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Giovanni Merloni, 2013
Nous ne nous entendons pas, le monde et moi (première partie)
(chapitre II/I, Testamento immorale, Manni Edizioni, Lecce 2006)
1.
Nous ne nous entendons pas
le monde et moi.
À tour de rôle, nous arrivons
tard, lui ou moi
au rendez-vous.
Nous ne faisons aucun effort
peut-être. Certes,
nous ne savons pas
écouter.
Nous ne trouvons pas
une voie adaptée
pour nos mots
différents et adversaires.
Il nous manque
le champ de bataille
pour de glorieuses débâcles
pour d’honneurs au mérite
ou dégradations solennelles.
L’Histoire n’enregistre rien,
elle préfère passer sous silence, ou alors
elle ne s’en aperçoit
même pas.
Rien que du soleil, de la pluie,
du vent et de l’air qu’à peine
l’on respire.
2.
Incommunicabilité,
cette longue parole
semblait une plaisanterie,
un jeu de société
il y a quarante ans.
Michelantonioni,
arpenteur soliste
des paysages urbains
de Vespignani et Sironi,
s’inventait des listes
de personnages étranges :
le moribond
qui ne peut pas parler ;
le mort
qui ne sait pas marcher ;
le ressuscité
flanqué aux premiers rangs,
incapable pourtant
d’écouter
la femme trompée,
l’enfant égarée,
l’amie avilie
et même la vie.
3.
Une vague de tristesse
parcourait les histoires
du Bergman italien
engagé et hautain.
Voyageant ainsi, de la nuit
d’Antonioni aux effets de nuit
de Truffaut,
on arrive à dire :
« On est en train de désapprendre
même à parler, attention
à la désadaptation ».
4.
Le monde global
a englobé
dans un seul supermarché
du quartier
l’artiste engagé
et l’artiste empêtré.
Le colloque a été coincé
et l’écoute, violée, préretraitée
va subir des coups de pied
telle une serpillère essorée
dans un pré.
5.
« Il n’est plus le temps
d’Antonioni
ni de jeunes lions »,
nous disent, sans façon,
les chefs de bande
des télévisions,
les maîtres à penser
des maisons d’édition osées.
« Disait juste
ma femme de ménage
à propos du mariage :
nous ne sommes plus
au Moyen Âge ;
tandis qu’on ne repêche
plus désormais
la jeune fille
aux joues de pêche. »
Combien de vivants et de morts
pendant des années et des années
ont-ils traversé
les fleuves et les marines
les plaines grises,
les tristes collines ?
Il y a eu, peut-être
une titanique
invisible guérilla
disparue des journaux.
Un accrochage désespéré
à bout de souffle.
On a laissé passer
pourtant la censure
la vie par procuration,
l’usure, l’abjuration.
Le technocrate a gagné
ainsi que le fin diseur,
l’aigu commentateur,
le faux chevalier,
le vrai mufle,
l’imposteur
plein de soi.
Et finalement,
le vide de mots a rempli
le gouffre du monde
par une absence
encore plus grave
de mots nécessaires,
de mots justes.
Il ne nous reste
aucun mot
pour espérer
un ciel blanc plus blanc,
un ciel noir plus noir.
6.
Nous ne nous entendons pas
le monde et moi.
Lui, il ne me pardonne
pas
les bouchons aux oreilles,
la télévision éteinte,
les livres immortels,
la naïve obstination
en disant ce que je pense.
Moi je ne lui pardonne
pas
le bruit de fond,
les phrases faites,
le sempiternel hommage
aux gagnants, l’outrage
impuni fait aux faibles
à tous ceux qui ne savent pas
transformer en fiction
leurs vies difficiles.
7.
Incapable de communiquer
avec insistance le monde
fait couler, devant nous,
un film vide
assez répétitif
peuplé d’automates,
comblé de gens égarés
défaits dans le corps
et dans la gueule
ce n’est pas la peine
de hurler
puisque personne
n’entend, personne
ne voit, personne
ne parle.
8.
Incommunicabilité,
on ne rigole pas !
Il y a toujours quelqu’un
qui en profite. Un type
comme moi, peut-être.
Rendu muet, incompris,
il a renoncé à aimer.
Maintenant, il veut
se placer,
s’enrichir, ensuite.
Pourtant il ne saura pas
se contenter
et alors il acceptera
de tromper, de tuer,
de tout partager avant
de se taire.
Pour s’enrichir de plus
pour ne s’appauvrir plus.
Voilà le portrait-robot
du ver solitaire
qui croît dans mes tripes
tout en mangeant
mes mots
tout en les brouillant
avant de les renverser
contre moi.
Voilà
qu’il bouleverse,
torture, anéantit
mes pensées et mes gestes ;
ou alors il me copie
en me volant même le stylo
ou le pinceau
pour redessiner
de son gré
l’Histoire effacée
du monde.
(continue)
Giovanni Merloni
1960-1965 ambra 1966-1971 nuvola 1972-1974 stella 1975-1976 ossidiana 1977-1991 luna 1992-2005 roma2006-2013 paris
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 10 janvier 2014
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il me semble que tu as échappé à la fin