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Dans un jardin très joli séjournait une famille où toutes les générations étaient représentées ainsi que les animaux les plus fidèles à l’homme, c’est-à-dire le chien et le chat.
Pour cette communauté, le parfait équilibre entre la maison et le jardin donnait quand même l’illusion, dans une hypothèse très éloignée et pourtant ouverte… de pouvoir se dérober aux contraintes du jardin en se sauvant dans les quatre murs ou alors de pouvoir s’échapper dans le jardin quand l’air devenait irrespirable à l’intérieur de ces quatre murs mêmes.
Si l’on avait pu enlever le toit et regarder d’en haut d’un poteau électrique ou d’une grue ce qui se passait dans ce minuscule carré… on aurait sans doute assisté à des phénomènes migratoires incessants. Tout en dialoguant entre eux, les membres de cette nombreuse famille s’évitaient soigneusement les uns les autres en se déplaçant continûment de la véranda à la terrasse derrière la cuisine, de la cuisine à la salle principale, et cetera… Dans cette boîte à chaussures fort exiguë, s’offraient aux pèlerins d’autres possibilités encore même à l’intérieur de chacune des cases de cet infernal jeu de l’oie. Dans la salle principale, par exemple, on pouvait faire au moins trois choses assez différentes : s’asseoir à la table ronde, regarder fixement la cheminée ou alors se rendre sur toute la ligne se laissant glisser dans la chaise à balancelle en face de la télévision. Dans le jardin aussi, on pouvait se disloquer en plusieurs endroits différents pour y trouver une quelque solitude. Donc, en général, quelques-uns profitaient du moment propice pour s’installer au-dessous du vieux chêne tandis que d’autres s’en éloignaient pour attraper le dernier soleil dans un coin d’herbe près de la haie périmétrale parfaitement entretenue par le patriarche.
Parmi ceux qui habitaient dans cette espèce de phalanstère horizontal, il y avait un couple d’amis très chers qui venaient souvent se plaindre chez nous… parce qu’ils ne pouvaient pas, pendant les vacances, s’adonner librement aux plaisirs de l’amour, même pendant la nuit ! L’unique plaisir qu’on leur accordait, sous forme pourtant d’obligation, c’était la plage. Là-bas, les contraintes familiales se transformaient sans transition en contraintes sociales. La conversation, bien que banale et répétitive, était assurée, mais aucune fente ne s’ouvrait… il fallait attendre le crépuscule, le couchant, le soleil plombant, rouge dans l’eau, à côté de la lune grise… Mes amis essayaient alors de se dérober un peu à la routine presque militaire — et bigote — de leur « caserne avec jardin » par de longues promenades. S’éloignant un peu vers le nord, ou vers le sud, ils réussissaient à se parler, à retrouver leurs corps, leur franchise réciproque, leur intimité.
Mais quand ils rentraient, une véritable cape descendait sur leurs têtes. Je me demandais toujours pour quelle raison ils acceptaient le sacrifice de l’amour.
« Ah, ces murs de papier ! » disaient-ils. On pouvait tout entendre, même les plus petits murmures ! Voilà qu’un soir, exaspérés, les deux voisins et amis, après avoir longuement attendu que tout le monde éteignait une à une les lampes de chevet… ils sortirent sur les pointes des pieds dans le jardin…

le paysan 2010 - copie

Le jardin interdit

Dans le jardin fleuri,
caché derrière les plis
d’une robe d’organdi,
son joli corps arrondi
excité, anéanti,
effleura un vendredi
son médiocre mari.

Un appel, une instance
déguisée en insistance,
en vertueuse abondance,
les traîna, sans trop de chances
dans la seule — hélas ! — séance
de leurs justes vacances.

Il leur suffisait d’un conclave
pour voiler le suave
mélange de baves
dans des orbites caves,
où flottaient déjà les épaves
de leur rêve le plus grave.

Ils se sauvèrent en un jet
dans un jaloux tourniquet
dans un coin du jardinet
ressemblant au cabinet
d’un notaire tristounet.

Cela bloqua le robinet.

De la chambre au couchant
somnambule, s’approchant
à leurs corps voltigeants,
un pyjama hurla, tranchant :
entendaient-ils (ou pas) le chant
d’une chouette dans le champ ?

On renonça à l’ardeur,
on suffoqua toute fureur
en de gestes de pudeur
et de violente candeur.
Dans le sombre haut-le-coeur
se fanèrent les fleurs.

Parmi les feuilles avilies,
désespérant tout abri,
ils fermèrent les yeux, étourdis
remémorant les cris
de leur union trahie
jusqu’à maudire, hardis,
le jardin interdit.

02 les deux âges 1 2012 - copie

Giovanni Merloni

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