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Pour les vases communicants (*) de février 2014 (voir liste complète des participants), Franck Queyraud et moi nous avons décidé d’exploiter notre échange autour d’un thème unique : une photo (réalisée par FloH) accompagné par une phrase assez emblématique (que Franck Q. a empruntée à sa collègue Bénédicte Junger). À partir de ces traces aussi suggestives qu’incomplètes, chacun de nous a exploité tout à fait librement un petit conte ou récit imaginaire. Dans cet esprit ce blog-ci héberge Franck Queyraud et ses réflexions poétiques et philosophiques, tandis que je me suis invité, pour y déposer un conte assez farfelu, dans Flânerie quotidienne, le blog de Franck, que je trouve très intéressant, profond, sensible, inspiré depuis sa naissance à l’idée de l’échange, de la réflexion et du partage.

Comme j’avais écrit dans un très récent billet sur ce blog, « Je ne connais pas personnellement Franck. Je l’estime beaucoup pour ses textes poétiques où la réflexion profonde est toujours au rendez-vous. On dirait qu’il est, comme moi, une âme heureusement en peine tandis que cette circonstance existentielle lui donne l’élan pour affronter des questions aussi intimes qu’universelles. Il faut pourtant avouer qu’il y a un élément clou (ou clé) qui a fait déclencher mon intérêt pour la flânerie quotidienne de Franck. D’abord timidement, ensuite de façon de plus en plus consciente. C’est son nom d’art : Mémoire Silence, constitué de deux mots, déjà assez importants et lourds à porter sur les épaules même seuls. Par leur union, ils se transforment magiquement, devenant un cheval de bataille, un alter ego qui flotte dans l’air comme une divinité bienveillante… Est-elle possible, une mémoire sans paroles ? Est-ce possible se réfugier dans le silence de la mémoire ? Je pense que Franck veut aller bien au-delà d’une telle alternative. Sa mémoire conjuguée au silence exprime au contraire une envie profonde de fouiller dans la mémoire, instrument indispensable de l’Histoire. Et je crois que son silence exprime d’ailleurs la nécessité de poursuivre la mémoire en dehors de toute démagogie, voire bavardage plus ou moins consciemment manipulateur… »

Giovanni Merloni

« Il fallait accepter la possibilité de tout perdre pour pouvoir se rencontrer… »

memoire silence 180 - 18

Photo : FloH (cliquez pour agrandir)

Existe-t-il un mot qui résiste plus de cinq minutes à sa répétition ?
Un mot, je ne sais pas, répond le pâtre qui est aussi poète, et seul, et isolé dans sa montagne.
Il paît longtemps avec ses moutons mystérieux, en fixant le soleil couchant, en pensant aux autres – ses presque semblables – dans la vallée des merveilles – ce qui n’est pas ici a toujours plus d’attrait – ou en pensant à celle qui l’attend, qui pense à lui ou qui aurait pu l’attendre et penser à lui.
Un mot peut-être pas, chuchote-t-il, mais un prénom… certainement.
Notre pâtre a l’air sûr de lui, tout d’un coup, bien sérieux, ne sourit plus. Il a sans doute réfléchi longuement à cette question. Il rajoute avec un air ailleurs :
un prénom, oui, un prénom qui ne lasse jamais celui qui le répète. Qui vous fait gravir un échelon supplémentaire de compréhension à la manière de ce dièse qui fait la courte échelle à la note qui veut grimper dans la portée.
Il existe d’autres mondes et un jardin aux sentiers qui bifurquent. La mémoire est parfois ce jardin où l’on peut se perdre.
Dans l’espace, il n’y a plus de bruits ni de sons. Du silence. Certains corps célestes se déplacent et s’entrechoquent modifiant ainsi leurs trajectoires. Et l’endroit où devait se rendre l’astéroïde n’est plus le même que celui du départ. Et personne n’aurait pu le prédire. Personne ne connait la trajectoire finale des astéroïdes et si tout au bout de leurs routes, il y a un mur, un stop ou un nouvel embranchement. L’infini est peut-être le seul mot qui résiste aux faims et aux sens, mortels, des mortels. Il est un singulier un peu particulier…cachant sa multiplicité.
Personne – non plus – ne pensait que pour rencontrer quelqu’un il fallait tout perdre, c’est-à-dire, perdre tout ce qui vous avait construit, perdre tous ces chemins empruntés qui avaient pourtant fabriqués celui – unique – sur lequel vous étiez en ce moment précis où vous aviez eu ce vif et tranchant sentiment de tout perdre : l’essentiel. Ce qui vous faisait vous lever le matin. Ce qui vous faisait battre le cœur. Ou cette petite flamme qui brillait dans votre œil. Et qui un matin n’y était plus. Et vous aviez perdu les cinq sens dont le goût avec la saveur de la vie.
Mais il existait d’autres mondes et un jardin aux sentiers qui bifurquaient. Vous étiez cet astéroïde, choqué. Votre direction avait été modifiée. Vous aviez retrouvé le sourire du pâtre. Le vent s’était levé et vous aviez réussi à vivre.
La mémoire était aussi ce jardin où l’on pouvait se retrouver.
Silence.
Où l’on trouvera dans ce texte des allusions déguisées ou pas à Paul Valery, Pierre Bayard, Borges, un cinéaste japonais ou à mon cerisier en fleurs…. Mais c’est une autre histoire… Le titre de ce billet qui est devenu une contrainte oulipienne pour ce vase communicant est une phrase de Bénédicte Junger, qui n’est pas bénédictine mais bibliothécaire. La photographie partagée avec Giovanni M. est de FloH.

Franck Queyraud

(*) Rappelons que le projet de « Vases Communicants », lancé par Le tiers livre et Scriptopolis consiste à écrire, chaque premier vendredi du mois, sur le blog d’un autre, chacun devant s’occuper des échanges et invitations, avec pour seule consigne de « ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre ». La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte Célérier.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 7 février 2014

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