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LE PORTRAIT DES JOURS IMPAIRS
Avec cette ballade « sage » ci-dessous, j’étais en train de traverser pour l’énième fois le mur (ou charmille, ou rambarde) qui me sépare du monde extérieur — le même mur (ou charmille, ou rambarde) qui sépare, selon la rose des vents, la France de l’Italie, ou de l’Espagne, ou de l’Angleterre — quand je me suis aperçu avoir trop longuement négligé un autre mur, aussi solide qu’invisible, flottant derrière moi : le mur qui me sépare d’une vie d’artiste lente, régulière, avec des pauses nécessaires et aussi des haltes indispensables.
Comme vous le savez, je suis souvent incertain et lent dans mes décisions. Et pourtant, cette fois-ci, je me suis vite convaincu que l’heure était arrivée pour un changement radical.
Voilà. Dorénavant, tous les mardis, les jeudis et les samedis je franchirai ce deuxième mur pour m’absorber dans un travail obscur et anonyme, voire pour m’éclipser et me reposer un peu. Et ce portrait inconscient sera dorénavant le « portrait des jours impairs » (lundi, mercredi, vendredi et dimanche)..
Hier, au bout d’un après-midi pendulaire gaspillé entre Twitter et ce blog, entre les blogs des uns et des autres et les images catapultées par un monde où la joie semble être absente ou bannie… où d’ailleurs l’enthousiasme est plutôt freiné qu’encouragé… devant les murs des Lamentations qu’on érige au milieu des ruines des guerres et des incompréhensions… Je me suis demandé, spontanément, sans réfléchir : « c’était quoi, au fond, l’amour ? »
C’était quoi, au fond, l’amour ?
C’était quoi, au fond, l’amour ?
L’amour c’était vagabonder dans le manque, dans le labyrinthe sombre de l’absence, dans l’abîme insupportable du chagrin. L’amour c’était chercher l’amour. C’était désespérer la chaleur de la rencontre, la sobre animalité de notre corps auprès d’un autre corps, de notre bouche à côté d’une autre bouche. C’était s’obstiner dans une confiance aveugle s’adressant à un autre sans réfléchir, dans la conviction qu’il n’y avait pas besoin de peser les mots ni de faire des efforts pour l’impressionner.
L’amour c’était avant tout un amour ayant des mots pour vaisseaux et des regards pour voiles… c’était l’enchevêtrement de nos mots avec le silence d’un regard en face de nous. C’était notre silence en accueillant dans le bras ces corps vivants que les mots de l’autre nous catapultaient dessus. C’était notre embarras, notre peine lorsqu’une diversité s’affichait de façon abrupte et gigantesque et qu’il fallait l’accepter ou la repousser, sans savoir pourquoi…
L’amour c’était saisir la main d’un autre, sous le prétexte de la peur de la vie, de la mort, de l’ombre frappée par le vent ; c’était sourire à une personne inconnue, étrangère, avant de lui dire — librement, violemment, doucement — tout ce qui erre dans notre tête, tout ce que nous avons pensé, ou rêvé, sans jamais ne le dire à personne, à nous-mêmes non plus.
L’amour c’était avoir un but, une raison d’être, un prétexte pour continuer à rêver, pour nous accorder quelques luxes ou libertés.
L’amour c’était s’embrasser dans le bus, s’éteindre à terre, bivouaquer dans un coin quelconque de la planète, boire à une seule source, partager une seule pomme, un seul œuf, une seule tartine.
L’amour c’était arrêter de se plaindre, arrêter de souffrir au sujet de la vie, de cette vie qui coule pourtant, inexorablement, parmi nos doigts.
L’amour c’était s’emparer de la vie, pour l’envelopper, comme une écharpe, autour de nos tailles ; c’était voltiger sur un lit, glisser sur un tapis, rouler dans un pré, avaler une glace.
L’amour c’était briser le cercle de la solitude, de la misère, de l’indifférence du monde… c’était se jeter la tête première en une lutte déchirante et surhumaine avec ou contre un autre être humain, incapable ou capable de nous comprendre, qui voulait peut-être nous anéantir ou, au contraire, était là pour nous sauver. Un autre être qui nous haïssait, peut-être, sans le savoir, mais qui était là, pris dans le jeu, dans l’enjeu douloureux de l’amour. Cet autre être qui nous écoutait… peut-être nous attendait-il au passage juste pour nous tourmenter, pour nous exploiter au mieux, pour nous reprocher ou meurtrir aussi. Et pourtant, même s’il ne disait rien, même s’il se dérobait à nos élans, hésitant, mentant sans s’en repentir… du moins, il ne restait pas indifférent !
C’était quoi l’amour, en définitive ?
L’amour c’était un toit, un abri, ou alors seulement un parapluie gelé, cassé par la tourmente. L’amour c’était ma poche où s’invitaient ses mains, mon imperméable large et généreux où se réfugiait son corps. L’amour c’était un antidote contre la pluie, le vent, les maladies, la peur et aussi l’invisible paresse du petit matin.
L’amour c’était le courage de partir au travail, de surmonter les pièges infinis de journées dépourvues de sens et parfois d’humanité.
L’amour c’était découvrir la beauté dans chaque fleur cachée, dans chaque voix suffoquée, dans chaque coin que la monotonie avait épargné ; c’était mettre le cœur en pièces, pour battre l’indifférence, la sourde ou muette violence, la bassesse, la mauvaise humeur, le non-sens. Le non-sens d’une vie sans amour.
Giovanni Merloni
Cette peinture ne saurait commettre un impair…
quel beau texte, plein de finesse