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Le monstre
Je me le demande
(prudemment).
Combien de fois
(par distraction ou
réaction instinctive ;
par présomption ou impatience ;
par hâte de m’en sortir
ou par manque d’intelligence)
ai-je blessé quelqu’un à mort ?
Combien de fois ai-je tué quelqu’une
le temps d’une vie ?
Oui, il m’arrive souvent de demeurer silencieux,
indifférent,
ignorant,
absent
vis-à-vis
d’une confiance soudaine
d’un dévoilement exquis
d’un dénouement intime
que je recevais en cadeau
ou peut-être en échange
de mes mérites
inconnus
de mes titres
exagérés
de mon apparence
assurée.
Combien de fois
me suis-je retourné
brusquement
sans rien dire ?
Et pourtant j’ai trahi
mon mépris jalousé,
mon envie déplacée,
ma gêne installée
jusqu’au bout
de mes jours inutiles
de mes actions stériles,
jusqu’au bout
de mon trou
sombre et vide.
Je ne sais même pas
ce qu’il avait accroché
au mur,
cet artiste courroucé.
Qu’avait-elle relié,
sous la couverture dorée,
cette poète exaltée ?
Non, je passe à côté
des bouquins
des ébauches
des exploits merveilleux,
je ferme mes yeux
tout en interdisant
à mes oreilles
d’accorder quelques instants
au bouche-à-oreille,
aux sirènes d’un chant
tout à fait inattendu
juste au coin de la rue.
Je m’indigne même, hurlant
qu’il y a d’autres choses à faire,
par exemple s’occuper
de nos saintes santés,
car le corps n’en veut pas
de ces fatigues tortueuses,
de ces nuits oisives,
de ces morts
délicieuses.
Et pourtant
je devine vaguement
que ces corps dérangés
bouleversés, souffrants
malgré leur talent et génie
ils avaient juste l’envie
de me faire partager
dans un geste
dans un vers
dans un fin gribouillis
ce que leur révéla
lors d’un jour de folie
la comédie tragique
de la vie.
Ou plutôt,
carrément,
ils subissaient la peine
du seul désir ardent
de partager un jour,
un tout petit instant
de leurs veines
pulsantes.
Rarement,
j’ai commis consciemment,
délibérément
ce délit d’omission,
cette injustice sommaire,
ce manque extraordinaire
d’attention.
Presque jamais
je ne me suis installé
sur la tour élevée
(notamment en ivoire)
pour juger du métier
ou plutôt de l’herbier
aux essences précieuses
d’un autre.
Et pourtant, il suffit
d’un seul jour de bordel,
d’un seul souffle cruel
pour éteindre la flamme
d’une âme.
Car je sais bien
par quels labyrinthes sans issue
va se perdre mon esprit
si seulement
Odile coupe le fil
de sa bienveillance
(à cause peut-être
de mon insistance
à vanter mon mal-être)
si seulement
ma voisine Jasmine
qui jamais ne s’envenime
(du moins, pour mes rimes)
fait tomber le rideau
sur mon geste téméraire
sur mon texte liminaire
sur mon envie pendulaire
de sortir du troupeau
si seulement
Adèle me révèle
franchement
sa contrariété
pour ma naïveté
dépassant toute mesure,
pour ma désinvolture
sans clarté.
Je me le demande
(bruyamment).
Combien de fois
(par distraction
ou réaction instinctive ;
par présomption
ou impatience ;
par hâte de m’en sortir
ou manque d’intelligence)
me suis-je empêché
les plaisirs de la vie conviviale,
le goût de l’échange
et de la découverte,
de la peur mesquine
que quelqu’un s’empare
de mes champs cultivés
de mes rives mouillées
de mon corps souple ?
Vais-je devenir un « monstre »
moi aussi ?
Giovanni Merloni
Cette poésie est protégée par le ©Copyright, tout comme les autres documents (textes et images) publiés sur ce blog.
d’innombrables fois me suis rendue coupable, presque toujours me le reproche
J’aime beaucoup ces dessins.Des encres?
C’est l’encre de Chine. Cela vient de mon travail d’architecte, j’ai surtout dessiné avec la plume, beaucoup moins avec le crayon. Merci de votre gentillesse !