Ruelle de Mesta, Île de Chios (Grèce)
« Parmi les désirs, certains sont naturels et nécessaires, d’autres sont simplement naturels, d’autres encore ne sont ni naturels ni nécessaires mais naissent de la vanité ». Epicure (341-270 av.J-C)
(En fouillant dans mes papiers, j’ai trouvé une petite réflexion, de 1999, se balançant entre l’indignation — toujours prête à bondir — vis-à-vis de la vulgarité de certains personnages, toujours en train de se disputer la première ligne sur le petit écran télévisé, et le rêve de l’anonymat — « pour vivre heureux, vivons cachés » — dont Épicure et Sénèque ou Chateaubriand ont été les paladins les plus connus.
Je vous en propose une lecture légère et désenchantée, vous invitant aussi à considérer que cela se passait en Italie à la fin du dernier millenium, et que peut-être le monde, au lieu d’empirer, a bien sûr trouvé, entre-temps, des antidotes à tout genre de « pessimisme créatif ».)
Ruelle de Mesta, île de Chios (Grèce)
Qu’est-ce qu’il y a au milieu, entre Vittorio Sgarbi et Carlos Castaneda ? Pourquoi le désir de « ne pas paraître pour exister » de Castaneda c’est un phénomène rare et même étrange ou honteux, tandis que l’on considère comme normal le besoin débordant d’un Sgarbi de « paraître coûte que coûte », lui aussi pour exister ?
Évidemment, Sgarbi ni Castaneda ne sont pas des artistes, ou des poètes. Néanmoins, leurs réactions opposées vis-à-vis de l’exhibition sur un plateau (ou dans une vitrine) sont les mêmes qu’on observe chez les artistes et les poètes.
Toute exhibition peut comporter, aujourd’hui, en Italie, une perte d’identité ainsi qu’un compromis. Tout renoncement à se montrer en public se configure, d’ailleurs, comme une auto-exclusion sans remèdes.
Chacun est libre de choisir. Et pourtant toute œuvre de création — livre, poésie, morceau musical, tableau — demande de l’attention et du respect. Elle devrait être laissée libre d’errer « toute seule », à la recherche de « son » public, se laissant éventuellement accompagner par des amis bienveillants et des fanfares de trompettes.
Ruelle de Mesta, île de Chios (Grèce)
N’est-ce pas, cette œuvre, en dernière analyse, une « personne » — nouvelle née, ayant déjà grandi, adulte ou moribonde — qui n’a plus rien à faire avec le père-et-mère qui l’ont engendré ? Appelons-la Livre ou Poésie ou Musique ou Tableau. Ou alors appelons-la synthétiquement LPMT, comme peut-être Calvino aimerait.
Donc LPMT arrive, fatiguée par le voyage, mais euphorique pour les ramponneaux reçus, en face de son destinataire naturel — lecteur, spectateur — qui ne la remarque pas. Ou alors il la regarde, l’effeuille distraitement, sans renoncer au zapping. Il se passionne, ou s’ennuie mortellement. Il en parle le lendemain au bureau, pour l’exalter ou la démolir. Il naît pourtant, ici et là, un microscopique ou grandiose bouche à oreille. Un tam-tam tortueux de « hourra », de « passable », de « non, absolument gratuit » ou, même, de « négatif » ou « nuisible ».
Place de Mesta, île de Chios (Grèce)
Ou bien le silence. Pour certaines œuvres, prématurées ou tardives, même si dignes, cela peut se déclencher une tacite complicité imprégnée d’indifférence, qui se traduira bientôt en condamnation à l’oubli.
Prenant juste à prétexte le décalage de cette œuvre vis-à-vis des rendez-vous de l’Histoire, n’ayant pas, elle, les « contenus » que « le public veut ».
Donc, même dans des conditions favorables, LPMT doit grimper sur des glaces pour survivre. D’ailleurs, on le sait bien, « l’homme naît péniblement / déjà risquant la mort à ce moment » (1).
Volontiers, LPMT rebrousserait chemin, pour rentrer dans l’utérus où elle a été conçue et transformée en fœtus. Mais, on sait bien cela aussi, il y a toujours quelque Chat et quelque Renard (2) qui se charge de le « consoler de sa naissance » (3).
Devrait-elle, cette œuvre personne nommée LPMT, devenir rusée ? Qui sait ? Cela c’est sûr, le chemin est en forte pente, un éboulis avec des gouffres gelés, fouetté par de rafales de « bora » à la vitesse de 200 kilomètres l’heure.
Maintenant, les conditions semblent être devenues encore plus lourdes.
Les hommes se divisent en poissons, mammifères et oiseaux, des espèces animales qui s’effleurent à peine une fois, quitte à passer le reste de la vie à s’ignorer.
Aujourd’hui, nous avons Internet, le Blog, Facebook et Twitter. Les choses, ont-elles changé ?
Giovanni Merloni
Île de Chios (Grèce)
(1) et (3)
« L’homme naît péniblement
Déjà risquant la mort à ce moment,
Il éprouve de la peine et des tourments
Juste en début ; et dès son premier jour
Sa mère avec son père
Ils vont le consoler de sa naissance. »
Giacomo Leopardi, « Chant nocturne d’un berger errant de l’Asie », Recanati, 1829-1830
(Traduction : Giovanni Merloni)
(2) Collodi, Les aventures de Pinocchio
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 19 mai 2014
CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.
crois pas – au fond
Une île peut être une œuvre d’art (je ne connaissais pas Vittorio Sgarbi)…