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001_mirabeau cobert 003 180 Mirabeau et Marie-Antoinette dans « L’entrevue de Saint-Cloud » d’Harold Cobert

C’est un vrai plaisir pour moi de rencontrer des auteurs cherchant leur parcours original — en contre-tendance vis-à-vis de la demande courante de minimalisme — sans reculer devant à la responsabilité de se rapporter — soit en termes de rythme et de métrique, soit en termes de langage — aux grands poètes et écrivains français du XVIIIe, XIXe et XXe siècle. J’apprécie en plus, de façon particulière, les jeunes auteurs qui donnent vie à des personnages adultes qui, en gardant un regard naïf et inconscient sur la vie, ont quand même un « vécu » important où puiser pour y trouver la sagesse et le bon esprit pour réagir aux passages noirs de la vie. À ce propos, le choix du personnage de Mirabeau que fait Harold Cobert dans « L’entrevue de Saint-Cloud » (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2010) est très intéressant. Un homme qui avait tous les atouts pour aspirer, sinon à la gloire, à la reconnaissance, du vivant, de ses immenses mérites. Mais tout Paris était jaloux de lui, surtout à cause de ses rapports privilégiés avec les belles femmes. Même la reine de France, peut-être parce qu’elle était obligée de faire front à plusieurs questions qui auraient du toucher au roi son mari, même Marie-Antoinette, vis-à-vis de Mirabeau, oubliait d’être une femme et préférait le condamner plutôt qu’en considérer les bonnes intentions. L’auteur as une véritable sympathie – que je partage sans réserve — pour ce connaisseur de l’âme féminine, combattant de milliers de batailles d’amour. Car il est devenu — à travers ses batailles — tellement connaisseur de la vie et des hommes qu’il se sente le devoir absolu de se sacrifier pour la santé de son pays. J’ajouterai que Mirabeau travaille contre ses intérêts, donc qu’il ne cherche pas du tout la gloire. Il veut sauver la monarchie parce qu’il est convaincu qu’il est le seul français capable d’une semblable « acrobatie ». Il est donc conscient de se consacrer à un héroïsme que la gloire ne reconnaitra pas. Ou bien il est un antihéros, qui considère soi-même la seule carte disponible pour sauver la reine et sauver en même temps la monarchie en France. Donc, il fallait absolument convaincre Marie-Antoinette. Il est aussi convaincu qu’une femme est toujours une femme. Ses efforts resteront vains. Il ne réussira pas. Il payera un prix énorme dans sa brève vie et la postérité mettra toujours en discussion sa gloire. Mais son échec avec la reine n’est pas la conséquence d’une faute dans sa ligne de combat ou d’une approche moins que raisonnable. C’est Marie-Antoinette qui ne veut pas comprendre ses raisons, certes à cause de cette situation dramatique où elle se trouve. Ou bien elle ne raisonne pas seulement comme une femme. L’unique autorité qu’elle pourrait reconnaître à Mirabeau est dans le domaine des conquêtes galantes. Mais elle est doublement jalouse de cela. D’un côté à cause de son naturel féminin ; de l’autre à cause de l’attitude masculine qu’elle a acquise en conséquence de la lâcheté de Louis XVI. Ce qui m’a intéressé dans ce livre – au-delà des études précédentes d’Harold Cobert sur ce personnage, que donc il connaissait déjà — est le choix d’avoir considéré surtout l’importance des nombreuses « couches » d’expérience qui ont fait de cet homme, encore jeune, un homme sage. La sagesse peut-elle venir de l’expérience directe de la vie plutôt que d’une activité incessante de justes lectures et brillantes réflexions ? D’où rayonne la petite lumière qui nous fait parfois deviner les plus hasardeux mystères de la vie ? Je partage donc le profil d’homme sage et généreux que Cobert a choisi pour Mirabeau — et j’y trouve une façon moderne de faire revivre — comme si c’était à nos jours — ce monde du XVIIIe. En plus, Mirabeau, vrai ambassadeur entre les deux sexes, n’a jamais l’air d’un gigolo au genre de Valmont avec la marquise de Merteuil ni se prend pour un antiroi comme Marc-Antoine avec Cléopâtre. L’histoire humaine est pleine, en fait, d’hommes de génie que la passion pour les femmes a obligés à renoncer aux rôles principaux. Le phénomène de Mirabeau ouvre les portes à de nouvelles réflexions sur le rôle de l’amour — cette chose apparemment privée et tout à fait cachée – dans la formation de l’histoire. Je serais tenté, par exemple, de faire une petite comparaison entre Mirabeau et Gainsbourg… Un autre aspect de ce livre m’avait touché : le double jeu, qui coûtera au corps de Mirabeau le virement du Panthéon, est, dans ce livre, la seule condition pour sauver une certaine idée de la France qui aurait pu donner, peut-être, une différente suite à la Révolution. Cela ouvre aussi les portes à une réflexion sur l’importance du facteur humain dans les moments cruciaux de l’histoire…

002_mirabeau cobert 004 180 Giovanni Merloni