001_rue de la lune 1 740 Entr’acte I/III

Élisabeth Ch. bonjour, J’espère ne pas vous déranger ni surprendre. D’abord je veux vous rassurer : ce n’est pas pour revenir aux #vasescommunicants du 1er mars que je vous écris. Là, tout c’est bien passé et, pour moi, le fait d’avoir parlé d’un mur faisant une frontière idéale entre Italie et France m’a donné un élan de confiance auquel je ne me serai pas attendu avant. J’ai donc sorti du tiroir mon crypto-scénario théâtral sur « La cloison et l’infini » (achevé et archivé en 2011) et je l’ai publié pendant les derniers quatre jours. Je m’étais autorisé à le faire en considération du thème de l’infini, touché indirectement, et de cette coïncidence du coureur cycliste venant d’Italie qui traverse les Alpes et arrive à Paris… tandis que dans nos deux #vasescommunicants il y avait bien le vélo, au centre. La même idée du voyage qui brise le mur. Maintenant, arrivés au terminus d’une l’histoire douloureuse marquée par deux ruptures et plusieurs déchirures, tout ce que j’ai exploité et réfléchi peut finalement être utilisé. Je peux poursuivre mon voyage à rebours dans l’histoire de mon grand-père, de Pascoli et des autres Italiens qui ont subi eux aussi des destinées assez contradictoires. Mais, puisque je vous ai rencontrée, je veux absolument profiter de votre patience et de votre rigueur pour faire le point. Malheureusement, je ne saurai pas concentrer en quelques quatrains cette matière probablement simple que pourtant je vois toujours assez lourde et compliquée. Je n’ai pas votre maîtrise ni votre élégante clarté. Donc, je m’incline comme ferait D’Artagnan et, m’excusant vivement j’avance dans cet…

ENTR’ACTE

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Je dois forcément abattre ce mur mitoyen qui sépare Trepaoli (le coureur cycliste au bout du rouleau) de Jerôme (le jeune professeur en larmes).

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Tous les deux songent au visage pâle, aux lunettes de soleil et au sac à dos d’Antonia, en train de paniquer devant la sortie déserte de la station du métro Bonne Nouvelle. Est-ce qu’Antonia, contrariée à l’idée du long chemin à pied qui l’attend, reviendra sur ses pas ? Est-il possible qu’en rentrant au deuxième étage de l’immeuble de rue de la Lune, au lieu de frapper à la porte de Jérôme, elle pousse légèrement celle de Trepaoli, que quelqu’un a laissée entrouverte ?

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Pourquoi ne pas imaginer en fait que Jerôme, pour réagir à sa forte émotion, soit allé voir Trepaoli et puis, le voyant gravement souffrant, soit allé chercher de l’aide ? Je ne sais quoi dire, ma chère Élisabeth. Je m’arrête au mystère. Car, en fait, je préfère maintenant fouiller dans d’autres questions. Les voilà : — la possible raison du choix de rue de la Lune comme lieu de résidence de la part de Trepaoli et de Jérôme ; — l’impressionnante ressemblance entre la rue de la Lune et celle de Sogliano ; — la présence d’une balustrade assez banale, en fer forgé, longeant ces deux rues et les deux contextes qu’on ne pourrait imaginer plus différents ;

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— l’affreuse circonstance d’une rencontre auditive de deux italiens originaires des Marches :  l’ancien coureur cycliste et la belle Antonia. Le mur sépare et unit leur deux réalités, physiquement proches mais psychologiquement très éloignées l’une de l’autre.

006_lemur 740 Élisabeth_Chamontin_Le_mur_est_une-frontière_La_langue_italienne_est_musique

Que pensiez-vous d’ailleurs, Élisabeth, lorsque vous imaginiez de pédaler brisant du regard ce mur abîmé et vieilli, lui aussi, comme Trepaoli, au bout du rouleau ? Vous faisiez le même trajet que Trepaoli, en direction contraire. Pour vous, le mur c’était la même chose qu’une balustrade, une haie, une charmille. Pour Trepaoli et Jérôme, au contraire, le mur cachait des mondes en perspective qui coulaient comme des films à leurs épaules. Soit dans votre cas soit dans le mien, les lecteurs ont eu affaire à un infini de l’imagination ou de la mémoire.

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En sortant à l’extérieur de l’immeuble de la rue de la Lune ou de la maison de Sogliano, m’accoudant au balcon de ma chambre de bonne ou au parapet du jardin de Malagar, cette barrière partielle et presque invisible (que nous avons vu aussi en Edward Hopper) nous invite à nous plonger dans un infini physique réel, du moins jusqu’à ce que plonge une nuit noire, sans lune… Voilà, Élisabeth, la raison du choix de Trepaoli c’est en ce petit mot, Lune, en cette pâle lumière rassurante et magique. «Que fais-tu Lune en ciel, dis-moi Ce que tu fais, silencieuse Lune…» Ce sont d’ailleurs les vers de Leopardi, que Trepaoli aime beaucoup et les Français aussi.

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Quant à moi, je suis tombé  amoureux de la rue de la Lune pour son air égaré et embarrassé de rue en pente faisant partie d’un petit village de colline au milieu d’une zone assez plate de Paris. Je n’avais pas réfléchi au fait que ce village et Sogliano se ressemblaient comme deux gouttes d’eau… Je n’avais pas pensé à la possibilité que François Mauriac ait pu aménager avec des haies immenses son jardin de Malagar en fonction du paysage infini qui s’ouvrait devant lui. Lors de ma premiére ébauche de traduction de L’infini de Leopardi j’avais emprunté à Mauriac le mot charmille — plus adapté que le mot haie pour rendre le sens et l’esprit de la « siepe » —, n’imaginant pas que Mauriac lui-même, bien avant moi, avait inventé ce mot juste pour rendre hommage au grand poète des Marches.

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J’espère, Élisabeth, que vous me pardonnerez pour ce lourd engagement qui ne produit, pour le moment, qu’une petite souris. Vous m’excuserez aussi si, en vous montrant au final cette image paisible des vertes charmilles de Malagar je vous demande de me rassurer avec votre sourire à la couleur… verte !

Giovanni Merloni écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 11  mars 2013 CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS Licence Creative Commons Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.