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Chaque matin, pour me rendre au travail, après une longue saison consacrée au train, je traversais Rome de Nord à Sud. Deux mondes opposés, avec plusieurs différences, dont la principale, c’était le souffle. En fait, la banlieue d’où je venais était suffocante, tandis que celle de destination avait été conçue avec un soupir aussi rhétorique et grandiloquent que clairvoyant.
Ce qui me fascinait le plus c’était ce filtre final des remparts en forme de lunettes de soleil d’où le grand boulevard-autoroute consacré à la mémoire de Christophe Colomb se déclenchait comme un serpent en direction de la mer.
Au cours d’un de ces déplacements, j’imaginai « l’histoire contrariée d’un voyageur pendulaire » que je fixai dans la poésie ci-dessous (suivant le rythme de Io ho in mente te, fameuse chanson de l’Equipe 84).
Chanson pendulaire (2005)
Tous les matins
uoo uoo
je passe sous les arches,
je sors de Rome,
j’entre dans le tunnel de lumière
de Cristophe Colomb (1),
de Bavastro (2), de Giorgione (3)
et Caravage (4).
De noms de rue de place
de square
où circule ton mirage
ou un cargo
ou un groupe de piétons
ou un marché improvisé
ou un pré désolé.
Même aujourd’hui,
uoo uoo,
je tourne bien avant
de me perdre
par distraction
dans le flux obligé
dans la cour infinie
voyageant impunie
sur le tapis roulant de la vie.
Je tourne avant
de rester aimanté
par l’habitude de ton nom,
par le rappel impérieux
de tes jupes,
avant de m’arrêter, confus,
devant ton visage
qui regarde interloqué
depuis le comptoir du bar.
Par un brusque coup de volant
(en avalant la vomissure,
en respirant le frisson,
en retenant la chamade)
je me faufile,
étrange et minimal,
dans une allée abîmée,
où circulent en boitant les amants déçus,
les jeunes devenus vieux,
les jeunes filles habillées de miroirs.
Mon amour,
juste à deux pas de la mer,
la ville se prend pour unique,
directionnelle, travailleuse,
active. Tandis qu’au contraire
tous les gens se perdent,
se croisent, se dévisagent,
se snobent, se moquent
l’un de l’autre,
traînassent,
uoo uoo,
suent,
uoo uoo,
tout en disant de mensonges
ou soupirant des magies,
conscients ou pas
qu’ils te divisent de moi
même plus que ce mur percé
qui entre et sort
de Rome.
Maintenant, je laisse la voiture
(un parking loin de toi
on le trouve toujours)
ou alors, encore un instant,
je m’arrête à écouter
la litanie ininterrompue,
uoo uoo
qui ne sait pas
se résigner.
Giovanni Merloni
(1) Viale Cristoforo Colombo, reliant les remparts de Rome (« mura aureliane ») au quartier de l’EUR et à la mer de Ostia.
(2) Via Capitan Bavastro, rue du quartier de la Garbatella.
(3) Via del Giorgione et (4) via del Caravaggio, rues du quartier Laurentino-EUR.
1960-1965 ambra 1966-1971 nuvola 1972-1974 stella 1975-1976 ossidiana 1977-1991 luna 1992-2005 roma2006-2014 paris
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 24 mai 2014
TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN
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Belles photos de Rome qui vont et viennent au même rythme que les mots –//–//–//
Très belles photos dont la première m’évoque irrésistiblement – surtout en cette saison – le Caro Diario de Nanni Moretti…
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