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Jean-Luc Godard, Vivre la vie, image empruntée à un tweet de Laurence (@f_lebel)
Vivre la vie, tuer la mort
Je remercie Franck (@FrankDache) et Laurence (@f_lebel) d’avoir lancé, hier matin, dès que les résultats définitifs des élections américaines ont été confirmés, cette affiche sobre, élégante, à peine souriante, qui nous dit, avec le film de Godard, qu’il faut vivre la vie !
Je partage intimement le choix de cette image, parce qu’elle m’aide à réfléchir et, j’espère, à trouver des mots adaptés pour exprimer à mon tour mon état d’âme désemparé et inquiet, mais confiant aussi.
Dans le « quatrain quotidien » de ce même matin de cauchemar, pour tous les Européens qui ont aimé l’Amérique, Élisabeth Chamontin (@Souris_Verte) a tout synthétisé dans un alexandrin qu’on ne pourrait plus honnête et sincère :
« Donald Trump est élu et un monde s’effondre ».
En même temps, Dominique Hasselmann (@dhasselmann), dans son célèbre « Métronomique », écrit, avec son indomptable ironie :
« Pour la première fois une femme, Hillary Clinton est battue d’un cheveu par Donald Trump »
Quelqu’un d’autre a cité une phrase d‘Antonio Gramsci qui se révèle aujourd’hui d’une grande actualité :
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
« Voir venir et ne pouvoir rien » dit avec franchise Brigitte Célérier (@brigetoun), tandis que Lucien Suel (@LucienSuel) propose un proverbe éloquent :
« Tant va la noix au marteau qu’à la fin elle se casse. »
Woody Allen
Je ne veux pas répéter ce que d’autres ont dit si bien et je partage tout à fait. Car en France et en Europe on a en plusieurs le sentiment commun, je crois, que cet empire de l’argent se débat désormais comme un requin blessé et qu’il voudrait entraîner tout le monde, voire toute la planète, dans un jeu de massacre qui va de plus en plus ressemblant à une roulette rousse.
Cela dure désormais depuis une trentaine d’années, depuis que le petit mot « dérégulation » (« deregulation » sans aucun accent en anglo-américain) a commencé à circuler. L’Europe, avec ses différentes « vitesses » (ou « richesses »), en est l’exemple bigarré. Tandis que les États-Unis en sont le phare, avec la mortification des structures publiques (à commencer par les écoles) ; la modification des lois sur le travail, qui devient partout précaire et de plus en plus menacé ; l’abolition ou la privatisation de la solidarité sociale s’accompagnant à une progressive réduction des droits des citoyens.
Dans un système de plus en plus rigide et injuste, les riches sont de plus en plus exagérément riches tandis que les pauvres perdent toute dignité et marge pour la survie. Les classes moyennes, ne partageant pas, en général, les occasions d’enrichissement « facile », dépendent de salaires et retraites plus ou moins acceptables pour vivre dans une condition « privilégiée » qui demeure toutefois statique et, elle aussi, menacée.
Venant d’Italie et vivant en France, je me rends bien compte que ce procès de privatisation et de dérégulation a beaucoup avancé dans ces deux pays. Mais on est encore à moitié du gué. Heureusement. Nous pourrions encore, en Europe, envisager une façon moins suicidaire de nous aventurer dans le siècle.
Aux États-Unis, au contraire, on est déjà sur l’autre rive. La situation économique et sociale est déjà compromise. Donald Trump (1), comme naguère Silvio Berlusconi, en Italie, peut bien faire des promesses à ses associés. Mais il ne pourra rien faire pour un peuple qui va devenir de plus en plus pauvre et démuni de protection sociale. Voilà pourquoi je vois en cette élection le coup de queue du requin blessé, car le « système en crise » n’a pas choisi, pour se défendre, un homme ouvert, intelligent, prêt à se charger de la démocratie et du dialogue, mais, au contraire, un homme qui menace. Un « gagnant » qui ne semble avoir aucun scrupule de se servir d’armes propres et impropres pour tenir rassemblé un pays à la dérive autour…
Autour de quoi ?
J’espère vivement que l’Europe saura se soustraire aux dérives inquiétantes et débordantes de ce pays ami et aimé. Elle a déjà assez souffert pour ces « changements » dont on pouvait peut-être se passer. Elle est en train de payer un gigantesque tribut de travail et de sang pour les contradictions planétaires que ce système pourri amène par le biais d’une immigration sauvage et du terrorisme. Je confie dans l’Europe, avec la France au premier rang. On y fera valoir, sans doute, la force de l’intelligence pour faire des pas cohérents à nos valeurs et principes, à notre histoire, à nos extraordinaires richesses humaines, naturelles et culturelles.
Je suis là pour vivre la vie et pour tuer la mort.
Vivre la vie ce n’est pas faire comme les autruches, se cloîtrant dans l’égoïsme et dans la méfiance, mais, au contraire, c’est retrouver la joie de « vivre dans la vie » que nous est donnée par cette société merveilleuse qui survit malgré tout aux attaques de ses ennemis de toute sorte.
J’accepte de faire des sacrifices — d’ailleurs, cela a été toujours comme ça —, mais je me refuse de me faire imposer un modèle de vie tout à fait insensé au nom d’une richesse privée qui ne me regarde pas.
Jusqu’ici, en France et en Italie, renonçant bien sûr à beaucoup de choses, j’ai pu vivre en équilibre à partir de revenus très ordinaires.
En Amérique (et peut-être en Angleterre aussi), je ne pourrais pas survivre dans une grande ville, profitant comme ici des occasions culturelles et de loisir.
Là-bas, je ne pourrais pas faire gratuitement quelque chose pour le monde qui m’entoure ayant dépassé les années de travail. Je devrais travailler jusqu’au moment de la mort pour me payer les médicaments et l’assistance, ou alors je devrais me résigner à mourir pour manque de société.
C’est ça l’Amérique, malgré Obama, hélas ! Peut-être, Hillary Clinton aurait essayé de faire quelque chose pour rééquilibrer cette situation mortelle. Son élection nous aurait en tout cas laissé l’espoir en une réflexion, en un changement de route. Pendant quatre ans nous serons encore plus seuls qu’hier.
À partir de cette Europe « difficile », mais d’autant plus nécessaire, tout en profitant de sa sagesse millénaire, je suis sûr qu’ici on continuera à « tuer la mort », gardant tout entier cet esprit de tolérance et d’amour pour les autres qui nous a aidés par exemple à surmonter le terrible défi des attaques terroristes. Ce n’est pas avec les armes qu’on tue la mort ! Heureusement, nous avons encore l’intelligence pour ne pas accepter les provocations et pour ne pas nous faire embobiner. Et nous garderons toujours le sourire pour que la vie revienne !
Giovanni Merloni
Walt Disney, Donald Duck (dessin de Romano Scarpa (1927-2005)
(1) Malheureusement, Donald Trump n’est pas qu’une couche de couleur sombre. Il n’est pas un « trompe-l’œil » non plus. Il n’a rien à voir, ni à rire avec Donald Duck. Et « trump » ce n’est pas le même que « tramp », mot qui revient à ma mémoire avec une fameuse chanson de Frank Sinatra s’adressant à une femme « vagabonde » qui évoque à son tour le « vagabond » par excellence, ce Charlie Chaplin qui a tellement donné à l’Amérique, à l’Europe et à l’humanité.
oui, oui, oui
sauf que.. j’ai bien peur qu’en France nous soyons par la bassesse de certains politiciens (ceux là même qui se sont couchés ou nous ont poussé sur le chemin de ces inégalités motifères et grotesques) nous soyons très proches de ce qui vient de sa passer aux Etats Unis et en Angleterre malgré ce qui reste des protections gagnées
Giovanni, le truc c’est bien ça : garder la joie de vivre, écarter les œillères, honnêteté intellectuelle, et des intellectuels à la hauteur,
« Jour de fureur » aurait pu servir aussi de titre de film… Merci pour ces réflexions sensées et nostalgiques. Le cinéma continuera jusqu’a ce que ce type prenne un jour une bonne « trempe » (merci d’avoir cité mon blog !)…
Dans mes phrases simples, il n’y a pas que de la nostalgie. Je suis parfaitement conscient d’une situation politique et économique de l’Europe qui a pris des allures de plus en plus inquiétantes, mais qui n’est pas irréversible. Il est vrai qu’on nous enlève progressivement des droits que nous avions conquis (en tant que citoyens, ouvriers, travailleurs en général, artistes, etc.) au prix de luttes acharnées et cela semble un fait accompli (surtout dans les pays les plus « américains » d’Europe, comme l’Italie, tandis qu’en France cela est beaucoup moins grave qu’ailleurs, il faut le reconnaître).
Je serais « nostalgique » si j’étais « fataliste », en acceptant cela comme un « don » de la modernité. Mais ce n’est pas évident qu’une société renonce à l’égalité et à la justice au nom de « l’argent à tout prix » dont bénéficie une stricte oligarchie.
Et la « modernité » ne comporte pas, en elle-même, une société injuste et autodestructrice. Ne pourrions-nous pas envisager une modernité au service de l’homme et du citoyen ? Pour ne pas parler de la liberté…