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Je devrai le faire

Avec de « grandes » propositions de changements stratégiques sinon héroïques, on rentre à Paris.
Les vacances intenses ou paresseuses se sont révélées trop brèves, tandis que — derrière l’image de paysages incontournables ou discrets, au milieu de gens de tous les âges à l’esprit vivant et audace — notre ombre a pointé, de temps en temps, capturée contre sa volonté par quelques photos abruptes et inattendues.
Ce qu’on appelle « vacances » est parfois un redoutable miroir, ou alors le moment de la vérité. Une vérité « involontaire », comme nous l’apprend Gilles Deleuze (1), qu’il faut d’autant plus regarder dans les yeux et entendre par le menu.
En général, les vacances mettent à nu cette « nostalgie de la vérité » — ou alors « nostalgie de la rupture » — qui a servi parfois, au cours de notre vie, à prendre des décisions indispensables.
Mais il y a toujours le revers de la médaille, le côté « photographique » que ces périodes particulières, brisant la routine, assument : pendant une longue période avant de partir, pour seconder notre besoin de société et de reconnaissance, ou de vanité, nous avions parfois oublié les exigences de notre « carcasse » (2) en lui imposant de dangereux tours de force, c’est-à-dire une exploitation exagérée de certaines parties de notre corps, notamment du cerveau,  endommageant les autres parties de ce même organisme. C’est banal, mais l’on arrive tellement épuisés aux vacances qu’on n’a même pas la force de se détendre ni de profiter de ce que la soudaine absence d’obligations nous offre.
D’ailleurs, les vacances nous font entrevoir les avantages d’une « saine solitude artistique » ou alors révèlent les côtés positifs d’une contradiction entre le besoin de reconnaissance et les élans solitaires qui peuvent bien coexister dans la même personne surtout si celle-ci possède un tempérament d’artiste.

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Quant à moi, j’ai d’abord une nécessité absolue de retrouver ma position verticale, avec un minimum d’élasticité physique.
Ensuite, je devrai reprendre confiance avec les endroits naturels de cette douce France que je ne veux plus quitter, dont je peux, bien sûr, retrouver quelques traces aussi dans les jardins et dans les canaux de Paris.
Enfin, je devrai sortir de mon trou (ou de ma tour médiévale) avec mes cartons et mes couleurs. Même si mes portraits demeureront pour la plupart abstraits ou inconscients, je me dois d’essayer de peindre ce monde qui m’échappe des doigts, de m’arrêter à parler avec ces gens, désemparés comme moi, qui tournent les yeux à la recherche d’une ombre amie.
Je devrai le faire…

Giovanni Merloni

(1) dans un texte signalé sur Twitter par Laurence (@f_lebel)

(2) expression très efficace adoptée souvent par Brigitte Célérier dans « paumée ».