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La déchirure
Je commis cet héroïsme d’abandonner Rome
ma constellation de prouesses
d’amitiés épuisantes
de projets souillés, mal collés.
À vingt-sept ans on peut être vieux
crevés, paresseux
sûrement aliénés ;
l’ascenseur dans un mur
de plus en plus étroit ;
la maison ce n’était pas un carillon
elle n’était pas non plus envahie par les lianes
et moi je n’étais pas Tarzan
tandis que les tableaux et les poésies
et les contes
devenaient des plumes brisées ;
le parti communiste me semblait
le courage digne et solidaire des funérailles
des camarades morts
la loquacité des fonctionnaires romains ;
c’était comme une nouvelle adolescence
d’appels téléphoniques continus
de journées interminables
ne saisissant pas le sens
des renonciations, des misères
des tragédies.
Le travail, cette chose si sérieuse
si importante
tu t’aperçois que si l’on veut voler
il faut être aimables
prêts à parler de tout
car l’habit, certes, l’habit
le physique du rôle…
Que c’est drôle que de vouloir
se garder cohérents
parmi tant de fils,
neveux, cousins, parents
de bourgeois, de maisons de tapis
et d’autres maisons
dans l’Italie des autoroutes
(et après le péage et les flèches
moins dix moins cinq kilomètres
Naples ; puis la bruyante
rocambolesque route d’Amalfi :
un beignet remplit ta bouche
une fausse charrette peinte
bourrée de pamplemousses
entraîne les escaliers
de la petite casbah
jusqu’à l’hôtel lugubre).
Que c’est difficile que repousser
l’assurance rieuse
des gens aisés
et rester là, hors-jeu
avec cette envie
de faire rayonner clarté et rage
apprenant, entre-temps
à les connaître à te connaître
ce qu’on veut que tu penses
ce qu’on veut que tu sois.
Et ces temps du lycée
le rythme répressif
des horaires des heures gâchées
de la page à la page
des exercices de pénibles paroles
comme j’étais doué pour la géographie
pour le français
et la tête m’éclatait
et la bitte-machin
se cabrait comme une grue non huilée
spectateur exclu et effaré
d’Alibech et du moine croît-en-main
fruste, rupestre, sale
envie de violence
de robes déchirées sur les cuisses
de femmes rouges
de fêtes sanglantes sous le rideau du lit.
De Rome je ne songe pas aux jardins
aux escaliers de Valle Giulia
aux pas circonspects
des camarades rivaux ;
sur un grand papier céleste
on voit dessiné-écrit un soliloque
(des créations inutiles
adressées à de petits hommes
essoufflés, déjà chauves).
Pour moi Rome est le milieu complexe
vieillot, les strates
le chemin de chez soi
le téléphone léché
les ruines modernes
les gravats noirs
les gouffres de ciel rouge
dans le plomb violet des immeubles
mort-nés, tragiques.
Rome est un labyrinthe, une mère
ce qu’il y avait avant de naître.
Les prés et les pins
qui étaient là avant moi.
Je commis cet héroïsme d’abandonner Rome
ma constellation de prouesses
d’amitiés épuisantes
de projets souillés, mal collés.
Giovanni Merloni
TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN
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