le portrait inconscient

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Anna Jouy – Travaux divers (vases communicants mai 2013)

03 vendredi Mai 2013

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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Anna Jouy, vases communicants

Mes chers lecteurs, je suis vraiment heureux de partager avec vous cette très stimulante expérience des « Vases communicants », à laquelle je participe, ce vendredi 3 mai 2013, pour la quatrième fois. 
Cela est aussi un grand plaisir pour moi, parce j’ai une nouvelle occasion d’échanger avec Anna Jouy. Je suis avec intérêt et admiration le_journal_poétique_jeté_sur_l’aube, son blog très suivi, qu’elle fait vivre avec enthousiasme et continuité.

002 defJ’aime ses textes qui flottent au fil de l’eau d’une piscine idéale et réelle à la fois, qu’un corps blanc de femme agite vivement. Ses paroles qui voltigent au-delà de cette surface d’eau, dans l’air liminaire où la bouche essoufflée de la femme s’imagine ou se devine. Ses textes où le délire se marie toujours au bercement consolateur, où les fragments se détachent avec leur beauté évidente sans nécessairement rechercher la fusion avec d’autres fragments, très beaux eux aussi. Ses textes qui font un fleuve doté d’une conscience héroïque.

En quoi consiste le projet de « Vases Communicants », lancé par Le tiers livre (François Bon) et Scriptopolis (Jérôme Denis) ? Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte_Célérier, une autre blogueuse.

Dans l’esprit des « Vases », Anna nous a proposé d’écrire « …un texte, un bout de texte, quelque chose que nous avons écrit et qui résonne en nous comme une sorte de preuve que nous faisons bien d’écrire, qui serait pour nous la démonstration de notre obstination et notre durée peut-être… cadeau au fond à l’autre de sa propre démarche d’aller vers, de rentrer en communication, de notre volonté fondamentale de faire circuler la parole et de donner au monde une voix nous aussi. »
Dans cet esprit, chacun de nous a fouillé dans ses manuscrits pour y trouver, sinon une perle, une trace évidente de notre intention primordiale, de notre penchant pour l’écriture même dans des phases reculées ou coincées de notre existence.
Mon billet d’aujourd’hui (« Retiens la nuit, acte I, scène I »), est publié donc sur le_journal_poétique_jeté_sur_l’aube.
Vous pouvez trouver ci-dessous le texte d’Anna Jouy : « Travaux divers », qu’elle propose avec ces simples mots :
« Écrire fait partie de ces tâches qu’il m’est indispensable d’accomplir. Je ne comprends pas pourquoi ça a tellement d’importance et je ne vais quand même jamais le savoir.
« Pour communiquer ai-je  pensé un temps, mais dès le lendemain, il m’a semblé que ce n’était pas exactement ça  non plus. La question reste suspendue sur ma tête comme un grand mobile, et moi dans le berceau.
« J’ai retrouvé, Giovanni, ces mots dans mes archives, puisque nous voulions toi et moi fouiller un peu dans nos malles pour nous rappeler combien nous tenions depuis longtemps à ce geste et qu’il est là toujours, pareil, plus fort, plus buriné peut-être,  mais là. En les relisant, je me suis simplement dit que c’était à peu près ça, mon écriture… »
fontaine-tinguely

Jean Tinguely. / Grand’Place/ Fribourg/ photo annaj

Anna Jouy : travaux divers

je verse un petit tas de mots, une coulée d’intense. poésie à l’éponge. j’ai un lavis sous les paupières et les mains ivres. cela fait un rendu fragile, suspendu  entre le ciel et l’eau dans lequel se paument des mouches ou des poussières. je verse j’arrose la pousse au cœur des murs. il faut le faire avec méthode, ni trop ni trop peu et chuchoter ensuite un cantique au centre des pistils. attendre que gonflent ensuite ces bois drus de toute cette pisse d’or. à quoi sert-il d’être de l’averse?

j’ai déjà les mains toutes sales d’encre à peine ai-je touché la nuit. mon rêve est au cambouis de toi. j’ai décillé le noir pendant des heures, fallait écarquiller des pans d’obscur, l’équarrissage des corbeaux quoi! je n’ai jamais eu le goût de la chasse, même celle des mauvaises pensées. on a menotté ma sagaie dans le dos.je reviens d’avoir trempé mes taches dans un petit courant d’air. il fait cru ce matin partout.et je porte à mon visage l’étang d’un frimas.

oh! revenir indemne un jour de petite mort…

alors prendre un petit crédit dans le brouillard pour des apparitions, quelques pensées plus claires, un regain de lumières

je râtelle, je carde l’étoupe irrespirable et puis je m’égoutte.

xylophone charnel

j’ai des sonorités de fer blanc probablement ai-je été boîte de conserve dans une autre vie. m’a-t-on mis dans  le mobile éclectique parmi des tuyaux, des pelles à air et des écumoires?

Tinguely m’aimait, j’étais son résidu sonore et comme un grincement de sauterelle quand il me soufflait dessus-

prendre un crédit et m’acquitter de l’ombre, du silence, des velcros  tristes

sans doute

il y a de la déchirure et des craquements à se délier mais cueillir du vent est un beau projet de vie.

Anna Jouy

De la rupture à cicatrisation

07 dimanche Avr 2013

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats, les échanges, mes contes et récits

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Anna Jouy, Poètes et Artistes Français, vases communicants

Le billet que je propose aujourd’hui a été déjà publié le 5 avril 2013 par Anna Jouy dans son journal_poétique_jeté_sur_l’aube. Voilà ce qu’avait écrit Anna Jouy :
« 5 avril, jour de « Vases Communicants », lancé par Le tiers livre (François Bon) et Scriptopolis (Jérôme Denis).
Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte_Célérier, une autre blogueuse.
Dans l’esprit des « Vases », Giovanni Merloni et moi, avons choisi un thème commun, celui de la « rupture ». 
Nous nous sommes aussi donnés l’input (et la contrainte), de nous adresser/dédicacer réciproquement un billet inspiré par quatre images échangées.
Appréciez le sens du détail, l’esprit fin et subtil de Giovanni dans son voyage à l’intérieur d’une rupture… J’ai découvert grâce à ces #Vasesco, un personnage vibrant et pur, doté d’une sensibilité ultra douce.
Ce fut un  précieux  plaisir que d’être avec lui dans ce lien des vendredis premiers.
Merci Giovanni. »

De la rupture à cicatrisation

Chère Anna
J’arrive dans ton blog avec mon lest de changements frénétiques et de ruptures… pour parler avec toi de rupture !
Heureusement, on n’est pas les premiers à nous occuper de « déchirures », « fractures », « ruptures » ou « cicatrisations ».
J’ai eu, en plus, la chance de lire ton texte avant d’achever le mien. J’ai alors réduit l’importance et le poids de qui concerne les multiples « ressentis » venant des différentes modalités de rupture, que tu as si poétiquement exploités, pour me concentrer sur la considération assez banale qu’il y a toujours des raisons (factuelles, historiques, sociales et, pourquoi pas ? politiques) à l’origine de chaque rupture.
En particulier, je me suis arrêté à deux mots « emblématiques » et inextricables de l’essence même la rupture : le premier est « transgression », le deuxième est « disparition ».
D’ailleurs, il y a quelques jours, dans un des volets de mon « portrait inconscient d’une table » (Le_progrès_ou_le_soleil_de_l’avenir_II, pit n.27 mardi 26 mars 2013), en m’adressant à ma correspondante Catherine, je disais : « peut-être, faudrait-il examiner la redoutable corrélation entre le mot « transformation » et le mot « disparition » et ajourner les paramètres de notre regard sur le passé… »
Évidemment, chère Anna, la transgression produit des transformations considérables… Au final, il n’y a jamais de disparition (de la personne aimée et/ou de nous-mêmes) sans transgression…
D’ailleurs, ma pulsion à écrire a un seul moteur, elle aussi : la transgression.
D’abord, la trahison est une brèche par où la vie jaillit généreusement. Ensuite, par la brèche de la transgression la vie entre et en sort.
Est-ce que je ne suis « en moi » que lorsque je suis « hors-de-moi » ?
J’appellerais alors transgression la « licence de vivre » que je m’accorde par cycles.
Cycles de travail acharnés voire désespérés, constellés de petites débâcles et primés enfin par une étrange capitulation de l’ennemi qui me laisse ses villes brûlées et ses femmes perturbés. Cycles d’escalades au-dessus de marches plus hautes que des montagnes, auxquels s’ensuivent des cycles d’un repos qui n’est jamais détente.
« Per intervalla insaniae », disait Saint Jérôme dans sa Chronique, à propos de Lucrèce : « Rendu fou par un philtre d’amour, il rédigea dans ses moments de lucidité quelques livres… »
Dans mon esprit, folie et lucidité, oubli et sagesse ne s’alternent pas toujours de façon cohérente comme pour le malchanceux immortel prénommé Lucrèce.
Dans les intervalles de ces campagnes de guerre — pour conduire mon identité à l’abri, pour sauver le sens plus profond et intime de ma destinée que je sens menacée — il suffit d’une pause de confort apparent pour que la transgression se déclenche.
Transgression de l’auteur ou transgression de son personnage ? Qui, entre les deux, se prépare, à travers la transgression, à son inévitable disparition ?
Pour mon personnage, il s’agit toujours d’une transgression amoureuse. D’ailleurs, il considère cette forme de transgression, objectivement redoutable et même violente, comme la moins blâmable parmi les autres transgressions du point de vue moral.
Donc, à chaque fois que cela lui arrive, mon Libero Alessandri (ou Baptiste Ozenfant/Gérard Antonelli/Alfredo Bonadies) se sent tout à fait autorisé à entamer sa énième course vers ELLE.
ELLE qui de but en blanc lui correspond, le soutient, le considère.
Même s’il n’est pas libre. Et souvent, elle aussi n’est ni sentimentalement ni pratiquement libre.
C’est quand même l’amour.
L’amour qui s’achemine bien pour aboutir mal.
L’amour impossible.
L’amour pur et vrai dans un ciel limpide, dans un climat doux.
Les larmes surgissent à chaque adieu.
Les spermatozoïdes giclent à chaque étreinte, au-dedans ou en dehors des pantalons.
C’est l’amour qui défie les difficultés, se réjouissant et s’émerveillant aussi de cette inédite capacité de mentir.
Sincère avec ELLE, Libero-Baptiste (ou Gérard-Alfredo) est menteur avec tout le reste du monde.
Cet amour impossible, obscurci par l’ombre de la transgression, est pourtant illuminé par les lueurs sur l’horizon d’une disparition aux contours vagues. On ne discerne pas si cette disparition se borne à la disparition de la personne aimée ou bien si elle entraîne aussi la disparition de notre personnage téméraire.
Pendant quelques temps l’amour résiste, se laissant forger comme un vase de boue.
Je deviens TOI, tu deviens MOI.
Jusqu’au moment où la transgression devient digression, ou agression, obsession.
Je ne peux pas me passer de TOI.
Je ne peux pas me libérer de TOI.
Alors, je change de travail, de ville, d’amis. Je travaille de plus en plus, je voyage de plus en plus.
J’essaie de me confondre avec moi-même.
À qui attribuer la faute ? On trouve toujours un bouc émissaire.
L’amour se transforme parce que TOI (ou MOI), on ne veut plus de la transgression.
Nous sommes fatigués de cette vie « on the road », sans abri, à regarder les lits dans les vitrines, à compter les sous pour nous payer une chambre sans fenêtre.
Car ce n’est pas du tout mesquin la vie dans une maisonnette au Canada.
Petit à petit tu me persuades.
« Ainsi, on ne peut plus traîner ».
On doit lâcher prise ou bien nous marier.
Quitte ou double, épouser ou quitter.
Quitter semble plus facile. Moins coûteux.

001 def

Chère AANN o NNAA,
Je m’adresse à toi avec l’embarras du choix entre ces deux noms ci-dessus, à cause de l’image que tu m’as envoyée, me renvoyant immédiatement à Janus*, le dieu des choix et des portes, des commencements et des fins, symbole évident du printemps de l’amour.
En dessous de cette image, tu m’as écrit : « la rupture me donne cette sensation d’être dissociée, d’un décalage flou entre soi et soi… ». Donc, toi aussi tu as pensé à Janus et, à travers cette première porte, tu as peut-être voulu évoquer la première rupture, celle qui boucle toujours le premier amour.
Une rupture toujours attendue et inéluctablement subie, lorsque notre premier MOI meurt et que nous touchons de près un chagrin tout à fait particulier. Là on ne souffre pas seulement parce qu’une personne qui nous était devenue familière disparaît du jour au lendemain, mais parce que nous aussi, ce que nous nous étions révélés d’être, disparait avec elle. En fait, on n’a pas dû se battre uniquement avec quelqu’un qui était hors de nous, un étranger ou étrangère prétendant nous diriger ou changer la vie. On a eu affaire avec un inconnu récalcitrant et hostile qui était en nous-mêmes.
D’ailleurs, on a dû  faire une lutte acharnée. D’un côté la volonté de vivre que la rêverie maternelle a introduit petit à petit, au jour le jour. De l’autre côté tout ce que l’esprit tranchant-et-distrait du père a pu enlever en un seul instant.
Si la rêverie constante d’une mère a la possibilité d’allumer la volonté, la stupidité éphémère d’un père peut aussi bien l’éteindre.
Sans compter les traumatismes venant du monde extérieur (notre copain/copine a lui/elle aussi des parents, des frères, des amis envieux)…
Si je me souviens de ma fiancée, idole incontestée du printemps de mes amours, si je ferme les yeux, je ressens des vagues venues de la mer emmêlant toujours l’ancienne joie avec la douleur. Je n’oublie rien :
« Personne n’entendait, personne ne commentait, personne. Il n’y avait que quatre murs blancs à regarder. Toi et moi, nous avions peur, une peur accablante d’être heureux. Le soir descendait avec nous dans la nuit, avec les lumières étincelantes du ciel, tandis que notre amour, lucide comme un caillou blanc, brillait tout seul, heureux, dans le noir. »
« On s’embrassait dans la lumière. L’amour nous faisait rire et pleurer, et le poursuivre en courant. Tu étais le soleil et la pluie. Le soleil brûlant dans le creux de la main, la pluie dans les yeux pleins de larmes. Toi, proche et lointaine, tu n’avais que des mots doux et magiques : « Ah, ces pas, empruntés au silence dans les glycines de nos cœurs ! »
« Il n’y avait que toi qui pouvais me prendre, ce que j’étais, pas ce que je semblais être. Je te devais un amour qui se précipitait et qui pourtant semblait merveilleux. »
« Aux pas du soir nous laissâmes le souvenir de nous-mêmes et, au-delà du clic-clac de nos talons, le silence. »
« Tu avais ta même voix, légère, de verre sur verre. Tu me parlais encore, au téléphone, quand je te voyais. Mais, tu ne m’aimais plus. Il me semblait toujours que tu le disais. J’avais perdu quelque part un mot, un vers sans rime : il y avait écrit GOUFFRE et sous-entendu MORT. Je l’avais perdu. Quelque part, tous les jours je retrouvais ton nom. »
« Tu passais, gauche et solennelle. J’oubliais tout et me souvenais de tout. »

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Chère NAAN
J’entame l’été de l’amour (et de la vie) avec une exigence de symétrie. NAAN me rappelle aussi la berceuse d’antan, la « ninna naan-na » que ma mère et mes nombreuses vice-mères me fredonnaient. Est-ce que je me suis marié de façon très précoce, à 23 ans et demi, avec le seul but ou la seule necessité de trouver une nouvelle mère ? Qui sait. Il est sûr que j’ai rencontré plutôt une gosse, une âme sensible pas du tout adaptée à mon énergie grossière. En tout cas, l’image que tu me proposes pour célébrer les contradictions de la rupture familiale, cette tête en l’air — qui se passe peut-être de son corps en se débattant dans l’eau — est parfaite, merveilleuse.
« J’accède à une danse nouvelle, tu avais écrit dans ton commentaire, j’ignore encore ce que c’est un nouvel élément auquel je ne suis pas encore totalement adapté mais qui me va comme un gant…. »
Voilà que tu avais prévu mon choix. Tu savais en avance que j’aurais fait quelques allusions à la rupture matrimoniale, à ce deuxième MOI qui meurt. En plus de la rupture, du chagrin  lié à l’éloignement de l’autre (parfois plus redoutable qu’une disparition), dans la rupture d’une famille, entraînant souvent d’autres victimes en dehors des deux sujets concernés, il y a aussi le sentiment de l’échec et de l’égarement face à une nouvelle liberté aux dimensions tout à fait inattendues.
Cependant, ce deuxième MOI ne meurt pas totalement, définitivement. D’un côté, si auparavant il tendait corps et âme vers le progrès et la confiance en la raison (« tout obstacle peut être dépassé par le biais du partage des droits et des devoirs) et s’il est resté déçu et averti (« personne ne change, après les trente ans »), une petite voix survit en lui et son indomptable optimisme l’accompagnera dans son long voyage vers la cicatrisation.
Entre-temps, il faut avouer que dans sa course vers un inconnu, qui ne pourra plus se déguiser dans les vêtements de l’innocence, à chaque fois qu’il verra, sous les eaux à peine remuées d’une piscine, un corps flottant en totale indépendance de la tête, il songera à son ancienne épouse. Il l’imaginera silencieuse, tranquille, séparée mais toujours approchable. Car cet éloignement, cette disparition à courant alterné, prête en définitive le flanc à une transgression à courant alterné elle aussi…
S’installe alors une sorte d’ambivalence, sinon de souterraine ambiguïté. Quelle différence entre cette rupture « adulte » qui prépare les péripéties de l’adultère, et la rupture « adolescente » qui coupait en deux notre être sans compromettre l’intégrité de notre identité ! Pourtant la première rupture n’était pas une vraie mort : elle reproduisait le choc de notre naissance par une entrée effective dans la vie. Cette rupture matrimoniale, même encadrée apparemment dans les rituels du déjà vu d’une société entière divorçant de soi-même, entraîne au contraire une mort à petites gouttes, beaucoup plus redoutable, qui finit par hanter notre vie jusqu’à nos derniers jours.
Vues ces conséquences, je ne m’explique alors pas, ma chère NAAN comment a-t-il été possible que ce mariage ait eu lieu, s’il était voué dès sa naissance à la rupture. Pourquoi, par quel étrange et mystérieux penchant masochiste, j’aimais tellement la monotonie ?
« Monotonie, je te tiens par la main, tu es blonde et mince, tes seins sont des poings fermés, tes lèvres sont des villes brûlées, tes yeux sont des panoramas de carte postale, tu as des corps différents pour le même destin, des gueules distinctes pour le même lit envahi de chiffons et de débris. Tu as la voix de l’ambulance, la voix d’une télévision idiote, la voix d’enfants en prison, la voix muette du bourreau. »
« Monotonie, latente inquiétude d’hommes contraints à se faire du mal entre eux pour garder intacte la logique inexorable du pouvoir constitué. »
« Monotonie, tu vas me bâillonner, tu vas devenir un vêtement, un masque, un filtre séparant ce que je pense de ce que je fais. Jamais je ne veux te perdre, jamais, jamais, jamais… Tu étais la lumière sur le balcon, chaude comme une main dans une goutte. Triste, dans ton sourire, comme mon rêve convulsif.
Tu étais ce tragique colloque d’adieu dessiné sur une bouche souple, sculpté sur des cils écarquillés, filmé au ralenti dans les gestes inutiles des mains sur la balustrade. »
« Je t’embrassais, serrant dans l’étreinte de mes dents une femme nue qui se démenait et hurlait heureuse, répandant son cri sur mon corps. Il restait dans ma bouche la saveur du sang et les restes grisâtres de ce corps immobile et mouillé dans le son détendu du silence. »

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Chère NANA,
Excuse-moi pour ce nom, qui pourrait évoquer un manque de respect, ce qui serait contraire et tout à fait étranger à notre amitié naissante. Mais, lorsqu’on s’approche de l’automne de l’amour (sinon de la vie), et que l’on rentre dans l’argument-clou de cette ébauche sur le thème de la rupture, je ne peux me passer d’envisager un personnage mystérieux et insaisissable comme la « dame au petit chien » ou Anna Karénine, ou la Lara du docteur Jivago ou aussi la pauvre Thérèse Desqueyroux, dépourvue, cette dernière, tout au long de son incontournable roman, de son amant invisible. D’ailleurs, on ne peut pas imaginer s’approcher de femmes comme elles, — protagonistes ou victimes, d’ailleurs, de formes d’amour assez violentes et destructrices  — sans imaginer un côté confidentiel, une arrière-boutique (ou boudoir) où les rapports se simplifient et l’on se tutoie jusqu’à l’intimité des sobriquets et des expressions abruptes, comme par exemple NANA, ma petite NANA, ma douce NANA, et cetera…
Chère NANA, j’ai lu avec attention tes suggestions sous cette photo. Cette buée, ce dessin de fines gouttelettes de vapeur qu’une petite bouche a créé avec sa méticuleuse haleine, évoquerait aussi bien les sensations physiques liées à l’évènement de la rupture que le sentiment libératoire de la transgression : « Un souffle qui rompt la glace », tu dis. Je partage cette observation et aussi le commentaire qui suit : « je me suis imaginée  dans un dernier temps  parler effectivement de la rupture qui est la fin. puis y réfléchissant et en analysant un peu plus profondément ce que je ressentais de la proposition de ce #vasescommunicants et de son thème, j’ai constaté que cela me semblait comme la rupture d’une forme d’ostracisme dans lequel je me sentais  geler. »
Quant à moi, cette image a le même pouvoir que la « madeleine » de Proust, que je cite par économie de temps, tellement ce pauvre petit four est devenu banal et répétitif dans les discours, à tous les niveaux désormais.
(Je vais relire Roland Barthes, peut-être, ou aussi d’autres analyses plus récentes sur le rapport entre les sensations et la mémoire, me concentrant sur le pouvoir d’évocation du présent lié aux chansons, aux poésies et naturellement aux images, en particulier à l’image d’une buée plus ou moins artistique…)
Combien de fois, suis-je resté comme ça, la bouche appuyée à la fenêtre de la cuisine, en regardant dehors, espérant de LA voir passer, même si c’était impossible ! Combien de fois ai-je décoré d’une buée souffrante mêlée de fumée de cigarette, les vitrines froides du bistrot où j’avais vécu avec ELLE des moments peut-être les plus importants et inoubliables que ces après-midi de passion et d’angoisse, de faim et de soif jamais assouvies ?
Mais, « cette » buée que tu m’envoies, me rappelle un vendredi. Peut-être, un vendredi quelconque, difficile à situer dans le calendrier rétrospectif de la mémoire. Ce fut quand ? C’était qui ? Elle ou elle ?
Vraiment, je ne sais pas. Ce souvenir était sculpté sur un billet assez chiffonné. Bien avant d’éclater, cet « esprit de la transgression » mûrissait déjà, en lui, le sentiment de la disparition. Une deuxième, ou troisième ou quatrième mort s’ajoutait. Mais, ce n’était pas elle qui mourait. Ou bien, en mourant, elle devenait éternelle, comme Garance pour Baptiste, Solidea, pour Libero et Julia Socoa, pour Gérard :
« Terrible rencontre, ce vendredi-là, hantée par de boueuses mémoires, de sirènes glissantes,  d’étreintes lâches, de douceurs impitoyables. »
« Terrifiant verbiage, consacré à toi, à moi-même. Énième révérence (souple et pourtant accablante) à une honteuse beauté qu’on ne peut pas toucher. »
« Territoire âpre, sauvage gymkhana parmi des verres, des parfums et ton sourire et rouge à lèvres effleurés par un geste en retrait. »
« Terreau sur mon corps précocement endolori. Dans tes soupirs niés, dans la censure de tes promesses, dans l’élan châtré de tes sourires, toi, prisonnière, moi, aviateur au départ. »
« Propriétaire de pagodes et de maisons de thé ombragées, ô douce sommelière d’âpres ciguës, je voudrais désespérément te louer, m’inclinant vers toi et non, au contraire, vers ce caporal-chef en caoutchouc. »
« Tu voudrais me conduire en arrière vers un ancien boulevard avili, délirant, oublieux, prolifique, réactif, taciturne, passé. Trépassé désormais. »
« Toi aussi tu passes quelques centimètres derrière moi, sur un pont aérien de barques d’une rive à l’autre, pensive. »

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Chère ANNA,
J’arrive finalement à prononcer ton nom. Mais c’est peut-être trop tard. D’ailleurs tu ne pouvais pas trouver d’images plus efficaces et subtilement poétiques que celle-ci : un clocher coupé en deux et « dégonflé », signalant la rupture physique et l’égarement mental de l’hiver de l’amour. Toi-même, dans ton commentaire, tu t’accoudes au balcon et regardes, émerveillée, cette « chose » qui ne correspond plus ni à sa fonction ni à son image : « cette image me parle de cette sensation d’avoir « ses antennes coudées »… d’ondes interrompues qui ne saisissent plus le fil-flux de l’autre. Et d’être dans le déséquilibre, l’instable ».
Où est-il fini le « vieux clocher », solide repère de la « douce France » de Trenet ? Il n’a plus « l’âge de son image », comme la Baby Doll de Starmania et va aussi se ratatiner dans un aspect pathétique, invitant à détourner le regard, avant d’envisager, pour lui, la meilleure disparition possible.
Voilà. La rupture hivernale se déroule petit à petit. Les feuilles continuent de tomber jusqu’au dénuement total des branches, tandis que le corps sans défense disparaît au-dessous de strates de poil et de laine de plus en plus lourdes et désagréables.
On dit sagement dans les proverbes de tout le monde qu’en vieillissant on redevient enfant. Autant plus longue et sereine sera la vie, autant plus proche sera le « retour » dans le ventre de la mère, la naissance ne faisant qu’un avec la mort.
Moi, je préfère penser que cet âge ingrat me rapproche de la rue, des faibles, me faisant de plus en plus comprendre la détresse mais aussi les difficultés énormes qu’on rencontre lorsqu’on est en deçà du niveau minimal indispensable à la survie matérielle et psychologique.
Je ne veux pas t’emmerder, ANNA, avec de longs discours. Mais je vois qu’à l’égarement ou la schizophrénie de la perte, de la disparition d’une personne aimée et de soi-même, qui arrive toujours, inévitablement, s’ajoute de plus en plus souvent, pour la plupart des gens âgés, un sentiment d’abandon social et d’inutilité difficile à surmonter. Le sentiment aussi d’une dérive inéluctable vers l’exclusion, car le pas est bref entre la vision de l’homme « maladroit », « inepte » et par conséquent « inutile » et la stigmatisation sociale de l’homme « dangereux ».
Se déclenche alors une rupture de l’amour en général, c’est à dire le sentiment aigu de la coupure en deux d’un projet, d’un but, du sens même de la vie, brusquement interrompu.
On oublie vite les plaisirs de la transgression dont on ne voit, maintenant, que les côtés les plus inquiétants et redoutables. On commence à confondre les deux mots « but » et « bout » qui deviennent de plus en plus interchangeables.
Cela n’arrive pas pour tout le monde, heureusement. Mais une corrélation est évidente entre l’abandon lié à la disparition et l’abandon de la non-intégration ou de la perte du travail.
Il y a deux expressions sur lesquelles il faudrait bien réfléchir :
— « Homo faber suae quisque fortunae » (« chacun est l’artisan de sa propre fortune », selon Sallustre ;
— « Self made Man », « homme ayant acquis sa fortune ou son statut social, par son mérite personnel, en partant de rien ou avec peu de chose ».
Je vois là-dedans deux expressions phares d’une philosophie de la réussite qui se passe de la solidarité et du principe d’égalité.
C’est la lecture d’un très poignant roman de Valère Staraselski (« Un homme inutile », éditions du Cherche midi, 1998) qui m’a poussé à réfléchir sur le thème de l’abandon et m’offre maintenant la possibilité de conclure cette ultime lettre sur la « rupture ».
Ce livre se charge en fait de la tragédie humaine de tous ceux qui, du moins du vivant, résultent « perdants » vis-à-vis des paramètres et des outils de sélection d’un monde soi-disant moderne et progressif qui, au contraire, alimente une idée de société de plus en plus basée sur le succès et ses privilèges, où l’argent devient inévitablement l’unique repère et la seule divinité possible. Cela est particulièrement évident aujourd’hui, avec les informations en temps réel dont quiconque peut profiter dans n’importe quel endroit, même le plus reculé de la planète.
D’ailleurs, « l’abandon » — qui marque inexorablement les perdants, les réjetés, les exclus et tous ceux qui n’ont pas su « profiter » des chances offertes par un système où le succès est théoriquement possible pour tout le monde et pour chacun —, se lie strictement aux « contradictions » d’une logique de l’emploi et de l’intégration selon laquelle celui qui ne sait pas jouer ses cartes dans la société, ne pouvant être gagnant est automatiquement un perdant. Un homme ou une femme inutile.
Je crois qu’il n’y a personne qui ne désire être utile à la société dont il en attend la protection. Être utile aux autres est chose d’importance vitale pour chaque homme, autant que le désir de s’exprimer. Cela, plus ou moins conscient lorsque on est dans le plein des forces et des prérogatives physiques et mentales, personnelles et sociales, devient encore plus évident sinon dramatique quand on commence à perdre des forces et des prérogatives.
Tomber dans le chômage du jour au lendemain est comme perdre la souplesse dans le rapport amoureux.
Car le travail (et l’amour) ne sont pas seulement des moyens pour nous exprimer, pour affirmer — plus ou moins — nos penchants et habilités particulières. Ils sont surtout la condition indispensable pour notre intégration.
Cela surtout dans les sociétés où la solidarité risque de devenir optionnelle et minoritaire. Car, évidemment, dans la plupart des cas, le sentiment d’inutilité lié à la perte du travail ou d’autres prérogatives physiques et mentales, ne représente pas une faute personnelle, ne correspond pas à une révolte contre ce que la vie et le contexte social nous offre. Mais…
Brice Beaulieu, le protagoniste du livre, est un jeune français qui a priori possède toutes les cartes pour réussir, que peut-être la mentalité gagnante d’aujourd’hui accuserait d’un certain manque d’agressivité voire méchanceté et absence de scrupules, cet homme sur la trentaine qui pourrait être classé comme « l’homme sans qualités » de Robert Musil, cet homme « rêveur et fataliste » se trouve dans cette contradiction tout à fait typique de notre époque post-moderne de perdre le travail, de ne pas réussir à en trouver un autre, de « glisser dans la rue » — comme on dit ici à Paris — et de se sentir subjectivement inutile, avant de se précipiter dans une exclusion objective et, apparemment, sans retour.
Je termine cette longue lettre avec les mots poétiques de V. Staraselski. Comme beaucoup des gens « glissés dans la rue » ce Brice Beaulieu sans défense et tout à fait dépourvu, en réalité, d’agressivité ou de cynisme, reste enfin victime de l’incapacité collective de lui tendre une main. Dans une poche, un feuillet survit miraculeusement au bûcher qui restera peut-être impuni. Et le brigadier choqué essaie alors de le lire : « …je crois pouvoir témoigner de la qualité exceptionnelle de cet étudiant. Son intelligence rapide et brillante, mais exigeante et sans compromis pour atteindre les réalités les plus profondes, sa sensibilité littéraire toujours attentive aux singularités fortes des grandes œuvres, son énergie et sa régularité exemplaires… J’ajoute que les qualités humaines de M. Beaulieu sont au niveau de son intelligence : discrétion, mais sans difficulté relationnelle, et sens très sûr des responsabilités. J’estime, sans hésitation, qu’il saurait profiter au maximum… » (page 195)

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 7  avril 2013

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Anna Jouy : Contributions épistolaires à quelques brisures

05 vendredi Avr 2013

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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Anna Jouy, vases communicants

Mes chers lecteurs, je suis vraiment heureux de partager avec vous cette très stimulante expérience des « Vases communicants », à laquelle je participe, ce vendredi 5 avril 2013, pour la troisième fois. 
Cela est aussi un grand plaisir pour moi, parce qu’aujourd’hui j’ai l’occasion d’échanger avec Anna Jouy, dont j’admire l’expression poétique tout à fait unique.
Nous avons visité déjà plusieurs fois nos blogs respectifs et partagé aussi nos récentes initiatives. Je suis avec intérêt et admiration le journal_poétique_jeté_sur_l’aube, le blog très suivi d’Anna Jouy, qu’elle fait vivre avec enthousiasme et continuité.
En quoi consiste le projet de « Vases Communicants », lancé par Le tiers livre (François Bon) et Scriptopolis (Jérôme Denis) ? Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte Célérier, une autre blogueuse.
Dans l’esprit des « Vases », Anna et moi, nous avons choisi un thème commun, celui de la « rupture ». 
Nous nous sommes aussi donnés la contrainte de nous adresser/dédicacer réciproquement un « billet » inspiré par quatre images que nous nous sommes échangées. Mon billet d’aujourd’hui (« De la rupture à la cicatrisation »), est publié donc sur journal_poétique_jeté_sur_l’aube, tandis que sur le le_portrait_inconscient vous pouvez trouver le texte d’Anna Jouy : « Contributions épistolaires à quelques brisures ».

Anna Jouy : Contributions épistolaires à quelques brisures

Giovanni,

Je ne te connais pas. Quelques lignes dans ma boîte de mails, tes belles histoires dans le Portrait inconscient, tes poèmes, tes dessins.

Je ne te connais pas mais j’use de ce tu qui es t cher aux écrivains, qui est l’autre désigné proche, désiré, interpellé.

Tu m’as proposé  d’être ta cavalière pour les  Vases communicants et tu en as choisi le thème, la rupture.

Ta vie,- je l’ai compris à quelques  unes de tes lignes – est toujours et encore riche de tes blessures, toujours pleine des échos de ces voix aimées. Tu marches comme un funambule sur ces fils ondulant entre le passé et le présent et personne ne voit ce sortilège et ce prodige.

Lisant ce que tu voulais, j’ai su que tu avais tout compris de moi.

Je t’ai écrit à mon tour t’adressant des lettres qui auraient chacune pu exister entre les mains d’un autre. Tes dessins m’ont été de merveilleuses sources d’inspiration. Tout est pour toi.

Il y a des lettres de rupture qui sont encore des lettres d’amour … Mais je crois que tu le sais.

001_la toile d'araignée des mots 740 def

Giovanni,

T’écris de ce monde des aragnes, des fils tissés à la salive, de ma toile.

Giovanni, ai trop parlé, croisé, noué ma voix à la tienne d’un coup sec , comme on s’assure d’un tour de corde, une amarre. Ai fait comme ça le piège dans lequel j’allais t’engluer, te retenir, te fixer, mouvant mais prisonnier, comme en équilibre sur des étamines géantes.

Tu sais aussi bien que moi, comme il suffit de quelques mots pour pondre à la rosée des œufs neufs, verts, et carmin  et bleus aussi. Et qui résisterait à ce trésor mettant au soleil le fragile et le lien, la perle et la soif ? Tu regardais ma bouche et ses cravates de poèmes, le flux respirant de l’amour qui jouit et tu attendais patient, sage que mes mains te touchent…

J’étais déjà le prédateur, l’affamée aux longues jambes. Je sentais ton agitation maladroite, ton offrande à la danse mais chacun de tes gestes serrait le piège sans jamais que tu le saches. J’avais faim, Giovanni, bien trop pour ne pas me repaître de ton amour, du soleil entre mes branches, de ce craquement des sèves qui te parcouraient de partout. J’allais bien finir par t’avoir. Je ne lutte que mal contre le poison qui me pulse.

Mais te souviens-tu ? Le vent… Te souviens-tu du balancement furieux des ombelles où j’avais élu domicile ?

C’est lui, le plus léger que moi, ce bord extrême de la transparence qui a rompu ta prison. Tu es parti. Et j’ai su à cette rupture abrupte défaisant ma maison que jamais tu ne reviendrais.

Prends soin de toi Anna

002_rupture x ajouy 740

Giovanni,

Le temps a brisé le miroir. Je n’ai plus que le souvenir pour me mirer. C’est mieux ainsi car je crois que c’est de là-bas aussi que tu me regardes. Depuis longtemps tu n’accroches plus ta lumière à la mienne. Nous sommes les passagers de l’ombre.

J’essaie avec douleur de glisser ma silhouette  dans la forme ciselée au pochoir qui dort au fond de tes pupilles. Mon corps déborde ton désir jusqu’à « l’étrangement ».

Je n’entre plus dans tes avenirs. Et ton doigt si fin ne caresse plus la marge brûlante d’amour de mon aura. Je ne suis plus qu’une belle image dans le stock des ruptures.

Prends soin de toi

Anna

003_qui es-tu 740

Giovanni,

Ta voix…Je ne l’ai sans doute jamais entendue. Tu aimes trop te taire, cultiver des verbes bonzaï dans des jardins intérieurs. Pourtant c’est elle, tout ce qu’il y a de si insaisissable dans le souffle humain qui me fourgue l’effroyable chagrin de t’avoir perdu .

Je prends le combiné. J’aimerais vite en secret recueillir le son râpeux de ta voix…Surtout quand elle me dit ton nom, qu’elle attend ma réponse et qu’elle sait bien sûr que le silence  aujourd’hui, c’est moi.

J’écoute, je t’écoute pour une fois, pour toutes les fois. Amour « a cappella », j’épelle une à une tes syllabes. Cela ne durera pas, je le sais. Ton nom est bien trop court pour ne pas tomber sans bruit dans le puits des oublis..

Alors  le combiné en retombant là-bas fait ici le craquement disséminé de notre rupture.

Prends soin de toi

Anna

004_retour à l'île_740

Giovanni,

Ta ville est immense. La vie peut-être plus encore. Je ne songe pourtant qu’à la marche d’un être dans un champ déserté, quelles que soient l’aventure et la suite.

J’ai brisé, chaque jour , un jour, le dernier, celui qui faisait des miettes. J’ai fait ainsi beaucoup de mouron pour les oiseaux, beaucoup de broutilles pour nourrir le quotidien.

J’ai pelé à la gouge mon vieil habit d’amoureuse, gravé en cœur dans l’aubier de mon arbre. Il a fallu me faire des échardes, des coups de burin de travers. Giovanni, tu avais fait grandir mes racines en haut, en bas. Rabattre mon ciel a été féroce.

Le printemps…oui, tu sais comme moi.

La taille a été faite juste. Ces moignons de bras tendus inutiles au dessus de mon cœur ne feront pas de boutures à la misère. Non. Il y a dans le Jardin des Finzi-Contini, une pelouse. Mon ombre t’y attend, toi et tes amours frêles.

Prends soin de toi

Anna

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 5  avril 2013

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