et Mangiafuoco sans scrupules, les mots de Perelà résonnent péniblement comme l’écho d’une espérance extrême de civilisation, pour laquelle les hommes de bonne volonté ne devraient jamais cesser de se battre.

« C’était vrai, il ne s’était jamais senti aussi léger, et à mesure qu’il se levait au-dessus de la ville, ses pensées s’élevaient elles aussi, les soucis du palais et de tous les gens d’en bas s’éloignaient, s’atténuaient, disparaissaient presque de son regard. La lumière triomphait, la chaleur du soleil, la légèreté de son corps, le vert des feuilles, l’ingénuité du cours d’eau, l’air pur, lui firent sentie pour la première fois que tout ce qui se faisait là-bas dans cet énorme tas de maisons, était quelque chose de lourd, de pesant, d’extrêmement pesant, à un point qui commençait à lui être insupportable. Les tours, les larges constructions de pierre, les toits, énormes chapeaux écrasant les maisons, tout pesait impitoyablement sur la terre, les gentilshommes, les soldats vêtus de fer, les carrosses, tout était d’une pesanteur insupportable. » (4)

000_palazzeschi foto001 180

Aldo Palazzeschi

Giovanni Merloni

(1) Aldo Palazzeschi, « Le code de Perelà », éd. italienne, p. 23, traduction Giovanni Merloni

(2) Aldo Palazzeschi, « Roma », Vallecchi, 1953, p. 65-67,  traduction Giovanni Merloni.

(3) Giuseppe Giusti, « Il re travicello » (« Le roi soliveau »), 1841. Anthologie bilingue de la poésie italienne, La Pleiade-Gallimard, p. 1173-1177, traduction Danielle Boillet.

(4) Aldo Palazzeschi, « Le code de Perelà », Editions Allia, 1993, p. 150, traduction Monique Baccelli.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 15 juin 2014

CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS

Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.

Le secret de l’homme de fumée, héros anticonformiste d’Aldo Palazzeschi II/III

01 dimanche Juin 2014

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

Aldo Palazzeschi

001_circo equestre 180Antonio Donghi, Circo equestre

Cette deuxième incursion dans le monde poétique d’Aldo Palazzeschi ne pourra pas suffire pour en achever un portrait ressemblant, car en fait cet auteur majeur de la littérature italienne ne se borna pas à produire des œuvres en poésie et en prose toujours en avance vis-à-vis de ses contemporains, en suscitant souvent de la méfiance et de l’incompréhension que les critiques successives n’ont pas su totalement effacer. Palazzeschi, anarchiste et anticonformiste jusqu’au bout, et solitaire par vocation, ne fit rien pour se faire vraiment comprendre.
Je reviendrai sur cet auteur aimé au moins une autre fois soit pour les nécessaires intégrations aux biographies circulantes, assez sommaires, soit pour ajouter quelques considérations personnelles aux textes ici publiés.
Parmi les œuvres en prose de Palazzeschi, je vous propose aujourd’hui son chef d’œuvre, l’antiroman titré Le code de Perelà (Il codice di Perelà) publié en 1993 par les Éditions Allia.
Dans le texte suivant, que j’ai traduit moi-même dans l’attente du texte français que je viens de réserver, vous ferez connaissance de monsieur Pérélà, l’homme de fumée. Cela vous donnera envie de savoir plus de cet extraordinaire écrivain auquel s’inspirèrent sans doute, entre autres, Dino Buzzati, Italo Calvino et Tommaso Landolfi. Moi aussi, dans une époque très distante (et plus ignorante) de celle de Palazzeschi, je me découvre beaucoup de points en commun avec cet esprit agacé et rebelle.
En 2000, lors de la présentation, dans une péniche ancrée sur le quai du Tevere de mon roman Roma città persa, une figure très connue de la Rome de Fellini, Momo Pertica, lança l’hypothèse d’une parenté entre Tito Garbuglia, le personnage presque inexistant et surréel de mon livre, et Perelà, l’homme de fumée d’Aldo Palazzeschi.
Giovanni Merloni

003_giocoliere 180 Antonio Donghi, Giocoliere

Le secret de l’homme de fumée, héros anticonformiste d’Aldo Palazzeschi

— Mais, expliquez-nous donc, pour l’amour du ciel, ce que nous devons raconter au Roi.
— Là où je demeurai jusqu’à ce matin, ce n’était pas le sein d’une mère quelconque, mais le sommet d’une cheminée.
— Ahaaaaa !
— Uhuuuuu !
— Ohooooo !
— Voilà.
— Maintenant, je comprends.
— Une cheminée !
— J’ai tout compris.
— Pauvre diable.
— Au-dessous de moi, des bûches brûlaient sans cesse, un feu doux montait sans interruption, avec sa spirale de fumée, vers le haut de la cheminée où je me trouvais. Je ne me souviens pas du moment où jaillit en moi la raison, la faculté de connaître et de comprendre, je commençai à exister, et je connus au fur et à mesure mon être. J’ouïs, j’entendis, je compris. J’écoutai d’abord une indistincte rengaine, un murmure confus de voix — qui me semblaient égales —, jusqu’au moment où je m’aperçus qu’au-dessous de moi il existait des êtres vivants ayant une stricte parenté avec moi, je connus moi-même et elles, j’appris à connaître les autres, je compris que cela c’était la vie. J’écoutai au jour le jour toujours mieux ces voix, jusqu’à distinguer les mots avec leur signification, jusqu’à en cueillir les nuances les plus reculées. Ces mots ne restaient pas inertes en moi, ils entamaient la trame d’un travail mystérieux et délicat. Au-dessous, le feu brûlait sans interruption, tandis que la spirale de chaleur montait, alimentant une à une les facultés de mon existence : j’étais un homme. Mais je ne savais pas comment ils étaient les autres hommes que je croyais tous pareils à moi.
— Quelle illusion, le pauvre !
— Malchanceux !
— Cela a dû être un moment très mauvais.
— Autour du feu, il y avait trois vieilles. Assises sur des fauteuils énormes, elles s’alternaient dans la lecture, ou alors causaient entre elles. J’appris de leur bouche ce que tous les hommes apprennent d’abord de leurs mères, ensuite de leurs maîtres. Pena, Rete et Lama ne négligèrent pas de me préparer ni de me renseigner sur toute connaissance utile pour vivre. Elles m’expliquèrent jusqu’à la satiété, jusqu’à l’insistance de chaque idée et argument, chaque problème, chaque phénomène. J’appris tout ce qu’il faut savoir de l’amour et de la haine, de la vie et de la mort, de la paix et de la guerre, du travail, de la joie et de la douleur, de la sagesse et de la folie. Avec elles, je touchai les hauteurs les plus vertigineuses de la pensée et de l’esprit…
— Combien de choses doit-il savoir ?
— Quel homme cultivé !
— De poésie et de philosophie…
— De philosophie même ?
— Oui, d’une philosophie légère, très légère, celle qui pouvait arriver jusqu’à moi…
— Heureusement.
— Tellement légère qu’elle aide même à monter jusqu’à des hauteurs inaccessibles. Et toutes les choses arrivaient jusqu’à moi de cette façon.
— Les trois vieilles s’appelaient, donc ?
— Pena, Rete, Lama.
— Quels noms !
— Je connaissais un type qui s’appelait Pagnotta.
— Une belle nouveauté.
— Mais ceux-là ce n’étaient certainement pas leurs noms, ce n’était que de mots conventionnels qu’elles utilisaient pour se distinguer l’une de l’autre. Oh ! Elles devaient bien s’appeler autrement. Elles devaient avoir une raison pour me cacher leur vrai nom ainsi que leur identité, une raison que je ne sus jamais. Pourquoi ont-elles voulu me cacher tout ? Pourquoi m’ont-elles abandonné ?

004_canzonettista 180

Antonio Donghi, Canzonettista

— Mais ces trois vieilles savaient-elles que vous étiez là-haut, au sommet de la cheminée ?
— Le savaient-elles ? Je ne réussis jamais à le découvrir. Elles ne dirent jamais un seul mot qui me concernait.
— Et vous, ne parlâtes-vous jamais ?
— Ce n’est que ce matin-ci que je me suis aperçu de pouvoir parler… quand, une fois descendu…
— Dites-le !
— Allez-y !
— Je les ai appelées pour la première fois : Pena ! Rete ! Lama ! Pena ! Rete ! Lama ! Pe… Re… La…
— Maintenant, il recommence à pleurer.
— Arrêtez de pleurer.
— Donnez-vous du courage, pauvre monsieur, sinon vous nous ferez pleurer nous aussi.
— Oh belle ! Elles étaient ses mères, laissez-le pleurer autant qu’il veut.
— D’ailleurs, si elles étaient toujours là en train de bavarder et de lire, elles auront eu bien leur pourquoi.
— Elles restaient près de la cheminée pour se réchauffer.
— Et gardaient le feu allumé même l’été ?
— Oui.
— Même dans le mois d’août ?
— Toujours.
— Les vieilles sont très frileuses. Le chaud, elles ne le sentent plus.
— Mais alors elles le savaient, et étaient d’accord de ne pas en parler. Et vous, qu’en pensez-vous ?
— Peut-être, je fus amassé et composé petit à petit par cette spirale chaude qui montait continûment. Cellule sur cellule, comme les pierres d’un édifice… De façon que tout ce que ce feu produisait fût utilisé pour me construire…
— Mais la fumée ne sortait-elle pas de la cheminée ?
— La cheminée était bouchée au sommet, là où j’arrivais avec ma tête.
— Ah ! Voilà ! L’utérus noir était serré dans la partie supérieure.
— Comme les autres utérus, il me semble, jusqu’ici…
— Ou bien m’introduisit-on là-haut un jour, un homme comme je suis maintenant, fourni de la même chair et des mêmes vêtements que tous les autres hommes ?
— Finalement, oui… on vous y aura coincé.
— On vous y aura placé.
— Maintenant, on commence à comprendre quelque chose.
— Ces trois vielles-là devaient avoir un secret.
— C’est flagrant.
— Clair comme la lumière du soleil.
— Un secret de fumée.
— Qui sait ?
— Celui de ne pas vouloir révéler leur nom.
— Et de ne pas avoir envie d’en parler avec personne.
— Même pas avec lui.
— Alors, sous l’action du feu, j’aurais été au jour le jour très lentement carbonisé, transformé au cours des années… Je ne peux pas me souvenir de ce jour ni de ce qui se passait avant. Pourtant, il a dû y avoir un jour où j’ai assumé la forme d’une fumée intacte et très compacte. Juste aujourd’hui, j’ai pu m’apercevoir que je suis d’une matière différente vis-à-vis de tous les autres hommes, tandis que mes formes sont les mêmes…

005_canzone 180

Antonio Donghi, Canzone

— Monsieur Perelà, terminez-nous votre récit ! Comment décidâtes-vous de quitter votre cachette ?
— Il y a trois jours, j’entendis s’éteindre au-dessous de moi la douce conversation qui m’était devenue ainsi familière. J’attendis trépidant, mais je n’écoutai plus la voix adorée qui nourrissait mon âme. Où étaient-elles les vielles ? Leur voix ne s’affichait pas à mes oreilles. Peu de temps depuis, le feu aussi s’éteint. Ce feu pérenne qui donnait la vie à mon corps. Autour de la cheminée, tout devint gelée et silencieux, donc je crus que l’heure de la mort était arrivée pour moi. Au contraire, mes membres perdirent au fur et à mesure leur immobilité, commençant à s’agiter, à bouger. De plus en plus envahi par le découragement, le désespoir et l’effroi, j’attendis encore. Où étaient-elles parties Pena, Rete, Lama ? Pourquoi m’avaient-elles laissé seul ? M’avaient-elles abandonné ? Quitté à jamais ? Je m’agitais dans les spasmes de la fièvre, tandis que l’exiguïté du lieu devenait intolérable avec la perte de l’immobilité. Je ne cessais de me tordre comme le globe d’une matière qui était devenue étrangère et hostile dans un organe du corps humain. Je pointai mes mains contre la paroi, tout en m’appuyant avec l’os et faisant force avec les genoux. Je réussis à descendre là où la cheminée petit à petit s’élargissait : là commençait par ses premiers anneaux une chaîne. Je m’agrippai à elle et descendis vite jusqu’au sol. En bas, il y avait encore les dernières cendres, et autour de la cheminée trois fauteuils vides, un gros livre fermé qu’on avait jeté à terre. Juste à côté, là où j’avais posé mon pied, une paire de bottes luisantes et magnifiques, les miennes. Je me sentais tellement étranger au sol auquel je m’appuyais incertain, tellement attiré par l’envie de remonter, que je dus me tenir fort pour ne pas retourner là-haut contre mon gré. Instinctivement, je faufilai les jambes dans les bottes et juste alors je me sentis droit, assuré, bien planté à terre et capable d’y pouvoir rester. Je quittai péniblement la chaîne à laquelle j’étais resté longuement accroché, et je commençai à marcher. Je courus à travers toutes les salles de la maison : désertes. Pas un seul signe de vie, ni de personne ou animal ou meuble. Je criai jusqu’à lacérer ma gorge : Pena ! Rete ! Lama ! Personne : rien. Je hurlai comme un fou : Pena ! Rete ! Lama ! Je me désespérai ; on aurait dit qu’une bête me dévorât le cœur, et je croyais que tout était fini pour moi quand j’atteins la porte de la villa. La porte était grand ouverte. Devant moi s’étendait la route poussiéreuse conduisant à cette ville. Tout comme un aveugle, je savais tout, sans avoir rien vu. Je connaissais déjà les histoires de tous les hommes, leurs actions et sentiments sans savoir avec précision comment les hommes étaient faits, je connaissais les noms de toutes les choses sans savoir quelles étaient les choses qui correspondaient à ces noms, comme un aveugle qui ait reçu par enchantement la lumière. Je devais voir.

006_perelà001 180

Tableau de la couverture : Gino Severini, Autoritratto

Aldo Palazzeschi

Traduction de Giovanni Merloni

Aldo Palazzeschi, le poète « saltimbanque » un siècle depuis I/III

25 dimanche Mai 2014

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

Aldo Palazzeschi

Comme vous avez pu le constater, cette petite passerelle de poètes français et italiens se déroulant sous forme de « portrait du dimanche » s’inspire surtout à l’idée du partage du plaisir de la lecture. Pour une pleine compréhension de l’importance de leurs œuvres, il faudrait un travail dont je ne peux pas me charger à présent, même si parfois j’aimerais (et devrais) le faire. Comme pour Aldo Palazzeschi (1885-1974),  écrivain et poète tout à fait particulier dans le panorama littéraire de mon pays.
Particulier et original déjà dans le nom « Palazzeschi », qui m’avait toujours touché et que je découvre maintenant comme nom de famille d’une grand-mère de cet auteur. En fait, en italien, « Palazzeschi » semblait jaillir d’une fusion artistiquement volontaire du mot « palazzi » (« palais, immeubles ou hôtels particuliers » aussi) et l’adjectif « pazzeschi » (fous, farfelus et toujours inattendus).
Assez probablement, ce nom « trouvé » — qui servit au poète pour remplacer le nom de son père qui avait essayé de le fourvoyer de ses aspirations intimes — fut adopté en pleine conscience par cet homme assez anticonformiste, toujours à la recherche de quelque chose que le miroir de l’existence (ou de la société italienne de la première moitié du siècle dernier) lui cachait ou déguisait.
Je ne saurais pas dire si une traduction en français, même la plus fidèle, pourra effectivement transporter ici, dans le monde actuel, les vers de Palazzeschi — ce « maudit Toscan » (1) qu’on peut aussi considérer comme un « poète Toscan maudit » vis-à-vis de ses contemporains — que je viens de choisir, pour vous, à peu près un siècle depuis leur première publication.
Mais je crois que la force révolutionnaire de ce poète unique en sortira de toute évidence.
Je compte bientôt revenir plus analytiquement sur ce maître où la pertinence parfois diabolique du mot se lie strictement à la recherche dramatique du sens de la vie le plus profond et intime.
Beaucoup de critiques évoquent Gabriele D’Annunzio parmi les premiers inspirateurs de la poésie de Palazzeschi. Je trouve au contraire une singulaire affinité entre celui-ci et Giovanni Pascoli. Car la recherche de Palazzeschi est surtout musicale et psychologique. D’ailleurs, si Palazzeschi est de toute évidence le plus grand entre les poètes futuristes italiens, on ne peut pas coincer Palazzeschi dans cette avant-garde (sous l’hégémonie, dans le bien et le mal, de la figure contradictoire de Filippo Tommaso Marinetti ; et pourtant illustrée par des artistes incontournables comme Boccioni, Carrà, De Chirico, Balla, Depero et le Sironi des « paysages urbains »).
Aldo Palazzeschi profita bien sûr, surtout à l’époque de ses premières sorties poétiques, de l’appartenance à ce groupe fort motivé, qui dialoguait activement avec toutes les avant-gardes internationales ayant Paris comme moteur primordial. Mais il s’en détachait, d’abord au nom d’une irréductible intransigeance « esthétique » par rapport à l’instrumentalisation politique du futurisme (surtout littéraire), ensuite pour une exigence de solitude.
Si Palazzeschi fut beaucoup aimé par Italo Calvino (2), il est évident que sa personnalité — « aristocratique et populaire » à la fois — n’a rien à voir avec celle de Cesare Pavese, par exemple.
On pourrait, d’ailleurs, essayer de développer un parallèle (littéraire, artistique ainsi que politico-culturel en général) entre l’expérience d’il y a cent ans — dont Palazzeschi fut témoin et protagoniste à l’intérieur du futurisme et à côté du mouvement surréaliste — et le creuset d’intelligences de la maison d’édition Einaudi à Turin dans les années 40, qui virent Pavese dans une position similaire, de participation active et indépendante à la fois vis-à-vis du groupe conduit par Elio Vittorini et Giulio Einaudi.
Si on a le temps et l’occasion, on pourra, un des prochains dimanches, à travers une petite sélection de quelques textes en prose, mettre à nu les immenses difficultés rencontrées par Aldo Palazzeschi, homme tout à fait réfractaire et indisponible aux rhétoriques ainsi qu’aux méchancetés du fascisme. Sa « résistance passive » au régime (se traduisant aussi dans un long séjour à Paris) fut spontanée et nette, ainsi que sa difficulté à s’engager dans une lutte positive.
C’est probablement à cause de cet objectif isolement humain et politique que l’œuvre de Palazzeschi a toujours rencontré un succès alterne ainsi que des périodes d’oubli.

001_palazzeschi 001 180

Aldo Palazzeschi, le poète « saltimbanque »
un siècle depuis

Le miroir (3)

Là, dans un coin de ma chambre,
gît un sale décrépit miroir
ovale, une lumière obscène reflétant
assez mal.
Que me regardes-tu, effronté, vilain d’un miroir ?
Que me regardes-tu ? Est-ce que tu crois
que j’aie peur de toi,
vieux vêtement dégueulasse ?
Tôt ou tard, je te mets en mille pièces, tu verras !
Effronté ! Tu crois que tu vas prendre
mon visage, parce que le tien
te manque, le mien est blanc,
le pauvre, mais le tien, que tu n’as pas,
est celui de l’étang le plus sale
le plus vieux.

Là toujours cette gueule
impassible égale, dans le coin
de ma chambre, cette lumière
qui reflète mal.
La mienne est égale toujours,
la tienne est toujours égale,
laquelle est la gueule à nous ? Laquelle ?
Est-ce que tu le sais ? Le sais-je, moi ?
Je te hais ! Et parfois, hélas, je t’aime,
par toute ma haine !

Et je m’approche de toi, en vainquant
l’écœurante répugnance
de la présence obscène
que tu veux maintenir dans ma chambre.
Tu es blanc, et je suis blanc aussi.
Je me rapproche d’un air impassible, et toi
d’un air impassible tu te laisses rapprocher.
Dis-moi, me reflètes-tu ou bien me rejettes-tu ?
Tu me fais voir un homme
qui me fait pitié !
Quelle gueule blanche !
Tout égal est son visage !
Si je ferme les yeux
cet homme là-bas
il me semble mort.
Quelle uniformité de blanc
sur ce visage !
Tout enfariné et pétri,
comme celui d’un petit clown
inconscient de ses vêtements
et de ses déguisements
qu’on lui colle dessus par nécessité.
Au-dessous de l’œil gauche
on voit le frémissement
d’une étoile rouge,
l’on dirait que par sa vivacité
elle, continûment, bouge.
C’est étrange, juste un peu
de voir vraiment
dans un ciel de céruse
une étoile de rubis.
Ces cheveux roux,
roux et frisés !
L’implantation au front
ne pourrait pas être plus belle,
chaque mèche s’en fuit
par une voie capricieuse
en finissant dans un anneau
ou dans une boucle.
Cet énorme manteau
rouge éblouit mes yeux,
j’ai peur, je te hais, lâche d’un miroir.
Que me fais-tu voir ?
Un homme qui me fait
peur, un homme
tout rouge, quelle horreur !
Qu’il dégage, qu’il dégage cet homme,
sale miroir maudit !

Non, regarde,
je veux me rapprocher de toi,
je veux vaincre l’horreur.
Voilà, j’y reviens de nouveau,
peut-être pendant de longues heures,
ou alors pendant tout un jour
avec toi, mon étrange compagnon.
Dis-moi, qu’est-elle la vie que tu fais ?
Quelle vie vis-je ?
D’étranges vies, toutes les deux !
Pourquoi me fais-tu voir un homme
qui me fait peur ?
Pourquoi fais-tu cela ?
Sache que je ne te regarde pas pour me voir,
je te regarde pour te voir.
Je te regarde parce que je te hais,
et que je t’aime, hélas !
Je te hais parce que je te regarde,
je te hais parce que si je te regarde je ne te vois pas,
je te hais parce que je ne te crois pas.
Pourquoi ne me dis-tu, alors
si celui que tu me laisses voir
c’est vraiment moi ?

000_l'altalena 180

Antonio Donghi – « L’altalena », 1941

Rio Bo (4)

Trois maisonnettes
aux toits aigus,
un vert petit pré,
un ruisseau exigu : Rio Bo,
un vigilant cyprès.
Microscopique village, c’est vrai,
au-dessus, il y a toujours une étoile,
une grande magnifique étoile,
qui lorgne à peu près
la pointe du cyprès
de Rio Bo.
Une étoile amoureuse ! Qui sait
si jamais en aura
une grande cité.

000_carrà 2 180

Carlo Carrà – « Il pino sul mare », 1921

La fontaine malade (5)

Clof, clop, cloch,
cloffete,
cloppete,
chchch……

Elle est en bas
dans la cour
la pauvre
fontaine
malade.
Quelle douleur
que l’entendre
tousser !
Elle tousse,
elle tousse,
un peu,
elle se tait,
à nouveau
elle tousse.
Ma pauvre
fontaine,
le mal
que tu as
presse
mon cœur.
Elle se tait,
ne jette
plus rien,
elle se tait,
on n’entend
aucune sorte
de bruit.
ou peut-être
elle est morte ?
Quelle horreur !
Ah, non !
La voici,
de nouveau
en train
de tousser
encore.

Clof, clop, cloch,
cloffete,
cloppete,
chchch……

La phtisie
la tue.
Mon Dieu
son éternel
toussotement
me fait
crever,
un peu
oui d’accord,
mais tellement !
Quelle barbe!
Mais Habel,
Vittoria !
Courez,
fermez
la source,
son toussotement
éternel
me tue !
Allez !
Mettez
quelque chose
pour la faire
finir.
Ou même….
mourir !
Madone !
Jésus !
Non plus,
non plus !
Ma pauvre
fontaine,
par le mal
que tu as,
tu finiras,
tu verras,
par me tuer
moi aussi.

Clof, clop, cloch,
cloffete,
cloppete,
chchch……

000_tevere 180

Antonio Donghi – « Tevere », 1931

Qui suis-je ? (6)

Qui suis-je ?
Suis-je peut-être un poète ?
Certainement pas.
Elle n’écrit qu’un mot, bien étrange,
La plume de mon âme :
Folie.
Suis-je donc un peintre ?
Non plus.
Elle n’a qu’une couleur
La palette de mon âme :
Mélancolie.
Un musicien, alors ?
Pas davantage.
Il n’y a qu’une note
Sur le clavier de mon âme :
Nostalgie.
Suis-je donc… que suis-je ?
Je mets une loupe
Devant mon cœur
Pour bien le montrer aux passants.
Qui suis-je ?
Le saltimbanque de mon âme.

Aldo Palazzeschi

000_aereo futurista 180

Mario Sironi – « Aereo » 1915

(1) Voir le livre homonyme de Curzio Malaparte

(2) Lettre de Italo Calvino à Palazzeschi du 9 juillet 1966 : « Cher Palazzeschi, ce qui m’enchante dans vos nouvelles c’est le dessin géométrique qui se cache derrière les cas humains. En vous lisant, je découvre que mon idéal stylistique est justement celui-ci. Je vous suis très reconnaissant pour votre dédicace ainsi que pour le plaisir de la lecture. Affectueusement Votre Italo Calvino ».

(3) dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction Giovanni Merloni.

(4) Dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction Giovanni Merloni.

(5) Dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction Giovanni Merloni

(6) Dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction François Livi, sur Anthologie bilingue de la poésie italienne p. 1284-1285, Gallimard 1994.

Copyright France

ACCÈS AUX PUBLICATIONS

Pour un plus efficace accès aux publications, vous pouvez d'abord consulter les catégories ci-dessous, où sont groupés les principaux thèmes suivis.
Dans chaque catégorie vous pouvez ensuite consulter les mots-clés plus récurrents (ayant le rôle de sub-catégories). Vous pouvez trouver ces Mots-Clés :
- dans les listes au-dessous des catégories
- directement dans le nuage en bas sur le côté gauche

Catégories

  • échanges
  • commentaires
  • contes et récits
  • les unes du portrait inconscient
  • listes
  • mon travail d'écrivain
  • mon travail de peintre
  • poèmes
  • portraits d'auteurs
  • portraits inconscients
  • romans

Pages

  • À propos
  • Book tableaux et dessins 2018
  • Il quarto lato, liste
  • Liste des poèmes de Giovanni Merloni, groupés par Mots-Clés
  • Liste des publications du Portrait Inconscient groupés par mots-clés

Articles récents

  • Premier Mai : une « guerre » citoyenne pour le Travail, la Paix et le sauvetage de la Planète 1 mai 2022
  • On a marre de crier au loup, n’est-ce pas ? 22 avril 2022
  • Élégante et majestueuse passerelle d’amour 17 avril 2022
  • Au fond de la grotte 16 octobre 2021
  • Quinze années inespérées ou, si vous voulez, inattendues 11 septembre 2021
  • Destinataire inconnue – Tranches de survie n° 1 6 janvier 2021
  • La cure du silence (Extrait de la Ronde du 6 avril 2020) 11 mai 2020
  • Août 1976, Rome (via Calandrelli) – La contribution de Joseph Frish à la Ronde du 6 avril 2020 6 avril 2020
  • La poésie n’a pas de nuances pour les amours perdus (Déchirures n° 2) 19 décembre 2019
  • Je vais attendre, seul, qu’une vie nouvelle éclose ! (Déchirures n. 1) 9 décembre 2019
  • « La rue est à qui ? » (La pointe de l’iceberg n. 19) 7 décembre 2019
  • Raffaele Merloni, mon fils, a cinquante ans 29 novembre 2019

Archives

Affabulations Album d'une petite et grande famille Aldo Palazzeschi alphabet renversé de l'été Ambra Atelier de réécriture poétique Atelier de vacances Avant l'amour Bologne Bologne en vers Brigitte Célérier Caramella Claire Dutrey Claudine Sales Dissémination webasso-auteurs Dominique Hasselmann Débris de l'été 2014 Elisabeth Chamontin Entre-temps François Bonneau Françoise Gérard Giorgio Bassani Giorgio Muratore Giovanni Pascoli Gênes Hélène Verdier il quarto lato Isabelle Tournoud Italie Jan Doets Jean Jacques Rousseau Journal de débord La. pointe de l'iceberg La cloison et l'infini la haye la ronde Lectrices Le Havre Le Strapontin Luna L`île Marie-Noëlle Bertrand Nicole Peter Noël Bernard Noëlle Rollet Nuvola Ossidiana Paris Pier Paolo Pasolini portrait d'une chanson portrait d'une table portrait d'un tableau portraits cinématographiques Portraits d'amis disparus portraits d'artistes portraits d'écrivains portraits de poètes portraits théâtraux Poètes sans frontières Roman théâtral Rome Rome ce n'est pas une ville de mer Solidea Stella Testament immoral Une mère française Valère Staraselski vases communicants Vital Heurtebize Voltaire X Y Z W Zazie Zvanì À Rome Ève de Laudec

liens sélectionnés

  • #blog di giovanni merloni
  • #il ritratto incosciente
  • #mon travail de peintre
  • #vasescommunicants
  • analogos
  • anna jouy
  • anthropia blog
  • archiwatch
  • blog o'tobo
  • bords des mondes
  • Brigetoun
  • Cecile Arenes
  • chemin tournant
  • christine jeanney
  • Christophe Grossi
  • Claude Meunier
  • colorsandpastels
  • contrepoint
  • décalages et metamorphoses
  • Dominique Autrou
  • effacements
  • era da dire
  • fenêtre open space
  • floz blog
  • fons bandusiae nouveau
  • fonsbandusiae
  • fremissements
  • Gadins et bouts de ficelles
  • glossolalies
  • j'ai un accent
  • Jacques-François Dussottier
  • Jan Doets
  • Julien Boutonnier
  • l'atelier de paolo
  • l'emplume et l'écrié
  • l'escargot fait du trapèze
  • l'irregulier
  • la faute à diderot
  • le quatrain quotidien
  • le vent qui souffle
  • le vent qui souffle wordpress
  • Les confins
  • les cosaques des frontières
  • les nuits échouées
  • liminaire
  • Louise imagine
  • marie christine grimard blog
  • marie christine grimard blog wordpress
  • métronomiques
  • memoire silence
  • nuovo blog di anna jouy
  • opinionista per caso
  • paris-ci-la culture
  • passages
  • passages aléatoires
  • Paumée
  • pendant le week end
  • rencontres improbables
  • revue d'ici là
  • scarti e metamorfosi
  • SILO
  • simultanées hélène verdier
  • Tiers Livre

Méta

  • Inscription
  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • WordPress.com
Follow le portrait inconscient on WordPress.com

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné∙e
    • le portrait inconscient
    • Rejoignez 241 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • le portrait inconscient
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…