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Rome, photo de Giorgio Muratore, depuis Archiwatch
« Je ne crois pas au péché ! » (Vers un atelier de réécriture poétique n. 17)
149_« Je ne crois pas au péché ! » (Avant l’amour n. 17)
«Simplement désormais de penser»
Bonsoir Giovanni,
Excusez-moi si je n’ai pas encore donné de mes nouvelles. Je lis chaque jour votre poème qui, aussi « jeune » soit-il ou peut-être parce qu’il l’est, énonce tout et ne renonce à rien.
Je pourrais vous dire, au regard de cet âge que nous avons eu en commun, de souvenir de pluie qui s’enfonce, et voire même, s’efface dans la nuit. Et que dans le travers d’une vitre la vie se révèle autant qu’elle se reflète. La tromperie du monde (ou du verre ondulé ?) me semble un mot presque dérisoire au regard de l’illusion qu’il façonne, tel ce verre ondulé qui déforme tout à souhait.
Le péché ne m’appartient pas, ici deux mondes adolescents se rencontrent et s’étonnent, parce qu’un autrui entre là où il n’y avait que nous-mêmes. Ainsi mon ignorance me préserve d’une menace qui n’existe que pour d’autres. Il me manque sans doute un passage, une ligne, un sursaut ou un frisson qui rappellent à « ce » monde. (Però a leggere l’originale in italiano trovo questo passaggio più diretto, più schietto…)
« Je ne crois pas à la mort injuste parce que l’homme l’attend ». J’aurais aimé écrire ainsi.
Puisque ce monde de péchés se combat résistant, peut-être qu’exister revient à résister.
Au regard du temps passé, plus que faux, je trouve ce monde « poésie qui ne trouve pas sa rime ».
Mais avec vos péchés sublimes, vous menez une vie inconnue dont je suis fier de partager des instants comme celui-ci.
Cher Hervé,
Grazie di questa bella lettera, la voglio conservare ! !
Bonsoir Giovanni,
je me suis cette fois sans doute trop pris au jeu de la réécriture puisque je t’envoie avec ce mail « ma » version de l’acte poétique que tu as accompli au sortir de ton adolescence. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler auprès de la version italienne (la plus proche du geste d’alors) tout en m’accompagnant de ta traduction française. Cette dernière est déjà en elle même une réécriture et c’est sans doute pourquoi tu as ressenti le besoin d’ajouter autre chose, comme pour compléter ce qui était pourtant alors et déjà un acte total (surtout à cet âge). Et c’est cette totalité, cette action d’écrire « entière » qui frappe dans le poème original pour s’atténuer quelque peu dans sa version actuelle et que j’ai cherché à atteindre moi aussi, bien que loin désormais de cet âge torturé. L’exercice a été très plaisant pour moi et j’espère qu’il pourra te servir d’une manière ou d’une autre pour intégrer ton poème dans ce recueil. Tu peux être plus que fier de cette publication ! Écrivons au plus vite pour échanger nos points de plume et dans l’attente, mon ami italien de France, je te salue avec fraternité de coeur et d’esprit.
Cher Hervé,
Ton interprétation poétique, que je garderai soigneusement, m’a aidé à sortir de l’impasse.
J’ai compris d’abord que dans le texte d’origine il y avait une force que je devais absolument respecter.
J’ai donc réécrit cette poésie selon le fil conducteur originaire auquel j’ai ajouté quelques touches légères.
Giovanni,
je suis content de te voir satisfait de ton travail de réécriture, et encore plus de savoir que j’ai pu en quelque sorte t’aider à surmonter la difficulté que représente toujours la réinterprétation d’un texte. En effet, ce que l’on a écrit autrefois peut sembler insuffisant, voire faible, esthétiquement parlant, mais je reste au contraire persuadé que c’est l’esprit d’alors, sa force et ses pensées qui n’existent plus en nous ou qui ont pour le moins évolué.
La première strophe… J’ai seulement un doute sur « l’eau qui sourd ». Je te conseillerais de le changer en « l’eau qui court » (il y a un danger enfantin dans l’action de courir).
… je trouve que la strophe centrale… reste sémantiquement et poétiquement un peu faible…
La dernière strophe est bien différente au niveau de son sens, il faut y voir là l’œuvre du temps passé, de l’expérience exposée. J’y dénote presque comme un abandon, une fatalité, une résignation…
Je me suis permis de te dire mes pensées sans retenue, car ta démarche révèle une grande intelligence et une sensibilité artistique peu commune, et celles-ci ne s’accommoderaient point de faux-semblant. Je te dis, de nouveau, merci d’avoir pensé à moi, c’est un bonheur que de se retrouver au milieu de ces noms que moi aussi j’estime, tout comme toi.
Cher Hervé,
Après réflexion, j’ai trouvé ma solution au rébus de cet étrange dialogue entre deux époques de ma vie…
Évidemment, dans tout le recueil « Avant l’amour » le passé a été revisité et transporté dans le présent, avec toutes les traces inévitables d’un voyage accidenté…
Je crois beaucoup dans ce poème de la rébellion et je ne m’inquiète pas de son éventuel ou partiel « manque de poésie ». J’ai donc essayé de rendre le sens de sa critique primordiale clair et explicite : une attaque à l’hypocrisie catholique, surtout, voire à l’hypocrisie du pouvoir en Italie (et non seulement) dans les années 50 et 60 (et non seulement).
Pour cette raison, je me suis pas borné à réécrire la deuxième partie du texte, et j’ai coupé la strophe finale.
J’espère que tu partageras cette décision.
J’ai connu Hervé Lemonnier sur Twitter en 2013, lors de mes premiers pas avec «le portrait inconscient». Je fus touché d’abord par le titre de son blog « era da dire », une expression toscane très raffinée : « il fallait (absolument) le dire », ensuite par cette phrase-mot d’ordre : « Simplement désormais de penser ».
Dans ce blog, je restais toujours admiré par ses poésies élégantes et brusques à la fois, qui me rappelait quelques passages de ma jeunesse et de ma façon même de m’exprimer alors :
Salve 22
Brandir l’envers, rechausser l’univers.
Démanteler les cintres, habiller le parterre.
Agir en cercle.
Usurper l’éternel, fronder les files d’attente.
Languir le temps d’entendre.
Retrancher loin des gorges.
Gronder pourtant.
Passer les restes.
Hervé Lemonnier
Une affinité, peut-être, qu’une drôle de circonstance rendait encore plus intéressante : moi, un Italien « immigré » à Paris ; lui, un Français «émigré» en Toscane, travaillant je crois à Florence.
Plus tard, en se croisant plutôt dans les horaires du soir et nocturne, je me suis réjoui à traduire en italien «dans l’espace d’un tweet» ses «tweets poétiques» en français.
Je me suis rendu compte plus tard qu’Hervé Lemonnier avait mis en place une splendide passerelle de textes à lui, traduit en une ou deux langues à la fois «twitterature & traduction» : voilà quelques-uns de nos échanges :
Selon l’âge de celle-ci, le cerveau résonne différemment au sein de la boite crânienne qui le contient. Je l’entends bien.
Col passare degli anni, sento il mio cervello risuonare nella scatola cranica ad un ritmo sempre diverso. (Traduction @GiovanniMerloni)
La fumée dans les yeux mise à part, tant de choses me manquent des soirées barbecue « Apprenons à être grands/Du charbon plein les dents ».
A parte il fumo negli occhi mi mancano tante cose di quelle grigliate serali: Diventammo grandi/Con i denti pieni di carbone. (Traduction @GiovanniMerloni)
Il y a quelque chose de louche au pays des aveugles pour que les borgnes y soient rois.
C’è qualcosa di storto nel paese dei ciechi se basta avere un occhio per diventare re. (Traduction @GiovanniMerloni)
Giovanni Merloni
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