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débris été 2014 180

Il arrive tôt ou tard, et plusieurs fois dans la vie, d’attendre quelqu’un au croisement de deux rues, demeurant debout sur un étroit trottoir baigné par le soleil diagonal du matin ou de la fin de l’après-midi.
Il arrive d’avoir les jambes engourdies et la tête traversée par d’étranges sifflements.
Il arrive d’avoir besoin d’une chaise ou d’un banc public n’ayant d’autre chance, en alternative, que d’appuyer juste un instant une épaule contre l’encadrement d’une porte ou d’une vitrine.

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Tout le monde bouge autour de nous.
Heureusement, personne ne s’aperçoit de nous, de notre béret appuyé tant bien que mal sur des cheveux nerveux, de notre gêne qui serait évidente si quelqu’un ou quelqu’une avait envie de nous examiner.
Nous attendons. La personne concernée n’arrive pas encore au rendez-vous… Nous profitons alors de ce temps d’attente pour rêver ou pour essayer de raisonner…

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Parfois, nous attendons quelqu’un sans qu’il y ait eu un accord pour se rencontrer.
Nous attendons quelqu’un qui passe d’habitude par ce carrefour… Mais il arrive aussi que nous attendions quelqu’un dont nous connaissons très peu les habitudes. Quelqu’un — ou quelqu’une — qui pourtant nous intéresse beaucoup.
Il — ou elle — nous intéresse tellement que nous avons décidé de l’attendre, coûte que coûte, pendant un temps infini… Ou alors de revenir régulièrement, tous les jours à la même heure, avec la contrainte d’une halte qui, selon le calcul des probabilités, donnerait la chance au hasard de nous nous faire rencontrer… une deuxième fois.

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Plus souvent, nous sommes là parce que quelqu’un nous y a convoqués.
D’un ton péremptoire et même pédant, notre ami — ou notre amie — nous a indiqué sans trop de détails le nom d’une enseigne, le nom de la station de bus la plus proche. Ou alors, tout simplement, il nous a dit : « On se voit là… » avant de disparaître dans la foule ou dans le fil gris du téléphone.
Donc nous attendons, en nous interrogeant tout le temps si c’est bien là… qu’il fallait attendre, ou dans un autre endroit complètement différent.
« En disant « là », elle voulait dire « là où on s’était rencontrés la dernière fois »… lors de notre rendez-vous inoubliable qui a duré une journée entière et… une bonne partie de la nuit… »
« Ou alors elle parlait de notre première rencontre ? Oui, d’accord, mais… où était-ce ? »

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En attendant une personne de famille, telles notre mère ou notre femme, la question du lieu du rendez-vous assume d’autres formes. Car c’est nous qui avons décidé l’endroit. Notre angoisse, dès que les premières minutes de retard commencent à s’écouler, c’est que cette figure “indispensable et bien sûr unique” pourrait avoir mal compris le nom du lieu ou l’heure du rendez-vous ou les deux choses ensemble.
En général, ce type d’attente est tellement pénible que nous plongeons facilement dans un état d’indifférence mélancolique et  nous ne voyons plus rien.
Le monde passe à côté de nous comme une multitude d’ombres, et nous devenons nous-mêmes des ombres.

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Aujourd’hui, avec le téléphone mobile, se perdre devrait être plus difficile. Et pourtant, combien de gens ont l’habitude d’éteindre leur portable ou de le faire tomber dans un puits ! J’attends. En attendant, je me rends compte que je suis piégé. Vous souvenez-vous de l’histoire de Marinette chantée par Brassens ? C’est une histoire de rendez-vous ratés. Et pourtant l’homme dévoué et amoureux peut librement bouger. Patience s’il arrive toujours trop tard aux rendez-vous que Marinette lui donne ! Moi, je ne sais même pas si c’est trop tôt ou trop tard… Et Marinette est peut-être là, cachée au-delà du pavé aveuglant, au milieu d’une foule en forme d’ombres. Elle peut me voir sans que je puisse la voir à mon tour. Et si je m’éloigne… elle arrive tout de suite et va s’embêter parce que je ne suis pas là…

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Un rendez-vous prêt-à-porter…
C’est peut-être l’idée de rendez-vous la plus banale. Mais c’est aussi la plus confortable. On arrive tous les deux pile au croisement entre la rue de Dinan et la rue de Toulouse. On regarde les montres pour les synchroniser… On entre dans un bistrot pour faire le programme. On en sort avec un itinéraire précis. On s’accorde le temps d’une promenade sur les remparts. On profite de la marée basse pour rendre hommage au tombeau de Chateaubriand sur le Grand Bé. On rentre en contre-jour se protégeant des éblouissements par des lunettes Polaroïd. On dîne. On monte à l’étage. On grignote nos crêpes au chocolat sur le petit canapé en face du lit. On est là, tous les deux. Sains, heureux, ponctuels…

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Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 3 septembre 2014

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