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« Est-ce qu’on peut aimer une ville ? »

27 mardi Août 2019

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quarto lato grande x blog

« Est-ce qu’on peut aimer une ville ? »

En décembre 2012, lors de nos premiers échanges sur Twitter, Jan Doets soutenait que notre mémoire réside dans la totalité du corps, tandis que le cerveau n’a qu’une fonction de relais, ou de robinet.
À soutien de sa thèse, l’ami hollandais citait la sonate « Après une lecture de Dante » de Franz Liszt, interprétée de façon magistrale par le pianiste russe Arcadie Volodos. Il avait tout à fait raison.

En 1998, j’avais publié mon premier roman (« Il quarto lato ») consacré à une ville de Romagne, Cesena. Mon bouquin n’ayant pas eu assez de circulation et demeurant finalement inaperçu auprès de mes compatriotes, je voulus alors me convaincre, probablement à tort, qu’avec ce livre j’avais déçu mes anciens collègues de travail de Bologne, attachés sans doute à une certaine idée de moi ainsi que de ma façon de m’exprimer. Ou alors s’attendaient-ils à un récit autobiographique dans lequel ils auraient pu eux-mêmes se retrouver !

C’était à la première moitié des années 70 que je me déplaçais régulièrement de Bologne à Cesena pour des rencontres techniques et politiques à la fois avec les maires de communes grandes et petites de la province, isolées sur le sommet d’une montagne, éparpillées sur les versants d’une colline ou concentrées dans les carrefours de cette plaine du Pô où l’on peut encore reconnaître le tracé de l’ancienne « centuriatio » romaine.
Alors, l’on essayait toujours de trouver une solution positive, même si l’on avait affaire à de véritables casse-têtes juridiques et urbains. J’aimais beaucoup écrire et parler aux gens. Car — en plus de mon goût de la recherche d’une composition, à tout prix, des intérêts opposés — j’héritais de ma mère un orgueilleux penchant pour la littérature et de mon père une certaine désinvolture d’avocat.
Bientôt, mon amour sans réserve pour cette généreuse région fut partagé par des hommes et des femmes qu’y habitaient. On m’accueillait avec une chaleur merveilleuse. Tout en demeurant le lieu sacré où mon grand-père Giovanni et mes arrière-grands-parents, Cleta et Raffaele étaient nés, Bologne et la Romagne étaient désormais ma patrie d’élection.
De ce temps-là, le langage qui montait à mes yeux et à ma bouche, avant de redescendre à mes mains — chargées de taper sur l’Olivetti portative que j’appuyais d’habitude sur mes genoux —, était alors très simple et convaincant, passant sans transition de l’avis urbanistique au document politique et syndical.
En fait, je mettais toujours de la passion en mes récits techniques et encore plus dans les notes que je prenais pour mes interventions publiques. Cependant, ce n’était pas que de la passion s’ajoutant à mon opiniâtreté naturelle : je glissais sournoisement dans ces écrits mes ambitions littéraires.
Rentré plus tard à Rome, je me suis décidé à passer, comme César, le Rubicone — fleuve de Romagne cher à Fellini — pour me consacrer à l’écriture sans autre but que l’écriture même. J’ai dû alors entamer une lutte acharnée pour m’affranchir d’un certain rythme baroque, d’une véritable exagération d’adjectifs et d’adverbes que j’héritais de mon travail d’urbaniste et de mes efforts d’aboutir coûte que coûte à des « relations techniques au visage humain ».
D’ailleurs, je n’étais plus là, à la portée de « la piazza del Popolo » de Cesena, devenue entre-temps l’endroit-clé de ma fiction littéraire. Je ne pouvais plus y arriver à pied, comme d’habitude, directement de la gare, en arpentant le pavé inégal et incommode du corso Sozzi au-delà de la Barriera, pour me rendre à la Bibliothèque Malatestiana, avant de me faufiler sous les arcades de la rue Zeffirino Re… Je me voyais obligé à tout réinventer.

Cela avait donné vie à une écriture hors du temps, me permettant de cicatriser les déchirures provoquées par le brusque abandon de ma seconde patrie. Ma petite foule de personnages avait tellement peuplé cette piazza du Popolo, lieu central du roman, qu’en y revenant quelques mois avant l’achèvement du manuscrit, j’y éprouvai une sensation inoubliable.

Image

Je ne sais pas vraiment dire si cette place est grande ou petite, large ou étroite. Je fis juste quelques pas, après avoir quitté le bruyant marché situé au rez-de-chaussée du palais de la Mairie.
Sous les arcades, une stèle est consacrée à mon grand-père paternel, Giovanni, glorieux représentant du socialisme réformiste et de l’antifascisme italien d’avant la Seconde Guerre. Renvoyé par Mussolini en résidence forcée dans un village très reculé du littoral ionien, celui-ci mourut relativement jeune, à soixante-trois ans.
Certes, la vision de la stèle, avec le portrait en bronze de grand-père, m’avait bouleversé. Mais, au-delà de cette image charismatique que tous les  personnages du roman avaient dû partager comme si c’était le grand-père de tous… au moment d’entrer dans cette place inondée de lumière… je me sentis nu.
En même temps, je ressentais physiquement la place comme s’il s’agissait d’une personne bien connue… venant à ma rencontre, prête à me toucher, à transpercer ma faible carapace pour adhérer à tous mes pores ! Je tombai à terre et j’y restai assis pendant quelques instants mémorables, tenaillé par la sensation tout à fait inattendue de faire l’amour avec un être unique revenant à la surface plusieurs années depuis notre dernier rendez-vous.

« Est-ce qu’on peut aimer une ville ? »
Voilà ce que Jan Doets m’a rappelé avec sa métaphore. Imprégné par les pèlerinages de l’âme dans ces lieux aimés et même sacralisés, mon corps avait mêlé les informations empruntées à la ville réelle aux suggestions de l’esprit rêveur jusqu’à plonger dans un état de véritable spleen stendhalien. Avec un aspect de mélancolie érotique que seulement un corps sain peut héberger.
Quant à mes amis déçus de ne pas retrouver dans ce premier roman l’actualité ni la vérité de nos expériences communes, j’espère qu’ils sauront reconnaître, en le relisant, un jour, mon effort à la fois tourmenté et insouciant d’inventer un temps suspendu entre les générations.

Giovanni Merloni

« — Écoutez, imaginez que la ville soit une femme très chic, que tout le monde note lorsqu’elle passe à côté des terrasses… Avec une dame comme ça, avec ou sans le petit chien, il arrive à plusieurs de tomber dans un état pénible d’excitation et de malaise…
Il s’agit d’une très belle femme, sortant brusquement d’un tableau de Renoir :  la femme au parapluie qui traverse les champs en fleur, par exemple. Elle a la peau de porcelaine, les lèvres de corail, les escarpins de verre. Elle est assez vulnérable tandis que son mari n’attend pas un seul instant avant de s’engager dans les duels. Or il arrive que cette femme débordante d’humanité se découvre d’un coup en manque de quelque chose. Après la bohème initiale, son mari a voulu lui offrir une vie aisée et sereine, mais il a pris l’habitude de travailler trop, et, bien sûr à contrecoeur, à la négliger.
Avec le temps, ce mari empressé est piégé par le train-train bureaucratique et mondain lié à son escalade sociale. Seule dans son cocon de porcelaine, elle se sent incomplète, telle une place amputée de son « quarto lato ». Elle désire quelque chose qu’elle ne sait pas, ou qu’elle ne s’avoue pas, qui lui fasse d’abord revivre l’ivresse du premier rendez-vous et après, vous le savez bien comment ces genres de choses se passent, elle évoque le fantôme de quelqu’un… qui serait prêt à lui octroyer le plaisir douloureux de l’amour…
Que devrait-il faire un homme provoqué si audacieusement ? Devrait-il se soumettre à la crainte des actions redoutables d’un mari jaloux et rancunier ?…

Est-ce qu’il vous semble juste qu’on doive s’arrêter, chaque fois qu’on essaie de donner une nouvelle gueule à la ville, devant les anathèmes d’un morbide et autoritaire défenseur des anciennes pierres ? Il est peut-être préférable affronter le malheur ou le bonheur de nouvelles rencontres et les bienfaits de la greffe d’énergies et cultures étrangères si l’on veut atteindre quelques progrès, peu importe si cela sera accompagné par le chagrin et la confusion mentale.
Notre mignonne désire désormais d’être rudoyée et même un peu abîmée, puisqu’après cela elle deviendra plus belle que jamais. Elle a besoin, l’on reconnaît à son allure de princesse, d’un amant digne, à la hauteur de ses enthousiasmes et de ses insondables lacunes.
Également la ville, elle s’attend que des mains ardentes et adroites la manipulent un peu, avant de la reconstruire plus belle qu’avant ! »

« À la sortie de la réunion… tandis que ses yeux encombrés de minuscules mouches noires scrutaient alternativement la Loge vénitienne et les grands vases placés sur le côté ouest, Pio reconnut Elvira.
Il essuya ses mains mouillées sur sa chemise. Elvira lui adressa un sourire : — pas un mot de ton discours ne m’est échappé !

— Voilà combien de temps ! répondit-il.
Comme si de rien ce n’était, ils s’acheminèrent sous les arcades du Lion d’Or. Errant en long et en large, ils affichaient un véritable intérêt pour ces modestes vitrines. Personne ne s’apercevait d’eux. Pio lui demanda si elle allait bien avec son mari. Elle répondit qu’on ne doit jamais poser des questions comme ça. Il voulut alors savoir si elle regrettait le temps de leurs déplacements à Bologne, tous les deux, lors du fameux cours pour fonctionnaires. Elle se borna à répondre que leurs cahiers avaient inutilement voyagé, puisqu’ils n’avaient pas eu le soin d’y transcrire leurs odyssées verbales ni leurs petits gestes si denses de signification : il y en aurait eu assez pour un livre long et lourd comme celui du grand-père de la stèle.
Pio lui demanda si, un jour, serait-elle disponible pour une belle promenade s(échouant sur une terrasse où l’on pourrait goûter une glace.

— Bien sûr ! répondit Elvira. Ensuite, par un de ses typiques rires désarmants, elle ajouta : pourquoi ne l’avons-nous pas envisagé avant ? »

Giovanni Merloni
(extrait du « Quarto lato »)

VIII Les racines 3/3 (il quarto lato n. 21)

13 lundi Mai 2013

Posted by biscarrosse2012 in romans

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001_les racines III

Cascade du fleuve Marta (Viterbo, Italie)

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Les racines III/III (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chapitre VIII, pages 93 et suivantes)

Les amis se taisaient. Un grand nuage gris avait caché la partie haute du ciel, tout en laissant libre la bande aveuglante de l’horizon.

Le pré en pente, frôlé par la lumière basse, prenait une luminosité irréelle.

Ils étaient tous des témoins très attentifs de l’exhumation de ce personnage qu’on ramenait pourtant parmi les vivants à travers une reconstruction assez fantaisiste et quelque part arbitraire. Mais, il n’y avait aucun doute qu’il en sortait vivant comme une personne en chair et os, protégé par sa barbe, ses lunettes à pince-nez et son immanquable chapeau.

Loin de là, dans un endroit bien présent à leur imagination, près de la pyramide bien connue de Caius Cestius, il y avait de véritables os et ce squelette, caressé par la bienveillance du souvenir plein de gratitude, avait été un homme.

Ce jour-là, Otello n’avait pas été tourmenté par les yeux de Solidea. Il ne s’était pas entretenu non plus ni au sujet des escapades de Stelio qui le heurtaient ni au sacrifice de sa femme Edera, qu’il avait appris à appeler Lierre, en raison de l’amour lointain, jamais oublié, que sa femme formelle avait éprouvé pour un Français en vacances à Cesenatico.

— Je voudrais poser une question terre-à-terre, dit-il. Pourquoi le fait de découvrir que notre grand-mère avait trouvé assez tôt un remplaçant nous amuse-t-il? Ou alors pourquoi nous semble-t-il tellement original que notre grand-père ait renoncé à une grosse somme d’argent, rien que pour se dérober à l’obligation de suivre de longs et ennuyeux cours de droit ?

Il avait voulu ainsi contraindre le cousin de Libero à la réplique d’une mémorable anecdote à propos de laquelle les quatre « vitelloni » s’étaient plusieurs fois interrogés réciproquement.

— Oui, ça fait partie de notre lexique familial. Car « la nuit porte conseil, mais le réveil trouble l’œil » ! Le cousin sourit, sans cacher son embarras à cause de cette main d’Otello qui ne cessait de lui serrer le bras.

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Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Encore jeune, sur les vingt-sept ans— diplômé en langues étrangères avec le maximum de notes et louanges auprès de l’université de Ca’ Foscari à Venise —, Battista devait participer, avec son futur beau-frère Elvezio, frère de Mimì, à un concours pour devenir fonctionnaire d’état.

Les épreuves devaient se dérouler en été. Battista, déjà rentré à Cesena après la fin des études, ne disposait plus de son ancien pied-à-terre vénitien, de même qu’Elvezio.

Ils s’installèrent donc dans une chambre à deux lits dans un petit hôtel de mauvaise qualité dans le quartier des Zattere. Le soir de la veille de l’examen, ils flânèrent dans le quartier du Rialto, où la rue des Mercerie et le « campo » San Bartolomeo étaient remplis de touristes. On avait l’impression que chaque local au rez-de-chaussée était occupé par un restaurant. Des tables et des garçons partout. Et des belles filles avec d’étranges coiffures et des jupes moulantes.

Elvezio ne parlait que du concours. Il était assez prêt, ayant étudié sans relâche, même si c’était de façon très scolaire. Battista avait une culture plus vaste, mais pas autant fouillée. Il visait surtout  l’examen oral, où il saurait  certainement renverser toute éventuelle défaillance de l’épreuve écrite.

Mais, cette promenade dans le campo San Bartolomeo déclencha en lui une pensée fatale.

Trois cabotins, déguisés de façon approximative à la mode du XVIIIe, mimaient avec une élégance et une subtile ironie un tout petit scénario de Goldoni sur l’adultère.

Le mari, habillé en gris, arborait deux manchettes de satin noir toutes neuves. Des galoches aux pieds, il portait un chapeau à la Charlot.

La femme, véritable double emploi avec ses occupations d’épouse et de maîtresse, était une femme au foyer très adroite dans la préparation de mayonnaises, béchamel et sauces à l’italienne dont on sentait l’odeur unique. Une femme au foyer d’ailleurs assez rare, à ce qu’on pouvait  en croire de  ses propres  mots, car elle était en fait une lectrice ou, pour mieux dire, une véritable dévoratrice de livres de philosophie, souvent alternés avec des bouquins moins sérieux, comme les Mémoires de Giacomo Casanova ou Le Plaisir de D’Annunzio.

— Mieux vaut des remords que des regrets ! Fredonnait la douce et bonne dame. Elle était appuyée au dos du mari gratte-papier comme au parapet d’un pont et s’adressait au soupirant qui la scrutait de la rue, entre chien et loup.

L’amant était un artiste sans le sou, mais en bonne santé. Il soutenait que depuis qu’il avait trouvé la juste paire de chaussures, il avait appris à cheminer. Dès lors, tout était devenu facile. Vivre en artiste signifiait risquer, renoncer au certain en échange de l’incertain, mais au moins l’artiste ne devait pas subir.

Subir : voilà le verbe autour duquel pourrait s’instaurer une philosophie alternative de la vie. C’est mieux que ce soit le mari qui subisse, ou alors l’employé, le gratte-papier. La femme fera semblant d’être ivre et comblée et de subir elle aussi, comme son malchanceux mari. Elle pourra ainsi garder ses ressources les plus fines pour un esprit élevé. L’artiste souffrira de solitude et de détresse, mais ne subira pas les chantages d’une société manipulatrice.

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Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

D’un coup, ayant perdu toute curiosité de voir la fin de la pièce, le futur député Alessandri s’achemina vers sa chambre d’hôtel. Il était d’ailleurs tellement absorbé dans ses décisions qu’il ne s’était même pas aperçu que depuis longtemps son futur beau-frère et aussi futur haut fonctionnaire du conseil d’état l’avait abandonné pour courir préparer son devoir.

Au petit matin le réveil sonna, sonna de nouveau. Elvezio se leva, s’habilla et sortit, avant d’écrire huit pages de feuille protocole, dont quatre et demi diligemment copiées d’après un microscopique rouleau de notes chiffrées.

Battista regarda le réveil d’abord avec haine, ensuite avec commisération : — je serai moi-même mon patron à moi, mon inflexible directeur, dit-il, selon la légende. Il ne se rendit pas à ce concours, ni à d’autres rendez-vous qu’on lui conseilla, qu’il aurait sûrement gagnés pour la plupart, en recevant les compliments et les lauriers de n’importe quelle commission d’examen.

— Chacun doit porter son fardeau d’erreurs, conclut le cousin aux cheveux blancs, qui les avait tous conquis avec tous ces paradoxes.

Quant à Pio, il s’était plongé dans une difficile réflexion sur la décision de Battista quant à sa vie actuelle. Quelques traces de ce douloureux destin serpentaient aussi dans son existence étrange. Moins exposée, moins aventureuse, mais pas du tout tranquille.

Ils retournèrent dans la salle enfumée et multicolore. Les interventions ne réussissaient plus à capter l’attention de la plupart des présents.

Dès que la réunion fut terminée toutes les ampoules s’allumèrent et la salle fut envahie par l’explosion des voix fulgurantes des parents et des amis amusés.

Ensuite, les congressistes commencèrent à s’éparpiller, chacun se rappelant de saluer ou embrasser les orateurs, Pio et Libero.

Otello embrassa chaleureusement ses amis et les complimenta. Ensuite, il saisit le bras de Pio — qui désormais faisait partie à plein titre de la famille Alessandri dont il partageait les gloires passées — et l’entraîna vers le coin où demeurait Ragazzini, l’homme des gloires futures.

— On a fait une belle rencontre, hein, Ragazzini ? lui dit Otello. Et maintenant  on va près des arcades de la Mairie pour découvrir la stèle du grand disparu. Qu’en pensez-vous, communistes modérés et réformistes, de ce vieux socialiste, réformiste et modéré?

Ragazzini répondit à Otello que les propositions de Battista Alessandri étaient aussi les siennes, de la première jusqu’à la dernière. Les socialistes, il y a soixante ans, ne pouvaient pas partager le pouvoir, à cause de leur composante léniniste et radicale. Par contre, les idées de Battista étaient des idées tout à fait démocratiques, qu’on aurait dites distillées comme une bonne et rare bouteille de Sangiovese.

Les quatre-vingt-trois participants du séminaire, guidés avec circonspection par le candidat Ragazzini, se retrouvèrent sous la loggia de la Mairie où, au cours d’une simple cérémonie assez distraite, on découvrit la stèle au milieu des applaudissements émus d’Otello et Pio, mais aussi des saluts éloignés d’Elvira. Un des présents jura qu’il avait vu la pauvre Elda, la mère morte de Pio, assise sur les marches d’accès au marché, occupée elle aussi à battre des mains.

On forma ensuite un petit cortège dans les rues de Cesena. Déjà personne ne s’occupait plus du député Battista, lorgnant sur les menus affichés aux portes des restaurants où justement les plus prévoyants avaient eu l’idée de réserver.

Armando était parti à Bologne, pour un nouvel engagement.

Les orateurs attendaient Libero pour partager avec lui les dernières émotions de cette journée, au restaurant Casali, où l’on avait préparé un dîner style Résistance, basé sur la couleur rouge et inspiré de la cuisine pauvre de la Romagne de la première moitié du siècle. Mais, ils attendirent en vain.

Solidea, qui avait suivi avec indulgence et appréhension la conférence dès que Libero s’était déguisé en député au chapeau, était désormais en toute sécurité dans les bras de son amant, juste au-dessous de la grande affiche commémorative. Elle se trouvait encore là, par hasard dans cette salle vidée de tout conférencier, ami ou parent, qu’un gardien trop hâtif avait fermée par erreur.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 13  mai 2013

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VIII Les racines 2/3 (il quarto lato n. 20)

12 dimanche Mai 2013

Posted by biscarrosse2012 in romans

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Les racines II/III (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chapitre VIII, pages 88 et suivantes)

Au dehors, près de la même terrasse au parapet en ciment habituel, Stelio, Otello et Pio entourèrent le cousin de Libero qui avait connu Battista Alessandri.

Avec une voix à peine audible le cousin aux cheveux blancs raconta le jour de l’enterrement du grand-père, à Rome. On l’y avait emmené alors même qu’il était encore enfant : des funérailles silencieuses, comme pour des conspirateurs, sous une pluie inconstante et mordante, les drapeaux rouges roulés. On se réjouit de la participation de quelques camarades de la résistance européenne.

La mort n’était pas arrivée dans sa relégation en Calabre mais à Rome. En tout cas c’était suite à son séjour forcé  que Battista avait subi le coup mortel.

On s’était aventurés vers diverses hypothèses à propos de sa mort.

La plus partagée était celle qui  considérait la douleur trop forte ressentie lorsqu’il avait su, au téléphone, que sa femme Mimì ne pouvait pas le rejoindre à Cariati, un humble village de pêcheurs à côté de Crotone.

Le téléphone public était dans la taverne de Stefano De Luca, dans Cariati Alta. Pour l’atteindre le pauvre Battista, désormais à plus de soixante ans, devait gravir deux cent-et-une marches sous le soleil, alors même qu’il était gêné par un ensemble de malaises d’origine rhumatismale et digestive. Dans sa montée il était souvent  accompagné par un jeune médecin s’appelant Cosentino, qui l’écoutait volontiers quand il parlait de politique et de géographie. Le vieux relégué s’arrêtait souvent pour respirer ou tousser. Parfois, il s’asseyait sans façons sur les marches et regardait la mer. Cosentino s’était désormais persuadé, lui aussi, que cette mer-là c’était la mer de Romagne. Il était d’accord aussi qu’avec de la bonne volonté tout était possible. Donc, des pionniers travailleurs et honnêtes auraient pu rendre fertile et productive cette terre du sud, dénudée et sauvage : « Croyez-moi ! Votre région n’a rien à envier à nos collines généreuses  et riches de fruits et de vin ».

Cosentino devinait, qu’il y avait quelque chose derrière la mélancolie héroïque de ces gestes amples, de ces yeux rougis et de ces moustaches blanches. Cet homme avait su vivre, toujours avec la même intensité, tous les moments de son existence difficile.

— Une vie longue, comme cet escalier, disait Battista. Si vous observez certains de mon âge, ils ont vécu imprégnés d’inébranlables certitudes, sans jamais ressentir la moindre nécessité de se mettre en cause, des paysans mais aussi des bourgeois qui se bercent dans l’illusion d’être les  patrons et les maîtres de leurs vies ou qui prennent un risque, à de rares moments bien circonscrits,… mais très vite ils s’aperçoivent qu’il sont fatigués ! De grands fils à maman qui encore sur les soixante ans vont chez le gourou du village pour se faire aider à démêler les fils de la vie ! Si tout va bien ils arrivent même à quatre-vingt, quatre-vingt-dix ans. Comme ce parent lointain qui mourut à cent-et-un ans, du muguet !

— Mais, je ne me plains pas. Je suis fier de ma vie difficile, de n’avoir pas dû me soumettre à des ordres absurdes ni aux cages bureaucratiques. Battista était complètement éreinté, vidé, lorsqu’il arrivait au sommet de l’escalier. Son tempérament hardi, confiant était trahi par son physique désormais usé. Parfois il lui arrivait de plonger dans la dépression et le délire.

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Tout le monde, à Cariati Alta et à Cariati Marina avaient pris l’habitude de l’observer à son passage, s’étant affectionnés à ses rythmes réguliers, à son air absorbé, négligé et à sa manière d’être élégante.

— Monsieur Battista, vous avez du style, lui dit un jour Rita, la petite jeune  du bar. Le député, assis à la table, était en train de savourer un bouillon avec des pâtes.

Il était très silencieux et discret jusqu’au moment où on s’intéressait à lui. Puis, il pouvait se transformer en un fleuve de mots. Le fait de raconter, pour lui, ne faisait qu’un avec celui de s’élancer dans des projets gigantesques qu’on lisait sur ses lèvres comme possibles.

Il était très patient à condition d’agir, ou penser le faire, en suivant le fil d’innombrables engagements avec lui-même pour atteindre un but. Toute sa vie s’était usée en cette tension continuelle.

Pour sûr il existait quelque part une multitude de gens qui avaient pu profiter de ces énergies désintéressées, de cette intelligence qui savait se forger et s’ingénier pour  affronter et résoudre les problèmes les plus difficiles et disparates.

Mais la patience a une limite. Celui qui se donne sans réserve peut, tout d’un coup, se décourager, surtout si le but n’a pas été atteint et se révèle au contraire inaccessible ou alors si cette lune ou soleil de l’avenir a perdu son charisme. Alors, un sentiment de vide s’installe, avec l’égarement, la solitude, le désir d’un port sûr auquel s’accrocher, même pour un seul instant.

Le député Battista aimait la vie. De façon simple, naturelle, immédiate. Et puis il était toujours en alerte pour sa santé. C’était un homme mal en point mais ses ennuis étaient en large mesure de nature psychosomatique.

Il était frileux. On disait qu’il portait un maillot de laine même en été. Il était aussi très inquiet vis-à-vis de ses rendez-vous avec les toilettes. Il avait l’estomac délicat et, chaque fois qu’un ballon d’air s’installait au milieu de l’œsophage il pensait au cœur. Sa femme Mimì lui manquait, tout comme leur petite habitude conjugale de lui demander de poser la tête sur sa poitrine pour qu’elle entende ses battements souvent irréguliers et accélérés.  Mimì était son miroir,  dix ou quinze fois par jour il lui demandait :

— Comment me trouves-tu ? Suis-je pâle ? Dis-moi la vérité.

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Mimì était son plus grand amour, son amante, celle qui l’avait fait trembler de joie  et savourer, après une vie imprégnée de détresse, le bien-être d’une halte tranquille, loin de l’anxiété due aux engagements pressants et tourbillonnants dans sa tête fébrile, loin  de la hâte de retourner à ses dossiers, à ses articles, et surtout à la tension des discours.

Les discours…. Cosentino réussissait à voir cet homme très maigre et petit comme un géant, un grand interprète des rêves et des attentes des gens. Un vrai orateur, capable d’indiquer des voies honnêtes à parcourir mais, justement pour cette raison, héroïques et très difficiles à atteindre.

Du haut des balcons en fer forgé au milieu des places bruyantes de Forlimpopoli ou de Savignano ses paroles jaillissaient tumultueuses, pleines d’intérêt pour la vie, paroles que cet homme savait trouver justement en raison du fait qu’il ne parlait pas à lui-même ni de lui-même. Il s’adressait aux autres hommes avec le même emportement que le soupirant, l’amoureux qui s’ouvre, se confie, en cherchant une réponse d’amour en la personne aimée.

Un dragueur, un séducteur ? Non, absolument pas cela, jurait Cosentino. Plutôt un homme dévoré par la passion.

Et la passion, que la littérature caresse par ses implications vicieuses et dramatiques, la passion que le philosophe bien-pensant réfute, constituait dans le cas du député Battista une condition de l’existence grâce à quoi l’intelligence réussissait à vaincre la paresse, l’égoïsme et la peur, en devenant une force qui entraîne le monde.

Battista avait tellement donné, les mains toujours pleines, avec tant d’investissement d’énergies que maintenant, tandis que son corps commençait à mourir, son âme pouvait désormais vivre à jamais, en distribuant à chacun des habitants de Cariati des bribes d’humanité et de sagesse une à une  et, pourquoi pas  aux briques des vieilles maisons et aussi aux dalles de l’escalier de deux cent-et-une marches.

Ce jour de juillet 1936, durant le repas de midi, le député Battista avait longuement parlé avec Rita.

En cette occasion il avait un peu transgressé ses règles, assez rigides, quant au vin et aux aliments salés. Des règles qu’il s’était donné un peu empiriquement, en suivant des superstitions plutôt que des notions.

Rita était une grande fille de vingt-six ans, de haute taille, au teint assez pâle, aux cheveux châtains jusqu’au dos, aux yeux à l’orientale, aux dents un peu irrégulières, en saillie. En outre elle avait de magnifiques seins qui l’été, malgré ses vêtements masculins, débordaient pleins de vie des bretelles grises de sa salopette.

Rita riait de bon cœur chaque fois que Battista lui racontait Rome, le milieu et le mythe  des intellectuels de Cesena, son transfert aventureux, le chagrin de maman Cleta et de ses sœurs, sa cour à sa fiancée et future femme Mimì, aux longs cheveux de jais. Rita aimait surtout le récit de ces sifflements sous les grandes fenêtres de la rue du XX Septembre, que les deux amoureux avaient méticuleusement établis dans leurs lettres baignées de larmes… et de la déception toutes les fois que quelque contrariété les entravait…

Lorsque le député se livrait à une recherche créative d’images et adjectifs parfois inexistants ou introuvables dans le dictionnaire, il s’installait entre eux un rapport d’une telle confiance et abandon que la bouche de Rita, avec son rouge à lèvres couleur corail, paraissait parfaite. L’homme âgé devenait un jeune garçon et se regardait dans ces cheveux d’ambre comme dans un artifice théâtral:

— Tu veux bien de moi ? demandait-il.

— Tu le sais bien, répondait-elle.

Il était une heure. Le patron du local appela le député avec une agitation excessive. Au téléphone il y avait Rome.

Cet appel, attendu pendant tant de jours, était enfin arrivé. Cariati Alta en avait longuement parlé.

Le grand-père de Libero se leva d’un bond, comme il ne le faisait plus depuis dix ans. Il ressentait un grand poids dans la tête. La voix incompréhensible de Stefano De Luca paraissait lointaine. Le député ne comprenait pas.

Il saisit le téléphone. La voix de Mimì était là, à côté de lui. Beaucoup plus proche que la voix du patron et que des lèvres mélancoliques de Rita. Mimì était en ce moment la femme aux cheveux de jais de la rue du  XX Septembre à Rome, celle qui aimait danser et visiter les musées.

Ils essayèrent, tous les deux, d’être pratiques. Ce n’était pas le moment de s’abandonner aux sentiments réciproques, qu’ils connaissaient bien.

— Qu’arriva-t-il après l’appel téléphonique ? demanda Stelio.

Tout de suite après le député eut un malaise. Il s’écroula sur sa chaise de paille. Il suait de froid et s’exprimait difficilement. On l’emmena dans une chambre à l’étage. Rita lui déboutonna sa chemise. Elle fut touchée par la blancheur de ce cou délicat et fragile, tellement ressemblant au sien.

À ce qu’ils comprirent des mots fébriles de l’homme au chapeau, le régime fasciste avait dénié à Mimì la permission de le rejoindre à  Cariati. Le député avait aussi demandé des nouvelles de son fils. Et ce fut tout.

— Puis, ce fut une longue et douloureuse agonie, conclut le cousin de Libero, scrutant devant lui. Pas trop longue en absolu : trois mois entre la vie et la mort peuvent être beaucoup ou rien. Je ne sais pas.

Il est sûr que dans les moments de lucidité le pauvre homme était fier, qu’il essayait de calmer la douleur évidente de ceux qui l’entouraient. Le voyage de retour fut long et pénible. Jusqu’à ses derniers jours sous le ciel indifférent de Rome. Il fut enseveli dans le cimetière  des Anglais à Porte San Paolo.

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Giovanni Merloni

VIII Les racines 1/3 (il quarto lato n. 19)

11 samedi Mai 2013

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il quarto lato

titiro e l'albero x racines 740

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VIII Les racines I/II (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chapitre VIII, pages 83 et suivantes)

Durant ces jours-ci, Cesena était affligée par un climat doux, ennemi de toute réflexion approfondie, propice au sommeil, aux repas abondants et aux longues promenades le long des plages de Rimini ou de Cesenatico.

C’était donc la journée la moins adaptée pour se cloîtrer dans des locaux enfumés pour une commémoration.

A l’extérieur de la loggia de San Biagio, la foule de Cesena essayait de prendre son temps, se dérobant à l’appel de l’affiche qu’on avait accrochée partout.

Elvira Rossetti était partie en vacances. Au téléphone, elle avait voulu que Pio lui promette qu’il se laisserait distraire, au moins ce matin-là, par l’insouciance typique des rencontres solennelles.

Le séminaire allait commencer.

On était obligés, en entrant, de prendre le tract bleu ciel, de frôler le mur de pierre rose, de regarder un moment au-delà de la balustrade, vers les vitraux de la nef… de s’arrêter à savourer la propreté du sol en mosaïque, de respirer l’odeur fraiche de la cire et de l’encens, avant de lever la tête pour scruter en haut, les yeux fermés, cet éblouissant rayon irisé jusqu’à voir, au-delà de la rosace, le ciel traversé par les pigeons et les avions, ainsi que par les anges à la peau de soie, les madones à jeun voltigeant sur leurs pieds de bois, depuis longtemps négligées de baisers dévots.

La grande salle, où on avait rangé une centaine de chaises, était comble.

Derrière la chaire, cinq ou six experts de séminaires se regroupaient autour de personnages mineurs ou méconnus dont ils avaient fouillé sans aucun scrupule les mémoires parfois assez pauvres. Dans la salle, se mêlaient joyeusement des hommes politiques, des chercheurs, des professeurs et maîtres d’écoles (dont l’une s’imposait avec ses lunettes triangulaires et sa veste moulante. Il y avait aussi les gens concernés par l’organisation de l’évènement, les huissiers communaux et en plus du secrétaire du cercle socialiste et de Ragazzini, le candidat aux élections administratives du 15 et 16 juin, probablement élu maire de Cesena, dont on ne disait que du bien.

Parmi les présents, il y avait aussi une petite foule de parents de Libero : frères, demi-frères, tantes de sang ou par alliance, cousins, cousines, en plus de nombreux enfants des cousins de premier, deuxième et troisième degré.

Il y avait aussi Solidea, assise à côté des amis de Pio. Tout le monde s’immisçait dans les prouesses de Libero qu’on pouvait synthétiser, en quelques traits essentiels, comme le funambule de la dèche.

C’était pourtant une journée de trêve, où Otello aussi, détourné par les personnes qui accouraient, avait pour le moment installé Solidea sur un piédestal en marbre pourvu d’une plaque en bronze.

Observée avec bienveillance par le célèbre Battista, du haut de la grande affiche, accrochée à la voûte centrale, qui en révélait la noble beauté des traits et des yeux perçants et doux, la réunion se déroula dans une alternance de témoignages intéressants et de contributions passionnées.

On jeta un rayon de lumière sur chaque aspect de la personnalité de Battista, sur chaque période de son intense et, par moments, frénétique activité. À commencer par l’épisode de l’arrestation.

Vers la fin du siècle dernier, Battista fut condamné à quatre mois de prison pour incitation à la haine entre les classes. L’arrêt se déroula au cours d’un discours à Savignano sur le Rubicon, où les socialistes voulurent prendre leurs distances vis-à-vis des anarchistes. En raison de quelques bagarres physiques, on enchaîna les poignets du jeune agitateur en bas de sa tribune. Ensuite, il fut traîné, malgré ses prières, par les rues et la place principale, avant d’être obligé de s’asseoir pendant une heure, toujours enchaîné, à la terrasse du café central, de façon que son oncle Marsilio, qui habitait dans la maison d’en face puisse le voir.

Après cet arrêt, le jeune socialiste passa la frontière demeurant quelque temps à Neuchâtel, en Suisse. Puis il séjourna quelques mois à Paris avant de se rendre à Londres où il perfectionna ses connaissances de la langue anglaise.

Quelqu’un dit avec des accents un peu brusques que Battista avait adhéré à la franc-maçonnerie jusqu’à la veille des élections de 1913. D’autres examinèrent le dernier passage tragique de sa vie : la participation à la Résistance contre le fascisme. Il avait rencontré un groupe de dissidents près de Rimini, où on le captura  suite à la délation d’un réfugié politique. Il fut ensuite emprisonné à Regina Coeli à Rome avant d’être relégué dans un village perdu de la côte ionienne, en Calabre.

Là-bas, il mourut ou, pour mieux dire, commença à mourir.

— Tu comprends, Stelio ? dit Pio, en lui frappant le bras. Le grand-père de Libero a été victime d’un guet-apens !

Stelio indiqua l’affiche surplombant leurs têtes :

— À en juger par ce daguerréotype couleur sépia, décoloré et aux bordures blanches crantées sur les côtés, il s’agissait d’un homme réservé et doux !

— Avec cette barbe, ce chapeau et ces lunettes, et cette veste sans forme aux poches bourrées de feuillets et de mouchoirs, ajouta Pio, avant de rentrer dans son nuage de fumée. En fait, enfoncé dans un siège anonyme derrière une colonne, il se laissait bercer par les ressacs monotones de ces interventions interminables dont il profitait pour composer des vers. En cette période, va savoir pourquoi, il était obsédé par la contrainte d’une même rime. Il fallait trouver des mots qui pouvaient se marier avec engagement, ou génie…

Le premier orateur reconstruisit comme un rhabdomancien la Rome du début du XXe siècle. Le jeune journaliste de l’Avanti, Battista Alessandri, dès son arrivée de Cesena, avait contacté ceux qui se battaient pour sauver la ville et le peuple des grandes spéculations immobilières faisant partie d’un colossal imbroglio dont l’unité du pays et le déplacement de la capitale à Rome avaient été l’occasion.

Lunettes de presbyte et cheveux fixés par une bombe entière de laque, une femme robuste, sur les cinquante-cinq ans s’aventura énergiquement dans les discours parlementaires du Battista député. Elle avait l’air de parcourir sans  véritable émotion les couloirs sans issue des anciens ministères royaux, entrant et sortant de passages bien connus, sans oublier de prodiguer un sourire à chaque porte et sans rater toutes les  transactions administrative, politique ou institutionnelle possibles. Derrière son allure inexorable d’experte de survie, on pouvait entrevoir les malchanceux qui, par milliers, dans ces mêmes couloirs, se débattaient en long et en large, incertains de savoir s’ils devaient chercher l’entrée ou la sortie, s’ils voulaient vraiment une réponse précise ou, au contraire, désiraient être rejetés par des arguments aussi vagues que réticents.

Pio était sens dessus dessous. Une épaisse couche de poussière s’était collée à ce visage et à ce corps qu’on avait exhumé sans lui en demander la permission. La poussière s’était solidifiée en se transformant en boue et moisissure et maintenant des mains expertes, professionnelles et violentes à la fois, essayaient de la détacher de nouveau du visage encore vivant, comme un calque d’argile. Mais, l’apparence violacée qui remontait sans conviction à la surface n’était pas celle de Battista. On aurait dit un masque bavard à la voix empruntée.

Pris d’une sombre nausée, Pio imagina un guichet pour les souscriptions, monté juste à la sortie du Ministère ou de la Chambre des Députés ou alors du cabinet privé de quelques-uns des grands élus d’Italie. Derrière ce guichet la même dame exaltée de cinquante-cinq ans aurait exigé un petit don.

Une fête très réussie
pour l’homme de génie
au visage pâli
au chapeau jauni.

Sur ce croquis
on dirait qu’il sourit
pour nous donner l’envie
de laisser sans souci
des arrhes jolies
qui sauvent son pari.

On parle tous polis
de l’engagement maudit,
de cette horlogerie
qui a tué ce naïf
de cet enthousiaste inouï
qui consumait sa vie.

Quand tout sera fini,
on passera meurtris
devant le cagibi
où l’on demande, ah oui !
de prêter sans un cri
un soutien infini.

En échange, c’est écrit
on va te donner l’avis
que tu es un vrai ami !

002_titiro x racines 1 740Libero demanda la parole.

Une attente embarrassée l’entourait. Tout le monde ne l’avait pas reconnu, dans sa modeste grisaille.

Libero sourit de façon discrète. Puis il se passa une main sur le visage, qui d’un coup se changea de serein en triste, très triste. Il appuya la main gauche sur le pupitre avant de se servir de la droite pour esquisser dans l’air une grande bouche fermée. Ensuite, en profitant de cette lueur bleue qui lui illuminait le menton et le nez, il abandonna petit à petit le chagrin dû au vide augmenté par la mort répétée du grand-père célèbre, pour assumer bientôt une certaine fierté de fils ou, pour mieux dire, de petit fils.

De son avant-bras il fit glisser vers la lumière céleste un manuscrit. Puis, avec un geste de statue égyptienne, il fit rouler l’autre bras pour lancer un fil invisible en direction du public. L’autre bout du fil tomba dans le rang le plus indiscipliné où, au milieu de cousins et amis tout à fait irrespectueux, était assis Nevio, son enfant de neuf ans.

Libero commença à tirer vers lui le fil imaginaire.

Nevio fut contraint de bondir de sa place et, comme un coupable, se traîna par sauts, essayant quand même quelques timides résistances. Lorsqu’il fut en face de son père, il se hâta de dégurgiter ce qu’il avait péniblement appris par cœur :

— Je prends la parole au nom de tous les descendants de Battista Alessandri, pour saluer avec gratitude cette initiative qui nous rend orgueilleux.

Tout de suite après l’enfant s’échappa en courant, avant de reprendre comme si rien n’était arrivé, son bavardage ininterrompu avec ses cousins.

Insatisfait, Pio frémissait dans son coin, comme si le légendaire et immatériel Battista lui appartenait aussi.

« Toute famille est un archipel », songea-t-il, effondré dans le fauteuil de bois. D’un coup, il ne sut pas retenir un geste de rage à l’adresse de Libero, comme s’il voulait arrêter son élan commémoratif inattendu.

En pliant bras et jambes en forme de « z », Libero demanda alors un entre-acte. Il se jeta à terre, fouilla sous l’étoffe rouge enveloppant la table des orateurs et peu de temps après il réapparut dans le cône de lumière, totalement transformé.

Les personnes présentes eurent un sursaut quand elles virent, debout devant elles, le défunt Battista Alessandri, avec son chapeau qui lui était unique, ses lunettes à pince-nez, sa barbe rouge et blanche. Sans compter son costume gris et sa chemise chiffonnée.

— Puisque vous m’avez fait revenir à la vie, dit Battista d’une voix très basse et évidemment contrefaite, je veux vous révéler le secret que j’ai emporté avec moi dans la tombe : j’ai eu une liaison, durant beaucoup d’années. De cette rencontre… Libero fit un geste large, de cette union un enfant a vu le jour. Cet enfant se maria assez tôt avec une chanteuse, Elda.

Au fond de la salle, tout le monde, en se retournant à l’unisson, crut remarquer une femme âgée avec un habit noir à pois blancs, un simple collier de perles de culture et une fleur rouge en tissu cousue sur le décolleté. Elle devait avoir eu soixante-dix ans à peu près, avec ses cheveux blancs, son double menton et ses quelques kilos de trop. Une dame assez distinguée, aux yeux sombres et mélancoliques, en plus d’un nez régulier légèrement poudré et d’un sourire ineffaçable. C’était Elda, la mère disparue de Pio.

Tout en sueur, frappé par un soudain tremblement des lèvres, Pio avait rougi. D’ailleurs, sa mère ne pouvait pas lui manquer. Il sentit une étreinte avec un douloureux sentiment de vide, qu’il se hâta de remplacer par un autre vide : « Elvira m’a retrouvé et maintenant elle ne sait pas comment s’en sortir. C’est à cause de cela qu’elle est partie ».

Tous les regards suivaient Libero et ses émotions contrariées. On entendit le coup sec d’une chaise s’écroulant par terre. L’ancêtre disparut et réapparut le Libero de tous les jours, souriant et moqueur.

Il se passa de nouveau la main sur le visage, qui se figea dans une attitude d’inconsolable tristesse. Il demeura quelques instants immobile, avant de faire un bond jusqu’aux premiers rangs. Puis, en dessinant des mains et des pieds une roue parfaite, il se glissa tel un hula- hoop vers la sortie.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 11  mai 2013

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VII Armando et Solidea 2/2 (il quarto lato n. 18)

10 vendredi Mai 2013

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il quarto lato

001_seduzione x solidea 740 revenir à la liste des publications Armando et Solidea II/II (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chapitre VII, pages 78 et suivantes)

Ils se retrouvèrent à faire l’amour avec un emportement surprenant et inédit. Les deux matelas, qui n’étaient pas connexes entre eux, se séparaient continûment, en menaçant l’équilibre et même la possibilité, pour les deux corps, de rester unis. Solidea s’était transformée en pont entre les deux lits sur roues, tandis qu’Armando, tout en poursuivant le plaisir de Solidea et le sien, devait s’efforcer de rapprocher les deux sommiers, s’agrippant aux deux dossiers avec les mains et les pieds.

La fenêtre était restée ouverte. Une rafale d’air plus froid apporta sur les deux corps mouillés le parfum de la mer.

Solidea appartenait à Armando. Armando appartenait à ce rivage d’arbres et de maisonnettes blanches s’affaissant vers l’Adriatique.

Cesenatico retentissait de petites rumeurs. Dans le ciel traversé par des nuages noirs très rapides une demi-lune souriait.

D’un coup, Armando songea à Solidea comme à une vedette de théâtre qui aurait pu « se moquer des hommes, en les transformant de ses mains en coqs, juste capables de tomber amoureux, de devenir jaloux et de se battre à mort ; une femme ayant le cerveau à la place du cœur », une femme prête à se prendre beaucoup d’amants quitte à les trahir tous, en plus de son mari.

Quant à Solidea, même dans sa langueur, elle pensa que le moment était arrivé pour avertir Armando.

Elle voulait lui parler de cette sonnette d’alarme qui s’était transformée en gong assourdissant dans l’écoulement assez rapide de journées inoubliables. Elle ne savait pas par où commencer. Car on pouvait tout lui reprocher sauf l’absence de sincérité. Donc elle préférait le silence aux mensonges et n’avait même pas su profiter de l’occasion des taches de rouge à lèvres.

Armando, dans ses draps de cabotin incorrigible, tout en proposant de prendre  l’air et de traîner leurs jambes vers une « boîte en vogue », se mit à déclamer la liste des quarante-neuf espèces de cocu prévues dans un classement qu’on n’avait jamais assez loué.

— Écoute bien, Solidea. Il y a d’abord le cocu en herbe, puis le cocu présumé, ensuite l’imaginaire, le cocu martial ou fanfaron, le cocu prudent, le cocu moqueur, le cocu pur et simple. Celui-ci ce pourrait être moi : « un respectable jaloux qui ignore ses disgrâces et ne prête pas le flanc à la plaisanterie avec des vantardises ou des propos maladroits contre son épouse et ses soupirants. Entre toutes les espèces, celle-ci est la plus louable ». Ensuite, il y a le cocu fataliste ou résigné, le cocu condamné ou désigné, le cocu irrépréhensible ou victime, le cocu de prescription, le cocu absorbé. Voyons un peu ce qu’ils disent de ce cocu absorbé : « quelqu’un que le tourbillon des affaires éloigne toujours de son épouse et qui ne peut donc lui consacrer aucun soin. Il est obligé de fermer un œil sur les attentions discrètes d’un habitué de la maison ».

Armando était juste en train d’illustrer le treizième cas de tromperie quand Solidea, par très peu de phrases que l’émotion rendait presque aphones, avoua son état.

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Armando n’était pas un homme courageux. S’il avait pu, il aurait évité coûte que coûte d’écouter de ses yeux ce qu’on pouvait lire sur la bouche muette de Solidea. Il aurait préféré feindre une scène tragique en riant ou alors une scène comique en pleurant.

Son rapport avec Solidea avait été toujours suspendu à un fil, pas vraiment à  cause de ses multiples escapades — ou  de ses rares et mystérieuses aventures à elle, pourtant élégantes —, mais au contraire à cause de certaines incompréhensions qui s’étaient désormais installées aux étages inférieurs et dans les caves de leurs âmes agitées.

Le ton de Solidea, cette fois-ci, était péremptoire. Ses mots creusaient un sillon dans la poitrine d’Armando en révélant sans pitié son contenu de confusion, de lâcheté et d’égoïsme tout à fait masculin.

— Tu ne feras jamais rien pour changer notre vie ! Tu seras toujours prisonnier de tes rêves, de tes utopies qui ne t’enrichissent pas, de ta pseudo-générosité qui te rend esclave des autres. Tu devrais renoncer, un jour, à voguer, entre deux pôles impossibles à rejoindre sans jamais rencontrer la paix. Je crois que tu ne le feras jamais… Fais comme tu veux, mais essaies de faire de façon qu’il y ait un espace pour nous, sinon…

Armando essaya de se figurer les deux pôles que, dans sa métaphore fumeuse, Solidea lui avait esquissés.

D’ailleurs, Solidea s’était aperçue que la rencontre avec Libero avait remplacé dès le premier instant un temps interminable, vide et désolé. Tandis que l’amour, en se propageant, aurait pu attaquer, comme un acide puissant, même le plein — quelque fois galbé et brillant, d’autres fois lézardé et boiteux —, de la forteresse bien pourvue d’Armando.

Quelque chose de grave était arrivée. Une nouvelle incompréhension gisait inguérissable, comme une poupée agonisante et dégoûtante, entre Armando et Solidea en les séparant. Mais leur penchant pour la comédie survivait.

— La comédie rend la vie légère ! dit Armando  feignant le calme, tout en agitant un grand Borsalino acheté à la chapellerie Pavirani.

— Viens avec moi, Solidea, je t’emmène faire un tour en voiture sur la colline, à Bertinoro.

Solidea se revit petite, assise à côté de son père dans une grande Fiat 1400. Un homme d’un autre temps, voué au travail et à la famille, mesuré dans les mots comme dans les gestes, auquel sa fille reprocha toujours, sans jamais ne le dire à personne, de lui avoir donné très peu de douceur.

Le père, cette fois-là, lui avait dit seulement qu’on ne doit pas dire de mensonges et que tout engagement doit être respecté :

— Je t’ai fait confiance ! Je t’ai fait confiance ! Je t’ai fait confiance !

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 10  mai 2013 CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS Licence Creative Commons Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.

VII Armando et Solidea 1/2 (il quarto lato n. 17)

09 jeudi Mai 2013

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il quarto lato

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Giovanni Merloni – Coniugi rosa, aquarelle sur papier 70 x 50 cm, 1970

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Armando et Solidea I/II (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chapitre VII, pages 75 et suivantes)

Après les derniers évènements, la vie de Solidea avait changé. Au placide ennui, caractérisant le temps infini où elle avait été contrainte à exorciser et sublimer les absences d’Armando, s’était suivi un état de paralysante anxiété.

Elle restait avec Libero de l’aube au couchant, essayant de s’accrocher à la réalité ou alors à son apparence. Elle rappelait à son amant et à elle-même que le truc qui les unissait, qu’elle ne voulait pas appeler histoire, tôt ou tard aurait touché son terminus.

Ne pouvant jamais se réjouir de la faveur des ténèbres, ils étaient devenus les amants des heures de soleil où les débordements des autres semblaient conspirer avec leur propre rigidité jusqu’à les amener à étouffer toute envie de rester seuls et d’échanger librement leurs haleines réciproques.

Nés pour se taire, s’autorisant juste des gestes élégants et mesurés, ils profitaient des rares espaces de solitude à deux pour s’adonner à d’interminables conversations.

Lorsqu’elle était avec Armando, Solidea était annihilée par la pensée que son compagnon devinât quelque chose ou qu’il entamât un de ses sièges hérissés d’irrésistibles questions.

Si Armando demeurait tranquille, de son côté, concentré à lire ou à trafiquer ses mises en scène, Solidea ressentait au centre de sa poitrine le poids de l’éloignement et de l’absurdité.

Cet employé et saltimbanque ineffable, ses mains magiques, son sourire, tout cela pénétrait dans la chambre sans charme de l’hôtel près de l’allée verte de la rue des Mille à Cesenatico, où le couple résidait depuis deux mois désormais. Ces mains ou ces yeux frôlaient la cheminée, les mauvaises reproductions de Modigliani, la commode et sa glace. Cette bouche souriante se faufilait sous l’oreiller, au risque d’effleurer, avec la mélancolique Solidea, le corps d’Armando aussi, abandonné à son haletant demi-sommeil et, en même temps, éveillé dans une attitude fataliste qui n’excluait pas l’inattendu.

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Solidea se perdait dans deux pensées opposées.

La première pensée, sous l’impulsion de l’éloignement forcé, c’était de courir chez Libero dès que possible, de chercher à exploiter au mieux les heures, les demies heures et les minutes qu’on leur offrirait. Dans cette pensée ondoyante, les fantaisies amoureuses s’enchevêtraient avec les souvenirs intenses dans un magma un peu chaotique : elle voyait certaines parties du corps de Libero fusionner avec les siennes dans des étreintes orageuses, puis langoureuses, avant de se perdre à l’improviste dans une fixité granuleuse. Elle revoyait les lieux dont elle n’avait, jusque-là, jamais soupçonné l’existence ou qu’elle avait regardés sans les voir, au cours de ses infinis trajets sans histoire. Elle écoutait les gestes de Libero sur le plateau, elle suivait, le regard fixé dans la pénombre de la chambre d’hôtel, la bouche de cet être aimé s’adonner à de répétitives déclarations d’amour absolu. « Ma joie », murmurait Solidea, imaginant que ce mot, ne faisant qu’un avec la langue frétillante de Libero, lui remplît le palais.

La seconde pensée jaillissait de la conscience de cette absurdité, qu’elle devait absolument… Elle ne pouvait se passer de considérer comme irréel ce souci des heures de soleil. Elle le voyait bien, du haut de sa tourelle nocturne, tout cela n’était pas seulement dangereux. Cela n’avait aucun sens. Solidea ne voulait pas souffrir.

Elle s’adressait donc, tôt ou tard, à Armando. Pendant autant d’années, même en traversant des hauts et des bas, cet homme avait été son confident, son ami, son miroir, son deuxième corps et aussi son âme sœur. Elle le scrutait par des regards en biais, s’apercevant très bien de sa défense se transformant en une mauvaise humeur tranquille dont on ne pouvait prévoir les conséquences. À présent, il ne paraissait pas menaçant, mais de ce calme il aurait pu éclater d’un moment à l’autre des évènements terribles, des déchirures dramatiques, très difficiles à cicatriser peut-être.

Armando s’était adapté à Solidea. Il avait désormais l’habitude de la courtiser dans les moments où elle le désirait. Il entamait le discours amoureux sous plusieurs angles, en utilisant, selon sa nature généreuse, un très vaste répertoire de regards, de gestes théâtraux, de phrases aussi emblématiques que spectaculaires. En plus, il faut le rappeler, il avait une aptitude non commune à la persuasion ne faisant qu’un avec son ascendant physique qu’il exerçait discrètement sur son épouse atypique. Il avait d’ailleurs le talent d’éviter toujours d’en parler de façon explicite.

Ils étaient en fin de compte un couple homogène. Ils savaient bien sûr comment s’y prendre et comment rejoindre, presque toujours, un plaisir réciproque acceptable. Ils savaient d’ailleurs se réfugier, chacun de leur côté, discrètement et sans rancune, dans des pratiques alternatives quand, pour ainsi dire, ce n’était pas le cas.

En ces jours, Solidea était assez confuse. Elle ne se sentait pas obligée, sur le plan rationnel, à une fidélité à Libero qui serait anachronique. Pourtant, cet amour nouveau avait déclenché des mécanismes oubliés se traduisant dans des modalités de rencontre tout à fait spéciales, en de nouvelles façons de s’embrasser, de se toucher, se caresser en cherchant le bonheur dans des étreintes où l’embarras avait été bien tôt remplacé par une réciproque disponibilité à se chercher et, surtout, à se trouver.

Quand Solidea s’approchait d’Armando, elle se surprenait à s’exprimer avec lui par les mêmes gestes nouveaux qu’elle avait inventés dans son nouvel amour.

Par moments, elle était saisie par la peur de ne pas réussir à se caler dans l’escarmouche amoureuse proposée par Armando avec le naturel habituel. Elle se sentait anguleuse, coupable et distante.

Mais, Armando demeurait encore amoureux de Solidea. Depuis quelque temps, il était même affligé par un véritable retour de flamme.

Sur cet emportement renouvelé agissaient d’ailleurs le besoin d’affection, l’incertitude des derniers temps, liés aux difficultés rencontrées dans son travail théâtral, la peur de vieillir, et enfin la fatigue due à une histoire sans issue qui traînait. Il songeait à l’aide clairvoyante de Solidea pour y mettre fin.

— Armando, tu as deux taches de rouge à lèvres sur ta chemise ! constata Solidea, oubliant du coup avoir à son tour laissé plusieurs fois des traces similaires sur les revers gris et sur les cols blancs de Libero.

Armando ne savait pas quoi répondre, mais, en homme du monde qu’il était, il fit un geste large. De cette étincelle se déclencha une longue discussion.

Solidea admit sa jalousie : elle ne supportait plus les escapades d’Armando… Celui-ci détourna vite le discours sur le sujet de la comédie qu’on allait jouer, sur l’excès des parties féminines, sur la bonté des textes de Da Ponte, sur le public de Cesena, sur les palais et les églises de Cesena, sur les promenades paresseuses au long du port-canal de Cesenatico, sur le bateau qui se garait au large, devant l’embarcadère de L’Écrevisse rouge, sur leurs prochains voyages en Italie et en Europe.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 9  mai 2013

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VI Le pré 3/3 (il quarto lato n. 16)

08 mercredi Mai 2013

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il quarto lato

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Le pré III/III (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chapitre VI, pages 70 et suivantes) De façon exceptionnelle, juste pour garantir la continuité de la lecture du « Quatrième côté » («Il quarto lato») je publie aujourd’hui la troisième partie du sixième chapitre que j’avais déjà inscrite dans le billet du 26 mars dernier, publié sous le titre Le progrès ou le soleil de l’avenir II (pit_n.27)

— Mais, où se trouve le sens d’évoquer, aujourd’hui, encore ces mêmes choses ? demanda Libero. Désormais, toutes les villes sont comme ça. Et les morts sont morts, peut-être contents des défigurations commises ou subies. La mort est comme l’obscurité. La nuit, en vélo, j’aime suivre les poteaux et les enseignes lumineuses. Me perdre. Et ne pas voir les maisons, belles ou laides. Ainsi les émotions se raréfient, et les obligations aussi. Au cours de la nuit, la vue se rétrécit, en se concentrant sur les petites lueurs ondoyantes sur ces petits carrés de plastique rouge collés sur les bornes le long des routes de campagne, près des digues, et qui resurgissent au fur et à mesure que nos coups de pédale leur renvoient une lumière éphémère. Et alors, cet essoufflement mental, ça sert à quoi ?
— Certes, on ne se console pas en voyant que quelque chose tient encore debout, hurla Otello. Notre conscience est sauve lorsqu’un tableau nous arrive entier, et qu’on voit qu’une tour ne s’écroule pas et que les rues sont les mêmes qu’il y a cent ans.
— Nous ne pouvons pas faire de progrès si nous n’apprenons pas à dialoguer avec nos morts, essaya de dire Pio. Avec son stylo sans encre, il sculptait des sillons dans son cahier, jusqu’à y faire des trous.
— De quels morts parles-tu ? demanda Stelio. Ce Mengoni qui a dessiné la Galerie de Milan ? Ici à Cesena son projet n’était qu’un miroir aux alouettes, il avait pour  vocation de démontrer que la démolition était une bonne chose.
— À présent, il ne nous reste plus qu’à prendre acte des dégâts qui sont intervenus suite à ces défigurations, répondit Pio.
— D’ailleurs, que pouvons-nous faire ? rétorqua Stelio. Nos grands-pères ont tout démoli sous l’impulsion insensée d’ouvrir les villes au progrès. Nos pères ont construit sans façon ni respect, avec pour seul souci d’ériger des immeubles moches et d’informes banlieues. Notre génération est condamnée à l’impuissance, et s’en réjouit un peu.
— Il est difficile d’aller à contre–courant, dit Otello, s’accoudant au parapet.
— Pourtant, l’on aurait pu suivre  les courants, les rafales favorables, ajouta Stelio, en s’allongeant sur le dos, comme si le parapet était un dossier confortable.
— Mais, on n’a fait que ça ! dit Libero. Nous nous sommes tout de suite rendu compte des difficultés, quitte à essayer rester en équilibre parmi les vents propices ou contraires.
— Ce n’est pas toujours comme ça, dit Pio, se réveillant d’un long sommeil. La fortune arrive toujours, tôt ou tard. Mais, que faisons-nous pour profiter des occasions qu’on nous offre ? Voilà, par exemple : nous nous intéressons à une belle dame, et l’entourons de courtoisies  mais avec un petit manque d’intention, de véritable conviction. Elle résiste, nous pose un lapin, fuit le rendez-vous parce qu’elle est impliquée elle-même, mais perçoit quelque chose qui ne va pas. Nous insistons par parti pris, par habitude, d’ailleurs il nous arrive de la rencontrer souvent sous les arcades du Corso ou devant la Bibliothèque Malatestienne.
(Pio avait donc trouvé la façon de parler d’Elvira, de dire carrément sa confession hardie, en vitesse et souplesse, sur un parapet de ciment donnant sur un pré aux couleurs changeantes.)

1998 cesena 740

Samedi 30 mai 1998, Cesena, place du Popolo 19 h 30, après la présentation du roman « Il quarto lato » près de la Bibliothèque Malatestiana (Salle en bois) 

— Imaginez-vous qu’on ait juste affaire à la bibliothécaire, une femme assez mignonne, svelte, toujours bien mise. Elle habite toute seule dans un appartement restauré Corso Ubaldo Comandini, près des remparts. Elle a les yeux gris, les cheveux noirs un peu crépus qu’elle coiffe sur la nuque avec un chignon. Un de nous, toujours dans les nuages, égoïstement dans les nuages,  va tous les jours à la bibliothèque. Il a entamé une recherche sur le quatrième côté de la place du Popolo. Il a déjà trouvé des documents, les plans des immeubles démolis. Il y avait aussi une église. Ce pourrait être moi, ce chercheur distrait et opiniâtre. Tous les jours un mot. On commence par demander où il est le catalogue des textes, on se laisse aider, on plaisante, on parle un peu de ce qui arrive dehors, de la pluie et du soleil. Quelques jours après, on commence à avancer des compliments assez civils, adaptés au silence bibliothécaire. Ensuite, le travail devient plus intense, les journées s’allongent. On se passionne pour de bon, sans arrière-pensées, aux tomes sur la vieille Cesena, sur ces années cruciales entre le XIXe et le XXe. La bibliothécaire a désormais un nom, elle vient d’avouer à l’un de nous tous ses problèmes. Elle a un jeune enfant qu’elle doit toujours confier à sa mère, heureusement sa mère est encore jeune et se déplace sans problèmes en vélo ! Pourtant, il ne lui reste que peu de temps pour elle, la bibliothécaire pour se balader dans Cesena et s’arrêter devant les vitrines. D’autres jours s’écoulent. Pio, ou Stelio, ou Otello revient : le premier avec ses propres poésies ; le deuxième avec les poésies de Pio ; le troisième avec un magnétophone à cassettes et des écouteurs pour lui faire entendre, sans déranger la paix bibliothécaire, la capitulation de Dorabella et de Fiordiligi dans « Così fan tutte ». La jeune femme est désormais prise dans le filet. Elle ne réussit plus à concevoir un matin où ce dernier ne soit pas là. S’il est absent une première fois, elle peut même dire « Tant mieux », n’y accordant pas d’importance. Mais, après une nouvelle vague d’attentions et d’aveux réciproques, s’il part à nouveau pour disparaître, qui sait où… et qu’il pleut, la journée est plus longue, le silence plus lourd, les questions de l’omniprésent étudiant sont de plus en plus insupportables, alors la mignonne commence à ressentir ce manque comme vif et douloureux.
Pio prononça cette dernière phrase avec une intention spéciale. Il rougit. Puis, il reprit : — à chacun de nous, juste pour combattre l’ennui, il peut arriver d’investir du temps, des énergies et des parties essentielles de nous- mêmes pour attirer dans notre cercle vital une jeune bibliothécaire originaire de Bagnacavallo, séparée avec un enfant de sept ans. Mais, tôt ou tard, quelque chose se passe. Qu’est-ce qu’il faut pour sortir de la bibliothèque, traverser la place, atteindre le café en face du Dôme et, installés dans un recoin discret, consommer, avec une émotion insolite, un chocolat chaud ? Qu’est-ce qu’il faut pour se retrouver ensemble, bras dessus, bras dessous, dans les rues de Rimini ou de Ravenne, pour ne pas attirer les regards ? Qu’est-ce qu’il faut pour entrer un jour en cachette dans l’hôtel Plaza à Cesenatico, pour monter, la gorge serrée, cet escalier où même en hiver et au printemps sont restées , ineffaçables, les traces de sables laissées par les sandales des vacanciers ? Il peut arriver à l’un d’entre nous d’arriver à faire tomber amoureuse une belle bibliothécaire distinguée. Mais, après, il faudra en assumer la responsabilité, se charger de sa vie, non seulement de sa taille.
— C’est là l’enjeu, nous savons très bien critiquer, en faisant une liste pointilleuse des abus et des retards provoquant les désagréments et les méfaits connus dans notre ville. Pour exploiter ce rôle de bourdon ou de tique, on nous a laissé un espace privilégié, une niche tout à fait confortable d’où nous ne voudrions jamais sortir. Gare à qui voudrait nous l’enlever ! Par charité ! Le monde extérieur est méchant, corrompu, pollué à tous les niveaux. Pourtant, la bibliothécaire du Corso  Ubaldo Comandini n’est pas du tout polluée, elle, et est pure comme le lys.
Pio rougit encore. Stelio imagina qu’il pensait à Solidea. Otello de son côté songea à l’amour de Stelio pour une femme mariée de Bagnacavallo. Libero, au contraire…
— Notre ville, conclut Pio, est elle aussi pure, belle, avec le même besoin de soins. Malgré cela, comme autant de Célestins V, arrivés au seuil de l’autel où l’on va nous couronner, en nous submergeant d’or, de bijoux et de sceptres décisionnels, nous agissons ni plus ni moins comme si nous étions au bord d’un gouffre. Par lâcheté nous pratiquons le grand refus. Nous n’assumons pas nos responsabilités.

bibliotecaria 740

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 8  mai 2013

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VI Le pré 2/3 (il quarto lato n. 15)

07 mardi Mai 2013

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il quarto lato

001_la loggia 1988 part 1

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Le pré II/III (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chap. VI, pages 67 et suivantes)

Stelio avait du mal à voir devant lui tous ces décors de destructions et reconstructions qu’on agitait trop à la hâte, comme si c’étaient des cartes postales ou des images de collection.
D’ailleurs, la vérité de ce pré était très touchante, avec sa symphonie d’infinies nuances de jaune et de vert ne faisait qu’un avec cette lumière surprenante et les rectangles d’ombre projetés par des nuages étrangers qui faisaient de miroir aux fortunes incertaines du quatrième côté et de ses promoteurs.
Le pré, par son aveuglante tiédeur, donnait aussi de la confiance, du bien-être avec une disposition béate à la conversation oisive.
— J’ai ici une phrase prophétique de notre ancêtre commun, qu’il pourrait avoir adressée à nous tous, proposa Pio, en essayant d’entraîner l’homme égaré et, en même temps, de détourner son propre fantôme qui pourtant sautillait, furtif et souple, parmi les haies et les jeunes cyprès comme une chienne capricieuse.
— Voilà ce que disait Battista Alessandri, le socialiste illustre, il y a cent ans : « Sans aucune justification ou nécessité, juste en raison du temps que vous n’avez pas trouvé, le temps que vous auriez dû consacrer à une réflexion objective et sereine, vous décidez de démolir ou alors de bâtir des œuvres aussi grandioses qu’inutiles. Car en définitive, pour vous, c’est la même chose ».
— Même aujourd’hui, ajouta Pio, se frottant le nez en proie à un violent prurit, on regarde avec horreur tout ce qui jaillit du bon sens. Gare aux bonnes idées, gare au concret, à tout but qui soit utile et sain, pour l’amour de Dieu !

002_la loggia 1988 part 3

Tous les quatre fixèrent un point sur le côté ouest du pré, d’où provenait une voiture. C’était peut-être un mirage sur quatre roues que le miroir du passé leur renvoyait.
— Vade retro, ange gardien, hurla Pio, avec emphase. Ô être désintéressé qui agit pour sauver la nature et les choses précieuses que nous ont laissées nos grands-pères, arrière-grands-pères et ainsi de suite en remontant dans les siècles… D’un coup, il se tut devant la scène vraiment inattendue. La voiture s’était arrêtée au centre du couloir jaune.
Ils virent quatre personnes sortir péniblement de cet habitacle assez étroit. C’étaient des gens aux costumes sombres comme leurs chapeaux affichant un air engourdi de la tête aux pieds. Rien de naturel ou de spontané, aucune insouciance libératoire. Cependant, à la plus grande joie de ses spectateurs, ils devinrent tout à coup, souples et adroits, à l’unisson avec des mouvements brusques et saccadés que leurs écharpes accompagnaient en voltigeant terriblement.
— Qu’est-ce qu’ils sont en train de fabriquer ? demanda Stelio.
— Ils ouvrent une table pliante ! suggéra Libero.
— Est-ce qu’ils jouent aux cartes ? se demandait Otello en ricanant.
Les quatre types pouvaient ressembler aux commensaux d’un pique-nique champêtre. L’un d’eux, plus âgé, avait des moustaches aplaties et une barbe de trois jours. Il approuvait d’un signe de tête débonnaire et fatigué.
— C’est Pascoli ! hurla Pio. Ou sinon c’est son père, le factotum de la Villa Torlonia.
Un jeune gesticulait avec fougue. Il cachait la chemise rouge des garibaldiens sous sa veste bleue. De son coin éloigné, il mimait les menottes aux poignets. Peut-être voulait-il signifier qu’il ne voulait pas répéter une mauvaise expérience, qu’il avait déjà connue.
— Cet autre est Raffaele Alessandri, éternel amoureux de Cleta, explosa Stelio, dans l’espoir que ce pré cauchemardesque redevienne ni plus ni moins ce qu’il était avant. Un pré baigné dans la lumière et le bruit de fond de la Nature.
Près du garibaldien Solidea, presque étendue sur la chaise antique de la « Photographie Primée Cesena », exhibait une jupe plissée et une chemise brodée, tandis qu’Elvira, rougie et ébouriffée, essayait de se dérober au portrait collectif.
Le troisième personnage avait l’air d’un noble, ou alors d’un seigneur assez raffiné. Il portait sur ses tempes dégarnies des lunettes rondes, assorties au nez pensif et aquilin.
— Le Comte Neri ! murmura Libero.

003_la loggia 1988 part 4

Le Comte Neri défaisait un interminable rouleau de papier et lisait avec la pédanterie d’un notaire.
À côté de lui, il y avait une sale gueule édentée. Il avait les mains sur la table, prêt à saisir un couteau ou un long fusil.
— Regarde celui-là, c’est Bufacchi ! observa Pio, assommé.
Bufacchi, de son temps, paraissait souvent dans les illustrations du « Dimanche du Courrier » comme personnage-clé de la Trafila.  Assassin et cambrioleur sans le moindre scrupule, on disait que Bufacchi avait tué Pio Battistini sous les arcades de la rue Zeffirino Re.
« Mais, cela s’était passé après la démolition du faubourg auparavant installé sur le quatrième côté de la place ! » considéra Stelio intérieurement.
Bufacchi se leva. Assez grand, il ne correspondait à aucun des types esquissés par Cavina dans la veillée de Carpineta. Il mit ses mains à la bouche et hurla :
— Si demain à l’aube je n’ai pas le papier, sur ce pré ne poussera plus de l’herbe !
— Quel papier ? demanda le Comte Neri d’un air hautain.
— Le décret de suspension de la démolition. Bufacchi n’avait eu qu’un instant d’incertitude.
— Doucement, doucement…, lui disait Pascoli, caressant le chien blanc et marron étendu à ses pieds. Il observait avec l’affection placide de grand-père ou de beau-père les deux femmes assises près de lui qui le caressaient en lui demandant un vers. Doucement, Bufacchi, tu veux pas t’opposer à l’Histoire ? Nous avons voulu la capitale à Rome, et maintenant on en paie le prix.
— Tais-toi, Bufacchi ! ajouta le Comte Neri. Je te donnerai une maison neuve. Viens avec moi.
D’un coup, les quatre quittèrent la petite table et s’acheminèrent à pied sur le sentier d’herbe divisant le pré en deux dans le sens de la longueur.
— Ce sera tout pour toi ! chantait le Comte Neri, avec des gestes exagérés illustrant à Bufacchi ce paradis terrestre.
— Arrêtons de regarder, sortons de ce cauchemar, protesta Otello.
— J’en suis sorti depuis un siècle, dit Stelio. Ne vois-tu pas que la voiture n’est pas là ? Mais, que faisait-il ici Raffaele, le garibaldien ? Il semblait être un poisson hors de l’eau.
— C’est ainsi qu’on a fait les démolitions, expliquait Pio. Dès qu’un Bufacchi quelconque menace, protestant qu’il ne peut pas se passer de la maison croulante dans le faubourg condamné à mort, on s’empresse de lui donner en échange un pré qui l’enchante, très adapté à une scandaleuse spéculation !
— Bien sûr, commenta Otello, soulevant son regard gris et marron au-dessus de ses lunettes. On ne sait pas ce qui se cache sous les gouffres… comme la démolition du Réduit. Maintenant, la place de la Liberté, n’est plus qu’une cour pour se garer. Et la ville, dévoyée, s’adonne à l’alcool :

Toujours libre, je dois
Folâtrer, de joie en joie…

004_la loggia 1988Giovanni Merloni : La loge, huile sur toile 80 x 120 cm, 1988

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 7  mai 2013

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VI Le pré 1/3 (il quarto lato n. 14)

06 lundi Mai 2013

Posted by biscarrosse2012 in romans

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il quarto lato

001_la donna del prato 740

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Le pré I/III (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chap. VI, pages 63 et suivantes)

Quatre amis — qui sont aussi rivaux entre eux — sont accoudés au parapet en ciment en haut de la Rocca Malatestiana, à Cesena. Ils discutent passionnément, en se laissant distraire de temps en temps par la douce beauté d’un grand pré qui baigne dans le soleil. Libero, le premier qui prend la parole, est un étrange personnage, vivant de mille métiers dont celui d’huissier auprès de la Mairie et d’acrobate. Otello, le deuxième, est un peintre qui s’engage volontiers dans les batailles politiques et culturelles. Pio, le troisième, est un ingénieur-poète. A cela correspondent des contradictions et des pulsions formidables et redoutables même s’il ne s’agissait que d’une seule personne. Stelio, le quatrième, est l’unique véritable architecte dans un groupe qui ne s’occupe que de cela : l’architecture moderne avec pour défi une ancienne place Renaissance enlaidie par la destruction du quartier entier qui bouclait le quatrième côté de la place du Popolo.)

002_pineta antique 740

Au-delà du parapet en ciment, un grand pré montant. Au centre, une piste presque invisible où les chats et les faisans seulement avaient la licence de s’ébattre. À gauche, un petit bois de pins et cyprès. La lumière de l’après-midi inondait la pente en transformant le parapet en magnifique rivage. Au loin, sur le bord gris et blanc de l’horizon, à côté du Sanctuaire de la Madone du Mont, une file discrète de maisons rose et ivoire donnait la mesure de la distance séparant nos fainéants du profil reculé de la colline.
Stelio Camporesi était gai, mais pensif. Otello Comandini, comme d’habitude, aimait rigoler, mais il était traversé, lui aussi, par une subtile mélancolie qui ne trouvait pas d’explication. Quant à Pio Foschi, il s’adonnait par intermittence à son ancien tourbillon qui risquait de reprendre corps, prénom et nom. Mais, comment faire pour rencontrer encore Elvira, son idole aux cheveux châtains qui jadis l’écoutait de façon si dévouée, bouche bée, déclamer ses poésies incompréhensibles et abruptes sous les pins de Cervia?
Ils étaient tous d’accord en disant que Solidea ne lâcherait jamais Armando.
Otello profitait de l’absence de Libero pour en critiquer l’incorrigible tendance à se gâcher la vie avec les femmes :
— Il devrait feindre de tomber amoureux, mais il n’y arrive pas. Il s’y prend de façon excessive, jusqu’à tout remettre en cause. C’est là son point faible. Pourtant, ce serait tellement beau l’amour bourgeois, avec ses codes d’accès et ses rituels, en plus de ses tragédies ridicules et de ses comédies qui arrachent les cœurs !
— Avoue plutôt, Otello, que tu es envieux ! Tu voudrais bien être à sa place, dit Stelio.
— Libero est un type sérieux, au contraire, réagit Pio. Il fait une chose à la fois, et il la fait bien. Donc il est bien compréhensible qu’il s’attache à ce qu’il fait !
— Bien sûr, mais il s’attache tellement à sa créature qu’il se perd tout à fait ! dit Stelio, en lançant vers le pré un morceau de gravats gris. Cela lui rappela l’épisode récent, lors de sa provocation moqueuse, c’est-à-dire le lancement de son mouchoir à la tête de Libero. Par la suite, ce dernier avait fait mine de rien et Stelio ne s’était même pas excusé.
— Je ne crois pas correct qu’on dise qu’il tombe amoureux de toutes les femmes, protesta Pio. D’ailleurs Solidea n’est pas une femme commune.
Agacé, Otello haussa les épaules.
— Libero se bat comme un lion chaque fois qu’il doit affronter une nouvelle tempête, conclut Stelio d’un air grave. Cependant, c’est justement un lion désespéré, assez conscient pour s’attendre aux gifles que même le bonheur lui flanquera. Car ce sera le bonheur qui l’effondrera et l’amènera au naufrage en l’abandonnant sur une rive en compagnie d’autres abandonnés qui ne s’occuperont pas de lui.
Quand Libero arriva, pâle, chancelant, effondré dans de sombres pensées, les trois mousquetaires le regardèrent avec une expression partagée entre la pitié et la jalousie. Sur Otello, la sincérité de son attitude douloureuse agit plus en profondeur. Celui-ci perçut un changement soudain dans son agressivité jaillissante depuis l’estomac, qui devint un sentiment tout à fait débonnaire au moment de sortir par les yeux et la bouche.

004_prato cesena 740

Ils entamèrent l’examen nécessaire d’une publication récente au sujet du quatrième côté. À la fin du siècle dernier, l’architecte Giuseppe Mengoni avait envisagé des petites halles, en plus d’une file de maisons, pour remplir le vide provoqué par les démolitions.
Otello saisit Pio par le bras. Ses yeux étaient devenus tout à coup doux et absorbés, les cheveux s’étaient aplatis : — il voulait y installer une procession de kiosques à journaux et  fleurs. Cela n’aurait rien changé à cette défiguration de la place du Popolo !
— Mais, quand même, Cesena se réjouirait maintenant d’une œuvre digne, dit Pio, imaginant se promener en face des étalages, le long du vaste trottoir de style parisien, bras dessus, bras dessous avec Elvira.
— Avec toutes ces maisonnettes à la même distance l’une de l’autre ? protesta Stelio. Pour l’amour de Dieu ! Avec cette éventration, ils ont dénaturé à jamais l’image de Cesena et de la Rocca. Désormais, la ville en bas ne vaut plus grand-chose, et, pour l’ancienne cité en haut, il n’y a plus grand-chose à faire !
Ils observèrent sur le livre la paroi continue qui démarrait avec le palais Albornoz, le mur qui se poursuivait avec la loggia vénitienne et la tour qui marquait encore un passage stratégique vers la place et se joignait enfin aux maisons du quatrième côté, crépies et enrichies de joyeuses fenêtres. Un mur hautain au timbre militaire, arrogant et inaccessible cachait jadis la vue du profil naturel de la colline derrière. Un endroit mystérieux et pourtant bien réel, toujours prêt à vomir les modestes ou riches voyageurs venant de Rome sur la place du marché hebdomadaire, lors des fêtes et leurs manèges.
— Ce ventre lisse et mou, où l’on arrivait en venant de plusieurs routes, toutes étroites ! observa Pio.  La place était le centre vital d’une petite ville qui ne faisait qu’un avec l’habit très serré de ses remparts. En un éclair, Pio avait vu disparaître et apparaître de nouveau Elvira, habillée en rouge, enveloppée par les anciens murs de briques en guise de châle.
— En fait, quand  l’Unité d’Italie s’est finalement réalisée, on a eu peur des gens de Romagne, commenta Stelio, tout en fixant le pré. Même aujourd’hui, on dit que nous sommes tous des anarchistes et des violents.
Pio trembla. Aurait-il été capable de recourir à la violence ? Serait-il arrivé à cela pour s’emparer d’Elvira ?
— Et le roi ? reprit Stelio. On avait prévu qu’il arrivât depuis la via Émilia, c’est-à-dire de Bologne et qu’il aurait ensuite traversé le pont sur le Savio. Effectivement, la rue entre la Porte… et la place du Popolo était très étroite, étranglée par deux files d’arcades. Mais, devait-il passer justement par-là? Ne pouvait-il pas descendre par la porte Montanara et arriver sur la place depuis la Rocca ?
Otello se réjouissait toujours de son rôle d’antitout : — tu t’étonnes qu’on ait tout détruit juste pour offrir un passage confortable et sécurisé au roi, tandis qu’à Bologne, à cette même période, c’était le peuple qui abattait les remparts sous le prétexte de rompre l’isolement !
— D’accord, mais ici c’était plus délicat, les remparts arrivant jusqu’au cœur de la ville, dit Pio.
— Les démolitions l’ont amputée et estropiée, ajouta Stelio, d’une voix ferme. Mais, Cesena, pour se donner une contenance, a accepté, avec enthousiasme même, de se laisser enlever les entrailles.
« Pas question d’entrailles ! » pensait Pio, « notre place est une personne vivante ayant perdu un bras au lieu de l’intestin. Une personne toujours en train d’agiter ce bras perdu dans l’air vide ». Il se sentait démoli.
Stelio plissa les yeux, pour cibler le monastère du Mont, là-haut, envahi de lueurs et de souvenirs lointains, tandis qu’Otello s’interrogeait quant à une œuvre cohérente avec le passé, mais aussi adaptée au présent de ce quatrième côté de la place, qu’on ne pourrait pas imaginer plus moche. Au terminus d’une série de suggestions aussi rocambolesques qu’irréalistes, il se réfugia dans son terrain expérimenté de l’opéra lyrique et décréta que l’œuvre la plus appropriée pour une Cesena séduite, abandonnée et condamnée à mourir de phtisie,  n’était pas la Bohème de Puccini, mais la Traviata de Verdi.

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Tandis que les amis s’éternisaient dans une discussion dont il ne voyait pas le but, Libero plongeait de nouveau dans sa maladie. S’agrippant au parapet de ciment, par un élan adéquat il se hissa sur les mains, réalisant son but à lui, c’est-à-dire une verticale parfaite, la tête en bas. Il demeura longuement immobile, ouvrant et refermant les jambes comme un compas. Le sang à la tête colorait sa figure de violet. Il ressemblait à une voile confiée au vent.
Le soleil était maintenant voilé de nuages rougeâtres.
Quand il retourna à la  station normale debout, Libero n’était pourtant pas moins partagé qu’avant. Les discours des amis, qui l’auraient séduit jusqu’à hier — en lui tenant compagnie, comme une ritournelle de fond instructive, dans le rythme répétitif des rendez-vous familiaux et de l’attente sereine du sommeil nocturne –, ces discours maintenant frappaient de façon hostile contre sa porte, en un son sourd et angoissant, bien sûr sans qu’il n’y en ait l’intention. Contre sa porte entrouverte d’où il avait glissé comme une souris pour aller à la rencontre de Solidea. Contre la porte de sa petite maison en désordre qui tendait tout vers lui, contre cet indéniable témoignage physique de ses passages, de ses ardeurs, de ses représentations, de ses silences magiques et éloquents.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 6  mai 2013

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V Les amants 4/4 (il quarto lato n. 13)

30 mardi Avr 2013

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il quarto lato

paolo e silvia 740

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Les amants IV/IV (de « Il quarto lato », Éditions « Il Ponte Vecchio », Cesena, 1998, chap. V, pages 60-62)

Ils montèrent dans la vieille Skoda rouge de Libero, sortirent de la ville, longèrent un quartier populaire aux grands immeubles gris, tournèrent à gauche, s’acheminant vers la grande route en direction de la mer. À Cesenatico, la voiture se faufila dans une ruelle tout abîmée qui longeait de hauts murs couronnés de haies. D’un coup, elle se trouva dans un grand boulevard baigné de lumière. Plus avant, au-delà d’un bar-tabac, l’hôtel Plaza les attendait.

Libero se glissa en dehors de la voiture en laissant Solidea interloquée. Il chuchota avec un gardien africain. Laissa en gage son sac de prestidigitateur obtenant en échange une clé démesurée.

Une fois la porte fermée derrière eux, ils s’abandonnèrent sans attendre à un baiser intense et total. Solidea enleva la lourde couverture. Ils se déshabillèrent avec naïveté et résignation. La chambre ressemblait à une gloriette auquel des draps décolorés seraient accrochés. La semi-obscurité faisait lever le lit à une hauteur moyenne entre le plafond et le sol. L’odeur de tapis mouillé montait depuis la terre tandis que deux tableaux tout à fait inattendus d’un timide peintre du dimanche se noyaient dans les murs.

Libero dans sa fougue se réjouit de la rondeur de ces seins durs, de ces aisselles humides, de cette taille fine, de ce corps clair et menu et aussi de cette bouche qui tendait la langue au-dessus des dents en exhalant un son douloureux et enchanteur. Mais, il souffrit de son incapacité à transformer cet embarras en totale dévotion.

Solidea dans son abandon se réjouit de cet homme lisse et souple, capable d’autant de force et de gaieté, de cette bouche qui poursuivait chaque repli de son corps heureux et épuisé avec une insistance aussi sauvage que méticuleuse. Mais, elle souffrit de ce roulement incertain qui semblait amener le plan incliné de sa vie vers un gouffre où la douceur et le plaisir tantôt fusionnaient tantôt se séparaient brusquement.

La Skoda rouge parcourut à rebours la route pour revenir de l’hôtel au lieu de leur rendez-vous. Les deux amants étaient sereins et rassurés. L’action terrible et interdite s’était révélée en vérité assez simple, il n’y avait pas besoin d’adjectifs et de commentaires sur cela.

Maintenant, l’histoire pouvait continuer à l’infini, protégée par des divinités bienveillantes, c’est-à-dire des hôteliers complices ou des amis accueillants.

Ou alors elle pouvait assumer une allure tout à fait contraire.

Mais, il n’aurait pas pu se présenter le risque de monotonie et de  désolation dans la tour sans portes ni fenêtres et  clés où habitaient les rêves et les délires de Libero et Solidea !

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 30  avril 2013

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