En ce jour mythique et très délicat du 1er mai 2023, je reviens à mon blog sur la pointe des pieds, comme on dit, après un an pile de silence absolu. Aujourd’hui, je ne veux pas que ce soit une énième visite éphémère et je ferai dorénavant le possible pour rendre à nouveau accessible cet endroit consacré aux rencontres, aux échanges et à l’absence de stratégie : une boutique d’objets révolus et de sentiments sincères où le passé est convoqué en témoin tandis que le futur… ne s’affiche pas trop encourageant.

Ce matin, à la dernière minute, j’ai trouvé le mot pour mon bistrot où les cartes postales vont se mêler aux images en rafle que désormais tout un chacun produit ou pour mieux dire vomit au bout de promenades enrichies jusqu’à là démesure par ces trucs numériques à la mémoire infaillible qui sont devenus notre croix-et-délice d’illusions dangereuses. Au milieu d’un quadrilatère représenté par l’“Atmosphère”, la “Marine”, le “Café Pierre” et le “Pachyderme”, j’ai appelé mon lieu de rencontre “La Foule” : foule ce sera dorénavant le second nom, ou alors la face consciente de mon “portrait inconscient”, son irremplaçable substance vitale.

Le Premier mai c’est le jour de fête de la foule, c’est-à-dire de chacun de nous s’invitant à descendre vite l’escalier pour rejoindre ses semblables et… hurler avec eux, hurler et chanter avec le sentiment d’une étrange liberté et, en même temps, d’une profonde pudeur qui se brise au fur et à mesure que l’air tout autour se réchauffe nous donnant la petite certitude d’être citoyens d’un même monde, habitants tous ensemble d’un même abri extrêmement précaire qui d’emblée se reconstitue en Grand Palais, en boulevard encombré de doudounes et de petits drapeaux, d’écharpes et de visages embellis par cette incroyable sensation de l’union qui fait la force. Il s’agit peut-être d’une force éphémère, inadéquate face aux pouvoirs visibles et occultes qui nous piétinent et nous tuent… Toujours est-il que la foule du Premier mai est la conscience d’un peuple meurtri, divisé, exploité et finalement trahi ; un peuple de travailleurs qui nécessitent d’une pleine reconnaissance avec les garanties d’une retraite humaine ; un peuple de chômeurs ou de travailleurs intermittents qui ont hâte de sortir d’une précarité qui dure depuis trop de temps ; un peuple de retraités qui ne sont pas les témoins d’un paradis perdu qui ne l’était pas mais la preuve concrète de l’existence d’un pacte ayant existé et toujours possible aujourd’hui entre les différentes composantes de la société pour que le travail soit respecté comme pilier irremplaçable de la dignité humaine.

Chacun des participants à la fête du Premier mai sait bien que derrière chaque attaque à la retraite se cache la volonté de détruire encore un peu le système du travail en France. Combien de retraites ont été déjà écartelées et anéanties avec cette “idéologie du boulot provisoire” dont le revers de la médaille est le travail intermittent et précaire ?

Dire que la foule n’est pas le peuple, cela revient à déclarer sans états d’âme que le peuple ne doit pas exister, ou alors qu’il doit demeurer invisible jusqu’au moment de l’élection, seule chance offerte à tout un chacun pour exprimer sa volonté.

Oui d’accord, nous bénéficions d’une démocratie représentative et notre société, heureusement, ne se base pas sur des logiques plébiscitaires. Cependant, il faut bien que le peuple et notamment les travailleurs se parlent entre eux et s’organisent pour être écoutés. Car la démocratie ce n’est jamais acquise, elle a besoin d’être exercée, d’autant plus qu’elle risque de devenir abstraite et fragile sous les coups d’actions publiques de moins en moins soumises à la discussion auprès du Parlement et entre les différents partis qui représentent le pays.

Avec ce « non » à la réforme des retraites une large partie du peuple français exprime un malaise profond auquel l’on devra tôt ou tard répondre. Il me semble qu’Emmanuel Macron ait raté encore une fois une très bonne occasion pour se rapprocher de ses concitoyens et apprendre par là quelque chose d’essentiel qu’il semble ne pas connaître du tout : l’importance de l’écoute donc de l’expérience directe de la vie des Français.

Au bout de treize journées de manifestations démocratiques de plus en plus unitaires, la foule de travailleurs qui a su garder l’enthousiasme et la foi dans la justice humaine a sans doute représenté, on ne peut plus efficacement, les sentiments d’un peuple épuisé et inquiet, se voyant obligé à dénoncer le dépassement de la limite de garde voire la menace du décollement du “contrat vertueux” liant tous les Français entre eux.

Malgré toute tentative réitéré de nier l’évidence, syndrome largement diffusée chez les gouverneurs dans la planète des autruches, les travailleurs sont finalement en train de retisser la toile, ô combien délabrée, de leurs primordiales revendications visées à la reconstitution de l’égalité des droits économiques sociaux et culturels pour tous.

Giovanni Merloni