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Jeudi dernier, je me suis rendu à la Maison Rouge à Paris pour assister à une conversation entre François Piron et Lucien Suel, se déroulant dans le contexte de l’exposition « L’esprit français Contre-cultures, 1969-1989 ».

La première chose que j’ai aimé de Lucien Suel c’est son avatar : cette légendaire machine à écrire ne faisant qu’un avec deux mains sensibles et légères que j’ai rencontrée lors de ma première, assez hésitante, promenade virtuelle sur Twitter. Ensuite j’ai suivi et apprécié vivement son blog, SILO, et ses interventions sur le web. Je désirais donc depuis longtemps voir Lucien Suel et lui serrer la main et je ne pouvais cueillir une occasion meilleure pour en apprécier le style, la cohérence et la grande humanité. Certes, j’espère aussi d’assister bientôt à une lecture « live » des textes de Lucien Suel par le poète même.
Cependant, dans la rencontre de jeudi soir, du récit passionnant que celui-ci nous a confié avec légèreté et élégance s’est spontanément déclenchée une poésie spéciale, celle de la vie poétique de Lucien Suel : un petit-grand roman de formation qu’il nous a distillé par le biais d’une grande sincérité et d’une extraordinaire sagesse.
Je ne saurais pas tout relater dans l’ordre de la narration, je me borne donc à citer les éléments qui plus m’ont intéressé dans l’histoire poétique de Lucien Suel.
Entre parenthèses, cette narration m’a tellement touché qu’au moment des interventions du public je n’ai pas su quoi dire sur le coup, tandis que j’aurais voulu témoigner combien Lucien Suel, dans les dernières années, s’est-il fait aimer et énormément estimer aussi pour son blog SILO et sa présence charismatique sur Twitter.
Je regrette maintenant de n’avoir pas eu la promptitude de déclarer qu’il y a un dénominateur commun dans l’œuvre constante et acharnée de Lucien Suel, la passion. Une véritable passion, d’abord, pour la musique et la littérature de la « beat generation » ; cette passion qui pousse à sortir de son propre univers pour chercher d’autres passionnés ailleurs dans le monde, à partir de l’Amérique. Ensuite, la passion qui pousse l’intelligence et les mains à poser les bases pour un échange le plus possible systématique entre passionnés et personnes intéressées à différent titre. Enfin, la passion qui donne la force de croire à des moyens extrêmement pauvres et improvisés qui serviront à véhiculer très efficacement la poésie et la culture en toute la France et bien au-delà. En s’engageant dans cette activité d’éditeur et diffuseur de revues littéraires, Lucien Suel a « grandi » en contact avec poètes et artistes de tout le monde, contribuant à créer des réseaux culturels « indépendants » pour lesquels il a bien tôt représenté un incontournable point de repère. Toujours est-il que la richesse, la variété et la rigueur de la poésie de Lucien Suel et de sa prose poétique sont à leur tour indépendantes vis-à-vis de la multiplicité des échanges se déroulant autour de lui.
Avec le temps d’une vie, Lucien Suel a toujours cru dans l’importance du « travail manuel » et de la fonction solidaire de la « poste ». Et s’il se débrouillait avec talent dans l’édition et la distribution physiques de ses revues en « papier timbré » il s’est aussi bien exprimé avec le « mail art » et, tout de suite après, dans les réseaux sociaux, quand la génération du blog a révolutionné l’idée d’édition et d’échange entre artistes et lecteurs. Comme il nous a expliqué, la diffusion des textes touche maintenant un nombre d’interlocuteurs beaucoup plus vaste qu’à l’origine, mais le principe est le même : l’échange fonctionne là où demeurent la « passion », la « sincérité » et « l’ironie » dont Lucien Suel est un exemple unique.
En entendant Lucien Suel raconter son parcours, citant des épisodes curieux ou touchants concernant les échanges et les amitiés qui se sont développées autour de ses revues « à l’esprit clandestin » j’ai vu couler devant mes yeux des images déchirantes et émouvantes de cette même époque que je venais d’admirer dans l’exposition consacrée, dans le même établissement, à l’esprit français entre 1969-1989 : une époque que j’ai vécu moi aussi, où les « contre-cultures », souvent marginalisées, isolées et de petite entité étaient en tout cas conscientes de leur importance, de leur primordiale « nécessité ».

Giovanni Merloni