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Le dimanche dernier, le tramway sur lequel je voyageais — à la recherche d’un motif pour une dernière touche à l’O. de mon alphabet renversé, une touche capable de corriger son inguérissable propension à dire Oui, même contre sa propre volonté — ne s’est pas rencontré avec celui où Brigitte C., dans sa course tranquille, était en train d’attraper, avec un jour d’avance, la cohérence pour elle entre le N. et le Non. Aujourd’hui, nous sommes hélas lointains l’un de l’autre. Sa lettre O. est sortie hier sur « paumée » et je traverse maintenant des lieux et des mémoires encore imprégnées du passage de son N., orphelines de cette lettre si magiquement esquissée… Je pourrai en tout cas rattraper, dorénavant, avec un petit déclic virtuel, les M, les L et toutes les autres lettres que Brigitte a déjà visitées dans son blog. Je promets de le faire juste à la dernière minute, de façon que son passage Ne m’influence pas trop, sauf qu’à travers quelques vagues sensations dues à nos communs souvenirs générationnels.

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Rome, piazza Navona

Voilà donc que mon premier « doublon » va ressentir Nettement de l’austérité un peu hautaine de ce N. où je trouve, entre autres, les Noms célèbres : d’écrivains comme l’Italien Ippolito Nievo et le Russe-Américain Vladimir Nabokov ; d’architectes comme Oscar Niemeyer et Richard Neutra ; de villes prodigues de mystères comme Naples et Novgorod ; de lieux uniques comme Notre Dame de Paris et la piazza Navona de Rome ; des poètes comme Novalis et Pablo Neruda…

« Nonobstant les Nuages Noirs
Niant toute Nonchalance Naïve,
dans cette Nuit Nordique
Nous avons Nagé parmi les Nénuphars,
les Néréides et les Nymphes,
sans Négliger de Noyer Notre regard,
comme autant de Narcisses,
dans le Néant bleu de Neptune… »

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Notre-Dame de Paris, 850 ans

On a bien compris, peut-être à cause de son inguérissable propension à la Négation et au Nihilisme, que le N. s’efforce de se faire accepter par des attitudes démocratiques et assez équilibrées dans la représentation d’une grande variété de sensations et de personnages, que le N. même ressuscite un à un du fond de notre ignorance aggravé par l’oubli. Cependant, sans aucune raison apparente, cette consonne Neutre et Normalisatrice, a réussi tout à fait Naturellement à étendre au-dessus de mon élan de Naguère une Nappe sombre pour un déjeuner sur l’herbe aux Nuances Nocturnes, tandis qu’un rayon de soleil se Nouait Nerveusement à ma Nuque pour me Notifier, au contraire, l’ordre de m’arrêter et qu’une voix Nasale, Nichée dans un Nimbe voltigeant autour de mes oreilles, me susurrait un Nom en Naphtaline : Néandertal.
Il s’agissait d’un homme de Néandertal qui avait déjà accompli toute la parabole de l’existence humaine, de la Naissance fauve et héroïque jusqu’à la décadence, avec son inévitable taux de Névrose délirante.
Pourquoi appelais-je Néandertal, mon camarade de Bologne ? Parce qu’il avait une grosse tête de paysan en plus de deux yeux de peau rouge, accompagnés d’une voix d’ogre à la fois sibilante et rauque. Néanmoins, dans sa toux Nerveuse de fumeur acharné, et dans son allure préhistorique il y avait le charme du délire métropolitain, le goût tout entier d’une angoisse inédite, très difficile à maîtriser…
Je me souvins de Néandertal en 2000. À ce temps-là, j’étais à Nouveau capturé par les Niaiseries de Rome et par ses rites Néroniens dont pouvaient tout à fait Naturellement se déclencher des Narrations bizarres et inattendues. Mais, je Ne pouvais pas prévoir que mon camarade de Bologne se serait transformé en personnage et qu’il aurait rencontré la Lolita de Vladimir Nabokov, « écrivain américain, né en Russie et formé en Angleterre où il étudia la littérature française avant de passer quinze ans en Allemagne ».

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Giovanni Merloni, L’eau coule sous le pont, dessin à l’encre de chine, 2000

En mai 2000 (c’était l’année du Jubilée), il y avait eu une exposition sur l’Histoire du plus ancien pont de Rome, le pont Milvius ou Pont Molle, comme l’appelaient les Français jusqu’à la veille de l’annexion de Rome au reste de l’Italie unie. Une Histoire très longue, constellée de crues, d’invasions, d’écroulements et de reconstructions du pont.
Parmi les documents mis en valeur par l’exposition, à laquelle je donnai une petite contribution, deux dates se détachent. La plus récente c’était le 13 mars 1849, jour de la démolition du pont par ordre de Garibaldi, pour retarder l’avancée des Français venus en secours du pape Pius IX contre la République Romaine. Une autre, plus ancienne, c’est le 28 octobre 312, date de la bataille entre Constantin et Maxence, marquée par l’épisode désormais mythologique de l’apparition de la croix dans les cieux de Saxa Rubra, localité d’ailleurs très proche du pont Milvius.

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Giovanni Merloni, Cours, cours, il ne faut pas rater l’exposition de G. M., dessin à l’encre de chine, 2000

En octobre je vécus une Nuit de cauchemar, avec le sang qui ne finissait de couler, dans un hôpital Noirci, d’où je sortis Naïvement grâce aux portraits dont je faisais cadeau à la plupart des infirmières qui se disputaient le plaisir de me servir en me procurant une couverture, un oreiller ou un morceau de pain du jour avant. La lente reprise, vécue péniblement, dans la triste contemplation du cahier Noir dont une page était comblée d’encre rouge, fut interrompue par un coup de fil bénéfique : en reconnaissance de mon travail pour l’exposition et pour le scénario du spectacle musical titré Le pont des miracles, la Mairie de la 20ème circonscription m’offrait la possibilité de monter une exposition personnelle de tableaux dans la tour Valadier de pont Milvius. J’avais complètement oublié le spectacle et son improbable fil conducteur, ainsi que l’étrange statue de Saint-Jean Népomucène, originaire de Prague, placée sur la tête de pont opposée, qui m’avait peut-être influencé dans certains choix…

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Giovanni Merloni, La femme fleuve., dessin à l’encre de chine, 2000

Juste en 2000, dans une capitale de l’Italie et de la chrétienté moins Nonchalante que Navrée par une Nervosité de moins en moins souterraine, une jeune archéologue et paléontologue de Prague, Nigra, obtient la permission de visiter le sous-sol de la Tour Valadier, édifice du XIXe siècle occupant la tête de pont située sur le bord de la place du quartier populaire de pont Milvius. Nigra était une jeune femme « eau et savon » que pourtant personne n’aurait considéré comme une sainte-Nitouche Ni surtout comme une Lolita, si elle N’avait été passionnée pour l’œuvre de Nabokov ainsi que partisane de la théorie selon laquelle l’âge N’a aucune importance dans les relations humaines.
Néanmoins, elle Ne s’attendait pas à ce qu’il lui serait arrivé dans les caves mouillées de l’ancienne tête de pont.
Accompagnée par un policier d’origine paysanne plutôt grossier et pas du tout avare de compliments allusifs, dans une étroite catacombe creusée dans le tuf, Nigra découvre un cadavre parfaitement conservé. Néandertal ! hurle-t-elle sans pourtant perdre le Nord. Le policier, au contraire, s’évanouit. Tandis qu’elle considère les deux corps étendus à ses pieds, un vertige la surprend. Elle tombe au milieu des deux corps, avant de se réveiller dans un état de grave confusion. Pour se lever, elle saisit avec force un bras…

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Dans un latin approximatif, jaillissant d’une bouche qui était restée fermée depuis très longtemps, Nœvius, le vieux soldat romain, essaya tout de suite d’étreindre la jeune femme. Cela réveilla le policier. D’un bond, les deux hommes se levèrent, obligeant Nigra à une difficile action conciliatoire. Devenus amis, les trois remontèrent au rez-de-chaussée, où l’ancien Romain fut invité à s’asseoir sur un banc installé au-dessous de la voûte sombre d’où l’on pouvait accéder au pont, désormais interdit aux tramways et aux voitures et réservé aux piétons et aux vélos.
Entouré par une foule de curieux de plus en plus nombreuse, Nœvius, abasourdi par tout ce qu’il voyait autour de lui, fit tôt comprendre qu’il croyait, en pleine honnêteté, d’avoir dormi après un coup d’épée ou de dague sur la Nuque et de s’être réveillé juste au lendemain de la bataille. Il n’était pas un soldat de Constantin, donc il n’était pas du tout imprégné par le mysticisme religieux de cet empereur. En même temps il semblait encore écrasé par une montagne d’idoles et de superstitions dont Nigra n’avait jamais trouvé de traces importantes dans ses études fouillées.
Ensuite, une improbable confrontation se développa, autour des mémoires et des réflexions que les mêmes lieux provoquaient en Noevius et ses interlocuteurs. Au fur et à mesure que Nigra, aidée par un groupe d’intellectuels volontaires, expliquait tout ce qui s’était passé à Rome au cours des 2000 ans que Nœvius avait employé pour dormir, celui-ci essayait de s’adapter à la situation Nouvelle.
En fait, par des réactions pour la plupart inattendues — cynique lorsqu’il aurait dû l’être passionné et sentimental ; moraliste quand il aurait pu se borner à des haussements des épaules — Nœvius Ne se dérobait jamais à des responsabilités qui en fait Ne le concernaient pas.
Alors, en 2000, l’hypothèse, suggérée par la petite pièce, d’un amour aussi mental que passionné se déclenchant entre Nœvius et Nigra ne suscita aucun scandale. Personne ne s’était étonné à l’idée d’une possible union intime entre deux humains dont l’un avait mille sept cent deux ans plus que l’autre. Qu’importe s’il était resté hiberné et, au moment de son réveil, il avait l’âge de son corps au moment du coup fatal, c’est-à-dire à peu près quarante ans, tandis qu’elle en avait vingt-six.

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Giovanni Merloni, La femme-pont, dessin à l’encre de chine, 2000

Il aurait pu être son ancêtre. Probablement, le jour de la bataille il songeait à envoyer à son enfant aîné une bourse pleine de sesterces pour son prochain mariage…. Il faudrait faire l’examen de l’ADN, hurlerait un autre. Et si l’on découvre une parenté, c’est un inceste…
Pour des raisons plus modestes, Nigra n’eut pas la chance de couronner son rêve d’amour avec son Nœvius-Néandertal trop intelligent pour les Nouveaux Temps où il était ressuscité. Le ministère ne voulut pas renouveler la bourse pour exploiter jusqu’au bout le cas unique au cours de deux milléniums. Ensuite, elle et Nœvius ne réussirent pas à convaincre la Mairie de Rome pour la mise en place d’un « Musée de l’inexplicable ». Aidée par Renzo Piano et Dario Argento, Nigra avait dessiné un sous-sol aux lumières rouges avec deux niches où, dans les mêmes créneaux d’ouverture que les autres musées de Rome, Nœvius et elle-même s’étaient engagés à dialoguer avec les visiteurs, dans l’incommode position des statues gesticulantes. Nonobstant leur enthousiasme, on avait rejeté cette proposition avec des arguments Nuls et captieux, Notamment le coût excessif du personnel de billetterie.
Personne ne s’étonnait du fait extraordinaire d’un homme survécu à deux milleniums, donc très peu de gens auraient eu envie de frôler sa niche pour lui toucher la pointe du pied.

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Rome, pont Milvius en crue, novembre 2004

Nigra rentra donc à Prague, en larmes et pleine de rage comme Héloise après la brusque séparation d’Abelard.
Et Nœvius ? On dit qu’il dut vite s’intégrer et faire de façon que son cas fût oublié. Finalement, six ans après, le même jour où j’abandonnai Rome pour Paris, il partit à Bologne. Quelques mois depuis, un ami de Bologne m’appela, pour me reprocher mon absence. D’un coup, le discours tomba sur notre commun camarade : Ne savais-tu pas que Néandertal était à Nouveau parmi nous, très engagé comme architecte de la Mairie d’une petite commune de la banlieue ? Et puis il a une nouvelle femme !
Comment s’appelle-t-elle ?
Elle s’appelle Lola, les gens du village l’appellent Lolita, tandis que lui, il l’appelle Nigra.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 27 août 2013

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