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Le train s’en va

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Le train s’en va
brisant, opiniâtre, des chaînes invisibles
creusant dans le gouffre mystérieux
qui sépare deux villes et leurs noms :
l’une est Rome, qui se rencogne
dans son ivresse de vierge épuisée,
l’autre est Bologne, la belle désirée
qui vient à ma rencontre.

Le train traîne, suspendu
sur le fil contrarié de mes deux destinées
survolant les champs et les foyers
les lits, les étreintes, les baisers
et ces lumières scandaleuses
de fenêtres silencieuses.

Tu n’es pas là, pas encore
mais tu t’obstines à bouger
qui sait où, comme une idée fixe,
tandis que, lâchement, je seconde
ce rythme impitoyable du train
qui voudrait briser mes intentions
mes souvenirs, mes rêves.

Tandis que je m’accroche
à cette cadence
qui ne me fatigue pas
qui ne me repose pas,
le train s’en va,
avalant par-à-coups
la terre, la mer, les lagunes
les toits, les poteaux, les murs
les soucis et les peines,
les hommes, les femmes.

Je n’existe pas,
ou alors je suis le seul qui existera
dans le train qui s’en va
alourdi par ses mémoires
ses chagrins d’amours,
ses regrets,
ses remords.

2
Entre la gare de mon abandon
et celle de mon ambition
le train accompagne et console
avec ses brusques débandades
mes questionnements infinis
autour du sens ultime de la vie.

Entre ce que je laisse et ce que je trouve
je dors, accroché à une louve
entouré de gens qui désapprouvent
et me laisse bercer
dans une étrange immobilité
coulant interminable
telle une clepsydre de sable
sur mes deux yeux fermés.

Jusqu’à ce que…

3
Sifflant, le train s’arrête
se transformant en tram
qui avance comme une bête
au pas lourd, encombrant.

Attendue, rêvée, espérée,
je te vois sous la marquise
obscurcie par la surprise
qu’a fait déclencher
mon regard étranger.

Avec ses bruits, le train repart lugubre
rempli d’autres corps, d’autres haleines
me laissant seul avec toi, à découdre
le pantin usé de mes peines,
tandis que la ville, sage, nous ouvre
silencieusement
les portes grises de la nuit,
accueillant, sous ses arcades
nos pas désunis
et nos pensées affolées
telles d’écharpes entrecroisées.

Le train lointain s’oublie
en nous redonnant notre miel
tandis que nos mains se hissent, ravies
jusqu’à toucher les fils dans le ciel.

Giovanni Merloni

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Le train va (version précédente)

Le train va, tout reste en arrière, tout vient à ma rencontre. Je n’existe pas. Moi seul, j’existe.
S’en va le train et vient la terre. S’en va le train et viennent la mer, la lagune, les toits, les tours, les troubles, les choses, les hommes.
Le train va et tu viens. Le train va et tu n’es pas là, tandis que je me penche vers ce rythme que je seconde, empêchant mes pensées, mes souvenirs. Cette cadence ne me fatigue pas, ne me repose pas.
Le train va et tu bouges à peine, qui sait où, comme une idée fixe. Le train va, là où je demeure : c’est un train vide, plein de choses
que je ne m’arrête pas à regarder, plein de peines que je frôle,
de mondes, de mémoires, d’amours.
Le train va au-dessus des villes, des lits, des baisers, des étreintes, survolant ces lumières douloureuses de fenêtres entrouvertes.
Le train va en quête de tant de femmes et d’hommes, de gens qui attendent, de gens qui se cachent.
Le train s’arrête. Il devient un tram, un serpent lourd et encombrant. Le train s’arrête, et je te vois, attendu, espérée, rêvée, désirée.
Le train ne cesse pas d’envahir ta peine et la mienne, nos regards étrangers.
Le train repart et nous laisse sur le goudron. Lugubre comme dans une fête, il a l’allégresse es enterrements et porte avec lui un monde de gens de train.
La ville nous ouvre, silencieusement, les portes de la nuit.
S’en vont alors, sous les arcades, nos pas désunis, s’en vont nos pensées s’entrecroisant comme des écharpes. S’en vont nos quatre mains, lécher les fils du ciel.
Giovanni Merloni

TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN  

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