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« Un hiver avec Baudelaire », le premier roman d’Harold Cobert

En me souvenant avec un grand plaisir de « L’ entrevue de Saint-Cloud » et de l’image croissante de Mirabeau, de cet « homme vrai et courageux » qu’on peut bien considérer comme « un de nous-mêmes »… j’ai récemment acheté le premier roman d’Harold Cobert, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2009.
On ne devrait peut-être pas lire à rebours les livres d’un auteur qu’on découvre, en partant du dernier publié. Est peut-être à cause de cela qu’avant de toucher ce très beau roman je songeais une rencontre imaginaire entre Harold Cobert et Baudelaire, en personne ou à travers une de ses œuvres.
Je suis resté donc surpris pour la terrible réalité du sujet et, je l’avoue, un peu méfiant aussi, pendant les premières pages, devant cette façon rapide et apparemment inélégante de raconter cette histoire.
L’unique chose que j’avais immédiatement remarquée c’était la dimension très exiguë des chapitres qui avaient dès le commencement des titres poétiques.
Cela m’a beaucoup soulagé. J’y ai retrouvé un peu la structure du « Spleen de Paris » et j’ai compris que cela aurait bien tôt eu un rôle dans cette histoire.
Moi je suis habitant de Paris depuis quatre ans, après y être venu plusieurs fois en touriste. En ces dernières années, je me suis formé une vision de Paris assez schizophrène, dans laquelle la présence constante des sans-abri – avec une « modernisation » qui prend en France aussi des allures de plus en plus « américaines », voire cyniques — m’a toujours suscité de réflexions très sérieuses. Dans mon sentiment actuel de la France et de Paris, il y a quand même la sensation que quelque chose de positif bouge toujours. D’un côté l’histoire et la forte identité « solidaire et progressiste » de la France. De l’autre côté un petit jeu statistique entre le bien et le mal, les hommes méchants et les hommes généreux. Tout cela me fait toujours espérer que même dans une grande capitale où tout arrive – et tout peut arriver – on peut « enfin » s’en sortir, retrouver une vision joyeuse et équilibrée de la vie, partagée avec nos semblables.
Cela dit, je me reconnais sans réserve dans l’esprit de ce livre, qui évoque, sans jamais le nommer, l’esprit des « Fleurs du mal ». Est-ce une coïncidence, à ce propos, que la péniche où Philippe Lafosse, le protagoniste, trouvera la façon de se sauver s’appelle justement « Le Fleuron » ?
Le grand intérêt de ce roman est justement dans le langage. Un langage sec, rapide, parfois bureaucratique, dépourvu de poésie lorsqu’il doit décrire la descente dans l’enfer, le terrible labyrinthe de l’horreur et tous les menus détails d’une méchanceté « du système » qui semblent organisés pour rendre les hommes incapables de réagir et de s’en sortir. Mais dans cette « masse grise », quelques cailloux lumineux apparaissent de temps en temps. C’est le fil d’Arianne de la poésie, voire de l’espoir, ou bien des voix rassurantes qui viennent de la profondeur de l’âme.
Car enfin Philippe sortira du labyrinthe grâce à des « dieux » qui l’aideront spontanément. En réalité, ce sera la poésie qui l’aidera à remonter. Cette poésie qui lui appartient jusque des premiers moments du récit.
Face aux difficultés, Philippe se renferme en soi même. Il ne veut pas déranger sa mère ni d’autres personnes et, même s’il glisse de plus en plus dans le gouffre, il ne crie jamais au secours. Il veut garder son esprit libre et la force nécessaire pour défendre son petit espace consacré à la fantaisie : déjà, quand il racontait la fable du prince et de la princesse à sa fille, il se trouvait piégé dans une situation douloureuse et sans issue. La fantaisie l’aidait à garder un provisoire équilibre entre ses sentiments. Et le fait que sa fille partageait sa rêverie et ne l’abandonnait jamais c’était la démonstration de l’importance de la fantaisie pour un homme linéaire comme Philippe, mais aussi pour une foule de lecteurs, peut-être beaucoup moins cohérente que lui, qui le suivra fidèlement comme des chiens.
Le chien nommé Baudelaire entre vivement dans la pénible histoire de Philippe – presque à moitié lecture — quand elle semble toucher le fond. Il risque d’être blessé ou même tué par des clochards plus anciens que lui, qui défendent leur coin comme une meute. Baudelaire avait déjà essayé deux fois de se faire adopter, mais Philippe n’était pas dans la condition – bonne ou désespérée – pour l’emmener.
Lorsque le chien attaque et sauve son nouveau patron, le lecteur marque un changement d’humeur immédiat. Philippe n’est plus seul. En même temps, le langage change, en devenant de plus en plus poétique. Symboliquement, l’auteur se substitue pour un moment au chien sauveur en devenant une véritable étoile comète. Philippe va connaître celui qui a baptisé Baudelaire son chien et trouver aussi, près de lui et sa femme Fatima, une nouvelle famille.
Mais ce crescendo de poésie et de petite, timide redécouverte de la joie de vivre ce n’est pas une fable.
Le message du roman est clair : pour devenir homme et garder son esprit sentimental, voire mélancolique, Philippe doit s’évoluer. Sans oublier ses contes de princes et princesses qui sont devenus son secret intime partagé avec sa fille Claire, il doit monter à la surface de la vie se confiant à la poésie de Baudelaire. Une poésie où le lyrisme et l’amour pour le vers musical et classique ne se séparent jamais de la conscience de la douleur, voire de l’horreur qui toujours accompagne nos destins.

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Giovanni Merloni