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Un paysage suffoquant (1971)

Je suis poursuivi,
harcelé,
hanté,
par le passé.

Il me tire par la manche,
Il m’immobilise.

Sous la nappe de mon
paletot, un temps lourd,
insupportable,
s’est endormi,
tout en flottant autour
de moi, otage
ou prisonnier
d’une boîte à chaussures
d’où jaillissent les souvenirs,
tels des oiseaux effrayés,
volant bas
au-dessus d’une terre vague,
tout en effleurant les haies,
les fils barbelés,
les champs cultivés
et les pantins de neige…

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Voilà l’histoire
maladroite
d’un rêveur solitaire,
tout à fait convaincu
qu’il serait inaperçu
et qu’on a, au contraire,
encerclé
et joliment gâté
pour qu’il ne voie pas
pour qu’il ne creuse pas
dans le fond d’un puits
par son regard
scandaleux et concret.

Voilà l’histoire
d’un type désargenté,
assez doué
qui a toujours trouvé
quelques aides nonchalantes.

Vous voilà,
au passage,
un gamin assez sage
que personne — dommage ! —
n’a pas vraiment écouté.

Selon le cliché
qu’on forgea pour moi
mes dures souffrances
n’étaient pas sincères
ou alors la faute
c’était au luxe
d’une époque de reflux.

Si, au contraire,
il s’agissait de joies
assez rares
que j’avais saisies au vol
comme le train à la gare
on me classait
d’opportuniste
de vaniteux
et d’ingrat :
« Il n’est jamais satisfait
de ce qu’il a eu.
Il aurait dû faire
le soldat, apprendre
la valeur de la terre
mourant en guerre».

Je suis comme un engin
qui ne s’envolera jamais.
Mon bois pourrira
s’incrustant
de rouille et de vis,
mes hélices, raides
et tordues, tourneront
à vide, en attendant
stupidement
la mort.

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« Oh, qu’il est rigolo
mon Giovannino !
Il sait si bien parler
même s’il est petit.
Oh ! qu’il est adroit !
Voyez comment
il se débrouille ! Et
pourtant il est un peu trop
original
ancestral
divers. »

« Ne voyez-vous pas ?
Il a sali le mur
avec ce tourbillon
de gueules et de
chapeaux :
le dessin qu’il a fait
est intéressant,
mais assez étrange,
sans queue ni tête. »

Personne ne m’a payé
pour parler,
ni pour graver des mots
sur les murs,
ou pour décrire l’incertitude
de chaque homme,
l’ambiguïté héroïque
de cette société.

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D’ailleurs
je ne pourrai jamais
me dérober
à ma destinée inquiétante
et drôle.

Jusqu’au dernier jour
si je réduisais les plaisirs
je cumulerais mes devoirs.

Et, plus je m’efforcerai
d’être cohérent, léger,
insouciant,
plus je vivrai assiégé,
renfermé
dans les étroits
vêtements
d’un paysage suffoquant.

Giovanni Merloni

avant l’amour – 1960-1965 ambra – 1966-1971 nuvola – 1972-1974 stella – 1975-1976 ossidiana – 1977-1991 luna – 1992-2005 roma – 2006-2014 paris
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 19 juillet 2014

TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN

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