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L’art de la non-rencontre (2004)
Que fais-tu là
avec tes grands yeux
qui percent les nuages et les pierres ?
Pourquoi juste contre toi
devait se cogner
la vague démesurée et dégonflée
de mon naufrage inconnu ?
Quel mot doux
ou cinglant ou mystérieux
a filtré de tes lèvres violettes ?
Qui suis-je, du moment que je traîne
en bas de chez toi ?
Comment pourrais-je justifier mes vers
mes claudicantes sérénades muettes
mes remue-ménage intimes ?
Comment t’expliquer
qu’il arrive parfois
(du moins une fois dans la vie)
qu’on se devine
parfaitement forgés
l’un pour l’autre ?
Et qu’on reste pourtant là,
immobiles
regardant dans la vague
de ces corps qui ne s’embrassent pas
de ces mains
qui ne se mêlent pas
et de ses bouches
qui ne s’effleureront jamais ?
Rien. Il n’est arrivé rien,
le silence nous assourdissait
le vacarme nous apaisait,
je ne cherchais pas ma fortune
dans ta chevelure brune,
toi, tu n’as vu que défauts
dans mes allures d’escargot.
Nous restâmes dans le non-dit
dans le non-entendu
figés devant la vague de mort
qui roulait empressée
devant cette table desservie
en attente dupe
qu’un autre couple l’occupe.
Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite
Je demeure ici, embarrassant objet
sous les yeux rouges des gens
ne lâchant plus ces maisons jaunes
ces trottoirs bourrés de pantins
encombrés par les restes
de mille festins.
Je ne descends ni ne monte
n’ayant d’autres projets
que celui de scruter les reflets
de ma défaite et de ma honte.
D’une certaine façon tu m’héberges
tu me laisses un abri
un non-lieu près de toi
où je peux
m’adonner à ce train immobile
à son onde invisible
paralysante
me questionner sur le non sens
brutal de la vie.
Je n’ai même pas eu le temps
de te dire que j’étais un marin
un vaisseau ne faisant qu’un
avec l’eau de la vie,
qu’à présent je deviens
un fleuve à sec.
Je n’ai pas pu te dire
par où je débarquais.
Quand tu t’es accoudée au balcon,
souriante et irrésistible
j’ai oublié tout à fait
toute façon de parler
mais j’ai pu bien te lire
pénétrant jusqu’au fond
dans ton petit livre ouvert
où ton chagrin se fond
dans un pénible concert.
J’ai perdu la parole ?
Bien possible, mais toi,
rare et unique, presqu’au vol
tu interceptes les mots confus
juste en train de se préciser
ou de rater tout sens.
Le bon sens te guide-t-il ?
As-tu peur de t’attacher
à qui ne saurait pas t’aimer ?
Parmi les murs de la rue
les gens glissent comme de l’eau
dans les doigts. Je t’imagine
assise dans un fauteuil quelconque
à l’écoute de mes pas qui montent
et redescendent ton escalier,
une plante grasse à la main,
un journal dans la poche.
Pourtant je traîne toujours dans la rue
glissant parmi les murs mon désespoir
pour un naufrage qui n’as pas eu lieu
pour un divorce jamais consommé,
pour un mariage jamais envisagé
pour un baiser passionné
resté dans l’antichambre
d’un grand palais vide.
J’aurais été capable
de te faire un furieux portrait
rien que dessinant ton cou,
par cœur, et juste en naviguant
dans la flaque sombre de tes yeux.
Pourtant, dès qu’on s’est rencontrés
nous nous fuyons
nous laissons le temps se rouler
sans oser le saisir
nous laissons glisser les choses
comme de l’eau parmi les doigts.
Pourtant on était attirés
par ce miroir de brouillard
où se croisaient distinctement
nos deux labyrinthes silencieux.
Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite
Piétinant parmi ces ruines
la tête baissée
je me comprends, je te devine
et j’essaie de me dérober
avant que ce tourment léger
ne devienne lourde souffrance.
J’imagine alors monter dans le train
pour retourner en d’autres non lieux
où tu peinerais à me trouver,
où je n’aurais pas la force
de t’attendre, où le train de la vie
n’aurait surtout pas l’envie
de se remettre en marche.
Mais, que fais-tu là
avec tes grands yeux
qui percent les nuages et les pierres ?
Et moi, que fais-je ici
traînant ma silhouette hideuse
en bas de chez toi ?
Giovanni Merloni
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 23 mai 2013
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TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN
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Toujours belle illustration (ou accompagnement, plutôt, du poème)…
J’observe que la photo de la voiture italienne, déjà rencontrée, a été transformée par un coup de « solarisation » : son image en négatif est frappante, d’autant que le cadrage n’est pas exactement le même (le personnage à droite n’est plus coupé et l’on peut lire « Cova » en entier).
Comment multiplier une image…
Je récupéré cette photo parce que j’y avais superposés des vers qu’après j’ai repris dans cette « histoire de trottoir » italien.
Mais il y a aussi une autre raison. En fait, dans cette photo, en plus de la glorieuse 155394 qui venait de subir un incident, il y a la rue sans personnalité ni beauté où pourtant j’ai passé mon adolescence et une longue partie de ma vie.
En plus, sur la droite, si l’agrandissement le consentait, on pourrait voir un garçon de 9-10 ans, la tête bourrée de projets et de fantaisies dangereuses.
@ biscarrosse2012 : vous êtes assez logiquement « hors-champ » !