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Giovanni Merloni, Trois générations, part. Janvier 2015
Je vide le sac
Un sac de plâtras
au bout de la rue là-bas
pourrait contenir
— pourquoi pas ? —
nos deux corps foudroyés
obligés de ressusciter
au moment topique
de l’emménagement,
des travaux frénétiques
de l’installation solennelle
d’un grand lit.
Je m’y vois, avec toi
là-dedans, au bout d’une vie
de joies arrachées, de délires
provisoires, ô combien
importants !
Toi et moi,
nous étions étendus
à même l’herbe
— enveloppés l’un dans l’autre,
les yeux clos,
la bouche ouverte —
engloutissant
goutte à goutte
le bonheur de l’amour
la stupeur de l’amour
le chagrin de l’amour.
Dans ce sac ordinaire,
nos statues sont cassées,
mises en pièces, renversées
réduites au néant d’un ticket
d’un cellophane
balayé par le vent.
Ou alors, ces amas
sont la trace minérale
d’une cloison animale
séparant nos deux vies
de l’allure spectatrice
d’un voisin sans malices
ayant pourtant l’envie
de cueillir nos prémices
dans son retrait
complice.
Ces anonymes fatras
sont l’écho assez fugace
d’un colloque démoli
lors de l’écroulement
de ce mur mitoyen
emportant sans soucis
(et sans aucun préavis)
dans les bras de la mort
l’observateur accroupi.
Une longue histoire d’amour.
Giovanni Merloni, Trois générations, part. Janvier 2015
Voilà, je vide le sac.
C’est l’histoire d’un amour
verrouillée pour toujours
se dévoilant sans détour
au jour le jour
à l’oreille exercée
d’un bonhomme ordinaire
qui vivait solitaire
au-delà de ce mur.
J’arrivais toujours
avant que toi.
De rien d’autre
je ne me souviens.
À défaut de ce mur
qu’on gagnait en montant
au sommet bien humide
d’un escalier croulant ;
de ces plâtres noircis
retombant sur les pieds
comme d’écorces meurtries
ressemblant à des oiseaux
du bon augure.
Il est tout à fait inutile
d’essayer de t’oublier.
Ah, s’il n’y avait pas eu
cette rancune, ces mots
sans courage ni fortune !
Ces autres amies,
envers lesquelles je me fatiguais
(décidé par moitié,
incertain à part entière,
disponible jamais)
elles ne servirent qu’à précipiter
mon aveu irrémédiable :
il demeure insupportable
ce mur de douleur !
Fin de l’histoire d’un mur.
Giovanni Merloni, Trois générations. Janvier 2015
Ce n’est pas de ta faute
si je cède à moi même.
Ce n’est pas toi qui déchaînes
le nouveau désespoir
au constat de ton absence.
Si jamais je reviens
à ta vaine rencontre
dans cette chambre écroulée
si jamais je caresse
l’ombre bleue de la tresse
que ta tête a gravée
sur ce mur claustrophobe,
tu te ratatines,
tu endosses dix robes
l’une sur l’autre
pour me paraître un pantin
emmitouflé.
Et surtout, tu te tais.
Magnanimement, tu te tais.
Puis tout cesse. S’évanouit
l’encombrant souvenir
de ce monde anéanti
de chambres et de lits
glissant à l’infini
au milieu de mes doigts
engourdis.
Giovanni Merloni
en écho dans ma mémoire l’histoire proche et lointaine de ce poème de vies de part et d’autre d’un mur lues ici