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La fermeture éclair (débris de l’été 2014 n. 3)

Si, pour raconter les premiers événements de mon passé récent, je devais faire un choix de longueur au prix de la vie ou de la mort, j’arrêterais d’écrire, je fermerais les yeux et je me dirais, intérieurement : « Vite, deux mots-clés au maximum ! Sors-les de ta poche ! N’oublie pas que tu vas raconter la France à des Français et Paris à des Parisiens ! »
« Mais, comment puis-je sauter les liens chronologiques, les petits événements sans importance qui ont pourtant marqué… » répondrais-je, quitte à me couper moi-même la parole… « Débrouille-toi ! Tu n’es pas venu à Paris pour rien. C’est ici que tu as appris des choses essentielles qu’avant tu n’imaginais pas… »
J’essayerai, m’accrochant à deux mots qui devraient se révéler efficaces : « fermeture éclair » et « éventail ». Je pourrais en synthétiser le récit en écrivant, laconiquement : « de la fermeture éclair à l’éventail », mais je me rends compte qu’a priori cela ne signifie rien. Donc je vous explique.

La fermeture éclair.
Quand ma fille cadette et moi nous sommes descendus du train Palatino, le matin du 11 septembre 2006, avec nos deux valises robustes, pleines surtout de livres, j’imaginais d’être Maurice Chevalier en compagnie d’Audrey Hepburn. Selon mes rêves, tous les deux nous aurions bientôt joué ensemble dans un remake d’Ariane, le fameux film en noir et blanc ayant comme troisième acteur important un Gary Cooper assez antipathique dans cette circonstance.
Venant du chaud de Rome, donc d’habitudes climatiques tout à fait différentes — encore gâtés par le ciel serein, étant structurellement inquiets des fréquentes sécheresses beaucoup plus que des rares crues estivales —, nous ne voyions dans le mot « fermatura lampo » (« fermeture éclair ») ou « sciarpa » (« écharpe ») rien que de termes banals et pratiques. En Italie, la fermeture éclair est surtout considérée comme l’outil indispensable pour ouvrir et refermer presque tous les types de pantalons (non seulement les jeans), ou alors les blousons hivernaux ainsi que les poches internes des bourses ou des cartables.
Ici, à Paris en particulier, la fermeture éclair assume un rôle primaire. Elle est aussi importante que la baguette et peut-être plus nécessaire que le parapluie.
Nous étions provisoirement logés dans un petit deux-pièces rue Auguste Barbier, d’où ma fille devait se rendre tous les matins dans les ateliers théâtraux situés dans le quartier du métro Crimée. Du moins les premiers temps, je l’accompagnais par cette agréable descente de la rue de la fontaine au Roi se terminant au croisement entre la rue du faubourg du Temple et le canal Saint-Martin. C’était au feu rouge du boulevard Jules Ferry que nous nous apercevions chaque matin d’être à Paris. Car le petit troupeau de travailleurs et d’étudiants se rendant à pas de charge à place de la République devenait à cette halte un peloton où l’héroïsme se mêlait à l’habitude. Personne n’avait l’air de s’inquiéter pour les fréquents changements atmosphériques. D’ailleurs, tout le monde était prêt à profiter au vol de toute belle journée explosant inattendue. Même d’un poignet d’heures de soleil seulement. En ce cas, on voyait, à côté de gens qui n’avaient pas abandonné les habits du jour avant, des gens nus, ou presque, béatement plongés dans l’esprit de la plage. « Et si le temps empire, s’il rafraîchit ? » Nous nous demandions. Pas de problèmes. Quand la vague grise passe rapide et inexorable entre le ciel et le trottoir, tout le monde qu’on rencontre ne manque de rien.
Évidemment, nous deux n’étions pas du tout prêts, surtout les premiers jours, à nous déshabiller à la hâte ni à nous protéger du froid non plus. Nous n’étions pas encore dans ce février 2007, qui nous fit éprouver un froid citoyen que nous imaginions possible juste à Moscou ou à Saint-Pétersbourg… lorsqu’une sorte d’inexpérience et de naïveté me conduit à acheter dans une boutique péruvienne de la rue de la Roquette un typique béret de laine épaisse décoré avec des lamas, de couvre-oreilles et des pompons. J’en étais même arrivé au point de provoquer un regard embarrassé, plus gelé que le gel même de ce jour, chez la boulangère d’avenue Parmentier.
En septembre-octobre 2006, le froid était tout à fait maîtrisable. Et pourtant, surtout dans le métro, on risquait de s’enrhumer très facilement. Car dans les carrosses il faisait souvent très chaud, ou alors, en sortant-entrant dans les stations il y avait un vent froid, même gelé.
Petit à petit, nous avons compris l’importance d’une fermeture éclair qui, au moment donné, ouvre ou referme une blouse, une chemise, un pull. Peut-être, nous exagérions, ma fille et moi. Mais nous étions convaincus, du moins ces premiers jours de septembre, qu’il n’y avait pas de vêtement, masculin ou féminin, qui n’avait pas de fermeture éclair ! Plus tard, on apprit à protéger le point faible de nos poitrines, placé juste en dessous du cou, avec une écharpe nouée « à la parisienne ». On peut avoir même les bras nus, mais il faut bien garder la chaleur nécessaire à cet endroit critique de notre corps humain !

L’éventail
Je reviendrai un jour sur ce blog avec une analyse plus fouillée de cette découverte de l’éventail. Je proclame ici que c’est une découverte. Mais si quelqu’un démontre que cela a été déjà noté, analysé et commenté dans quelques textes que je ne connais pas, je me réjouirai quand même d’avoir « lu » moi aussi dans la carte de Paris une chose maintenant assez évidente.
Peut-être, je suis influencé par mon penchant admiratif pour Le Corbusier et sa « main ouverte ». Mais, effectivement, ce qui m’a poussé, dès les premiers jours, à regarder attentivement le plan de Paris c’étaient les grands axes qui se croisent entre Xème et Xième… de façon plutôt brutale, à mon avis, même si tout cela donne à cette ville unique de la fluidité et du souffle. Mais c’était aussi le sentiment d’égarement provoqué en moi par ce carrefour Goncourt… cette différence déjà accentuée entre le faubourg du Temple et l’avenue Parmentier… l’existence, aux quatre coins de ce carrefour, d’au moins quatre réalités différentes. Une frontière d’abord entre un contexte cosmopolite très agité et un quartier beaucoup plus calme.
Ces deux sentiments d’égarement (les grands axes, le quartier aux multiples facettes) m’ont poussé à marcher de façon ininterrompue jusqu’au moment où j’ai eu la sensation d’avoir traversé la plupart des nombreux villages (homogènes à leur intérieur) qui forment dans leur ensemble la vaste portion urbaine qui résultait de la somme de deux arrondissements (Xe et XIe)….
Comme un avocat des causes perdues, j’avais pris en charge toutes les rues (dont la rue du faubourg du Temple-rue du Temple) que les grands boulevards ou les nouveaux axes haussmanniens coupent nettement, faisant parfois disparaître toute trace de la continuité originaire.
Je ne peux citer ici que la rue de Malte, ou la rue Oberkampf, par exemple. Mais, élargissant l’observation en fonction d’une connaissance de plus en plus étendue de Paris à pied, j’ai pu remarquer (et c’est peut-être la découverte de l’eau chaude) :
— d’abord que deux axes parallèles de nord à sud traversent les deux rives de la Seine. À l’ouest, la direction de Saint-Denis (rue et faubourg) coïncide avec celle du boulevard Saint-Michel. À l’est, la direction de Saint-Martin (rue et faubourg) coïncide avec celle de Saint-Jacques (rue et faubourg) ;
— toutes les anciennes rues confluant sur la place du Châtelet et sur l’ancienne place de Grève (de Saint-Honoré à Saint-Antoine) forment, avec lesdites rues verticales, un éventail, dont le couple Saint-Michel-Saint-Jacques recouvre de toute évidence le rôle du manche.

Tout cela rentrerait parfaitement dans une nouvelle exploitation de l’histoire racontée par Billy Wilder (1957), dans laquelle la place-clou serait, au lieu de la Place Vendôme, la Place de la République. Au lieu de pointer sa longue-vue sur l’hôtel Ritz, le nouveau père de la nouvelle Audrey stationnerait plus confortablement sur le pont venant de l’Atmosphère pour lorgner sans risque dans les chambres de l’hôtel Nord, près du canal Saint-Martin…

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 7 août 2014

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