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Au Milieu de la Mer infinie des Mots, des noms des personnes et des lieux, des choses réelles ou figurées dont le M est le Maître, j’aurais eu envie de cueillir cette occasion Magnifique de l’alphabet renversé pour tirer le portrait d’hommes et de femmes, dont le nom ou prénom commence par M, que j’ai rencontrés lors de Moments cruciaux de Ma vie. Des Messieurs, Mesdames et Mesdemoiselles qui ont fait ou dit au Moins une chose restée Mémorable pour Moi, à partir de Ma Mère, évideMMent.
J’aurais pu en tirer une longue liste, en commençant par Ma Maîtresse aux écoles élémentaires, dont je suivis le Macabre enterrement aux premiers rangs avec Mes camarades de huit ans.
J’y aurais ajouté d’emblée le nom de Mon professeur d’histoire et philosophie du lycée, Giuliano Manacorda, avec ceux de l’architecte Pio Montesi et du journaliste Stelio Martini. J’étais assez subjugué par l’honnêteté et la cohérence de Manacorda, que j’aimais aussi en raison de ses perplexités vis-à-vis des certitudes de certains philosophes, auxquelles il préférait sans doute l’esprit chercheur des poètes. Pio Montesi M’aida à découvrir Mon parcours de travail après l’université et la Mort précoce de Mon père, dont il avait été un grand ami. Stelio Martini fut le premier à M’encourager dans la peinture, restant tout au long du parcours commune de vie, une des rarissimes personnes avec qui j’ai pu parler de tout. Trois figures nobles et inoubliables, à la tête d’un long cortège de Morts et de vivants en M, auxquels je M’unis souvent, pour échanger ou discuter avec eux sur le sens de cette Malle invisible et précaire qui se remplit au hasard de phrases et vicissitudes communes, vécues ou ressenties dans l’intimité de rapports exclusifs, dont aucun d’autre en dehors des deux personnes concernées ne pourra jamais garder la Mémoire.
J’aurais voulu aussi parler de choses gigantesques comme le Monde, ou petites comme la Main d’un enfant ; de choses Mystérieuses comme les Magies, ou les Manies et les Manipulations vertébrales et cérébrales.
Mais c’était impossible : on devient d’un coup sourd comme une cloche si l’on se risque à entendre dans le Même instant tous les klaxons du Monde.
D’ailleurs, la liste serait trop longue. Bien sûr, j’aurais aimé visiter Montaigne dans la bibliothèque de son ancien château sur les rives de la Dordogne ; frapper à la porte de La Brède pour assister, non vu, aux dictées de l’insomniaque Montesquieu à son Malchanceux secrétaire ; ou alors M’inviter à la table de Malagar, avec l’excuse d’une interview posthume sur le nouveau film sur Thérèse Desqueyroux. François Mauriac, épuisé dans un fauteuil, ne m’aurait pas écouté, évidemment, mais j’aurais pu quand Même, tout en regardant l’infini au-delà de la haie, M’aventurer dans le jardin, fouillant dans les nuances de ces textes profonds et douloureux qu’on dirait arrachés aux arbres, aux feuilles frémissantes, à la chaleur éblouissante de journées interminables et pourtant tourmentées.
J’aurais aussi aimé reconstruire à travers ses vers la vie extraordinaire d’Eugenio Montale, sans oublier la voix d’Alessandro Manzoni et les mots de Giuseppe Mazzini…
Enfin, je ne pouvais pas parler ici de Wolfgang Amadeus Mozart. Il est tellement présent dans Ma vie que j’aurais pu en parler de façon Même trop familière, oubliant le respect que je dois à cet homme unique, que ses œuvres éternelles ressuscitent à chaque écoute, à chaque touche de violon ou de clavier. Il entre dans nos esprits et Même dans nos corps par le biais de sa Mort inconnue, unique événement silencieux dans sa vie pleine de notes, de joies et douleurs déchirants. J’aurais aimé aussi parler du décalage toujours gênant entre son œuvre et son image reproduite en quantité industrielle, exagérée, dans les livres et livrets d’opéra, dans les affiches et les bustes, dans les chocolats, dans les tapis de souris, dans les Marque-pages et cetera. Tandis que son image Meurt à chaque fois qu’un de ces avatars s’installe sur nos étagères, son œuvre renaît derechef, plus vivante que jamais.
C’est le Même Mystère qui se vérifie avec William Shakespeare et Homère…
Je devais donc chercher quelque chose ou quelqu’un qui évoquât la Modestie que le Manque d’espace exige. Bien sûr, Modeste Moussorgski (1839-1881), avec ses « tableaux d’une exposition » (1874), aurait pu M’aider à M’en sortir. Mais, ce n’était pas du tout Modeste l’œuvre de cet incontournable compositeur, incarnant à la fois les illusions et les espoirs d’entières générations fixant le regard sur cette Russie prometteuse et prodigue d’artistes et d’hommes de génie.
En Manque de personnages suffisamment Modestes, le M n’est pourtant pas avare, si nécessaire, d’un coup de Main, en M’offrant une Myriade de Miracles et de Mythes…
Je Me souviens Maintenant du projet littéraire de Mon ami Mirko M., ancien ouvrier de la Fiat à Turin, Maintenant retraité. Il M’avait envoyé de l’ancienne capitale au-delà des Alpes une lettre pleine de verve et de véritable passion. Est-ce que Mirko est un écrivain ? Est-il un scénariste, sinon franchement un dramaturge ? Je ne sais pas. Pourtant son idée personne ne l’a eue avant lui. Il me l’a confiée avec un sourire complice, en m’autorisant dorénavant à l’exploiter à Mon nom dans un texte littéraire, une pièce de théâtre ou aussi dans un film :
Un jour, sortant d’une librairie de Turin — où les nombreuses affiches exhibant les portraits incontournables d’une série de personnages, notamment du monde du spectacle, M’avaient procuré un véritable Malaise —, j’avais imaginé une nuit sans couleurs ni caresses, passée parmi les étalages de cette librairie, où quelqu’un, par distraction, aurait bien pu Me renfermer tandis que j’étais aux toilettes. Au cours de cette nuit traversée par tous les insectes et chauve-souris possibles et imaginables, étendu tant bien que mal à côté d’une porte, deux affiches étaient sorties de leur rectangle, avant de glisser avec classe parmi les livres. Habitué désormais à l’absence de la pleine lumière qui M’avait autant gêné pendant l’ouverture du Magasin, aidé aussi par les flashes verts provenant d’une enseigne clignotante dans la rue, je restai étonné en voyant deux silhouettes sombres debout contre les rideaux Métalliques. Deux corps tout à fait réels, auxquels j’avais peur d’adresser la parole : d’abord j’avais peur qu’on Me reproche Ma présence dans le local ; ensuite, j’aurais pu être un voleur ou un sans abri, je ne sais pas lequel des deux aurait été considéré comme le plus redoutable ; enfin les deux, avec leurs Mouvances complices, auraient pu être des faux ressuscités, des voleurs ou des assassins… Mais, j’avais surtout peur qu’ils puissent se révéler comme deux fantômes…
Ernesto Che Guevara, comme je l’ai toujours nommé, était né a Rosario, Santa Fe, Argentine le 14 juin 1928, aujourd’hui il aurait quatre vingt cinq ans et peut-être il serait en parfaite forme, s’il n’avait été brutalement tué, à la Higuera, dans les Montagnes de la Bolivie, le 9 octobre 1967, juste un Mois avant la Mort de Mon père.
Marilyn Monroe, comme tout le Monde l’a toujours nommée, était née à Los Angeles (Californie) le 1 juin 1926 ; elle aurait Maintenant quatre-vingt sept ans… Tout le Monde sais désormais qu’elle a été assassinée le 5 août 1962, toujours à Los Angeles.
Ces données biographiques passèrent comme un flash — cette fois bleu — devant Mon regard incrédule et halluciné. Elle a deux ans plus que lui, pensais-je, Mais ce n’est pas grave. Moi aussi j’ai deux ans moins de M…
Marilyn est petite, avec son Mètre soixante six ; en plus elle Marche souvent courbe, pliée en deux. Avec son allure chancelante elle peut apparaître plus petite encore, tandis que lui, avec son Mètre quatre-vingt deux et son portement droit pourrait lui Manger sur la tête. Moi, j’ai sa même taille à lui, tandis que Ma M. à Moi est assez petite elle aussi.
Mon ami Mirko, M’avait ensuite envoyé une deuxième lettre, dans laquelle il s’était chargé d’une reconstruction plus précise des circonstances de son expérience imaginaire :
Maintenant je me rappelle mieux. Je restai dans la librairie, d’accord, mais cela ne se vérifia pendant ma pause dans les toilettes et je ne vis pas vraiment les deux figures mythiques et incontournables descendre de leurs affiches en noir et blanc pour se colorer devant Moi. Et cela n’arriva pas au rez-de-chaussée, Mais…
C’était un samedi de la moitié de décembre, la Noël s’approchait et je devais M’acheter une agenda. J’aimais beaucoup celle qui avait sur la couverture une femme verte peinte par Tamara de Lempicka, mais j’étais dérangé par James Dean, Audrey Hepburn, Marylin Monroe… Au bout d’un couloir, derrière un étalage pivotant avec tous les noms possibles et imaginables il y avait des photos, des livres et des films sur Che Guevara.
La librairie n’affichait aucune hâte de fermer. Il Me fallut une heure pour M’apercevoir de cette table aux jambes en l’air. Il ne s’agissait pas d’une table, mais d’une trappe pour descendre dans le sous-sol. En m’accoudant je humais une poignante odeur de sauce, accompagnée par cette inoubliable ritournelle :
Aprendimos a quererte
Desde la historica altura
Donde el sol de tu bravura
Le puso cerca la muerte
Aqui se queda la clara,
La entranable transparencia
De tu querida presencia
Comandante Che Guevara
(Quand mes enfants mâles étaient encore petits, je leur fredonnais des étranges fables, avec un côté sensuel, inspirées aux cangaçeiros et au redoutable Antonio das Mortes. Elles étaient toujours mêlées aux histoires quotidiennes des maisons aux balustrades de Turin et aux souvenirs vagues du film I compagni avec Marcello Mastroianni).
J’ai descendu ce peu de marches, l’agenda dans la poche (pourquoi dans la poche ? voulais-je peut-être l’emprunter sans payer ?) avec dans la main l’énième livre sur la mort de Marylin.
Je Me disais : nous nous attachons à l’immortalité des nos vedettes, quitte à laisser que la barbarie jette dans la poubelle le travail de nos pères et grands-pères. Nous acceptons une mode, au fond, soit si nous poursuivons avec résignation l’esprit de décadence de l’homme sans qualités qui croît à l’intérieur de nous-mêmes, soit si nous nous laissons traîner per cette espèce de délire érotique envers les nouveaux dieux… Ils sont toujours beaux, intelligents et perdants, ennoblis et immortalisés par la mort précoce.
(Le cinéma n’a plus, aujourd’hui, la même force de suggestion, peut-être à cause de cette réalité que nous trouvons à la sortie, une réalité difficile à modifier, de plus en plus renfermée avec un caillou dans la bouche et une main qui nous empêche de cracher).
Je ne sais pas comment et pourquoi je m’assieds dans un coin, parmi les balais. Il me semble d’entendre des voix. En fait, la librairie est assiégée par un groupe de jeunes fascistes… Ce n’est pas possible, je me dis, le fascisme n’existe plus, il s’est évanoui, désormais. Pourtant…
À ce point-là la trappe se ferme juste au-dessus de ma tête avec un sourd écho. Cela me coupe le souffle. Attrapé par un sommeil inattendu, j’essaie de m’étendre. À terre, je découvre un gros livre, un de ces livres assez coûteux et difficiles à vendre. Déjà sur la couverture, un tigre ouvre grand sa gueule : Voyage à travers les dangers de l’Amérique du sud.
Enveloppé dans l’irréalité du sous-sol poussiéreux et de ce livre que j’aurais peut-être aimé dans mon enfance lointaine, j’étais finalement en train de m’endormir — en songeant, épouvanté, aux iguanes, au certao, au serpent des sept pas, à Salvador Allende le fusil dans la main —, essayant de m’accrocher à l’idée que sur la couverture il n’y avait que le tigre en papier dont fantasmait Mao Tse Tung… lorsqu’une voix calamiteuse m’embobina :
I wanna be loved by you, just you
Nobody else but you
I wanna be loved by you alone
I wanna kissed by you, just you
Nobody else but you
I wanna be kissed by you alone
I couldn’t aspire
To anything higher
Than to fill the desire
To make you my own…
N’était-ce pas elle la vertigineuse qui avant fait tourner en rond sa jupe plissée en exhibant ses jambes et ses slips juste au-dessus de la trappe ? Oui, c’était elle, mais ses cajoleries et voltigements n’étaient pas adressés à moi.
Se suivit une des situations typiques, entre le cauchemar et le rêve, qui se déclenchent lorsqu’on on dort avec un gros livre au-dessous de l’oreille : un homme se présenta devant moi, ressemblant comme une goutte d’eau à un véritable chaman de Castaneda. Je reconnus Marcello Mastroianni… Cette apparition ne me surpris pas du tout, j’en devinais immédiatement le sens. Viens avec moi, dit brusquement le chaman Marcello, d’une telle façon que je n’osai pas lui répondre. Je le suivis donc sur une barque branlante, s’apprêtant à remonter un fleuve large et plat. Pendant un temps insupportable, dans lequel je mûris un sentiment de manque et de peur de nouveaux coups de théâtre — manque des jambes flexueuses dansant le twist au-dessus de ma tête ? peur que les fascistes rentrent dans la librairie et descendent par la trappe ? — nous tournâmes en rond dans un brouillard épais et ouaté.
Petit à petit, la barque se Muta en yacht élégant et impeccable filant parmi les requins de la Mer des Caraïbes. Au Milieu de Mes pieds, Marylin dansait, chantait, tout en insistant chez Marcello, Muté en serviteur, pour avoir l’irish coffee et le savon de Marseille. Quant à lui, Che Guevara restait toujours étendu, comme un Mort, ou alors se levait, Montait sur le Mât pour guetter le vent avant de s’efforcer de prononcer son discours. Mais, je voyais qu’il n’était pas trop convaincu. Il semblait Me regarder et Me dire : À quoi bon ?
Nous étions en vérité dans une barque ondoyante parmi les grands navires russes bourrés de Missiles au large de Cuba, quelque Mois avant le bras de fer entre les deux plus grandes puissances du globe. Marilyn ne pouvait pas connaître en avance la date de sa Mort imminente. Elle était en croisière, dans un rare instant d’insouciance et de simplicité. Là, je fus témoin de l’amour soudain, violent et doux, se déclenchant entre Che Guevara et Marilyn. Un amour discret, Ma foi, protégé par des rideaux de brouillard rose et bleu que Marcello, véritable chaman touche-à-tout, avait su créer pour leur donner, pour une fois dans la vie, l’illusion de la liberté. Un amour dont je n’aurais perdu aucun passage, aucune caresse et Mot intime si j’avais eu envie de profiter de la perspective que Ma position oblique M’accordait. Mais je détournai le regard en bouchant Mes oreilles avec las Mains. Ou alors je dormis. Plus tard, une voix officielle Me susurra que les corps ressuscités des deux plus grands héros contemporains de la beauté et du courage s’étaient aimés pendant à peu près une heure et demie, le temps d’un film traditionnel de la Metro Goldwyn Mayer.
Au lever du jour, hors de la librairie, il n’y avait plus de voix, ni de sirènes de la police. Ma fiancée, Marilina, M’appelait tout en hurlant :
I wanna be loved by you, just you
Nobody else but you
I wanna be loved by you alone
tandis que deux sales types en blouson noir saisissaient brusquement Mes bras, en raison de l’agenda qu’ils avaient trouvée dans Ma poche.
Une fois tout éclairci — je leur avais expliqué que c’était un pari que Mes camarades de l’université M’avaient lancé. D’ailleurs, ce n’était pas la fin du Monde, que de voler un livre dans une librairie ! — je Me trouvai libre, encore endormi, appuyé au comptoir du bar Reale où ma future femme Marilina Me versait un cappuccino.
Quelque chose t’a effrayé, n’est-ce pas ? Me dit elle.
Oui, ces pauvres Morts, on ne les laisse jamais Mourir en paix !
Avec cette histoire farfelue et triste de mon ami Mirko, je crois avoir finalement atteint la moitié de mon alphabet renversé. À Rome, si je ne me trompe pas, les annuaires téléphoniques étaient coupés en deux : le premier volume s’appelait A-L, le deuxième M-Z. Avant d’entamer le nouveau livre, chargé de remonter de la Liberté à l’Amitié ou, si l’on veut, de la Loupe à l’Aiguille, je suis monté sur la tour Eiffel et j’ai regardé en direction du Mistral. Là-bas, près d’un grand fleuve, au milieu des pierres et du va-et-vient d’anciennes et récentes Liturgies, Brigitte Célérier se détache nettement, avec des attitudes hagardes et gentilles. Vendredi 23 et samedi 24 août, sur son blog, elle avait déjà fouillé avec élégance et passion parmi les M, en me laissant une Malle pleine de suggestions, que j’ai peut-être empruntées sans lui demander la permission…
Giovanni Merloni
(Photos : cliquer pour agrandir.)
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 30 août 2013
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Bravo ! j’aime ces hommages, tous, y compris ceux de la fable ou du scénario – verve et sensibilité
Le « M » n’est donc pas automatiquement (ou cinématographiquement) maudit.