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Giovanni Merloni, En contre-couchent, acrylique sur toile, 2018

Combien de mots

Combien de mots
nous héritons
de la peur de la nuit
de la misérable noblesse
de nos jours engourdis.

Combien de mots
en dépit de la fatigue.

Combien de mots
compromis par l’enthousiasme.

Combien de mots
pour nous dire combien
nous nous sommes manqués,
combien de mots
pour te raconter de moi
pour me raconter de toi :
« ô combien hier ce fut triste »
« ô combien ce matin fut lent »
« ô combien cet après-midi
fut furieux ! »

Combien de mots
pour étouffer le scandale
d’avoir emprunté cette retraite
à une déesse distraite.

Combien de mots
pour qu’il devienne enfin juste
ce silence des baisers
cette profondeur de la nuit.

Combien de mots
pour ajouter de la force
au délire de notre abandon.

Combien de mots
tels des funambules
nous avons poursuivis
pour nous dérober
à l’orgueil, à l’embarras
de cette rencontre.

Combien de mots
pour esquiver
le fantôme douceâtre
de la solitude annoncée
du retour chez soi
chez elle, chez lui
chez lui, chez elle.

Combien de mots
pour nous forger des carapaces
de héros solitaires
que bercera gentiment
la musique de la mer.

Combien de mots
pour tout tromper
et tromper nous-mêmes
avant de glisser
dans un nouvel ordre des gestes
qui nous ouvrira à nouveau
la porte invisible
(ô combien légère)
de notre entretien
(ô combien vrai !)
(ô combien chaud !)
(ô combien froid !).

Combien de mots
se perdent au loin
dans un trou noir constellé
de hurlements, de sanglots,
de petits pas brisés.

Combien de mots
voudraient remonter en troupeau
du fond désespéré d’une nuit
qui va se terminer dans un autre lit.

Combien de mots
pour nous plaindre de nos échecs
pour nous reprocher
réciproquement
le train qu’on a raté
où l’on aurait pu se connaître
et se marier aussitôt…

Combien de mots
pour nous autoriser
ce véritable amour qui nous unit
de toute volonté en dépit
par ces instants de crève-cœur
que nous nous arrachons
comme des voleurs.

Combien de mots
entrent et sortent
de nos lèvres ardentes
de nos yeux clos
de nos imprudentes mains
abandonnées dans un beau rêve
d’horizons lointains.

Giovanni Merloni

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TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN

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