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Brigitte Célérier, Claudine Sales, Dominique Hasselmann, Elisabeth Chamontin, Francis Royo, Jan Doets, Laurent Margantin, Le Tourne à Gauche, Lucien Suel, Métronomiques, vases communicants
Ceux qui lisent plus fréquemment mes textes, savent bien que rarement je suis un parcours linéaire ou, pour mieux dire, une piste décidée avant. Je préfère monter sur le strapontin d’un train ou, parfois, sur le redoutable support aérien du télésiège, en me laissant transporter par le vent, par une émotion tourbillonnante ou par un mot. Je fais cela même si je dois affronter un sujet sérieux ou inquiétant ou aussi dramatique. Car pour avancer j’ai absolument besoin d’un guide, d’une musique intérieure ainsi que de la sensation profonde de savoir où je veux arriver. Au sommet d’une montagne ? Dans une île cachée par les tempêtes ? Dans une ville triste et méconnue qui pourtant recèle d’incroyables trésors ? Je veux arriver là où tout le monde veut arriver. À une simple petite vérité capable de nous faire avancer, nous rendant provisoirement heureux. Parfois, la vérité est évidente. Mais pas tout le monde la voit. Certains ne sont pas en condition de la voir, d’autres s’y refusent. Même si parfois cette vérité est gentille, honnête, incapable de faire du mal à une mouche. Je me demande souvent pourquoi la plupart des hommes et des femmes n’ont pas envie d’exercer à fond leur naturelle curiosité, en dépassant les préjugés, les tabous et les idées reçues… Y a-t-il vraiment, dans cette attitude, une dose de masochisme, indispensable comme une drogue ou comme l’air, qui pousse les êtres humains à creuser des trous dans le sable (pour en faire des châteaux éphémères), avant de se consommer dans le besoin acharné et désespéré de montrer leurs chefs d’oeuvres à tout le monde ? Où est-il d’ailleurs le masochisme ? Dans la fabrique de châteaux que la déferlante effacera en un seul instant ? Dans la petite vanité de se mettre en compétition pour avoir la meilleure place au passage de la lumière ? Je ne vois aucun masochisme là-dedans. Mais je vois qu’il est bien stérile tout travail qui se répète chaque jour avec les mêmes rythmes et rituels. Ou, plus exactement, puisqu’aucune action humaine n’est en elle-même vraiment inutile… Mais de quoi parlé-je, au juste ?
Je parle du travail culturel des blogs, de leur pulsion créatrice, de leurs créatures, ayant souvent de l’originalité, sinon de la vitalité expressive à part entière. On pourrait comparer les blogs aux anciennes boutiques des artisans d’une rue de Rome ou de Paris jusqu’aux années soixante et soixante-dix du siècle passé. Évidemment, les artisans de certains quartiers du centre avaient des chances majeures de voir rentrer dans leur boutique de bons clients. Mais, les rumeurs circulaient et tout le monde savait que quelque part (dans les faubourgs ou dans la banlieue) il y avait des artisans aussi capables que ceux-ci… Par conséquent, si les clients se déplaçaient volontiers, les artisans se rencontraient ou se faisaient la guerre sous les yeux de tout le monde. Le côté physique du déplacement des humains ne faisait qu’un avec celui du territoire… Tandis que maintenant rien n’est physique, au-delà des images renvoyées par les photos. Il n’existe plus un territoire unique pour l’échange réel des expériences ni vraiment un territoire tout court. En plus, les blogueurs ne sont pas de vrais travailleurs. Ils ne font que des démonstrations de leur talent, ou alors des exploitations gratuites de tout ce qu’ils ont à donner de mieux… D’un côté, pour les boutiques artisanales d’antan, on pourrait voir dans le marché — un marché bien sûr assez artisanal — le deus ex machina de la situation… de l’autre, pour notre constellation de blogs plongée dans un monde sans usines et même sans bureaux… il est presque impossible d’envisager une règle, des paramètres de jugement, un système de valeurs capables de donner à chacun ce qu’il s’attend et qu’il mérite. D’ailleurs, je crois que personne parmi ceux qui consacrent leur temps à la publication « par blog » n’accepterait l’idée qu’il le fait pour soi-même, pour se faire plaisir, pour remplir les vides d’une vie de plus en plus sombre et solitaire.
Depuis une année et demie, par le biais du redoutable réseau social nommé Twitter, je fais partie d’une petite communauté francophone où beaucoup de personnages que j’estime vivement font leur apparition de temps en temps. C’est un petit village, qui reproduit, et cela est inévitable, tous les vices et toutes les vertus de tout village ou communauté au monde, et pourtant manifeste, dans le fond, une grande vitalité positive, une grande envie de sortir de l’anonymat. Ici, une des inventions le plus originales est représentée par les « vases communicants » fondés par François Bon, auxquels n’importe qui peut participer à condition de trouver un partenaire avec qui travailler, le premier vendredi de chaque mois, sur un sujet commun. On assiste d’ailleurs à plusieurs expériences « associatives » comme « les cosaques des frontières » guidés par Jan Doets ; la « dissémination » de la « web association » guidée par Laurent Margantin ; le « contrepoint » de Francis Royo et Claudine Sales et cætera. Les blogueurs se chargent souvent d’un temps d’écoute vraiment admirable si l’on considère le temps de plus en plus réduit que chacun a à disposition pour réaliser matériellement son propre blog. La lecture réciproque rapproche ces nouveaux artisans entre eux. Donc ils s’entraident, par petits groupes, dans le but de rompre l’isolement de l’un et de l’autre. Un petit radeau avance joyeusement à la dérive, grâce à l’enthousiasme de plusieurs volontaires ainsi qu’à la présence constante de témoins et guides comme le Quatrain quotidien d’Élisabeth Chamontin et Paumée de Brigitte Célérier. Ici et là, la qualité des publications — articles-reportages, textes littéraires, poésies ou œuvres graphiques — est vraiment remarquable. Je voudrais citer le SILO de Lucien Suel, ainsi que les textes de Claude Meunier et les articles métronomiques de Dominique Hasselmann. Mais le travail des blogueurs — quotidien, arythmique ou carrément irrégulier — produit beaucoup d’autres « belles choses », faisant entrevoir une possibilité… une nouvelle façon de s’exprimer à côté de tout ce qui existe et en même temps une nouvelle façon de s’exprimer tout court. Cela arrive spontanément, grâce à l’initiative de chacun ainsi qu’à ces formes embryonnaires d’échange et de partage dont j’ai parlé. Et cette activité crée des contextes, des lieux d’échange virtuels… Pourtant le caractère éphémère qui caractérise cette activité même — avec les soudaines disparitions de blogueurs qui avaient donné le sang pour cet échange aussi nécessaire à la créativité comme à la langue et à la culture francophone — nous révèle aussi l’absence dramatique d’un véritable contexte. Ainsi que le manque de toute possibilité de mettre en relation les blogs avec les produits artistiques et littéraires reconnus, en établissant évidemment des critères de choix et de sélection aussi… On dirait que la solution de cette fracture est dans le numérique, c’est à dire dans une différente forme de publication virtuelle. Je ne crois pas que ce soit là le centre du problème.
Une première génération de blogueurs s’est déjà sacrifiée devant un mur de sous-évaluation ou d’indifférence de la part des milieux culturels et artistiques crédités. On est maintenant à la deuxième génération et l’on souffre encore le même problème, tandis que l’évolution qualitative dans ce domaine demanderait, je crois, la présence active et constante de nouveaux Zola — ou Breton, ou Elio Vittorini — désintéressés, se chargeant de suivre de près le travail de tous ceux qui apportent quelque chose d’intéressant et de sincère, en brisant le cercle vicieux de la compétition individualiste de quelqu’un ainsi que la générosité naïve de quelqu’un d’autre. D’ailleurs, il ne faudrait pas permettre que certains patrimoines d’énergies et d’idées — par exemple le travail généreux que nous avons aimé dans le Tourne-à-gauche ainsi que dans Métronomiques — se dispersent tout à fait, pour rester juste dans la mémoire éphémère d’une dizaine de suiveurs attentifs.
Giovanni Merloni
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 9 juin 2014
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vrai pour la plupart, mais d’ailleurs certains des plus beaux et riches, plutôt sites que blogs durent et persistent très longtemps
et puis il y a réellement quelques uns qui sont réellement pour soi-même, occupation, (sauf quand on se laisse aller au risque de se prendre au sérieux et alors faut sévir) comme Paumée
Bonjour,
Ma compagne appellerait ça « hasard objectif » mais il se trouve que cet après-midi même j’évoquais avec elle votre blog en le distinguant de la cohorte « d’écrivants » dont certains sont cités dans cet article – désolé – qui pullulent sur le net depuis quelques mois.
Certains se sabordent, j’allais écrire « enfin », et ne survivent à bon droit que les travailleurs au rang desquels j’aime vous compter.
Ne pleurez pas trop sur le sort de ceux qui meurent en chemin, c’est le lot commun que ce soit dans le monde de l’édition traditionnelle ou celui du net.
Le net est certes un outil merveilleux mais tout le monde n’est pas François Bon et il serait « criminel » de laisser croire le contraire, de laisser penser que la maîtrise de la dactylographie peut suffire à donner du talent .
Une jolie mise en page et une police de caractères flatteuse ne présume pas de la qualité des écrits et il est trop rare de trouver chez ces écrivants une vraie « chair littéraire ».
Je ressens le plus souvent dans certains blogs un certain exhibitionnisme, comme un besoin de dire « regardez! j’existe!!! » et tout cela semble pathétique. Un silence raisonnable serait sûrement profitable à la plupart de ces gens. Prendre le temps de travailler réellement et de faire montre d’une volonté créatrice.Faute de cela, la banalité est à chaque détour de phrase et l’humilité n’est pas la qualité la mieux partagée.
Voilà, c’est juste un lecteur un peu exaspéré par ces dérives pseudo-littéraires qui saisit l’occasion de dire ce qu’il ressent.
On pourrait me répondre à bon droit que je ne suis obligé à rien et que je peux esquiver ces blogs dont je pense le plus grand mal et c’est exactement ce que je fais.
Pardonnez cet excès de franchise mais je suis arrivé sur ce versant de l’âge où le temps devient un bien rare et précieux que l’on n’aime pas gâcher comme dans les années de folle jeunesse.
Quant à vous, continuez!
Merci de votre commentaire. En réponse (évidemment partielle) je vous invite à lire ce que disent @mchristinerimard et @noelbernard ci dessous, que je partage.
Ciao !
Écrire c’est partager.
Il faut de la générosité et de l’amour, et de la sincérité, de l’opiniâtreté aussi, surtout pour ceux qui se sont donné le but de publier quotidiennement.
Il n’est pas nécessaire d’avoir la « fibre littéraire » comme le souhaitent certains, comme ce que je viens de lire ci-dessus. Il suffit juste d’avoir une âme et de la laisser parler. Les humains ont besoin de mots pour habiller leurs émotions. Quand ces mots touchent d’autres humains, attentifs et généreux aussi pour savoir les recevoir, le partage est réussi, peu importe dans quelle langue.
Merci de le faire ici Giovanni et de cet hommage rendu à ceux que l’on aime lire parce qu’ils écrivent aussi avec leur cœur, et même si ces battements là ne sont pas toujours entendus.
Merci de ton commentaire joyeux qu’il faut absolument partager avec le même enthousiasme ! Ciao à toi !
Heureusement, je n’ai jamais eu l’occasion de lire, ailleurs qu’ici, la prose de ce Jacques – courageux mais pas téméraire sur le plan du patronyme – qui distribue les bons points à gauche et à droite.
Ainsi, je n’aurai jamais perdu mon temps à m’user les yeux sur cette tirade laborieuse (il est vrai que la maîtrise de l’orthographe et de… « la dactylographie » par ce lecteur laissent quelque peu à désirer).
Quant à la « chair littéraire » dont ce Jacques déplore le manque dans les blogs, il devrait aller en chercher chez « Le Boucher » d’Alina Reyes.
Un blog est avant tout le précipité d’un désir d’écrire : faut-il y chercher des prétentions ou y déceler des « dérives pseudos littéraires », comme écrit notre contempteur aigri qui n’en a peut-être jamais ouvert lui-même un seul ?
Et l’on se passe finalement fort bien – même si comme toute « aventure » humaine, un blog rencontre des hauts et des bas et son auteur des pics de joie ou de découragement – des considérations au ras des pâquerettes de certains donneurs de leçons masqués !
@ Giovanni Merloni : merci.
@ mchristinegrimard : merci aussi.
Merci à toi, Dominique ! En fait mon article ne veut pas se borner à ce qui est littéraire ou ne l’est pas… Je suis convaincu que les blogs sont un phénomène nouveau, important où se trouvent des choses tout à fait originales qu’il faudrait connaître et apprécier dans de contextes plus vastes…
@ biscarrosse2012 : je suis bien d’accord avec toi (et quelle serait la jauge « littéraire », celle d’Alain Finkielkraut, de l’Académie française ?)…
Giovanni, tu es un frère. Dominique, tu en es un autre. Et en tout cas, nous continuons (vous autres à lire, tout comme moi; et nous autres à écrire, tout comme toi). Pour le reste, éphémère, oui. De l’avant, voilà tout. Et que s’abîment les imbéciles.
@PCH Un grand merci !
Bonjour
Il y a là de vraies questions. Sont-elles si nouvelles, ou l’accélération numérique ne fait-elle qu’en rendre plus aigu le constat ? Personnellement je me sens dans la situation de milliers d’écrivains de tous temps qui modestement trouvent une exaltation à participer à un mouvement littéraire où leur nom ne sortira peut-être pas du lot, mais dont la marche se fait avec eux. Dans la grande cheminée la beauté de la flamme qui fascine mes yeux résulte de la mort anonyme de dizaines de brindilles mais je n’éprouve aucune tristesse à leur égard. Certains écrivains parfois, rarement, sortent du lot, certes grâce à une production le plus souvent hors du commun il faut le reconnaître, mais surtout comme des témoins grâce auxquels nous pouvons nous repérer dans l’évolution foisonnante de la littérature. J’ai découvert récemment que nos blogs sont méticuleusement archivés par la BNF grâce à un logiciel qui ne nécessite même pas pour faire ce travail une demande de notre part. Ainsi les investigations futures de chercheurs s’interrogeant sur le sens dans lequel allait notre mouvement pourront retrouver des pistes dont nous n’avons pas conscience à l’heure qu’il est. Et nous nous apercevrons alors que tout ceci précisément avait un sens et que ces rencontres, ces échanges, ces furtives découvertes, bâtissent un courant littéraire.
Amitiés
Noël Bernard (talipo)
@ Noël Bernard @ PCH : merci à vous !
@noelbernard Merci de ce beau commentaire que je partage de A à Z. Avec les mots optimistes de Marie Christine Grimard, vous me rassurez dans mon optimisme de fond. J’aime beaucoup cette image de la grande cheminée ou le feu destructeur est aussi source de vie et d’espoir. Grazie, en espérant un jour de vous rencontrer !