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Barnabé Laye : le rire sous le chapeau

06 vendredi Juin 2025

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Barnabé Laye, Poètes et Artistes Français, Portraits d'ami.e.s disparu.e.s

Barnabé Laye (Porto-Novo, Bénin 11.6.1941 – Paris 3.04.2024)

En retard par rapport à ce que j’aurais voulu, je me suis décidé à sortir de mon deuil solitaire, et de reprendre des publications régulières sur mon blog, ayant demeuré longtemps silencieux. La première personne qui me vient à l’esprit est un « grand homme vrai », qui m’avait fait l’honneur de son amitié fraternelle : Barnabé Laye, médecin, poète et romancier.

« Gravées sur la peau du temps nos lignes de vie nos errances/ Et l’obscure destin qui nous pousse en avant.. Nous ne savons rien de ces alphabets impénétrables/ Saignés dans le granit au bord du chemin./ Nous marchons dans le brouillard des vaines espérances/ Et des horizons de muraille. »

Dernièrement, avec Barnabé Laye, on s’était perdu de vue. Avec le temps, j’avais été confronté à la maladie invalidante de ma femme, puis à l’enfermement du COVID-19, ensuite… Nous nous envoyions des promesses de nous revoir et de temps en temps des marques d’estime sur Facebook.

Quand Claudia est décédée, j’ai cherché les seuls amis auxquels je tenais à cœur, en leur demandant de venir à cette cérémonie du dernier adieu se déroulant au Crématorium du Père Lachaise. Dans le brouillard des souvenirs enchevêtrés de la veille, je me souviens pourtant de son appel téléphonique : il était à l’étranger, peut-être dans son Bénin natal, mais il m’avait dit chaleureusement qu’il viendrait sans faille, ce samedi 17 février. Ce jour-là, il y avait un peu de confusion : on ne nous avait peut-être pas donné un repère précis pour nous regrouper, notre toute restreinte famille et les amis accourus à nous faire courage et partager avec nous les manque de Claudia. On était dans un couloir aussi sombre que solennel, en attendant de descendre dans la petite salle, quand je reçus l’appel de Barnabé, très agité et comme perdu dans les allées environnantes. Je lui expliquai le bon parcours pour nous rejoindre. Tout de suite après, on nous a amené en bas. Et je fus vite rassuré et ravi en le voyant paraître avec son chapeau sur la tête : « Viens ! viens à côté de moi ! Nous sommes les seuls qui ne se séparent jamais du chapeau, et nous sommes ici, ensemble ! » Il fut très content de me revoir. Sous le regard bienveillant de mon épouse, on allait débuter une belle rapatriée. Malheureusement, et moi je n’en reviens pas encore, rien qu’un mois et demi après cette rencontre heureuse, insouciante et prometteuse, Barnabé Laye nous a quitté. Je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé, car je l’ai su après ses obsèques . Ce samedi-là il semblait aller bien, il était serein, souriant… Je ne cesse de me demander pourquoi, si le pourquoi se trouve pour expliquer ce mystère de la fin et de l’absence.

En sortant de cette réunion, quelqu’un avait demandé à Barnabé comment, pourquoi nous nous étions connus. C’est un peu le réflexe typique des Français, celui de vouloir tout contrôler et caser dans une vitrine ou dans une logique connue. Barnabé avait promptement répondu que j’ai écrit une belle préface pour un de ses recueils et, ironiquement, avait ajouté qu’elle avait été très élogieuse, même au-delà… En fait, il le savait bien, l’amitié se déclenche en dehors de tout critère d’utilité, de reconnaissance et de possibilité de se rendre réciproquement service. L’amitié jaillit de l’intelligence de la vie qu’on a et qu’on reconnaît dans l’autre : une spéciale attitude à saisir au vol une certaine affinité dans la façon de voir les choses de la vie. C’est pour cela que l’amitié résiste au temps.

Barnabé Laye

Il y a aussi, si vous me permettez de plaisanter un peu, un autre élément qui a renforcé notre lien dès le début : la fidélité absolue au chapeau ! Récemment, en revenant de Rome — où s’était déroulée une émouvante rencontre autour d’un livre de poèmes de ma femme Claudia Patuzzi — j’avais fait une halte à Turin et je me promenais paisiblement avec ma fille sous les arcades de via Po quand un couple m’a souri. L’homme fit aussi un geste, pour m’inviter à m’arrêter et échanger quelques mots. Pris dans mes pensées je n’avais pas compris ce geste que lorsque ce dernier s’était éloigné : il portait en fait un chapeau très semblable au mien. Mais je ne pense pas que ce geste de sympathie, ce besoin de parler venait d’une forme de collectionnisme ou d’une conception élitaire de l’existence. Tout au contraire : le chapeau le rassurait et me rendait « intéressant » à ses yeux. Et cela je peux le confirmer parce que le hasard voulut qu’en sortant du train arrivé en grand retard, j’étais très fatigué et j’avais voulu prendre un taxi. Là, sur le parvis de la gare de Lyon, dans l’agitation d’une queue névrotique, harcelée per les taxis abusifs, le Monsieur du chapeau est réapparu. Il s’agissait d’un couple d’Anglais vivant à Paris mais mordu de Turin, comme moi. Hélas, on était en train d’avancer un peu dans notre connaissance quand, sans nous donner le temps d’échanger nos coordonnées, notre taxi est arrivé… Et maintenant je me demande s’il y aura une troisième occasion de se rencontrer un jour, quelques part à Paris, ou à Turin, à ce même endroit…

Barnabé Laye (Porto-Novo, Bénin 11.6.1941 – Paris 3.04.2024)

Revenant à lui, à mon ami perdu, je regretterai toujours le temps raté où j’aurais voulu converser, longuement, calmement, avec Barnabé, lui poser un tas de questions… J’irai chercher ses réponses dans ses vers immortels… dont quelques-uns avais-je assimilés lors de ma préface à ses Fragments d’errances [Acoria Éditions, 2015, 74 pages] :

Le regard poétique et la voix de Barnabé Laye

« Regarder le miroir en face/ Depuis longtemps j’ai redouté la terrible sentence/ Les deux mains sur le visage je me protège/ Comme l’autruche la tête au creux du sable… »

Toute épopée commence par un miroir, miraculeusement entier ou cassé, dans lequel le héros interroge son âme cachée ou son alter ego, avant de partir, brisant le miroir avec son corps, comme le fit l’Alice de Lewis Carrol, ou alors s’acheminant sur le côté, à reculons, toujours en lançant à ce redoutable interlocuteur — menaçant ou complice — un regard fugitif et fragmentaire.

« Toi homme… / Tu ne sais pas choisir entre l’amour et la vérité/ …/ Tu observes les étoiles petits soleils d’un ciel sans présages/ Tu aurais tant voulu regarder la mer. »

Le voyage que Barnabé Laye voudrait entreprendre n’est pas seulement le voyage à rebours dans le temps et dans la conscience que fit Ulysse. Le personnage qu’il incarne a bien sûr besoin, un besoin primordial et absolu, de revenir à certains nœuds et à certains lieux. Il a besoin de protester son déracinement précoce, sa rupture avec le monde d’où il a dû partir trop tôt.

« Tout s’est arrêté là/ À cette non-enfance/ …Je ne serai jamais un petit vieux/ …/ Je me blottirai dans le désordre d’un lit de tempêtes/ Porteur d’impétueuses circonstances. »

Il regrette une adolescence sinon une enfance qu’il n’a pas eues dans son milieu d’origine, sous le même ciel avec d’autres enfants et adolescents comme lui. Il professe donc la « nécessité » de partir. En même temps, il ne se cache pas l’inutilité de tout « retour sur le lieu du délit ». Tout y est changé, désormais ; tout y sera méconnaissable et perdu :

« C’est la saison barbare, la terre craquelée à mille endroits saigne et pleure. »

Quel est alors le thème dominant, le vrai thème, de ce texte important de Barnabé Laye, proposé sous le titre humble et prudent de « Fragments d’errances » ? Est-ce vraiment le voyage ? Si, dès le départ, on sait déjà qu’on ira à la rencontre de déceptions de plus en plus cuisantes et amères, à quoi bon alors raconter à nous-mêmes le puits de douleur sans fond de l’existence d’un poète ?

« Puiser dans la nuit/ Puiser dans le jour/ Nous rions à l’ombre des pleurs et des mascarades/ Parfois il suffit d’un ciel bleu/ Pour croire à l’avènement d’improbables miracles. »

Ce que j’ai retenu de la lecture de cet archipel de mondes, de voix et couleurs que Barnabé Laye a su dresser pour notre consolation et plaisir, c’est qu’en ce cas le voyage, appelé poétiquement « errance », n’est pas le voyage d’un seul homme avec une seule valise pleine ou vide. Il s’agit ici du voyage de notre civilisation même, incarnée par un homme courageux et digne. Un homme qui au cours de son existence a évolué énormément dans la science et dans l’art, sans jamais renoncer à sa nature, à sa spontanéité, à son penchant pour la rêverie et la poésie :

« Seul le bonheur est vrai/ Tout le reste est palabre ».

Cet homme héberge en lui l’homme Barnabé Laye, bien sûr, l’auteur de « Par temps de doute et d’immobile silence » ainsi que d’« Une femme dans la lumière de l’aube », œuvres remarquables et touchantes parmi tant d’autres. Mais, il se laisse aussi forger, façonner, abattre et parfois meurtrir par ce énième voyage qu’il entreprend pour accomplir sa mission, dans l’espoir d’en revenir enrichi de valeurs et témoignages à transmettre… Un voyage pourtant difficile, où l’insouciance de la découverte sera inévitablement contrariée. Est-ce qu’il a déjà le sentiment que sa mission pourrait ne jamais s’accomplir ?

« Chacun de nous livre des batailles/ Que les autres ignorent. »

Cette phrase ne nous donne qu’une réponse partielle. Tous ceux qui liront les poèmes de cet extraordinaire recueil tomberont plusieurs fois amoureux de phrases poétiques comme cette dernière, où Barnabé Laye, par une espèce de furie ou de folie, réussit à traîner par la seule force des mots, sur la passerelle d’un plateau invisible, des images réelles qu’il associe les unes aux autres dans un esprit de pure fraternité et de sereine bienveillance :

« Voici venir/ Les mots pour incendier les mensonges/ Les éléphants s’en vont jouer à la marelle. »

Il obtient cela comme par hasard, laissant surgir les montagnes du fond de la mer, la beauté extrême au milieu des infinies répétitions sans éclat de la vie ordinaire. La structure même de ce roman poétique a été conçue, à mon avis, en fonction de cette continue alternance entre réalité et rêve, amertume et espérance que toutes les âmes sensibles rencontrent dans le quotidien.

« Il faudra oublier les nuits du doute et des nostalgies/ …/ Et partir comme un envol de goéland au-dessus de l’océan/ Laisser dormir le mystère des cloportes sous les pierres. »

Les artistes aussi ont leur quotidien, leurs moments d’ennui ou de manque d’inspiration. Mais les poètes ne sont pas tous en mesure de l’admettre, d’accepter le caractère fragmentaire inévitable de toute œuvre poétique. Barnabé Laye, en homme vrai et poète vrai, ayant un but plus important que la poésie même, ne se borne pas à accepter ces limites, il les transforme en belle occasion. Car il utilise justement cette alternance entre prose poétique et poésie pour tisser la trame de sa fresque, pour peindre ou reconstruire les mondes que son personnage va traverser, toucher, respirer.

« Marcher pendant des heures dans le désert vert/ Il pleut des soleils et des ciels bleus/ Sur les coteaux sur les hautes vignes à l’infini. »

Voilà un exemple de ce que j’appelle « prose poétique », indispensable trait d’union narratif pour transformer le traditionnel recueil de poèmes en « récit en vers » où pointent, comme autant de perles, les morceaux où la poésie de Barnabé Laye est absolue et totalement autonome vis-à-vis de propos plus vastes sur le plan philosophique. Nous sommes en définitive invités dans un long poème ou tout est extraordinaire : la forme, le contenu et aussi la mise en place d’un récit versifié tout à fait libre qui offre aux lecteurs la possibilité de deviner ou imaginer une histoire — l’histoire de la vie de Barnabé Laye ou celle de tous les hommes généreux comme lui —, jusqu’à atteindre la possibilité de lire tout cela comme un roman :

Barnabé Laye (Porto-Novo, Bénin 11.6.1941 – Paris 3.04.2024)

« Seul/ Dans la maison cimetière/ Au milieu de ceux qui dorment sous les dalles de pierre/ Ils sont partis les uns après les autres les aïeux le père la mère/ …/ Seul / Comme un étranger dans la vieille bâtisse catafalque je suis de passage/ …/ Faut-il fermer les paupières pour apercevoir les silhouettes et les traits/ De ceux-là qui jadis parlaient marchaient riaient en ce lieu ? / …/ Sortir/ Sortir au plus vite du piège avant d’être englouti par le sortilège/ Presser le pas s’éloigner. »

Barnabé Laye est un poète, un grand poète. Ce n’est pas nécessaire, avec un auteur d’une telle envergure, de rappeler qu’il est aussi un écrivain, un grand écrivain. Mais ce poète et écrivain vit comme nous et avec nous dans un monde qui change où, pour tout dire, les évènements se précipitent au bord d’un chaos annoncé :

« Il n’y a pas d’étoiles dans les ciels noirs des temps d’holocaustes et d’ignominie. »

Il en est parfaitement conscient et pourtant il ne se dérobe pas à sa mission d’homme se trouvant à un moment clé de sa vie qui l’oblige à s’interroger sur le sens de son art et de sa poésie dans un univers en perpétuelle mutation.

« Peut-être qu’un jour/ Par temps de pluie par temps d’oubli par temps d’insouciance/ Personne ne lira nos noms sur les dalles de pierres des monuments… »

Voyager, ce n’est pas seulement se perdre dans la beauté de la nature. Voyager, c’est justement aller à la rencontre des hommes et des femmes d’autres cultures, en faisant tous les efforts pour rentrer dans leurs langues et leurs mœurs. Car, le voyage vers un « ailleurs réel », permet de multiplier ses expériences, ses émotions et de développer davantage son talent pour en transmettre plus tard les vibrations et les couleurs…

« Il faudra se débarrasser des habits d’imposture/ Pour empêcher notre horizon de disparaître… / … / Un jour/ Il faudra briser la glace. »

Avec ce texte qui nous fera longtemps rêver et voyager, nous découvrons en Barnabé Laye le poète engagé que nous avons connu déjà dans ses premiers livres. Inlassablement, il construit des ponts pour le partage de la diversité entre les hommes et les femmes de notre temps. Partage de la beauté et de la poésie. Partage de la sympathie et de la compassion. Il ne peut s’empêcher de s’interroger sur le spectacle désastreux, ici et là, des conflits et des guerres. Le voyage ? Que deviendra-t-il le voyage ?

« Nous marchons dans le brouillard des vaines espérances/ Et des horizons de muraille. »

Fragments d’errances nous laisse, après sa lecture, les échos des voix d’ici et d’ailleurs. Des paysages et des visages hantent notre mémoire. Des mots affluent qui résonnent encore dans notre esprit et affleurent presque aux lèvres.

« …les oracles/ Se sont tus depuis longtemps/ …/ Maintenant courent partout des odeurs de genèses oubliées/ …/ Ce soir/ Rien dans le corridor du silence/ Une guitare pleure sur un lamento de Jimi Hendrix. »

Les deux chapeaux

Giovanni Merloni

« Guetter pour ne pas sombrer » : la poésie de Richard Soudée à l’encontre de la nostalgie et de la peur

20 mardi Nov 2018

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« Guetter pour ne pas sombrer » : la poésie de Richard Soudée à l’encontre de la nostalgie et de la peur  

Dans les rues de Paris
Je lance des flèches fulgurantes
Les flèchent font mouche
Et leur magie se répand indéfiniment
Par la couleur incendiaire qui reste au cœur
Par la masse verte qui s’installe au ventre et remonte
En pleine floraison
Dans la poitrine de mes amis

Richard Soudée, extrait d’un poème pour Mimi (page 77)

Le matin du 7 mai 2016, nous étions de bonne heure, ma femme et moi, à la Gare de l’Est avec notre billet Transilien. Nous songions à quelqu’un qui viendrait nous récupérer à la gare de Coulomniers pour nous emmener ensuite au cimetière de Pommeuse, où devait se dérouler une cérémonie pour Pierangelo Summa, ayant disparu l’année précédente. Mais c’était trop tôt et Mirella, la veuve de Pierangelo, avait insisté : « Vous venez avec un de mes amis, je lui parle et je vous rappelle… »
C’est comme ça que j’ai connu Richard Soudée. Collègue de Mireille Summa à l’université, celui-ci avait consacré sa vie au théâtre et à la poésie. Mais, comme il arrive souvent dans les rencontres humaines, surtout quand des sentiments d’amitié s’y installent, il m’a fallu beaucoup de temps avant de l’apprendre pleinement.
Pendant le voyage d’aller j’ai su presque immédiatement que cet homme doux, mesuré et pourtant ferme et intransigeant en ses propres convictions était gravement malade. Depuis trois ans désormais, il luttait avec la mort, essayant de se frayer un chemin parmi les redoutables protocoles et le manque total d’initiative et, parfois, de compétence, chez les médecins hospitaliers : « Il faut vraiment avoir de la chance ! C’est rare de trouver la bonne personne ! Il faut se battre si l’on veut que notre corps survive ! »
Avec la complicité ouatée de la voiture avançant sous le ciel incertain de la région parisienne, Richard Soudée me fit cadeau d’un long récit très spontané où s’invitaient de nombreuses suggestions.
Bien sûr très discrètement, comme c’était sa coutume, il me parla, par exemple, de la maladie et de la mort de son père, dont il avait enfin « décidé » de s’occuper, jusqu’à l’aider à manger et lui fermer les yeux…
Ensuite, de façon enthousiaste, s’accompagnant de gestes nets et efficaces, il me parla d’une exposition, à Paris, titrée « Carambolages », que je n’avais pas vue, où les termes du discours se mêlaient, se croisaient et changeaient d’orientation… Je compris mieux, beaucoup plus tard, cet esprit de collage et réinvention des objets — qu’ils soient mots, gestes, personnes ou musique, peu importe — d’où se déclenchaient une mise en scène théâtrale et, parallèlement, une nouvelle création poétique et artistique. Une sorte de pop art multimédia où l’être humain est toujours au centre ?
Je ne savais pas bien situer son travail à l’université et je n’imaginais pas combien lui appartenait cette hypothèse de création artistique dont il parlait apparemment « de l’extérieur », comme un habitué des expositions parisiennes.
Il ne pouvait savoir non plus combien tout cela pouvait m’intriguer. À mon tour, je ne lui dis rien ou presque de mon activité de peintre ni de mon penchant particulier pour le dessin et le collage, par exemple. D’ailleurs, il n’a jamais vu mes tableaux suspendus entre le reportage passionné des vicissitudes humaines et l’exigence de briser par des couleurs rayonnantes la toile blanche là où le dessin commence à prendre corps.
Au cours de cette inoubliable traversée, nous avons aussi confronté nos ressentis au sujet du film très touchant que Sara, la fille de Pierangelo, avait réalisé pendant la maladie de son père et après sa mort. Richard me donna alors une première idée de son engagement artistique avec Pierangelo, en me parlant, entre autres, de sa participation à l’adaptation théâtrale des « Bonnes » de Jean Genet que j’avais vues aux « Déchargeurs » en 2011.

Mirella, Sara et Robin Summa à Pommeuse

À notre arrivée à Pommeuse, d’autres émotions prirent le dessus. Dans le petit cimetière, Mirella, Sara et Robin Summa avaient choisi un rectangle de pré libre au milieu des tombeaux pour y planter un arbre où des photos et de petits objets étaient accrochés pour honorer la mémoire de Pierangelo, cette personne unique qui nous avait quittés. Mirella proposa de belles chansons populaires d’Italie et chacun de nous dit quelques mots. Richard Soudée lit une poésie triste et confiante à la fois, dont j’aurais aimé avoir une copie…
Sur la voie du retour, il nous partagea la petite joie qu’il pouvait s’accorder de temps en temps, en se rendant à Barbizon, où déjà son père louait un appartement, dont il avait « hérité » le loyer et l’autorisation à profiter d’une partie du jardin, ce que Richard faisait volontiers, se chargeant de l’entretien de quelques plantes. « Je connais Barbizon ! » avais-je observé, enthousiaste : j’avais beaucoup aimé le petit musée avec les œuvres des peintres de l’école de Barbizon avant de m’aventurer de quelques pas dans l’incontournable forêt de Fontainebleau. Moi aussi, j’aurais aimé habiter à l’orée d’un bois comme ça !

En nous rapprochant de Paris, nous parlâmes longuement de « L’infini » de Giacomo Leopardi, le plus grand poète italien du XIX siècle. Je venais de voir un film qui avait méchamment maltraité en lui l’un des pères de notre patrie souffrante, alors comme aujourd’hui, sous le prétexte de ses handicaps physiques et m’étais plaint aussi pour la désinvolture par laquelle l’écrivain René de Ceccatty, dans un livre sur Leopardi, s’était autorisé à développer avec insistance le thème de l’homosexualité présumée du poète. On se quitta avec ma promesse de lui envoyer ma traduction en français de l’infini, ce que je fis, je crois, le jour même…

Robin, Sara et Mirella Summa avec Richard Soudée à Pommeuse

Quatre mois depuis, le 2 septembre 2016, Richard m’invita au « 6b », cet immeuble à Saint-Denis qu’on avait sauvé de la démolition pour le consacrer à l’expression artistique. J’eus là l’occasion de le rencontrer et l’embrasser à nouveau, avec sa femme Mimi et son fils Michel, peintre et dessinateur dont j’admirai beaucoup le travail. Je fus aussi touché par une grande toile, signée par Émilie, la compagne de Michel, qui trônait avec des sentiments joyeux au milieu d’une exposition collective pour la plupart « problématique ».
Mon commentaire d’alors fut l’occasion, pour Richard, de découvrir « le portrait inconscient », qu’il apprécia vivement. Cependant, nous n’avons pas approfondi, malgré nos intentions réciproques, le côté convivial de notre estime et amitié réciproque. C’est un manque que je regretterai toujours, dont je ne suis pourtant pas en mesure de me donner une explication, au-delà de la lourdeur de la vie et des engagements s’alternant aux inquiétudes de la famille et de l’âge…

Richard Soudée à Pommeuse

Le 9 mars 2017, avec sa femme Mimi, Richard a assisté au spectacle « Tellement belle est la vie » où ma fille Gabriella, accompagnée par un jeune guitariste, chantait de belles chansons italiennes et françaises qu’accompagnait un texte de moi sur le thème de l’installation d’une jeune fille à Paris. Richard n’hésita pas, en cette occasion, à relever les quelques petits embarras scéniques, qu’avait causés à Gabriella l’alternance des textes et des chansons. Sinon, il était visiblement content d’être là, et je lui fus très reconnaissant.
Plus tard, le 18 mai 2017, je rencontrai Émilie Sévère à la galerie 1618, rue Richer, ayant ainsi l’occasion de voir une belle série de ses tableaux aux tailles variées qui entouraient la grande œuvre que je connaissais déjà, et j’en parlai dans ce blog avec admiration sincère.
Je me souviens bien de cette journée où je me rendais à la rue Richer, les jambes lourdes, la tête légère et le souffle coupé. Je venais, je crois, d’une période de surmenage dans l’écriture, ainsi que de manque de promenades et d’exercices quelconques. Et je me rappelle bien le plaisir de cette rencontre entre la jeune peintre pleine d’énergie et de confiance — tempérée par une sévérité de fond avec elle-même (lui dérivant peut-être de l’austère nom de famille) — et le vieux peintre ayant eu une carrière de rencontres heureuses et de trains ratés : il fallait que j’accepte l’âge de mon image et que je laisse aux nouvelles générations la faculté de prendre acte ou pas de ma contribution acharnée d’artiste sincère…

Voilà donc le temps passé. Dans les mois suivants, je n’ai plus revu Richard ni Mirella non plus. Au marché de la Poésie de Saint-Sulpice, j’ai rencontré juste Robin, le fils cadet de Pierangelo, qui maintenant lui ressemble comme une goutte d’eau… Ensuite, quelques problèmes ont gêné et même obscurci l’horizon de ma vie, avec la sensation d’un changement important. Cela a fait brusquement jaillir la nécessité, face au temps qui se réduit et va bientôt disparaître, d’assumer jusqu’au bout ma nature de poète et d’artiste souvent sacrifiée.

Le 6 octobre 2017, j’ai eu ma plus importante rencontre, tête à tête, avec Richard Soudée. Il m’avait envoyé un message pour demander mon adresse : il voulait m’envoyer son recueil poétique, « Fleurs de la trace » (L’Harmattan 2017, 138 pages), qui venait juste d’être publié. Je répondis que j’aurais aimé profiter de cet événement pour nous rencontrer et échanger un peu. Ce qui arriva dans un bistrot place de la Contrescarpe… Je ne lui cachai pas que j’aimais énormément cet endroit au nom si typiquement parisien. Mais là, j’oubliai de lui dire qu’un jour d’été de 1989, j’avais assisté, avec mes deux enfants aînés, juste à côté de notre bar, à un extraordinaire spectacle de rue : un homme et une femme revêtus à la mode du XVIIIe, avaient joué, devant une quinzaine de passants étonnés, une petite farce au sujet du « ménage à trois »…
D’ailleurs, je crois avoir compris que la rue Mouffetard et la Contrescarpe, pas loin de différents sièges universitaires, ont été des endroits très chers pour Richard Soudée tout au long de sa vie… Une vie quand même assez variée et riche selon le récit qu’il me fit dans ce bar, avec un enthousiasme contagieux. Histoire d’une génération foudroyée par soixante-huit et les espoirs des années soixante-dix, comme pour moi. Histoire dont on trouve quelques « traces » dans ces « Fleurs de la trace » dont il me parlait tel un fleuve. Je suis porté à donner davantage importance à certaines nuances et inflexions de la voix qu’à la reconstruction complète et exhaustive d’un parcours de A à Z… Donc, en l’écoutant, je ne retenais que des mots-images : le « disque » de Léo Ferré inspiré par les vers de Louis Aragon ; le « printemps des poètes » dont Richard s’était chargé au temps du Théâtre de Liberté ; la rencontre avec « Mehmet » Ulusoy, l’acteur et metteur en scène turc exilé en France après une collaboration avec Giorgio Strehler à Milan ; la fructueuse collaboration avec Mehmet jusqu’à la découverte d’un monde qui depuis toujours l’attendait. En fait, la « Martinique » d’Aimé Césaire marqua en 1975 le tournant décisif de sa vie, avec la rencontre de sa Mimi : « avant, je courais d’une aventure à l’autre, sans vraiment m’engager. C’est avec Mimi que j’ai découvert en profondeur le sentiment de l’amour et le désir de me créer une famille… »
Avec la joie de quelqu’un qui atteint finalement un but primordial, Richard me raconta la « facilité » qui avait accompagné la « mise en scène » de « Fleurs de la trace », une véritable pièce théâtrale en vers et prose poétique qui est en fin de compte le roman de sa vie : on y découvre d’abord un long préambule scandé douze fois par la fabuleuse expression « J’ai grandi » ; ensuite, on est transporté par les multiples éruptions poétiques qui ont accompagné son adolescence et sa première maturité sous le ciel de Paris, avec des anticipations concernant par exemple sa rencontre cruciale et charismatique avec Aimée Césaire et ses « lucioles » ; on plonge enfin dans la scène finale, se déroulant dans le « carbet » du « colibri ».
Au bout de cette rencontre à la Contrescarpe, après nous être congédiés au beau milieu de la rue Mouffetard, j’ai réalisé tout de suite que Richard Soudée avait montré beaucoup de confiance en moi et me jugeait à la hauteur d’un commentaire fidèle de son livre. Cependant, il ne pouvait pas savoir qu’il m’était difficile d’assumer jusqu’au bout ma facilité pour le reportage, au détriment de ma nature d’artiste et de poète. Il ne pouvait savoir non plus que cela n’avait rien à voir avec mon intérêt spontané pour tout ce qu’il m’avait raconté de lui, donc une grande curiosité pour ce texte poétique. Voilà pourquoi je n’ai su prendre immédiatement le recul ou, si l’on veut, la juste distance au personnage de Richard Soudée pour lui consacrer, comme je l’avais fait pour bien d’autres, un commentaire digne et équilibré.

Richard Soudée debout, à l’Harmattan, le 9.12.2017

Je m’accrochai à toute une série de matériaux qui m’étaient devenus indispensables, et même après la présentation du livre à l’Harmattan, qui s’y déroula le 9 décembre 2017 — il y a presque un an — ne trouvant pas chez le disquaire de rue des Écoles le disque de Léo Ferré, je finis par mettre ce projet de côté.
Plus tard, ma vie s’est davantage compliquée avec le défi de consacrer l’année 2018 de façon prioritaire à la peinture, qui m’a énormément absorbé, avec une sérieuse réduction de mon activité sur le blog.
Je n’avais plus de nouvelles de Richard et je menais en général une vie en retrait quand j’ai décidé de m’accorder de très courtes vacances en Normandie. Au petit matin du 17 août, je me suis levé dans un hôtel du Tréport encore endormi, après des rêves sans doute inquiétants dont je n’ai pas de souvenir… quand j’ai cogné très fort de la tête un écran télé saillant du mur juste au passage. Plus tard, j’ai perdu mon iPad où toutes les photos et les vidéos de la rencontre à l’Harmattan étaient gardées. En ce moment-là, Richard était encore vivant. Il est mort le lendemain, le 18 août, à l’hôpital des Peupliers. Il a été inhumé dans le cimetière de Barbizon.

Richard Soudée à l’Harmattan le 9.12.2017

Encore dans un état de bouleversement profond pour la nouvelle de cette mort doublement insupportable – une véritable défaite pour nous tous, après sa lutte si intelligente et courageuse -, que j’ai apprise mardi dernier par la grâce d’une lettre de son fils Michel, je voudrais vous inviter, sans autre commentaire, à la lecture de quelques extraits de « Fleurs de la trace » (L’Harmattan 2017, 138 pages) tout en savourant les images et les vidéos que j’ai eu la chance ensuite de récupérer.
Mais avant, je vais vous partager mon hypothèse personnelle au sujet du but primordial qu’avait ce livre pour son auteur. Frappé par une maladie inexorable, Richard Soudée a dû voir instant après instant s’écouler devant ses yeux la terrible relativité et vanité des choses de la vie. Une vie qu’il avait jusque là consacrée aux autres, suivant son caractère enthousiaste et humble à la fois. Il avait découvert la poésie, comme il dit, parce que, selon les attentes de Mehmet Ululoy, il fallait faire du théâtre avec la poésie. Ou alors il avait découvert la poésie à la suite de ce geste de rupture et de survie de s’acheter le disque de Ferré-Aragon sans même posséder un tourne-disque. Ou bien il avait écrit, de ses seize ans déjà, une poésie que quelqu’un d’autre plus tard lui redira, l’ayant apprise par cœur…

Puisque personne ne le faisait pour lui, cet homme toujours en retrait, disponible et généreux s’est décidé un jour à se raconter, moins pour le plaisir de goûter sa propre « madeleine de Proust » que pour le devoir de dévoiler le personnage ou, plus encore, la personne merveilleuse qu’il a été. Une vie de détresse et brûlante d’amour n’engendre pas en elle seule un poète. Parce qu’il y a un moment, un passage, une épreuve qu’il faut exploiter pour passer du fait d’écrire des poésies à celui d’être un véritable poète. Mais cet homme durement menacé, cet être aux heures comptées a finalement ramassé le gant du défi épouvantable que depuis toujours il s’était lui-même lancé et s’est forcé à raconter comment naît, grandit, s’épanouit et meurt un poète.
Spontanément et à son insu – car il aurait pu et dû être le premier pas d’un nouveau chemin de découverte et de gloire -, « Fleurs de la trace » devient ainsi le chant du cygne de Richard Soudée et en même temps la « fleur » la plus épurée de son « œuvre complète » : cette immense, prodigieuse production poétique et artistique, fixée sur le papier ou immatérielle, qu’il a généreusement donnée aux autres pendant les cinquante années de son engagement artistique et culturel ininterrompu.
Grand animateur de récitals poétiques et de spectacles, il avait longuement exploité son penchant pour la poésie dite se rebellant à la poésie écrite, donc pour la chanson où tout se harmonise et se synthétise. Un petit grand trésor dans ce domaine où la passion politique et le sentiment du partage humanitaire ne sont pas étrangers, c’est la collection des 41 morceaux de « Musaïca chansons d’enfance des émigrés » (de tous les continents).  

Dans « Fleurs de la trace », son naturel de jongleur et de troubadour, se mariant à la maîtrise de la scène théâtrale, l’amène à regrouper les événements de sa vie, constellée de contrariétés, d’illuminations et de joies profondes, autour de trois primordiaux piliers.
Le premier pilier c’est l’enfance, avec cette obligation de « grandir » dans un monde où les découvertes ne s’associent pas toujours au bonheur. Ce garçon très sensible, spontanément porté à aimer, aura de la peine à s’aventurer dans le monde adulte. Ce seront pourtant les souffrances endurées qui lui octroieront, avec la poésie, une force et une résistance incroyables devant les averses de l’existence.

C’est depuis le deuxième pilier de la vie menacée par la maladie qu’il peut considérer tout cela jusqu’au bout, avec un œil désenchanté et passionné à la fois : il observe son existence depuis un balcon tout à fait dépouillé et, tout en se sentant éloigné et perdu, il savoure l’essence de ce qu’il a éprouvé quand il était un homme jeune et résistant, tout en laissant filtrer de son for intérieur les angoisses et les peines que la maladie physique lui emmène.

…La mort qui rode dans mes veines
ressemble à trois chiens trop battus
qui fidèlement se souviennent
des soirs qui n’en finissent plus…

Richard Soudée, extrait de Remuements (page 62)

Le troisième pilier c’est la découverte de l’ailleurs de la Martinique, ne faisant qu’un avec la rencontre avec l’amour, le vrai et total amour pour sa femme et sa culture.
Protégé par le carbet qui lui assure la parfaite coïncidence de l’amour et de la liberté, le poète s’oublie et adhère finalement à la joie pure de la poésie.
Avec tout cela, la poésie de Richard Soudée nous apprend à vivre avec le chagrin et la joie, à nous rendre courageusement, au jour le jour, à l’encontre de la nostalgie et de la peur !

Richard Soudée lit Fleurs de la trace à l’Harmattan le 9.12.2017

J’ai grandi sous un cerisier...
C’est là… que j’ai connu… le sentiment étrange de pouvoir dévorer sans m’apaiser.

J’ai grandi au cœur de la pluie…
…Cette eau remonte aujourd’hui en moi. Elle débonde et noie mon regard. Elle barytonne. Et je pleure à gros sanglots.

J’ai grandi au pied d’une machine à coudre…
…J’ai depuis lors conservé une secrète addiction au bruit des ciseaux bien affûtés, au froissement des taffetas, des crêpes et des dentelles, ainsi qu’au déchirement des draps. Quant à la fouille dans une boîte en fer pleine de boutons de nacre et de bois, de verre et de cuir, de porcelaine et d’os, de corne et de jais, de velours et d’ivoire, d’ebonite et de plastique, elle me rend fou.

J’ai grandi non loin d’un poulailler…
…Mon grand-père et moi récoltions les cuisses et autres parties nobles de la bête et ma grand-mère s’adjugeait sans sourciller l’ensemble des bas morceaux. Sous mon regard effaré, elle dégustait ainsi avec délices : la tête ornée de son bec et de sa crête encore tremblante, les grosses pattes écailleuses, munies de leurs ongles impeccablement taillées, et le croupion, fondamentalement mis à nu. Elle grignotait tout cela en prenant son temps, l’œil mi-clos.

J’ai grandi au bord de la mer
C’est là… les pieds nus dans le sable, que l’Ivresse de la liberté sans frontières m’a saisi. C’est là que j’ai couru loin des regards mêler mon rire à celui des mouettes, là que j’ai brisé le miroir des flaques à en perdre le souffle, là que j’ai embrassé la marée montante en buvant la tasse jusqu’à retourner mon estomac dans sa bouche salée…

J’ai grandi aux portes d’un buffet…
C’est devant ce buffet tabou que le dimanche matin, ma grand-mère nous mettait dans un tub, ma cousine et moi, nus comme des vers, et qu’elle nous frottait au milieu d’un nuage de vapeur pour extirper de notre peau la polissonnerie…

J’ai grandi avec la bourre d’un ours…
…Après la mort de ma grand-mère, l’ours trôna encore à la tête du lit — fièrement campé sur son derrière — jusqu’au jour où mon grand-père le trouva en charpie. Nul témoin, mais le soupçon se portait sur le chien de la voisine. Les morceaux jonchaient le lit et le sol. Éviscération, énucléation et déchiquetage indiquaient la jalousie rageuse de l’agresseur. La nouvelle me laissa transi.
Je vis alors en rêve les restes épars de l’ours et quand, avec effort, mes pas me rapprochaient de sa tête, c’est ma propre figure que je vis étendue.

J’ai grandi sur les planches
…Muette comme Baptiste et dans le même costume, je devins pour conclure une Colombine courtisée par un Arlequin jacassier… Puis, les poils m’étant poussés, !’ai soudain bondi sur scène pour déclamer « Ma femme à la chevelure de feu de bois » devant un parterre de lycéennes.
L’ivresse des planches s’est alors emparée de moi. Humant profondément l’ombre des salles, saisissant la lueur des étendues d’yeux et de dents, j’ai osé m’avancer sans masque, jusqu’au bout, jusqu’au bord, face au grand miroir noir qui rit, pleure, tousse et se mouche.

J’ai grandi dans un grand lit
Je ne distinguai de loin que le pied du lit. Il se dressait comme un arbre immense et je dus suivre un chemin étroit et sinueux avant d’entrevoir ma grand-mère. Elle me fit alors signe de venir me coucher près d’elle et je tirai le drap très fort pour la rejoindre.
Sa chevelure brune brillait sur l’oreiller. Dans la pénombre, ses yeux, ses mains et son sourire étaient énormes. Son chien dormait à ses pieds. Elle me prit alors contre elle dans ses grands bras et me conta l’histoire du Petit Chaperon rouge.

J’ai grandi au for de mon rêve
Loin du cerisier, loin du poulailler, loin du buffet, loin de l’ours, loin de la machine à coudre de mes aïeux, je suis entré en exil chez mon père et ma mère.
C’est là que l’on confisqua mes métaux pour que je ne m’évade pas de mes devoirs. On m’ôta le métal de mes voitures, le métal du Meccano, celui de mes avions et de mes chevaliers, jusqu’au bronze des figurines coulées spécialement pour moi par le compagnon poilu de ma grand-mère aux yeux bruns.
C’est là que sous le fouet j’entrai en résistance, par la grâce du papier de mes cahiers, par la grâce des murs de ma chambre, par la grâce des draps de mon lit. Mes rêves indomptables s’engouffrèrent dans ces cadres. Je fondis dans les draps frais comme neige brûlante dans la main. Je courus au plafond, tel un chat dans la cime des arbres. Je creusai sur le papier des sillons noirs où faire pousser mes graines.
Je trouvai sur la page le geste magique de mon grand-père, traçant ses espoirs avec une baguette sur un coin de terre battue. Mes vers et mes rimes furent ma sente tribale, ma secrète fratrie. Les empreintes du cuir sur ma peau — furtives scarifications — n’entamèrent pas ma sauvagerie.

J’ai grandi sur un tas de sable
Avec ma mère dans le rôle de l’aviateur, je jouais au Petit Prince : « S’il te plaît, dessine moi une fleur, un âne, ‘… » Et ma mère peuplait pour moi le désert. Nous avons ensuite brodé ensemble des marguerites colorées…
Avec mon père, je jouais sur une dune vierge. Nous construisions un monde avec des aiguilles de pin. Peut-être le plan d’un jardin ? En ces temps-là, le père partageait volontiers avec le fils un paradis qui ne lui appartenait pas.

J’ai grandi devant l’origine du monde…
…Tant d’années ont passé depuis la préhistoire des années cinquante ; mais, étrangement… le mystère de la Vénus me trouble encore. Depuis lors, patiemment, comme un saumon cherchant la source, je brise les écrans et —souriant aux crachats sur mon visage blême —je remonte les fleuves jonchés de corps pour embrasse le Sud la tête à l’endroit.

Richard Soudée, extrait de Toutes rouges, pages 11-27

Assise au bord du lit, les pieds dans l’eau, tu couvres de ta voix l’étendue de la mer. Et tes bras portent le néant d’un trône transparent. Un silence est né. Tu brises dans ta course tout le cristal de ville. Tu danses au pôle vert de l’hirondelle. Tes jambes montent dans le soir. Tu troubles les lueurs. Dans tes cheveux passent mes doigts et tu cours. Tes jambes glissent dans l’air nocturne. J’entends distinctement le bruit de feuilles sèches écrasées.
Tu es pâle. Mes empreintes digitales restent sur ton corps, couleur géranium. J’ai dans les mains un collier d’or. Qui appelles-tu ? Le cristal que tu brises, c’est mon miroir à double tranchant. Le sang qui coule de tes doigts ruisselle sur mon visage.
Une chanson très douce est née. Le jour de ma mort, tu portais une robe noire ornée de fleurs vertes. Dans tes mains, la tête d’un amant pesait tout l’or du monde. Ses lèvres sentaient les roses éventrées. Le froid te possédait paupière refermées. Mon miroir à double tranchant est mort. Le ciel est ouvert comme un champ de glaïeuls.

Richerd Soudée, extrait de Mort d’un puceau (page 53)

Comme un voleur d’enfants
Comme un mourant de faim
Le long des murs gris-blancs
Se confond et s’éteint
Seul j’ai papillonné
Vers le feu des boutiques

Contre un billet mendié
Quand j’ai tendu la main
On y a déposé
La fleur de la musique

Un petit disque noir
Sillonné par le vent
Et de rouge brillant
Je l’ai serré sur moi
Dans le confus du soir
Aux lignes épaissies

Sur le pavé assis
J’ai bouillonné de sons
J’ai songé il est temps
De sortir de prison.

Richard Soudée, Le disque (à Léo), page 38

…Les bêtes à feu d’Aimé (Césaire) réveillent les vers luisants de mon enfance. Ceux qui brillaient le soir, constellant le talus du bocage , lors des promenades à la fraîche. Je me souviens qu’on m’aida en chuchotant à prendre une de ces bêtes dans ma petite main. Dans la nuit, nous étions alors tout proches, mes parents, mes aïeuls et moi. Nous nous parlions et nous contions des histoires échappant aux rigueurs du jour. Nous étions tous des enfants et nous disions oui à l’Espoir. Césaire a collecté sur ses carnets le vaste peuple des insectes, mais c’est à l’écart des multitudes qu’il a dit la vertu des lucioles fugaces et tenaces. Les mots-lucioles du poète nous appellent à ne pas désespérer, à guetter pour ne pas sombrer. Avec ces mots, nous avançons à tâtons en quête d’essentiel.

Richard Soudée, extrait de Lucioles, pages 109-110

Trois ans ont passé

d’une poutre
un bout de ficelle pend
là où le colibri fait son nid

l’oiseau parti
quel nouveau nom donner ?
le carbet des abolis ?
le carbet des grenouilles ?

un rat surgit d’une bâche
mais il court trop vite pour nommer le lieu

soudain au ras du sol
la tête dans les épaules
passe un petit héron blanc et rouge
il ne fuit pas à notre vue
repassant et tendant le cou
il nous observe
tout en inspectant la grève
est-ce lui qui cette année
renommera le carbet ?

les feuilles mortes sont entassées
mais sont en place toit et plancher
les piliers du carbet sont droits

nous accrochons notre hamac
nous y grimpons
et rendons grâce au temps suspendu

Richard Soudée, extrait de Carbet du colibri (pages 137-138)

…Ami voyageur
Toutes les chambres
Même celles dont tu es propriétaire
Dans la maison de tes rêves
Ressemblent à une chambre d’hôtel
Tu y manges y parles y dors y fais l’amour
Puis tu règles l’addition
Passager
Homme inquiet
Ta route est un couloir.

Richard Soudée, extrait (page 64)

Richard Soudée

« Pour qui écrit-on ? » Un bref échange d’idées avec Josette Hersent

22 dimanche Juil 2018

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Poètes et Artistes Français

Giovanni Merloni, Auprès de ma blonde  
acrylique sur carton 50 x 60  cm, 2018
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Et le quotidien, alors, serait matière à faire du mieux ? (l’un des « Millimètres » de François Bonneau)

28 mercredi Mar 2018

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Poètes et Artistes Français

Giovanni Merloni, la deuxième jongleuse, gouache sur papier, 2018

En nouveau Jonathan Swift, François Bonneau mesure en « MILLIMÈTRES » les distances qui unissent (ou séparent) les hommes et leurs mondes. Avant de révéler son visage humain, et son indomptable propension à la transgression, il se sert d’une métaphore extrêmement rationnelle et frôle les frontières inaccessibles du calcul infinitésimal pour revendiquer le naturel heureux de chaque existence, l’exiguïté des destins humains que contredit la force irrépressible de l’amour…

J’ai découvert cela et plusieurs autres choses en lisant — avec une loupe adaptée à mon œil inefficace de Gulliver à la retraite — ce minuscule manuel de chasse (aux trésors plus inaccessibles de l’existence) que l’auteur m’avait affectueusement dédicacé lors du dernier Marché de la Poésie auprès de Saint-Sulpice à Paris.
Malgré mes promesses de m’y mettre aussitôt, presque un an s’est écoulé avant de commencer à lire de ma façon, un à un, les poèmes que j’ai trouvés tout d’un coup évidents et familiers.
J’avais besoin de trouver une clé pour entrer dans le labyrinthe (apparent) que François Bonneau avait sagement bâti pour protéger sa vérité et l’exclusivité de la lecture de chaque fragment ou ligne de son douloureux témoignage poétique.
D’ailleurs, la clé que j’ai découverte et choisie pour me promener librement (en dehors de toute règle ou recommandation) m’attendait depuis toujours au beau milieu de l’une des allées ombragées de ce labyrinthe même… emprunté sans doute aux jardins à l’Italienne qui donnaient jadis une touche de mystérieuse ambiguïté aux austères châteaux des rois de France.
Cette clé est tout simplement un contre-ordre ou alors un laissez-passer :
« Faites ce que vous voulez, M. Merloni ! Vous pouvez suivre les nombreux parcours proposés, censés vous aider à trouver aisément la sortie sans perdre le goût de la découverte, à chaque halte, d’une conversation sincère et approfondie avec l’auteur. Vous pouvez aussi bien vous perdre, rester tout le temps que vous voulez auprès d’un cyprès ou d’un manège de chevaux de bois, savourant le bonheur d’une seule lecture à la fois. Au couchant, d’en haut de notre observatoire, un hélicoptère viendra vous récupérer et vous ramènera chez vous ! »

Profitant de cette clé merveilleuse, m’octroyant une soudaine et presque excessive liberté, j’ai commencé à comprendre combien de courage (et de douleur) pouvait se cacher derrière, avant ou après chacune des révélations de mon ami François Bonneau, s’échouant dans le dévoilement de chaque « millimètre » de son parcours tourmenté et finalement « ascétique ».

Eh oui, il n’y a que l’amitié — chose rare et précieuse ainsi qu’inclassable et irrégulière — pour ouvrir si gentiment et si généreusement, en notre honneur, la porte invisible que nous découvrons juste à quelques millimètres du centre (historique) de notre vie.
Vous lirez ci-dessous un fragment de « Millimètres » qui m’a particulièrement touché, où les questions soulevées par François Bonneau redonnent le souffle à l’espoir meurtri d’un grand nombre d’artistes et poètes qui n’hésitent pas à installer la vérité la plus intransigeante au centre de leurs actes et de leurs silences.
J’aimerais bien revenir encore, prochainement, fouiller dans ces kilomètres de millimètres… et relire quelques autres joyaux de ce chapelet, suivant sans transition la seule impulsion de le faire…
Cependant, je ne veux pas me le promettre, non seulement pour ne pas en sentir l’obligation — qui enlèverait la sincérité que mérite tout rapprochement (au millimètre près) de l’œuvre de François —, mais aussi pour m’en accorder encore le plaisir de la découverte.
Il s’agit d’ailleurs d’une découverte que je ne saurais pas exploiter en un seul souffle : même si l‘Auteur de « Millimètres » (avec la complicité de son éditeur) semble vouloir redimensionner, humblement, chacune de ses pages pour que même les habitants de Lilliput puissent la lire, je ne suis pas, pour l’instant, capable de retrouver un seul sens ni un seul raisonnement qui guide l’ensemble de cette œuvre magnifique.
Je n’ai pas dit que je n’arriverai pas, un jour, à saisir la beauté de la Cappella Sistina invisible que François Bonneau a peinte par successives couches passionnées.
Je me borne à déclarer, aujourd’hui, que chaque poésie de ce recueil est un monde immense ayant aussi la capacité d’arrêter le temps pour donner au lecteur la possibilité d’examiner de tout près, rien qu’à quelques millimètres de distance, l’instant crucial et décisif où se déroule l’Amour ou tout simplement l’échange fraternel d’un sentiment sincère entre deux êtres humains !

Giovanni Merloni

Photo de François Bonneau

Et le quotidien, alors, serait matière à faire du mieux ?

Est-ce que le temps que l’on passe à se
dire que l’on devrait s’y installer, fait
partie du mouvement ? Est-ce que l’on
fait ce que l’on fait, ce mot poésie,
Devenu pornographique,
Devenu sous le pardessus,
Par transmission plastique ? Ou
est-ce que c’est moins avouable,
est-ce qu’on prouve, un brin ? Est-ce
qu’on est si pur, et la pureté, est-ce
bien mieux ? Est-ce qu’une petite
existence est un matériau suffisant,
pour tous les desseins imposés ?
Et le quotidien, alors, serait matière
à faire du mieux ?

François Bonneau

Une ode triste à la pluie : les mots et les décors du théâtre de Jean-Claude Caillette

12 vendredi Jan 2018

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Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau

Une ode triste à la pluie : les mots et les décors du théâtre de Jean-Claude Caillette

Mardi dernier, je me suis rendu chez Jean-Claude Caillette pour continuer de vive voix une conversation entamée par téléphone et par mail au sujet de la possibilité d’intégrer dans un roman une histoire conçue pour le théâtre et, du moins à l’origine, structurée comme une pièce théâtrale, avec des actes, des scènes, et cætera.
Bien sûr, on a dit, on peut tout expérimenter, mais évidemment il faut faire attention à ce qu’on déclare aux lecteurs. En fait, le manque de l’action des acteurs doit être forcément remplacé — dans un texte qui se transmet d’une tête à l’autre — par une description efficace de l’action dramatique ainsi que des décors, des costumes, et cætera… Il faudrait en tout cas garder une mesure, un rythme…
Au bout de cette discussion, la tentation était forte, en moi, de renoncer au titre engageant que j’avais choisi pour mon dernier texte (« Roman théâtral »), ou alors d’essayer d’en faire une adaptation… quand j’ai levé les yeux de la table basse au centre de la salle de séjour de mon ami Jean-Claude où j’avais garé mon manuscrit…

Jean-Claude Caillette, Sur la route de Damas, collage

… Je me suis aperçu qu’aux parois de cette chambre il y avait d’étranges tableaux qui capturaient mon attention avec leurs couleurs vivantes et leurs figures (ou paysages) bien centrées autour d’un geste… Petit à petit, je suis rentré dans un monde élégant et raffiné où le collage exubérant et lumineux de milliers de morceaux de « papier cadeau » proposait des décors parfaitement adaptés à la théâtralité que j’avais à cœur et cherchais moi-même depuis toujours.
Cette découverte a donc imposé une nouvelle réflexion sur le rôle du théâtre dans la peinture, dans l’architecture et dans la poésie.
Et Jean-Claude Caillette était bien au rendez-vous, avec ses tableaux allusifs et denses de vie, son essai sur Anton Gaudì et son roman plus récent, consacré à l’œuvre majeure de l’artiste catalan, « La Sagrada Familia » : une série de créations et suggestions dont il faudra s’occuper encore, car cet intérêt pour Gaudì se lie strictement à l’amour passionné de Jean-Claude Caillette pour le mouvement de l’Art nouveau et donc pour la phase pionnière de l’art total (se terminant avec le Bauhaus) où les artistes se découvrent surtout des artisans d’une nouvelle cathédrale à mesure d’homme.
J’ai ensuite demandé à Jean-Claude Caillette de me lire quelques-uns de ses poèmes… où je reste encore une fois touché par son goût théâtral, son vif amour pour le paradoxe et sa courageuse disposition à l’inattendu.
Je vous laisse lire les deux poèmes qu’il m’a autorisé à publier ici, faisant partie d’un recueil publié en 2007 titré « ANAMORPHOSES » (éditions Le Manuscrit, 2007). Vous découvrirez avec moi que l’esprit théâtral de notre ami — si prodigieusement exprimé dans ses peintures et dans ses textes inspirés à Anton Gaudì — est aussi le motif primordial d’une poésie libre et anticonformiste qui ressuscite avec enthousiasme et dévotion la tragi-comédie de la vie…

Giovanni Merloni

Jean-Claude Caillette, Le transat, collage

UNE MORT D’HIRONDELLE

Elle, a très froid en elle.
Lui, un mortel ennui,
en lui comme un appel.
Elle, lui sourit, et lui,
sous le charme, chancelle.
Pour lui, le soleil luit.
En elle, une étincelle.
Elle, a besoin de lui.
Lui, a le désir d’elle.
Elle, va lui dire, oui.
Lui, érige un autel.
D’elle, la pudeur a fuit.
Lui, dénoue les dentelles.
Elle, elle entrouvre l’huis.
Lui, pénètre la chapelle.
Elle, elle se joint à lui,
et le reçoit en elle,
et se réjouit de lui.
Lui, se répand en elle.
Elle, geint sous la saillie,
comme un battement d’aile,
une ode triste à la pluie,
une mort d’hirondelle.

Jean-Claude Caillette

Jean-Claude Caillette, La chaussure élégante, collage

CALINOU

1
Le soleil était haut et le midi paisible.
J’étais là, confiant, dénoué et tranquille,
oscillant dans la vie entre mémoire et présent.
Quand soudain, de ténues vibrations alertèrent mes sens, ainsi que d’olfactives floraisons précédèrent ta présence.
Je tournai la tête comme on change de cap,
et tu m’apparus là comme le ferait un archange.

Jean-Claude Caillette, Honfleur, collage

2
De marines senteurs envahirent l’infini,
et portée par la vague tu échouas avec grâce.
Ce mouvement léger fit tournoyer ta robe,
qui telle une fleur s’épanouit en corolles.
Tout en toi respirait l’innocence et le charme.
Ta bouche éclatante ouvrait sur ton visage,
une brèche lumineuse qui inondait l’espace.
Tes cheveux relevés dégageaient une nuque,
dont la courbe gracile ravirait bien des peintres.
Et la taille bien prise soulignait à plaisir,
une féminité glorieuse et de beaux seins fragiles.

Jean-Claude Caillette, Au bord de l’eau, collage

3
Ton regard me brûlait et consumait ma soudaine impatience.
J’y encrai mon présent comme on retient un rêve.
Je baissai les yeux si fort que j’y vis ma vérité.
Ta présence attestait de l’existence de Dieu.

Jean-Claude Caillette, Amsterdam, collage

4
Je tombai à genoux, terrassé par la foi.
J’étais foudroyé. Mes pieds d’enracinèrent,
et de mes mains tremblantes, jaillit le printemps.
Mon espoir était si grand que je me liquéfiai en un acide amer.
J’y purifiai mon cœur et mon âme abîmée.

Jean-Claude Caillette, Le clown, collage

5
Je ramassai tes mains glacées et les réchauffai à la chaleur tiède de mes larmes.
De mes lèvres sortirent des morceaux de joie en de vastes bulles muettes.
Je serrai les poings avec tant de violence, que j’opprimai mes doutes.
J’étouffais sous la patience les errements de mes sens.

Jean-Claude Caillette, Mon père (part.), collage

6
Bientôt, je vis dans ton sourire une invite pressante.
Le temps qui séparait nos lèvres s’amenuisa d’un coup,
et dans une précipitation avide, j’entrai en contact avec la création.

J’espérais la beauté, et me vint la grâce.

Jean-Claude Caillette

« Qui dira notre nuit » : la peinture narrative d’Émilie Sévère

06 mardi Juin 2017

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Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau

Émilie Sévère, Mutation, huile sur toile 200 x 250 cm, 2014

« Qui dira notre nuit » : la peinture narrative d’Émilie Sévère

Chère Émilie,
Ce dernier jeudi 18 mai, quand je frôlais les murs et les enseignes de la rue des Petites Écuries pour me rendre tout droit dans la rue Richer, qui en est le prolongement, je me demandais surtout comment vos grands tableaux auraient pu trouver un accueil pertinent et confortable dans l’une de ces petites boutiques constellant les quartiers traversés. Deuxièmement, je me demandais si votre figure « en vrai » aurait le même sourire et la même assurance généreuse de votre œuvre se reflétant si gentiment dans votre message d’invitation.
Car en fait je n’avais vu qu’une œuvre de vous : le grand, étonnant et inoubliable triptyque titré « Topos » dont j’avais parlé au retour d’une visite à votre « atelier collectif » de Saint-Denis. En cette occasion, j’avais regretté de ne pas vous avoir rencontrée…

« Venez rue Richer, Galerie 1618, m’aviez-vous écrit, j’aurai le plaisir de vous livrer le catalogue de mon exposition. Vous y trouverez votre commentaire avec, à côté, sa traduction dans la langue chinoise ! » (1)

Émilie Sévère, Topos (triptyque), huile sur toile 720 x 200 cm, 2016

Au croisement de la rue du faubourg Poissonnière — à l’instant précis où j’abandonnais le Xe arrondissement pour aborder le IXe par la rue même de la galerie où vous m’attendiez —, j’ai eu un sursaut d’émotion au souvenir soudain de votre « Topos ».
Telle une femme en plein épanouissement qui traverse en diagonale Campo de’ fiori à Rome lors d’une matinée de marché, votre triptyque, au bout de grandes salles à l’étage de l’immeuble-atelier de Saint-Denis (au 6B, quai de Seine), se détachait nettement d’autres œuvres — sages ou folles, timidement confiantes ou courageusement pessimistes — qu’on avait installées tout au long d’un très intéressant parcours consacré à la réflexion et au partage de l’idée de « l’inconnaissance ».
Pourquoi s’en détachait-il ? Parce qu’il était d’une beauté foudroyante et aussi parce qu’il transmettait un sentiment de véritable bonheur.
Le thème de l’inconnaissance — voire d’un « manque qu’on essaie aussi fébrilement qu’inutilement de remplir » — que plusieurs auteurs partageaient dans ce happening de haut niveau auquel j’avais assisté, était sans doute présent dans votre « Topos ». Car on y reconnaissait les échos d’une lutte titanique qui s’engage en chaque être humain : d’un côté, le fouillis de tout ce qu’il assimile au fur et à mesure par l’expérience et la mémoire sensorielle et affective ; de l’autre côté, le désir de tracer un pont vers le néant inconnaissable que d’infinis mondes physiques et humains essaient de remplir d’un sens stable.
Toujours est-il que dans votre touchant tableau une infaillible rêverie avait su brillamment maîtriser l’angoisse de l’inconnu ainsi que le chagrin et la joie de la vie dans une fluctuation qui engendrait enfin une œuvre positive et joyeusement insouciante qui faisait du bien au visiteur.
« Où est-elle la clé d’une telle force expressive ? me suis-je demandé. Est-ce que les autres œuvres d’Émilie Sévère seront à la hauteur de ce triomphe, parfaitement maîtrisé, de couleurs et de traces en grand nombre d’un vécu richissime ne faisant qu’un avec une vaste culture picturale ? »

Catalogue de l’exposition d’Émilie Sévère, « Qui dira notre nuit » auprès de la Galerie 1618 de Paris (30 mars – 19 mai 2017)

Quand je suis finalement rentré dans cette suite constituée de deux grandes salles accoudées sur la cité de Trévise, je me suis immédiatement rassuré quant à l’espace accordé à la personnalité de vos tableaux pour la plupart assez grands, mais petits aussi. En même temps, j’ai peut-être saisi avec quel esprit vous vous engagez, encore, dans ce thème vaste et terrible de l’inconnaissance, voire de l’impossibilité de raconter la vie où le triptyque que je connaissais n’était qu’un tesson d’une grande mosaïque en train de se constituer. Et j’ai bien sûr apprécié la simplicité et la naturelle franchise de cette première rencontre. Une très intéressante conversation s’est en fait déclenchée entre nous, m’aidant à comprendre et aimer davantage votre travail dans sa continuité et originalité indéniable.

Émilie Sévère à la Galerie 1618 le 18 mai 2017

Je ne pourrai pas tout développer de ce que j’ai saisi par l’esprit, le cœur et les cinq sens.
Car effectivement votre œuvre, tout en marchant sur le fil de « l’inconnaissable » n’erre pas du tout dans un terrain vague. La continuité de votre travail s’inscrit, au contraire, avec cohérence et responsabilité, dans un contexte idéal assez solide et « réel » où vous créez à chaque pas les bases pour un dialogue, pour une confrontation, diachronique et synchronique à la fois, avec « les autres maîtres » qui vous parlent et vous apprennent énormément de choses. Il s’agit bien sûr des artistes contemporains, mais votre citation, en deux tableaux exposés, de Rembrandt et Delacroix, confirme tout à fait ce que j’avais déjà découvert dans « Topos », qui m’avait évoqué les grandes toiles de Tiziano et Tintoretto : vous trouvez une importante source d’inspiration dans les « immortels » aussi ! (2)

Émilie Sévère, Forêt, huile sur toile 160 x 200 cm, 2010

Après ma visite à la galerie 1618, assistée par un catalogue clair et complet, je pense connaître mieux votre œuvre, où le questionnement autour des limites de la connaissance ne fait qu’un avec les pulsions créatrices jaillissant de votre monde émotionnel et fantastique, mais aussi avec le choix rationnel de travailler autour des « possibilités de représentation » de cet univers de « l’expérience rêvée ». Au-delà de toute élucubration philosophique, dans la « mise en scène » de l’exploration des univers réels ou imaginaires qui vous entourent, ce qui vous engage comme artiste est surtout une question de représentation et de point de vue de l’auteur et du spectateur.
Pour que votre voix résonne et qu’elle soit entendue dans le débat idéal sur notre destinée d’humains, il faut surtout que vos œuvres s’installent solidement dans le débat parallèle sur la forme la plus appropriée pour représenter, presque sans transition, le monde petit d’une seule existence et le monde de plus en plus vaste s’étendant jusqu’aux frontières de l’inconnu.
Et voilà que, de nos temps distraits et difficiles, vous adoptez des moyens d’expression assez anticonformistes pour votre génération : refusant les acryliques et toute technique « mixte » ou « assistée par le numérique » vous demeurez fidèle à la peinture à l’huile !
Avec cette compagne irremplaçable, vous vous aventurez nonchalamment vers l’inconnu, en vous bornant, chaque fois, au choix classique de la taille du tableau et du point de vue. Si souvent vous vous plongez dans la scène peinte, vous y perdant apparemment — comme il arrive pour « Topos » —, d’autres fois vous voyez le monde de l’extérieur, ou alors en deçà d’une barrière.

Émilie Sévère, Anachorète, huile sur toile 75 x 135 cm, 2013

Tandis que votre maîtrise de la couleur et de la composition de l’espace vous y conduit, votre art garde toujours une grande cohérence entre le flux sans bornes ni frontières des tableaux qui explosent tous azimuts en transmettant leur vitalité gigantesque et les tableaux qui s’arrêtent à la description d’un seul phénomène, d’une seule émotion.
Je découvre en votre travail une nécessité indomptable de transmission de votre monde et de votre savoir même, qui se traduit en patience, continuité, force, élégance et beauté.
Une telle nécessité jaillit sans doute de votre talent narratif, de votre habitude à cohabiter avec une souffrance subliminale qui vous aide à ressusciter les monstres en les amadouant, mais aussi à faire revivre les joies les plus intenses et secrètes. Elles ne manquent jamais, heureusement, dans la vie des artistes, qu’elles soient les joies d’une enfance rêveuse ou les satisfactions inattendues d’une adolescence pleine de vicissitudes.

Émilie Sévère, Disparition (triptyque), huile sur toile 800 x 200 cm, 2012

Cependant, votre esprit de narration, selon la meilleure tradition littéraire française, ne se sépare jamais de l’art de la soustraction. Si le « texte » de votre fiction risque de devenir trop riche, parfois, atteint apparemment d’une sorte « d’horreur du vide », votre main sage interviendra promptement pour enlever en avance quelques mots, phrases ou passages qui auraient rendu l’histoire trop évidente et, par conséquent, déséquilibrée.
Puisqu’on a affaire à des tableaux, les éléments de la narration ne sont pas des mots, évidemment. Vous agissez alors sur la forme des choses, sur leur représentation, en inversant souvent le procès narratif, ou bien secondant les modalités d’observation et de lecture de celui qui observe le tableau. Regardant vos œuvres, que vous-même appelez « à la limite informelles », j’ai songé immédiatement aux graffitis, aux « murales », mais aussi, tout simplement, au « langage des murs ».

Il peut arriver, en scrutant distraitement un mur ou une affiche plus ou moins déchirée, d’y voir un visage, une silhouette, un type étrange, ou alors d’y reconnaître les yeux de quelqu’un que nous aimons… Cela arrive aussi regardant un promontoire ou le profil d’une montagne en forme d’homme ou d’animal. Nous découvrons souvent une nature « anthropomorphe » ou aussi un ciel peuplé de nuages qui racontent des histoires…
Je crois que votre procédé, tout à fait consciemment, démarre, du moins en partie, de cette idée des « ombres anthropomorphes » que vous avez intériorisées dans votre imaginaire avant de les disséminer dans un univers fabuleux et légendaire où vous invitez le spectateur à s’aventurer.
Cet univers est une grotte, ou alors c’est la croûte terrestre que vous observez avec un regard plus ou moins rapproché ou éloigné (celui de la fourmi, celui d’un géant).

Émilie Sévère

J’ai suivi un critère de lecture de votre œuvre assez particulier et peut-être fantaisiste aussi. Donc, il est bien possible que ces « ombres anthropomorphes » que j’aime retrouver dans vos tableaux n’y soient pas, tout comme les « objets » en grand nombre que vous abandonnez sur le fond de ces grottes ou sur des montagnes bouleversées par les avalanches.
Mais d’une chose je suis sûr et certain : bien qu’à plein titre « peintre de nos jours », imprégnée comme vous l’êtes de notre douloureuse et hardie sensibilité collective, votre style unique s’enracine rigoureusement dans un savoir-faire pour ainsi dire classique, soit dans sa technique soit dans son inspiration.
Votre maîtrise du dessin, qui soutient en filigrane toutes vos œuvres grandes et petites, s’inspire peut-être aux gravures de Rembrandt. Tandis que la liberté joyeuse de vos couleurs, qui s’emparent, avec leurs incroyables transparences, de tout motif inspirateur jusqu’à le dépasser, c’est l’héritage de Delacroix, le plus touchant et le plus explosif parmi les peintres français et de Tintoretto, l’un de plus anticonformistes parmi les peintres italiens de la Renaissance.

« Qui dira notre nuit », chère Émilie ? Cette exposition à la galerie 1618 de Paris ne sera qu’une halte, une pause de réflexion avant de reprendre votre émouvante randonnée artistique. Sans doute, avec le temps, votre recherche du beau s’aventurera sur des expérimentations nouvelles. Cependant, vous n’abandonnerez jamais cette idée de l’histoire-vie qui coule en vous et à vos côtés et ne vous séparerez pas non plus de votre souci de cohérence entre la hardiesse de la peinture et la ténacité du dessin.

Giovanni Merloni

(1)

(2) Dans notre conversation, d’ailleurs, vous m’avez parlé de vos périodiques séjours de travail à Venise et de vos journées dans la Scuola Grande di San Rocco où vous avez rencontré la peinture épique et bouleversante du Tintoretto. Venise c’est un lieu idéal pour une artiste turbulente comme vous, car vous y pouvez entendre distinctement les voix humaines et y reconnaître aussi les traces du passage de nos prédécesseurs…

La machine à écrire de Lucien Suel

01 samedi Avr 2017

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Poètes et Artistes Français

Jeudi dernier, je me suis rendu à la Maison Rouge à Paris pour assister à une conversation entre François Piron et Lucien Suel, se déroulant dans le contexte de l’exposition « L’esprit français Contre-cultures, 1969-1989 ».

La première chose que j’ai aimé de Lucien Suel c’est son avatar : cette légendaire machine à écrire ne faisant qu’un avec deux mains sensibles et légères que j’ai rencontrée lors de ma première, assez hésitante, promenade virtuelle sur Twitter. Ensuite j’ai suivi et apprécié vivement son blog, SILO, et ses interventions sur le web. Je désirais donc depuis longtemps voir Lucien Suel et lui serrer la main et je ne pouvais cueillir une occasion meilleure pour en apprécier le style, la cohérence et la grande humanité. Certes, j’espère aussi d’assister bientôt à une lecture « live » des textes de Lucien Suel par le poète même.
Cependant, dans la rencontre de jeudi soir, du récit passionnant que celui-ci nous a confié avec légèreté et élégance s’est spontanément déclenchée une poésie spéciale, celle de la vie poétique de Lucien Suel : un petit-grand roman de formation qu’il nous a distillé par le biais d’une grande sincérité et d’une extraordinaire sagesse.
Je ne saurais pas tout relater dans l’ordre de la narration, je me borne donc à citer les éléments qui plus m’ont intéressé dans l’histoire poétique de Lucien Suel.
Entre parenthèses, cette narration m’a tellement touché qu’au moment des interventions du public je n’ai pas su quoi dire sur le coup, tandis que j’aurais voulu témoigner combien Lucien Suel, dans les dernières années, s’est-il fait aimer et énormément estimer aussi pour son blog SILO et sa présence charismatique sur Twitter.
Je regrette maintenant de n’avoir pas eu la promptitude de déclarer qu’il y a un dénominateur commun dans l’œuvre constante et acharnée de Lucien Suel, la passion. Une véritable passion, d’abord, pour la musique et la littérature de la « beat generation » ; cette passion qui pousse à sortir de son propre univers pour chercher d’autres passionnés ailleurs dans le monde, à partir de l’Amérique. Ensuite, la passion qui pousse l’intelligence et les mains à poser les bases pour un échange le plus possible systématique entre passionnés et personnes intéressées à différent titre. Enfin, la passion qui donne la force de croire à des moyens extrêmement pauvres et improvisés qui serviront à véhiculer très efficacement la poésie et la culture en toute la France et bien au-delà. En s’engageant dans cette activité d’éditeur et diffuseur de revues littéraires, Lucien Suel a « grandi » en contact avec poètes et artistes de tout le monde, contribuant à créer des réseaux culturels « indépendants » pour lesquels il a bien tôt représenté un incontournable point de repère. Toujours est-il que la richesse, la variété et la rigueur de la poésie de Lucien Suel et de sa prose poétique sont à leur tour indépendantes vis-à-vis de la multiplicité des échanges se déroulant autour de lui.
Avec le temps d’une vie, Lucien Suel a toujours cru dans l’importance du « travail manuel » et de la fonction solidaire de la « poste ». Et s’il se débrouillait avec talent dans l’édition et la distribution physiques de ses revues en « papier timbré » il s’est aussi bien exprimé avec le « mail art » et, tout de suite après, dans les réseaux sociaux, quand la génération du blog a révolutionné l’idée d’édition et d’échange entre artistes et lecteurs. Comme il nous a expliqué, la diffusion des textes touche maintenant un nombre d’interlocuteurs beaucoup plus vaste qu’à l’origine, mais le principe est le même : l’échange fonctionne là où demeurent la « passion », la « sincérité » et « l’ironie » dont Lucien Suel est un exemple unique.
En entendant Lucien Suel raconter son parcours, citant des épisodes curieux ou touchants concernant les échanges et les amitiés qui se sont développées autour de ses revues « à l’esprit clandestin » j’ai vu couler devant mes yeux des images déchirantes et émouvantes de cette même époque que je venais d’admirer dans l’exposition consacrée, dans le même établissement, à l’esprit français entre 1969-1989 : une époque que j’ai vécu moi aussi, où les « contre-cultures », souvent marginalisées, isolées et de petite entité étaient en tout cas conscientes de leur importance, de leur primordiale « nécessité ».

Giovanni Merloni

« Il me fut des instants au goût d’éternité… » : la disparition de Jean-Jacques Travers

16 mardi Août 2016

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Poètes et Artistes Français

Version 2

Jean-Jacques Travers à l’Espace Mompezat, en 2015

« Il me fut des instants au goût d’éternité… »

La seule Vérité n’est que celle du cœur :
Que ceux qui me liront l’accueillent en mémoire…

Avec tout ceux qui l’ont connu, je suis très attristé pour la nouvelle cruelle de la disparition de Jean-Jacques Travers. Il nous laisse ses poèmes et l’histoire d’un personnage sage et hardi qui a voulu mesurer la vie sur ses seules forces et sur ses limites aussi, sans pourtant se dérober, même dans sa vie de poète et d’artiste de la vie, aux lourdes « règles du jeu ». Nous retrouvons dans ses poèmes les réflexions profondes et universelles d’un véritable poète qui a su garder intact son esprit sincère, « incapable » de vieillir : il n’a pas parlé que pour lui-même, il a parlé de nous tous et pour nous tous !
Et pourtant l’homme souriant et généreux de mystères nous quitte à jamais et cela est bien difficile à accepter… Le chagrin pour la disparition de Jean-Jacques Travers est indicible, car il aimait la vie et savait transmettre aux autres cet amour à chaque soupir, à chaque geste. Il avait évidemment beaucoup souffert, traversant une vie qui ne lui avait pas épargné les contrariétés : « Mais qui saura jamais ce que vraiment je fus ? / Le temps m’effacera comme une ombre insipide… » Cependant, il avait aussi connu « des instants au goût d’éternité »…
En relisant ses poèmes après sa mort, j’ai l’impression d’y découvrir quelque chose de nouveau, de surnaturel et d’intime à la fois. Comme si ces poésies de Travers avaient « traversé » elles aussi cette ligne invisible entre la vie et la mort devenant de but en blanc plus légères et coulantes encore. Car si l’essence de la poésie est la vie, la vie même coincide, pour Jean-Jacques Travers, avec l’amour : l’amour qu’on donne et celui qu’on reçoit, tandis que les instants de joie extrême, de folie ou de chagrin le plus intense se vérifient quand deux amoureux s’aiment réciproquement, jusqu’au bout, ou alors quand chacun de nous se sent pleinement accepté et reconnu par les autres : « Tout n’est qu’INSTANT… Et toi, dis, Tu m’oublieras ? »
Avec le thème constant de la séparation, imminente ou déjà endurée, entre le poète et les autres, entre la vie et la mort, dans sa poésie Jean Jacques Travers cultive aussi, en le privilégiant, le réflexe paradoxale, ô combien réel, de cette même séparation ou incompréhension : est-ce que je suis conscient de « la vie qui vit » en moi-même ? se demande-t-il tout en déclarant son « absence », son « étrangeté » : « ADIEU ma Vie /…/ Moi, ma folie/ N’était pas la tienne… » Car il y a un gouffre impossible à combler entre « la vie que nous avons vécue » et « la vie que nous étions » : « N’aurais-je jamais su m’y prendre avec ma vie ? »

Giovanni Merloni

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Jean-Jacques Travers reçoit le Prix Manoir à l’Espace Mompezat, en 2004

Fin dernière

Que dira-t-on de moi quand je ne serai plus ?
Peut-être quelques mots… ressassés ou candides…
Mais qui saura jamais ce que vraiment je fus ?
Le temps m’effacera comme une ombre insipide…

Je n’ai que trop pleuré sur les secrets d’enfance,
Sur mes jours et mes nuits d’autrefois confondus,
Balafrés d’incertain au long de mes errances
Et de remords murés de frissons souvenus…

Il n’est plus d’avenir pour les contes de fées :
Ces vieux mots que j’écris, ces mots que Tu liras,
Ne sont que les échos d’antiques mélopées…
Tout n’est qu’INSTANT… Et toi, dis, Tu m’oublieras ?

In Manus tuas

Chaque jour je me quitte,
Plus ou moins,
Selon l’essor de mes ferveurs…

SEIGNEUR,
Donne à chacun
Un cœur
Pour son Destin…

Nihil obstat

ADIEU ma Vie,
Que tu t’en viennes,
Que tu t’en ailles,
Moi, ma folie
N’était pas la tienne.

A DIEU la Vie
Vaille que vaille…

Phrase finale

Le flux montant du soir sur la plage déserte
Me chuchote en secret que rien ne s’éternise,
Qu’est tous mes jours d’antan, frileusement inertes,
S’estomperont, pâlis, dans le Temps qui s’enlise…

Tant de bonheur fiévreux jusqu’à la défaillance !
Tant d’étreintes de feu sous des vents de folies !
Je ne suis plus qu’oubli si lisse et sans alliance :
N’aurais-je jamais su m’y prendre avec ma vie ?…

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Comme la mer, au soir, vers des creux de mystère
Je m’en retourne absent, sans bruit et sans clarté
Et je témoigne ainsi qu’au moins sur cette terre
Il me fut des instants au goût d’éternité…

Jean-Jacques Travers

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« La paix trouvée d’un silence d’amoureux »

01 vendredi Avr 2016

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Poètes et Artistes Français, Portraits d'ami.e.s disparu.e.s

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« La paix trouvée d’un silence d’amoureux » 

Derrière les géométries non-euclidiennes les parallèles se croisent : un exemple c’est l’espace courbe près des soleils, planètes et autres objets massifs, d’une même oscillation dans l’espace incliné l’étendue qu’on traverse (…)
Francis Royo, 20 mars 2015 – Lire  En marge / La nuit claire 

Depuis quelque temps, je garde cette image, empruntée au blog d’un ami italien, Giorgio Muratore, en attendant le juste moment pour dire ce qu’elle me suggère.
Inconsciemment, j’attendais aussi qu’il y ait des personnes avec lesquelles en parler, quelques-uns qui partageaient ma prédilection.
Il s’agit d’un tableau futuriste de Uberto Bonetti (1909-1993),   génial représentant de l’aéropeinture. Un tableau que celui-ci avait peint dans l’esprit de la vitesse et de l’explosion ayant, en même temps, le but de représenter, raconter ou tout simplement évoquer un petit pays de la plaine du Pô, en province de Ferrare : Tresigallo.
Je crois que Francis Royo (1947-2016) aurait aimé ce tableau « cinématographique » avançant, tel un équilibriste, sur un fil redoutable et subtil. Un petit monde prêt à tomber, prêt à se pulvériser en mille tessons de verres colorés.
Sans doute, cet homme généreux et sensible aurait retrouvé en ce tableau une subtile et profonde affinité avec sa propre façon de voir la vie à travers la poésie. En fait, le dynamisme de cette oeuvre picturale bâtit, à travers les fragments poétiques de sa narration, asymétrique et biaise, un monde entier où nous nous invitons avec un enthousiasme et une joie de vivre sans borne. C’est la même sensation que la poésie de Francis Royo me transmet chaque fois que je m’en approche.
Je crois que Claudine Sales aussi aimera ce tableau peu connu, d’où jaillit, il me semble, une musique élégante et populaire à la fois, une danse légère, avec les échos d’une fête aussi bruyante que mélancolique… Parmi les échos du vin, de l’amour, de la joie de la rencontre, du respect pour le rythme engourdi des personnes âgés… des voix nobles s’imposent pour nous inviter au silence : le silence des rues désertes de Tresigallo ou de Mons ; le silence d’un tableau inachevé projeté vers le futur, la voix murmurante et rassurante de Francis Royo qui nous confie son secret : «la paix retrouvée d’un silence d’amour »…
Giovanni Merloni

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« L’arrache-coeur     la paix trouvée »

la paix trouvée d’un silence d’amour
je reviendrai

voyageur infatigable
vers la source douloureuse toujours

indivisible

de ton sourire

Francis Royo, L’arrache-cœur, samedi 30 janvier 2016
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La désinvolture des nombres et des couleurs dans la peinture «fidèle aux rêves» de Jeanine Dumas Cambon

23 dimanche Août 2015

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d'Écrivains et d'Artistes, Jeanine Dumlas-Cambon, Poètes et Artistes Français

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Jeanine Dumas Cambon, « Message d’amour », huile sur toile, 100×100

La désinvolture des nombres et des couleurs dans la peinture «fidèle aux rêves» de Jeanine Dumas Cambon

Depuis des années, je considère Paris comme un lieu de vacances. Car j’ai choisi cette ville dans un élan presque amoureux et que j’ai trouvé ici la plupart des merveilles que j’attendais d’y trouver.
Avec le temps, devenant parisien moi aussi, j’ai commencé à ressentir le besoin de faire de véritables vacances, avec le désir de connaître, un peu, cette France sans laquelle Paris n’existerait pas, peut-être. Un immense territoire à découvrir en plusieurs escapades ou voyages prolongés.
Lors de ma dernière incursion dans le sud, j’ai appris plusieurs choses que j’ignorais, brisant l’enchantement ou étreinte mortelle de «l’hémisphère froid» de la France — dont Paris fait sans doute partie —, qui avait jusque-là empêché une connaissance plus directe et intime de ce qui existe et mérite d’être connu dans «l’hémisphère chaud».

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Jeanine Dumas Cambon, « Nocturne », huile sur toile, 81×100

Donc, au bout de quatorze jours de séjour dans le Gard, tout à fait conquis par ces lieux incontournables et par la sympathie de ses habitants, mon retour à Paris a été, pour la première fois, une typique rentrée ordinaire des vacances.
Par conséquent, les premiers jours, dans ces boulevards chiffonnés comme des journaux — débordant de nouvelles tragiques et de questions insurmontables —, un certain pessimisme avait risqué de s’emparer de mon être…
Heureusement, puisque les vacances servent bien à quelque chose, j’ai immédiatement retrouvé en moi une petite force… Rien qu’à songer au va-et-vient de l’eau sous le Pont du Gard, rien qu’à entendre à nouveau le bruissement des cascades de la Cèze. Cela a vite remplacé le vacarme des moteurs et des ambulances, et les pensées difficiles aussi…

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Jeanine Dumas Cambon, « Exultation », huile sur toile, 80×100

Je me suis adonné alors, joyeusement, à la reconstruction des tessons de la mosaïque de cet incroyable petit duché d’Uzès… Dans le va-et-vient de ma mémoire, les eaux de la Cèze et du Gard sont devenues des canaux limpides, longés par des rangées de platanes en splendide santé… ou alors des routes ombragées par des arbres séculaires, dans lesquelles les voitures peuvent encore se plonger comme dans la grande nef d’une cathédrale gothique, avec le provisoire bien-être du frais et du silence…

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Jeanine Dumas Cambon, Tryptique « En Provence », huile sur toile, 100×243

Si je ferme les yeux sur ma chambre de Paris et je les ouvre sur le paysage d’Uzès, j’y retrouve, encore aujourd’hui, plusieurs rangées de platanes sur la route de Nîmes, mais aussi dans celle qui porte à Alès ou au Pont du Gard… Petit à petit, je réalise que finalement, tous azimuts, le territoire autour d’Uzès a été préservé, tandis qu’aucune enseigne publicitaire ne perturbe le regard…
Ayant loué une voiture, j’ai pu m’aventurer dans les alentours d’Uzès. Dans le Gard, tout comme dans le Héraut, le Vaucluse, et cætera, j’ai pu constater de mes yeux combien d’attention l’on porte à la nature, avec quel respect pour le travail de l’homme qui a rendu pendant des siècles cette même nature de plus en plus agréable et hospitalière.
Voilà, une deuxième Toscane existe, intègre et apparemment insouciante, dans le sud de la France, sous les caresses d’un soleil bienveillant et les brusques ou gentils fouettements du mistral. Tout le monde peut s’y rendre, physiquement ou idéalement, y marcher en long et en large, au milieu de ces voûtes d’arbres solennelles et légères à la fois…

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Jeanine Dumas Cambon, « La Défense », huile sur toile, 81×100

Mais à Uzès je n’ai pas retrouvé que la Toscane et les arcades de Bologne. La peintre Uzétienne-Parisienne que j’ai connue là-bas — ayant eu la chance de cogner, le jour même de mon arrivée, contre un de ses tableaux, que j’avais immédiatement aimé, accroché au palier du premier étage de l’immeuble où j’étais hébergé — ressemble comme une goutte d’eau, physiquement comme dans l’esprit, à une personne qui m’est très chère…

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Jeanine Dumas Cambon, « Bacchus et Neptune », huile sur toile, 80×40

Jeanine Dumas Cambon se rend de temps à autre dans son appartement d’Uzès, mais elle habite surtout Castries où elle a aussi son atelier. D’ailleurs, elle vient souvent à Paris — où elle a eu la chance d’exposer à plusieurs reprises au Salon des Artistes et ailleurs —, pour y travailler et renouer avec ses amis artistes.
Comme vous avez pu le voir déjà dans les premières images écoulées, Jeanine interprète avec énergie le thème de cette nature lumineuse et ordonnée, qu’elle a connu à Uzès jusque de son enfance. Elle est une inconditionnelle, comme moi, de ces rangées d’arbres qui sont devenus les accompagnateurs les plus fidèles de son voyage aventureux…

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Jeanine Dumas Cambon, « Harmonie », huile sur toile, 81×100

À Castries, nombreux sont ceux qui ont connu Jeanine Dumas Cambon comme une remarquable enseignante de maths, maintenant à la retraite. Cette profession a bien sûr structuré en elle des attitudes logiques, philosophiques même… mais cela semble disparaître ou s’estomper dans ses peintures, où le talent artistique brise l’écran par une expression tout à fait originale, relevant moins de la rigueur que de la rébellion. Car en fait le choix de scènes ou paysages naturels qui font traditionnellement l’objet d’une peinture figurative « impressionniste » se traduit dans l’œuvre de Jeanine en « réinvention totale ». Lorsqu’elle peint, au couteau, une baie attaquée par la tempête, elle ne représente pas la déferlante, elle la fabrique de ses mains, avec une prodigieuse désinvolture jusqu’à ce que de ses vagues se dégage, finalement, une force unique.
Je me demande, à propos de son talent de vraie peintre — s’alimentant d’une évidente rupture « contre » l’appareil institutionnel de tout art codifié —, si ce talent n’est pas la conséquence d’une rupture intime envers le monde parfaitement rationnel des nombres… Ou alors s’il y a, au contraire, une intime cohérence entre la désinvolture des nombres et celle des couleurs…

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Jeanine aime les plantes, s’occupant elle-même, de ses propres mains, de son jardin sauvage, à l’anglaise. Les plantes et les fleurs de son jardin ressuscitent dans ses tableaux comme dans un rêve, tout comme les platanes des routes d’Uzès ou les oliviers des collines de Provence.
Et ses rêves se colorent du rouge du couchant, du jaune du midi, du blanc de l’aube, des infinies nuances de bleu et de vert qui appartiennent au crépuscule et à la nuit.
À travers ses peintures « fidèles à ses rêves », Jeanine nous transmet, très discrètement, une idée positive de la vie, ainsi que le sincère enthousiasme qui la pousse toujours à avancer, à surmonter de nouveaux horizons. Grâce à l’art, à la peinture, à la solitude créatrice ne faisant qu’un avec son esprit sociable, chaleureux et franc.

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Giovanni Merloni

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