Étiquettes

001_tous les trois jours 180

Cour de la Mairie d’Uzès (Gard), août 2015

Tous les trois jours

J’ai longuement cherché les mots justes. En italien, on dit : « un giorno sì e due no ». Mais, on ne peut pas prendre cela au pied de la lettre. Car il faudrait d’abord décider si nous considérons l’expression « sì » comme une chose belle et positive ayant dans le « no » son contraire, ou vice versa. Si je pouvais être sûr de rencontrer une jolie femme contente de me voir, infailliblement, dans les jours marqués par le « oui », je pourrais bien sûr me réjouir d’une perspective de vie où le bonheur s’installe de façon régulière. Et je dirais alors que j’accepte volontiers une telle alternance cadencée, où les jours sombres et solitaires passeront presque inaperçus, pour finir, tôt ou tard, aux oubliettes… Elle ne sera jamais interminable, une telle attente, même si constellée de peine, de ciel gris ainsi que de longues queues au guichet des Impôts, pour essayer d’expliquer, avec le maximum de tranquillité possible, qu’ils se sont peut-être trompés, que ce ne soit pas possible ou logique et surtout supportable de devoir payer deux fois — en Italie et en France — les impôts sur les mêmes revenus…
Une heure de bonheur garantie tous les trois jours ce serait déjà l’antichambre du paradis terrestre, le droit reconnu depuis les Hautes Sphères célestes à l’effacement du péché originel…
Mais la vie peut bien nous réserver des surprises, même en dehors de cette inéluctabilité dont la morale catholique voudrait encore nous convaincre.
Même un agnostique ou athée comme moi peut cogner un jour contre un événement inattendu, « subissant » une agréable surprise. Celui-ci pourrait par exemple rencontrer, dans le jour noir de la queue aux impôts — tandis qu’il peine à tenir debout avec tous ces dossiers sur les bras, ayant la tête lourde, traversée par d’inquiétants sifflements —, une deuxième et (pourquoi pas ?) une troisième jolie femme partageant son souci et son sentiment de détresse…
Voilà que l’hypothèse originaire — se contenter d’une heure de bonheur, tous les trois jours — semble perdre terrain et haleine vis-à-vis des ressources prodigieuses du hasard…

uzès_bal_01

uzès_bal_02

uzès_bal_03

uzès_bal_04

uzès_bal_05

uzès_bal_06

uzès_bal_07

Série de photos du bal dans la cour de la Mairie d’Uzès (août 2015)

Pourquoi se fixer alors sur la certitude d’une heure de bonheur dans les jours du « oui » s’il se révèle tout à fait possible un bonheur plus fréquent, imprévisible, à taches de léopard ? Un bonheur qui pourrait se révéler transgressif, donc encore plus séduisant et désirable ?
Le choix entre le oui et le non devient, de toute évidence, assez difficile et dangereux. D’ailleurs, on ne peut pas prétendre un bonheur — solitaire ou partagé avec d’autres personnes — ayant une cadence journalière. Cela serait exagéré, même ! Trop de bonheur, pour un Napolitain par exemple, ce serait toucher à un équilibre invisible, très délicat, entre la bonne chance et la mauvaise chance, une provocation envers les dieux, notoirement envieux et jaloux.
En plus, publier un article tous les jours c’est compromettre sa propre santé ayant en échange, dans la meilleure des hypothèses, la compassion des lecteurs, au moins des plus gentils et humains.
Et même publier tous les deux jours c’est excessif, pour moi. Cela veut dire que le bonheur serait presque toujours assuré, montant et descendant du piédestal ou du trottoir d’en face par un rythme tellement accéléré qu’on n’aurait même pas le temps de recul nécessaire pour évaluer, au milieu de l’ivresse performative, si nos propos demeurent valides ou si, au contraire, ils ont pris une allure mauvaise ou médiocre.
Donc, à partir d’aujourd’hui mercredi 26 août, je publierai mes articles ou textes libres tous les trois jours. Selon cette règle, les prochains rendez-vous sont prévus le samedi 29, le mardi 1er septembre, le vendredi 4, et cetera.
Cela marquera peut-être ma rentrée dans le peloton des blogueurs paresseux ou réfléchis, ainsi que ma renonciation à faire partie du petit groupe des rédacteurs fugitifs, maintenant en vue de l’Izoard et du Tourmalet.
Cela déclenchera, peut-être, une phase initiale d’égarement et d’incertitude. Mais je pourrai finalement sortir de ma petite tour, m’envoler de mon perchoir incrusté de plumes d’étourneaux ne faisant qu’un avec les cheveux que le vent a extirpés des seules passantes à la coiffure plus volumineuse.
On pourra se rencontrer ici et là, laissant à l’anonymat tous les bonheurs possibles, tandis que notre sentiment de responsabilité nous poussera, inévitablement, à nous exprimer, à lancer quand même quelques hameçons à cette Gloire qui passe sur le trottoir d’en face.

D’ailleurs, si tout doit disparaître, ne vaut-il pas mieux une Gloire comme ça — blonde ou brune, éphémère, en chair et en os — vis-à-vis d’une gloire de marbre, éternelle, incapable de concevoir des caresses en dehors des touches maladroites qu’une foule de mortels aveuglés réserveront toujours à sa peau froide et veloutée ?

Giovanni Merloni