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En 1977, vivant encore à Bologne — que je ressentais intimement, malgré les changements évidents, comme le berceau de l’avenir et l’horizon lumineux de toutes les libertés — j’eus envie de partir à Prague, avec ma nouvelle fiancée, qui allait devenir petit à petit la compagne de ma vie. On était alors encore en pleine division de la planète en deux et Prague, ville occidentale par excellence, représentait un phénomène tout à fait particulier au milieu de cette fascinante et abrupte diversité que le nom « Est » nous évoquait. L’invasion soviétique de 1968 était encore très vive dans la mémoire des habitants contrariés ainsi que des visiteurs, d’ailleurs assez rares, qui essayaient de comprendre quelque chose. On était tous, les citoyens d’Europe en particulier, dans un tournant politique et existentiel dont on n’avait qu’une vague conscience. On croyait bien sûr tout savoir, tout avoir compris, nous étions d’ailleurs anxieux de changer, de saisir au vol… le relais de ce merveilleux printemps de Prague qui pouvait — tout comme le soleil de l’avenir qu’on couvait dans la docte Bologne — nous indiquer peut-être une route moins brutale et tragique par rapport à ce qui s’est passé, au contraire, au lendemain de la chute du mur de Berlin. En 1977, l’espoir de l’Europe unie était bien vivant et partagé. Et pourtant, au cours de cette inoubliable « descente sur les lieux » nous n’avions pas vu des drapeaux aux couleurs foncées ni de haillons éventant la colère juste ou l’indomptable espérance…
Prague 1977
Prague.
Dans le miroir de la ville submergée
a glissé mon voyage.
Prague,
dans la terre morte
d’un Hadès brûlant, purifié
la ville ressurgit, telle une relique intacte
de rois, de guerres, de chevaux,
de drapeaux, de trophées, de carillons.
Prague,
depuis cette scène désolée
elle ne se détache pas contre mon ciel
la crête noire des clochers disneyens.
Prague.
Sur les cendres et les sables de l’horizon,
tels des cheveux, flottent
les morts et leurs vestes,
tandis que la foule
écrasée par un ciel de rochers,
la foule braquée,
éternellement en fuite
au milieu d’un cauchemar d’oiseaux nocturnes,
elle se réduit à un seul homme
écrasé, engourdi, rabougri,
en retrait.
Prague,
c’est un rituel incohérent,
un fort nord-américain saccagé par le soleil.
Prague
est encore un monde de canards assassinés,
un lit en plein air, affligé par le vent glacé,
une sombre chimère qui ne se laisse pas avoir.
Prague
est le souffle chaud de gestes réitérés
traversé par l’écho de radios poussiéreuses
d’enquêtes inquiétantes et inutiles.
À Prague
Je suis entré avec une fausse clé, en plein jour,
à l’heure où tous les gens sont morts.
Prague,
vide de ses habitants,
glisse sur ma gorge palpitante
avec toute sa foule d’escaliers grimpants,
d’arcades basses, de grilles dorées.
Prague
est la scène douloureuse de l’amour qui naît,
de l’amour qui meurt.
Prague
est la ville qu’Ulysse
ne réussit pas à rattraper.
Giovanni Merloni
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