le portrait inconscient

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poètes et artistes français

Aldo Palazzeschi, le poète « saltimbanque » un siècle depuis I/III

25 dimanche Mai 2014

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

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Aldo Palazzeschi

Comme vous avez pu le constater, cette petite passerelle de poètes français et italiens se déroulant sous forme de « portrait du dimanche » s’inspire surtout à l’idée du partage du plaisir de la lecture. Pour une pleine compréhension de l’importance de leurs œuvres, il faudrait un travail dont je ne peux pas me charger à présent, même si parfois j’aimerais (et devrais) le faire. Comme pour Aldo Palazzeschi (1885-1974),  écrivain et poète tout à fait particulier dans le panorama littéraire de mon pays.
Particulier et original déjà dans le nom « Palazzeschi », qui m’avait toujours touché et que je découvre maintenant comme nom de famille d’une grand-mère de cet auteur. En fait, en italien, « Palazzeschi » semblait jaillir d’une fusion artistiquement volontaire du mot « palazzi » (« palais, immeubles ou hôtels particuliers » aussi) et l’adjectif « pazzeschi » (fous, farfelus et toujours inattendus).
Assez probablement, ce nom « trouvé » — qui servit au poète pour remplacer le nom de son père qui avait essayé de le fourvoyer de ses aspirations intimes — fut adopté en pleine conscience par cet homme assez anticonformiste, toujours à la recherche de quelque chose que le miroir de l’existence (ou de la société italienne de la première moitié du siècle dernier) lui cachait ou déguisait.
Je ne saurais pas dire si une traduction en français, même la plus fidèle, pourra effectivement transporter ici, dans le monde actuel, les vers de Palazzeschi — ce « maudit Toscan » (1) qu’on peut aussi considérer comme un « poète Toscan maudit » vis-à-vis de ses contemporains — que je viens de choisir, pour vous, à peu près un siècle depuis leur première publication.
Mais je crois que la force révolutionnaire de ce poète unique en sortira de toute évidence.
Je compte bientôt revenir plus analytiquement sur ce maître où la pertinence parfois diabolique du mot se lie strictement à la recherche dramatique du sens de la vie le plus profond et intime.
Beaucoup de critiques évoquent Gabriele D’Annunzio parmi les premiers inspirateurs de la poésie de Palazzeschi. Je trouve au contraire une singulaire affinité entre celui-ci et Giovanni Pascoli. Car la recherche de Palazzeschi est surtout musicale et psychologique. D’ailleurs, si Palazzeschi est de toute évidence le plus grand entre les poètes futuristes italiens, on ne peut pas coincer Palazzeschi dans cette avant-garde (sous l’hégémonie, dans le bien et le mal, de la figure contradictoire de Filippo Tommaso Marinetti ; et pourtant illustrée par des artistes incontournables comme Boccioni, Carrà, De Chirico, Balla, Depero et le Sironi des « paysages urbains »).
Aldo Palazzeschi profita bien sûr, surtout à l’époque de ses premières sorties poétiques, de l’appartenance à ce groupe fort motivé, qui dialoguait activement avec toutes les avant-gardes internationales ayant Paris comme moteur primordial. Mais il s’en détachait, d’abord au nom d’une irréductible intransigeance « esthétique » par rapport à l’instrumentalisation politique du futurisme (surtout littéraire), ensuite pour une exigence de solitude.
Si Palazzeschi fut beaucoup aimé par Italo Calvino (2), il est évident que sa personnalité — « aristocratique et populaire » à la fois — n’a rien à voir avec celle de Cesare Pavese, par exemple.
On pourrait, d’ailleurs, essayer de développer un parallèle (littéraire, artistique ainsi que politico-culturel en général) entre l’expérience d’il y a cent ans — dont Palazzeschi fut témoin et protagoniste à l’intérieur du futurisme et à côté du mouvement surréaliste — et le creuset d’intelligences de la maison d’édition Einaudi à Turin dans les années 40, qui virent Pavese dans une position similaire, de participation active et indépendante à la fois vis-à-vis du groupe conduit par Elio Vittorini et Giulio Einaudi.
Si on a le temps et l’occasion, on pourra, un des prochains dimanches, à travers une petite sélection de quelques textes en prose, mettre à nu les immenses difficultés rencontrées par Aldo Palazzeschi, homme tout à fait réfractaire et indisponible aux rhétoriques ainsi qu’aux méchancetés du fascisme. Sa « résistance passive » au régime (se traduisant aussi dans un long séjour à Paris) fut spontanée et nette, ainsi que sa difficulté à s’engager dans une lutte positive.
C’est probablement à cause de cet objectif isolement humain et politique que l’œuvre de Palazzeschi a toujours rencontré un succès alterne ainsi que des périodes d’oubli.

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Aldo Palazzeschi, le poète « saltimbanque »
un siècle depuis

Le miroir (3)

Là, dans un coin de ma chambre,
gît un sale décrépit miroir
ovale, une lumière obscène reflétant
assez mal.
Que me regardes-tu, effronté, vilain d’un miroir ?
Que me regardes-tu ? Est-ce que tu crois
que j’aie peur de toi,
vieux vêtement dégueulasse ?
Tôt ou tard, je te mets en mille pièces, tu verras !
Effronté ! Tu crois que tu vas prendre
mon visage, parce que le tien
te manque, le mien est blanc,
le pauvre, mais le tien, que tu n’as pas,
est celui de l’étang le plus sale
le plus vieux.

Là toujours cette gueule
impassible égale, dans le coin
de ma chambre, cette lumière
qui reflète mal.
La mienne est égale toujours,
la tienne est toujours égale,
laquelle est la gueule à nous ? Laquelle ?
Est-ce que tu le sais ? Le sais-je, moi ?
Je te hais ! Et parfois, hélas, je t’aime,
par toute ma haine !

Et je m’approche de toi, en vainquant
l’écœurante répugnance
de la présence obscène
que tu veux maintenir dans ma chambre.
Tu es blanc, et je suis blanc aussi.
Je me rapproche d’un air impassible, et toi
d’un air impassible tu te laisses rapprocher.
Dis-moi, me reflètes-tu ou bien me rejettes-tu ?
Tu me fais voir un homme
qui me fait pitié !
Quelle gueule blanche !
Tout égal est son visage !
Si je ferme les yeux
cet homme là-bas
il me semble mort.
Quelle uniformité de blanc
sur ce visage !
Tout enfariné et pétri,
comme celui d’un petit clown
inconscient de ses vêtements
et de ses déguisements
qu’on lui colle dessus par nécessité.
Au-dessous de l’œil gauche
on voit le frémissement
d’une étoile rouge,
l’on dirait que par sa vivacité
elle, continûment, bouge.
C’est étrange, juste un peu
de voir vraiment
dans un ciel de céruse
une étoile de rubis.
Ces cheveux roux,
roux et frisés !
L’implantation au front
ne pourrait pas être plus belle,
chaque mèche s’en fuit
par une voie capricieuse
en finissant dans un anneau
ou dans une boucle.
Cet énorme manteau
rouge éblouit mes yeux,
j’ai peur, je te hais, lâche d’un miroir.
Que me fais-tu voir ?
Un homme qui me fait
peur, un homme
tout rouge, quelle horreur !
Qu’il dégage, qu’il dégage cet homme,
sale miroir maudit !

Non, regarde,
je veux me rapprocher de toi,
je veux vaincre l’horreur.
Voilà, j’y reviens de nouveau,
peut-être pendant de longues heures,
ou alors pendant tout un jour
avec toi, mon étrange compagnon.
Dis-moi, qu’est-elle la vie que tu fais ?
Quelle vie vis-je ?
D’étranges vies, toutes les deux !
Pourquoi me fais-tu voir un homme
qui me fait peur ?
Pourquoi fais-tu cela ?
Sache que je ne te regarde pas pour me voir,
je te regarde pour te voir.
Je te regarde parce que je te hais,
et que je t’aime, hélas !
Je te hais parce que je te regarde,
je te hais parce que si je te regarde je ne te vois pas,
je te hais parce que je ne te crois pas.
Pourquoi ne me dis-tu, alors
si celui que tu me laisses voir
c’est vraiment moi ?

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Antonio Donghi – « L’altalena », 1941

Rio Bo (4)

Trois maisonnettes
aux toits aigus,
un vert petit pré,
un ruisseau exigu : Rio Bo,
un vigilant cyprès.
Microscopique village, c’est vrai,
au-dessus, il y a toujours une étoile,
une grande magnifique étoile,
qui lorgne à peu près
la pointe du cyprès
de Rio Bo.
Une étoile amoureuse ! Qui sait
si jamais en aura
une grande cité.

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Carlo Carrà – « Il pino sul mare », 1921

La fontaine malade (5)

Clof, clop, cloch,
cloffete,
cloppete,
chchch……

Elle est en bas
dans la cour
la pauvre
fontaine
malade.
Quelle douleur
que l’entendre
tousser !
Elle tousse,
elle tousse,
un peu,
elle se tait,
à nouveau
elle tousse.
Ma pauvre
fontaine,
le mal
que tu as
presse
mon cœur.
Elle se tait,
ne jette
plus rien,
elle se tait,
on n’entend
aucune sorte
de bruit.
ou peut-être
elle est morte ?
Quelle horreur !
Ah, non !
La voici,
de nouveau
en train
de tousser
encore.

Clof, clop, cloch,
cloffete,
cloppete,
chchch……

La phtisie
la tue.
Mon Dieu
son éternel
toussotement
me fait
crever,
un peu
oui d’accord,
mais tellement !
Quelle barbe!
Mais Habel,
Vittoria !
Courez,
fermez
la source,
son toussotement
éternel
me tue !
Allez !
Mettez
quelque chose
pour la faire
finir.
Ou même….
mourir !
Madone !
Jésus !
Non plus,
non plus !
Ma pauvre
fontaine,
par le mal
que tu as,
tu finiras,
tu verras,
par me tuer
moi aussi.

Clof, clop, cloch,
cloffete,
cloppete,
chchch……

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Antonio Donghi – « Tevere », 1931

Qui suis-je ? (6)

Qui suis-je ?
Suis-je peut-être un poète ?
Certainement pas.
Elle n’écrit qu’un mot, bien étrange,
La plume de mon âme :
Folie.
Suis-je donc un peintre ?
Non plus.
Elle n’a qu’une couleur
La palette de mon âme :
Mélancolie.
Un musicien, alors ?
Pas davantage.
Il n’y a qu’une note
Sur le clavier de mon âme :
Nostalgie.
Suis-je donc… que suis-je ?
Je mets une loupe
Devant mon cœur
Pour bien le montrer aux passants.
Qui suis-je ?
Le saltimbanque de mon âme.

Aldo Palazzeschi

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Mario Sironi – « Aereo » 1915

(1) Voir le livre homonyme de Curzio Malaparte

(2) Lettre de Italo Calvino à Palazzeschi du 9 juillet 1966 : « Cher Palazzeschi, ce qui m’enchante dans vos nouvelles c’est le dessin géométrique qui se cache derrière les cas humains. En vous lisant, je découvre que mon idéal stylistique est justement celui-ci. Je vous suis très reconnaissant pour votre dédicace ainsi que pour le plaisir de la lecture. Affectueusement Votre Italo Calvino ».

(3) dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction Giovanni Merloni.

(4) Dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction Giovanni Merloni.

(5) Dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction Giovanni Merloni

(6) Dans « Poèmes », Firenze 1909, traduction François Livi, sur Anthologie bilingue de la poésie italienne p. 1284-1285, Gallimard 1994.

« ..Sans réussir à la comprendre », la femme selon Cesare Pavese

18 dimanche Mai 2014

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

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Cesare Pavese

Dans mon invitation à la lecture des textes de Cesare Pavese, de ses poèmes en particulier — que d’ailleurs je trouve très bien traduits en français, chose rare, dans les éditions Gallimard (1) —, je me suis borné à une traversée diagonale, inévitablement incomplète, essayant tout de même de frôler quelques éléments clés de l’œuvre de cet auteur « à la belle voix ». Un précurseur de son temps qui garde, aujourd’hui, toute son actualité et originalité.
Après avoir évoqué le « rythme de son imagination », je voudrais examiner l’importance des lieux ainsi que le rôle de la femme dans la poétique de Cesare Pavese.

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Quant aux lieux, vous trouverez, dans tous les textes critiques sur Pavese, la mise en valeur des Langhe, cette région de « dures collines » et d’hommes « taciturnes » où notre poète a vécu son enfance et adolescence. Ces racines ont bien sûr un rôle essentiel dans la maturation du « motif » primordial ainsi que du premier « mouvement » musical d’où se déclenche progressivement l’expression poétique de Pavese. Mais je ne crois pas qu’un portrait fidèle de cet auteur puisse se réduire à la mythologie de ce monde mystérieux et fascinant. Car de toute évidence Cesare Pavese eut besoin de la « rupture » du déplacement à Turin pour que son travail d’écrivain et de poète assume la consistance et la force de message universel qu’on lui a reconnues dès les premières publications de ses vers :

Stupéfié par le monde, il m’arriva un âge
où mes poings frappaient l’air et où je pleurais seul.
Écouter les discours des hommes et des femmes
sans savoir quoi répondre, ce n’est pas réjouissant.
Mais cet âge a passé lui aussi : je ne suis plus tout seul,
si je ne sais répondre, je m’en passe très bien.
J’ai trouvé des compagnons en me trouvant moi même (2).

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Cela se confirme dans la conclusion de ce beau portrait de la ville de Turin que fit Cesare Pavese même  :
« En en étant éloigné, je commence à inventer (fréquentatif d’invenire) une fonction conditionnante de l’art précisément dans le Piémont et principalement à Turin. Ville de la rêverie, à cause de son aristocratique plénitude faite d’éléments nouveaux et anciens ; ville de la règle, à cause de son manque absolu de fausses notes dans le domaine matériel et dans le domaine spirituel ; ville de la passion, à cause de son caractère bénévolement propice aux loisirs, ville de l’ironie, à cause de son bon goût dans la vie ; ville exemplaire, à cause de son calme riche de tumulte. Ville vierge en art, comme celle qui a déjà vu d’autres faire l’amour et qui, en ce qui la concerne, n’a toléré jusque-là que des caresses, mais qui est prête maintenant, si elle trouve son homme, à franchir le pas. Ville enfin où, arrivant du dehors, je suis né spirituellement : mon amante et non ma mère ni ma sœur. Et beaucoup d’autres sont avec elle dans ce rapport. Elle ne peut qu’avoir une civilisation, et moi je fais partie d’un groupe. Les conditions y sont toutes ».(3) 

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Une fois saisie l’importance dialectique des contextes (la campagne des Langhe, la ville de Turin et la ville de Rome) pour lui comme pour la plupart des intellectuels de sa génération, on se rend bientôt compte de l’importance de la femme dans l’œuvre de Cesare Pavese.
Il s’agit d’abord de la « femme au milieu du contexte », inscrite dans les poésies-récits où elle va interpréter petit à petit le rôle de protagoniste (comme dans « Rencontre » et « Paternité »). Ensuite, la question primordiale de « l’altérité indispensable » de la femme — tout en amenant une évolution de plus en plus dramatique de son existence —, comporte en parallèle un changement sensible de son expression poétique (4).

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Déjà, la jeune femme qu’il croise (dans « Rencontre ») dans le corso du pays — une « tache plus claire/sous les étoiles incertaines, dans la brume d’été » —, elle vit, devant les yeux du poète, « définie, immuable, tel un souvenir ». Elle est cristallisée, comme le dirait Stendhal, dans une idée platonique de l’amour, ou du moins dans la suspension de l’attente. Au contraire, la jeune fille qui danse, en se déshabillant, devant les yeux de son père et d’autres vieux ainsi que des jeunes déjà vieux (dans « Paternité ») représente explicitement la question du sexe et du sang, donc du côté physique dans le rapport amoureux, vis-à-vis duquel Pavese ne cache pas son pessimisme ni son angoisse.
Si la jeune femme qu’il entrevoit dans le corso a été créée « du fond de toutes les choses » qui lui sont « les plus chères sans réussir à la comprendre », la danseuse n’est qu’un corps, « un seul corps/qui se meut en rivant le regard de chacun. »
« Qu’est-ce qui me fait souffrir chez elle ? Le jour où elle levait le bras sur le corso asphalté, le jour où on ne venait pas ouvrir et où elle est apparue ensuite avec ses cheveux en désordre, le jour où elle parlait doucement avec lui sur la digue, les mille fois où elle m’a bousculé. Mais ce n’est plus là de l’esthétique, ce sont de lamentations. Je voulais énumérer de beaux et infimes souvenirs, et je ne me rappelle que les tortures. Allons, celles-ci serviront tout de même. Mon histoire avec elle n’est donc pas faite de grandes scènes, mais de très subtils moments intérieurs. C’est ainsi que doit être un poème. Elle est atroce, cette souffrance. » (5)
En fin de compte, ce que Cesare Pavese nous livre avec une sincérité extrême et même embarrassante pourrait bien sortir de l’expérience humaine de la plupart des hommes sensibles ayant eu une éducation familiale rigide dans un contexte humain et social renfermé et constellé de tabous. Il n’est pas toujours facile de se séparer définitivement d’un rapport privilégié avec sa propre mère, et cetera. D’ailleurs, déjà le titre « Métier de vivre » (6) nous explique que l’indispensable « initiation » à la vie ne se réalise pas seulement à travers le travail et le statut social qui s’en suit, mais aussi à travers l’amour. On ne considère pas assez que la réussite amoureuse n’est pas toujours escomptée et que souvent, à travers le rapport de couple, sous le piège (ou le chantage) de l’amour, des conflits peuvent se déclencher où le rapport de force éventuellement déséquilibré entre homme et femme correspond au rapport de force qu’on observe chaque fois qu’on a affaire à un exploiteur et un exploité.
Dans le « Métier de vivre » Pavese a peut-être longuement recherché son partenaire qui l’aidât à surmonter le « gap » psychologique entre des femmes trop idéalisées ou trop « expertes de la vie » et son personnage « toute-tête », exagérément intransigeant et orgueilleux, donc incapable de « relativiser » le poids d’une rencontre.
C’est ainsi qu’il vit constamment la contradiction entre « … un goût libidineux pour l’abattement, pour l’abandon, pour l’énervante douceur, et une volonté impitoyable de réagir, mâchoires serrées, exclusive et tyrannique, est une promesse d’éternelle et féconde vie intérieure ». (7)
Vivant les hauts et les bas de cette contradiction, l’œuvre de Pavese suit donc une parabole douloureuse à commencer par la première « prise de conscience » (que nous avons saisie dans les deux poésies citées de « Travailler fatigue ») jusqu’au dernier testament poétique dont les poésies citées (« Je passerai par la place d’Espagne » et « La mort viendra et elle aura tes yeux ») représentent sans doute l’expression la plus cohérente.

005_portici 04 - Version 2 180«…Sans réussir à la comprendre », la femme selon Pavese

Ces dures collines qui ont façonné mon corps
et qui ébranlent en lui autant de souvenirs,
m’ont fait entrevoir le prodige de cette femme
qui ne sait que je la vis sans réussir à  la comprendre.

Un soir, je l’ai rencontrée : tache plus claire
sous les étoiles incertaines, dans la brume d’été.
Le parfum des collines flottait tout autour
plus profond que l’ombre et soudain une voix résonna
qu’on eût dit surgie de ces collines, voix plus nette
et plus âpre à la fois, une voix de saisons oubliées.

Quelquefois je la vois, elle vit devant mes yeux,
définie, immuable, tel un souvenir.
Jamais je n’ai pu la saisir : sa réalité
chaque fois m’échappe et m’emporte au loin.
Je ne sais si elle est belle, elle est jeune entre les femmes :
lorsque je pense à elle, un lointain souvenir
d’une enfance vécue parmi ces collines, me surprend
tellement elle est jeune. Elle ressemble au matin. Ses yeux me suggèrent
tous les ciels lointains de ces matins anciens.
Et son regard enferme un tenace dessein : la plus nette lumière
que sur ces collines l’aube ait jamais connue.

Je l’ai créée du fond de toutes les choses
qui me sont les plus chères sans réussir à la comprendre. (8)

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Paternité

Rêverie de la femme qui danse, et du vieux
qui est son père ; jadis il l’avait dans le sang
et il l’a faite une nuit en jouissant tout nu dans un lit.
Elle se presse pour avoir tout le temps de se déshabiller,
car il y a d’autres vieux qui attendent.
Quand elle bondit dans la danse, tous dévorent du regard
la force de ses jambes, mais les plus vieux en tremblent.
La femme est presque nue. Et les jeunes regardent
et sourient. Il y en a qui voudraient être nus.

Ils ont tous l’air d’être son père, les petits vieux enthousiastes
et il sont tous, chancelants, le vestige d’un corps
qui a joui d’autres corps. Les jeunes aussi
seront pères un jour, et la femme est la même pour tous.
Tout se passe en silence. Une profonde joie
saisit la salle obscure devant cette vie jeune.
Tous les corps n’en font qu’un, un seul corps
qui se meut en rivant le regard de chacun.

Ce sang, qui coule dans les membres vigoureux
de la femme, c’est le sang qui se glace chez les vieux ;
et son père qui fume en silence pour se réchauffer,
ne bondit pas, mais c’est lui qui a fait la fille qui danse.
Son corps a une odeur et des élans qui sont les mêmes chez le vieux et les vieux. En silence,
le père fume et attend qu’elle revienne, habillée.
Tous attendent, vieux et jeune, et la fixent ;
et en buvant tout seul, chacun y pensera. (9)

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Je passerai par la place d’Espagne

Le ciel sera limpide.
Les rues s’ouvriront
sur la colline de pins et de pierre.
Le tumulte des rues
ne changera pas cet air immobile.
Les fleurs éclaboussées
de couleurs aux fontaines
feront des clins d’œil
comme des femmes gaies.
Escaliers et terrasses
et les hirondelles
chanteront au soleil,
Cette rue s’ouvrira,
les pierres chanteront,
le cœur en tressaillant battra,
comme l’eau des fontaines.
Ce sera cette voix
qui montera chez toi.
Les fenêtres sauront
le parfum de la pierre
et l’air du matin.
Une porte s’ouvrira.
Le tumulte des rues
sera le tumulte du cœur
dans la lumière hagarde.

Tu seras là — immobile et limpide. (10)

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La mort viendra et elle aura tes yeux (11)
La mort viendra et elle aura tes yeux
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. Ô chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort à pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets. (12)

Cesare Pavese

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(1) Travailler fatigue de Cesare Pavese (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969

(2) Ancêtres dans Travailler fatigue de Cesare Pavese, p. 31 (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969

(3) Cesare Pavese, Le métier de vivre, 17 novembre 1935, p. 48-49 (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008

(4) « Il y a un parallèle pour moi entre cette année-ci et ma manière de considérer la poésie. De même que ce n’est pas aux grands moments (….) que j’ai connu la souffrance la plus atroce, mais à certains instants fugitifs des périodes intermédiaires ; l’unité du poème ne consiste pas dans les scènes mères, mais dans la correspondance subtile de tous les instants créateurs. Ce qui revient à dire que l’unité ne doit pas tant au grandiose de la construction, à la charpente identifiable de la trame, qu’à l’habileté joyeuse des petits contacts, des reprises infimes et presque illusoires, à la trame des répétitions qui persistent sous chaque différence ». Cesare Pavese, Le métier de vivre, p. 64-65, 28 février 1936 (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008.

(5) Cesare Pavese, Le métier de vivre, p. 64, 28 février 1936 (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008.

(6) Pour un nouveau lecteur de Cesare Pavese le conseil serait celui de lire en parallèle ses poésies et ses romans avec l’accompagnement et le contre-chant de Métier de vivre. Cette mine prodigieuse n’est pas qu’un journal du combat entre les difficultés de la vie et les maux de la vie même. On n’y parle pas seulement du drame personnel de l’auteur et, indirectement, de la société qui l’entoure, prisonnière de ses tabous et de ses lois inébranlables. Ce livre est aussi un merveilleux exemple d’œuvre ouverte, où l’essai critique ou la réflexion philosophique ne font qu’un avec un indomptable amour pour la force créatrice de la parole. Cesare Pavese, Le métier de vivre (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008.

(7) Cesare Pavese, Le métier de vivre, 4 novembre 1938, p. 204 (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008.

(8) « Rencontre », dans Travailler fatigue de Cesare Pavese, p. 51-52 (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969

(9) « Paternité », dans Travailler fatigue de Cesare Pavese, p. 106-107 (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969.

(10) « Je passerai par la place d’Espagne » (28 mars 1950) dans Travailler fatigue de Cesare Pavese, p. 211-212 (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969.

(11) Quand j’étais un jeune étudiant, peut-être un peu trop gâté et désinvolte, certes superficiel, je m’amusais, avec mes camarades, à virer en boutade, par un jeu de mots assez grossier et brusque, des choses qui auraient bien sûr demandé une connaissance plus approfondie. Parmi ces calembours, où l’admiration se mêlait à l’irrévérence, je me souviens toujours de cette phrase : « « travailler fatigue », et si tu ne fais pas attention « la mort viendra et elle aura tes yeux » ! »

(12) « La mort viendra et elle aura tes yeux » (22 mars 1950), p. 207 dans Travailler fatigue de Cesare Pavese, p. 31 (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969.

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écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 18 Mai 2014

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Cesare Pavese, « Les mers du Sud » au rythme de l’imagination

11 dimanche Mai 2014

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Cesare Pavese

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« 22 juin 1938. On vit le monde grâce à l’astuce. Bien. Seuls les astucieux savent faire le mal en triomphant. Celui qui souffre de cet état de choses et qui décide de faire une cochonnerie pour se venger, pour se mettre au diapason, pour triompher, doit ne pas oublier qu’ensuite il lui faudra toujours vivre avec astuce, savoir triompher, sinon l’habile cochonnerie commise une fois par hasard ne servira qu’à le tourmenter, contrastant avec tout son état persistant de non astucieux, de non-salaud, d’inapte… » (1) Par ces mots révélateurs d’une personnalité où l’intransigeance morale ne se séparait jamais d’une sensibilité parfois désarmée et toujours désarmante, j’entame aujourd’hui une rapide incursion dans le monde poétique de Cesare Pavese, un de mes poètes préférés et sans doute mon maître.

Aujourd’hui, pour « entrer dans le vif » du personnage et de son expression poétique, je me suis borné à choisir un seul poème, fort représentatif de la personnalité artistique de Pavese, « Les mers du Sud », autour duquel on pourra successivement développer une connaissance plus approfondie de cet auteur. À partir de ce poème je me suis posé deux questions primordiales. La première question concerne la ville de Turin, théâtre prioritaire sinon exclusif de la vie et du travail de Cesare Pavese et siège de la glorieuse Einaudi. Si d’un côté le parcours littéraire et humain de Cesare Pavese — ainsi que d’Elio Vittorini, Italo Calvino, Natalia Ginzburg, Beppe Fenoglio, Franco Fortini, et cetera — serait inconcevable au-dehors de ce centre inimitable de rencontre et de propulsion culturelle en Italie et à l’étranger, ayant en Giulio Einaudi son irremplaçable ancrage, la ville de Turin est encore aujourd’hui – avec les Langhe, le lieu des rêveries d’enfance et d’adolescence du poète – même mieux qu’un musée ou qu’une « maison natale », la scène urbaine et humaine la mieux adapté à expliquer ce personnage. Comme le dit si bien Natalia Ginzburg, Turin « a une nature assez mélancolique. Dans les matins d’hiver, jaillit d’elle une odeur de gare tout à fait particulière, se diffusant dans toutes les rues et les boulevards… Quelques fois, à travers le brouillard, filtre un faible soleil, qui teint de rose et de violet les amas de neige, les branches nues des plantes… le fleuve, se perdant au loin, s’évapore dans un horizon de brumes lilas, qui font songer au couchant même s’il est midi ; et partout on respire cette même odeur sombre et travailleur de suie tandis que l’on entend un sifflement de trains… Notre ville ressemble, maintenant nous nous apercevons, à notre ami perdu (Cesare Pavese), qui la chérissait ; elle est, tout comme il était, travailleuse, renfrognée dans son activité toujours fébrile et opiniâtre ; et en même temps elle est nonchalante, prête à traîner et rêver ». (2)

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La deuxième question porte sur la forme poétique tout à fait originale de Cesare Pavese. Sa prose poétique, son rythme d’épopée désenchantée se fondent sur une musique intérieure, sur une voix populaire, directe, dépourvue d’inutiles décors, qui rend pourtant la saveur et l’essence profonde d’une destinée qui se révèle, d’une histoire qui s’explique. En dehors de toute rhétorique, par un langage écrit qui vient du théâtre de la vie quotidienne, dans un engagement esthétique et moral absolu, Cesare Pavese redécouvre la dignité de l’homme même dans ses faiblesses et contradictions. En même temps il refuse la perfection et la cohérence présumée lorsqu’on passe d’une poésie à l’autre, d’un récit ou roman à l’autre. Car en fait dans chacune de ses poésies — ainsi que dans chacun de ses « tableaux narratifs » — il dit tout ce qu’il avait à dire. Grand héritier des anciens poètes grecs, Pavese s’exprime par « fragments ». Chacun de ces fragments est un monde accompli et, en même temps, une « œuvre ouverte ». Et chacune de ses poésies démarre avec un vers, une petite locomotive musicale qui contient déjà, à l’intérieur, l’idée de tout ce qui se déroulera après. « Par ailleurs », nous dit Pavese en personne dans son « Métier de poète », « j’avais créé un vers. Je ne l’ai pas fait exprès, je le jure. À cette époque, je savais seulement que le vers libre ne me convenait pas, à cause de l’exubérance désordonnée et capricieuse qu’il exige d’habitude de l’imagination . Quant au vers libre à la Whitman, qu’au contraire j’admirais et redoutais beaucoup, j’ai dit ailleurs ce que j’en pense et de toute manière je pressentais déjà confusément qu’il fallait une inspiration très oratoire pour lui insuffler la vie. Je n’avais ni assez de souffle ni assez de tempérament pour m’en servir. Les mètres traditionnels ne m’inspiraient aucune confiance à cause de ce je ne sais quoi de ressassé et de gratuitement (du moins me semblait-il) alambiqué qu’ils ont en eux ; et d’ailleurs, je les avais trop utilisés sur le mode parodique pour les prendre encore au sérieux et en tirer un effet de rime qui ne me semblât pas comique. Je savais naturellement que les mètres traditionnels n’existent pas dans l’absolu et que chaque poète recrée en eux le rythme intérieur de son imagination. Et je me découvris un jour en train de marmonner une litanie de mots (qui devint par la suite un distique des Mers du Sud), suivant une cadence emphatique que, dès mon enfance, j’avais l’habitude de noter au cours de mes lectures romanesques en reprenant les phrases qui m’obsédaient le plus. Ainsi, sans le savoir, j’avais trouvé mon vers qui, naturellement, pour Les mers du Sud et pour plusieurs autres poèmes fut tout instinctif (il reste de traces de cette inconscience dans quelques-uns de mes premiers vers qui ne sortent pas de l’hendécasyllabe traditionnel). Je rythmais mes poésies en marmonnant. Petit à petit, je découvris les lois intrinsèques de cette métrique et les hendécasyllabes disparurent et mon vers se révéla être de trois types constants que je pus, en un certain sens, considérer comme antérieurs à la composition d’une poésie ; cependant, je pris toujours soin de ne pas me laisser tyranniser, prêt à accepter, quand cela me semblait nécessaire, d’autres accents et une autre syllabation. Mais je ne m’éloignai plus véritablement de ce schéma et je le considère comme le rythme de mon imagination. » (3)

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Cesare Pavese à 16 ans

Cesare Pavese : « Les mers du Sud » 

Et voilà « Les mers du Sud », ce poème écrit et réécrit plusieurs fois avant de sa définitive publication dans le recueil de « Travailler fatigue ». Le 10 novembre 1935, dans son journal, Cesare Pavese en nous livre un portrait très envoûtant : « s’il y a un personnage dans mes poésies, c’est celui de l’enfant qui s’est enfoui de chez lui et qui revient joyeusement dans son petit village, après en avoir vu de toutes les couleurs et de toutes les saveurs ; sans la moindre envie de travailler, jouissant profondément de choses très simples, toujours ample, débonnaire et tranchant dans ses jugements, incapable de souffrir à fond, heureux de suivre sa nature et de jouir des femmes, mais heureux également de se sentir seul et disponible, prêt tous les matins à recommencer : en somme, Les mers du Sud. » (4)

003_valentino pavese 06 180 Un soir nous marchons le long d’une colline,
en silence. Dans l’ombre du crépuscule qui s’achève,
mon cousin est un géant habillé tout de blanc,
qui marche d’un pas calme, le visage bronzé,
taciturne. Le silence c’est là notre force.
Un de nos ancêtres a dû être bien seul
— un grand homme entouré d’imbéciles ou un malheureux fou —
pour enseigner aux siens un silence si grand.

004_valentino pavese 07 180 Ce soir mon cousin a parlé. Il m’a demandé
de monter avec lui : du sommet on distingue,
au loin, quand la nuit est sereine, le reflet
du phare de Turin. « Toi qui habites à Turin… »
m’a-t-il dit, « tu as raison. Il faut vivre sa vie
loin de chez soi : profiter, jouir de tout
et puis, quand on revient comme moi à quarante ans,
plus rien n’est pareil. On n’oublie pas les Langhe. »
Il m’a dit tout cela et il ne sait pas l’italien,
mais il parle lentement le dialecte qui, comme les pierres
de cette même colline, est tellement rugueux
que vingt ans de langages et d’océans divers
ne l’ont pas entamé. Et il gravit la côte
avec ce regard recueilli qu’enfant j’ai souvent vu
dans les yeux des paysans un peu las.
005_valentino pavese 180 Pendant vingt ans il s’est baladé par le monde.
Il partit quand j’étais un enfant que les femmes portaient
et on dit qu’il était mort. Puis j’entendis parfois
les femmes en parler sur un ton de légende ;
mais les hommes, plus graves, l’oublièrent.
Un hiver, pour mon père déjà mort arriva une carte
nous souhaitant une bonne vendange, avec un grand timbre verdâtre
qui montrait des bateaux dans un port. La surprise fut grande
mais l’enfant qui avait grandi expliqua avidement
que le mot provenait d’une île appelée Tasmanie
qu’entoure une mer plus bleue, aux féroces requins,
dans le Pacifique, au sud de l’Australie. Il ajouta que le cousin
pêchait certainement des perles. Puis il ôta le timbre.
Tous donnèrent leur avis, mais tous, ils conclurent
que s’il n’était pas mort, il mourrait.
Puis tous ils oublièrent et bien du temps passa.
006_valentino pavese 180 Oh ! Depuis que j’ai joué aux pirates malais,
que de temps est passé. Et depuis cette fois
où je suis descendu me baigner dans les eaux périlleuses
et où j’ai poursuivi un camarade de jeux sur un arbre,
brisant ses belles branches, où j’ai cassé la gueule
d’un rival, où j’ai été roué de coups,
que de vie est passée. D’autres jours, d’autre jeux,
d’autres séismes du sang devant des rivaux
plus fuyants : les pensées et les rêves.
La ville m’a appris des terreurs infinies :
une foule, une rue, m’ont donné le frisson,
parfois une pensée, épiée sur un visage.
J’ai encore dans les yeux la lumière railleuse
des milliers de réverbères sur la cohue des pas.
007_valentino pavese 09 180 Mon cousin est rentré, gigantesque, à la fin de la guerre,
un des rares survivants. Et il avait de l’argent.
Les parents murmuraient à voix basse : « Dans un an
tout au plus, il aura tout claqué et il repartira.
C’est comme ça que les têtes brûlées meurent toujours. »
Mon cousin a un air énergique. Il acheta un rez-de-chaussée
au village et y fit prospérer un garage en ciment
et devant, flamboyante, une pompe à essence,
et bien en évidence, sur le pont, au tournant, un grand panneau réclame.
Il installa un gars pour encaisser l’argent
et lui, se balada dans les Langhe en fumant.
Entre-temps, il s’était marié au village. Il choisit une fille
blonde et mince comme les étrangères
qu’il avait dû sans doute rencontrer par le monde.
Mais il continua à sortir toujours seul. Habillé tout de blanc,
les mains derrière le dos, le visage bronzé,
il explorait les foires le matin et d’un air sournois
marchandait les chevaux. Plus tard il m’expliqua,
quand son plan échoua, qu’il avait projeté
de faire disparaître toutes les bêtes de la vallée,
et d’obliger les gens à lui acheter des moteurs.
« Mais la plus grosse bête, disait-il, c’était moi,
qui ai eu cette idée. J’aurais dû m’en douter
qu’ici gens et bœufs sont une même race. »
008_valentino pavese 08 180 Nous marchons depuis bientôt une heure. Le sommet est tout près ;
Autour de nous, toujours plus fort, le vent siffle et murmure.
Mon cousin s’arrête tout à coup et se tourne : « Cette année,
je mettrai sur l’affiche : Santo Stefano
a toujours triomphé dans les fêtes
de la vallée du Belbo — que ceux de Canelli
se le tiennent pour dit. » Puis, il reprend sa marche.
Un parfum de terre et de vent nous enveloppe dans le noir,
au loin, quelques lumières : des fermes, des autos
que l’on entend à peine ; et je pense à la force
qui m’a rendu cet homme, l’arrachant à la mer
et aux terres lointaines, au silence qui dure.
Mon cousin ne parle pas des voyages qu’il a faits.
Il dit, tout juste, qu’il a été dans tel ou tel endroit
et pense à ses moteurs.
009_valentino pavese 05 180Seul un rêve
lui est resté dans le sang : une fois, comme chauffeur
il a croisé sur un bateau hollandais, le Cétacé,
et il a vu les lourds harpons voler sous le soleil,
les baleines s’enfouir au milieu d’une écume de sang,
il a vu la poursuite, les queues se dresser, la lutte en baleinière.
Quelques fois, il m’en parle.

Mais lorsque je lui dis
qu’il est de ces heureux à avoir vu l’aurore
sur les plus belles îles de la terre,
au souvenir il sourit et répond que le soleil
se levait sur un jour qui pour eux était vieux.

Cesare Pavese 010_valentino pavese 10 180(1) Cesare Pavese, Le métier de vivre p.173 (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008

(2) Natalia Ginzburg Portrait d’un ami, en Les petites vertus, Torino Einaudi, 1962, pages 25-26

(3) Cesare Pavese, Le métier de poète (à propos de Travailler fatigue) dans Travailler fatigue pp.173-174 (traduction de l’italien par Gilles de Van), Poésie/Gallimard 1969

(4) Cesare Pavese, Le métier de vivre, page 46 (traduction de l’italien par M.Arnaud), Folio Gallimard 1958, 2008

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni.

Première publication et Dernière modification 11 mai 2014

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Une chronique pour Gramsci, la poésie de Mario Quattrucci

27 dimanche Avr 2014

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

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Mario Quattrucci

J’introduis aujourd’hui, pour la première fois dans mon « panorama poétique », un poète italien, Mario Quattrucci.
Un personnage qui « vient de loin », soit comme artiste (il est peintre aussi) et poète-écrivain, soit comme homme politique, ayant recouvert des charges importantes dans l’administration publique ainsi que dans l’ancien parti communiste de Rome et du Latium.
Depuis plusieurs années éloigné de la politique active, surtout à la suite de son installation à Fiano, au nord de Rome, il s’est entièrement consacré à l’écriture ainsi qu’à la vie littéraire, donnant vie à une vaste série d’initiatives, dont le prix littéraire Feronia — avec Stefano Paladini et Filippo Bettini — devenu avec le temps une importante occasion de rencontre et de diffusion de la poésie et de la littérature italienne avec une significative ouverture pour les auteurs étrangers.
Je dois la connaissance et l’amitié avec Mario Quattrucci à un ami commun, Angelo Zaccardini, récemment disparu, que je fréquentais dans la période de la profession libérale pour des questions d’urbanisme concernant la commune de Capena, juste à côté de Fiano. Zaccardini me proposa un jour de rencontrer « le poète », c’est-à-dire Quattrucci.
Dans cette expression « le poète » il y avait bien sûr une estime sans bornes. Mais il y avait aussi une petite nuance d’ironie pleine d’affection sincère.
Mario Quattrucci aime la France. Cet amour est témoigné par le nom de son personnage le plus illustre, le commissaire Maré, qui anime une série de romans noirs très suivie.
Parmi les nombreux recueil que j’avais lu en différentes époques, dans le but de faire connaître le poète mais aussi l’homme en toutes ses multiples facettes, j’ai choisi un texte tout à fait original dans le travail de Quattrucci.
« Une chronique pour Antonio Gramsci », n’est pas seulement un beau poème-épopée. Elle est aussi le témoignage de quelqu’un qui a vécu dramatiquement et de l’intérieur l’alterne influence de Gramsci sur la vie politique italienne. Tout comme Pasolini — s’adressant à Gramsci pour réinterpréter la société italienne dans les années soixante et début soixante-dix —, Quattrucci s’interroge sur le destin de cet immense patrimoine de la gauche italienne dont Gramsci est le symbole et le principal « animateur » (ainsi que le plus respecté). Un patrimoine qui concerne au moins trois générations d’hommes et de femmes qui ont cru dans le socialisme tout en luttant pour défendre la démocratie et les institutions républicaines dans notre pays.
J’espère que ma traduction, le plus possible fidèle dans mes intentions, soit aussi efficace pour une pleine compréhension et appréciation de ce texte inspiré et donc de ce véritable poète.

Giovanni Merloni

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Mario Quattrucci
Une chronique
pour A. G.

Un poème en prose : ainsi l’Auteur à défini cet ouvrage. Scandé selon le rythme d’une méditation douloureuse, et pourtant déguisé, coupé, même nié par de renversements récurrents, ainsi que des sursauts, des césures, des dissonances syntactiques et harmoniques. Comme d’ailleurs demandait la douloureuse et engageante réflexion sur les tragiques apories de notre condition individuelle ainsi que de notre Histoire commune.

Je pense que tu aimes l’Histoire, comme je l’aimais à ton âge,
car elle touche les hommes vivants et tout ce qui touche les hommes ;
le plus grand nombre d’hommes possible, tous les hommes du monde
puisqu’ils s’unissent entre eux en société
et travaillent et luttent en améliorant eux-mêmes
tu ne peux ne pas aimer cela plus que tout.
Mais, est-ce vraiment ainsi ?

Antonio Gramsci, Carnets de prison, CCXIII (à Delio)

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I
[une ancre – encore]
Juste ce qui demeure. [Ma cela serait possible, même]
(ici, où le crépuscule empourpre
les vitres ? où le ciel se replie, jusqu’à déteindre
le rouge des remparts ?). Mais ils ne résonnent
(plus ─ pas encore)
la fracture, le battement. Reviennent
(une ère depuis), les noms,
les bruits des pas, tout est au-dehors
de la définition, aveugle à la théorie,
perdu dans le bouillonnement
de la vie. Soit ! (si enfin la vie ce n’est que brûler).

Mais rien
ne peut durer longuement, si l’on ne coupe pas
les chaînes à la racine, en plusieurs, en détendant
la main ;
si tu ne mesures pas ce qu’on a perdu ou est disparu,
si on ne s’aperçoit pas
qu’il est désormais
inutile ce regard égaré dans le miroir ainsi que
ces larmes déversées : on est harcelés par cette
question inquiète.
Il est désormais inutile le murmure rapide de lèvres
dans les congrès ou les cris. Il ne tourne pas, le vers
du concept, ce nu stylo de l’intellect pratique,
produit de la rencontre entre l’analyse individuelle
et l’action collective.

Juste ce qui demeure. (Il faudrait) opposer
au donné… une nouvelle négation
ainsi qu’une norme qui prévoit
[la possibilité de] la négation,
une nouvelle forme,
nécessaire mais non suffisante
(l’essence réside dans l’ensemble des rapports
et cetera…
),
[une loi solide], une constante [à défendre]
dans de temps de revers et d’exploitation mercantile.

Juste ce qui demeure. Et une pensée aigue,
qui retourne à l’interpréter, ce monde rusé.
Et patiemment, encore, petit à petit,
le mouvement en re [fortement enraciné
dans la réalité]
capable de transformer dans la praxis
les structures théoriques.

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II
[le prisonnier]
Mais lui
que pouvait-il savoir ou imaginer à présent
(le temps arrêté, le temps précipité),
au-delà de la lucarne grillée
dans les carreaux étroits d’une lumière barrée ?
Que pouvait-il ouïr (le temps sans futur, sans passé)
dans le bruissement du soir ? Que pouvait-il entendre
au-delà du blanc de ces murs ?
Rien que des toits amassés, étroits,
des reflets bigarrés,
ou peut-être aussi un flot de mer,
ainsi qu’un vert de mémoire
─ des oliviers (juste le temps de la mémoire),
des pâturages, des caroubiers ─
ou peut-être juste un mur ébrasé, pérenne,
blanc lui aussi
par sa méridionale lumière de chaux.

Espace deux mètres sur trois, un lit de fer,
un banc de bois, tandis que le mal lui effritait les os,
les dents, lui perçait les poumons ; c’était le gel
ténébreux de ces années, de ce monde aussi terrible
et grand ; le gel
(le temps sens dessus dessous)
de se savoir exclus, et pourtant :
je pense que tu aimes l’histoire comme je l’aimais.

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III
[fausse progression]
Notre histoire. On dit des villes
que nous traversâmes que c’était la saveur du siècle,
de ces nuits laborieuses
de ces jours fort éblouissants, de ces attentes
de la grande soirée, d’une seule
haleine libératoire, dans ces après-midis empourprés
par ce vent assuré ; c’était la force de nos muscles
de nos joues renaissantes ; nous oubliions le sang
le mensonge, perdus nous aussi dans le bois
(des iniquités, des rêves), mais comment,
où gardions-nous ses paroles, sa vue
catapultée en avance au-delà de la folie
d’une norme de dévotion religieuse ?
(Pourquoi ne pouvait-il pas séjourner dans notre vie ?)
Pourquoi pouvait-il y rentrer juste par le côté ouvert,
lorsque des urgences ou des intuitions
ou des conditions favorables à l’action
le demandaient ?
Cela nous apporta du bien, ce fut salutaire
pour nous, pour tous : des années enrichissantes
mais aussi, combien de décennies
combien de chutes évitables, combien de pertes ?
Et maintenant, dans l’obsession
(personne ne croyant plus à cette religion)
est-ce que nous le retrouvâmes, le retrouvons ? Non,
son temple occulté n’est qu’un drap lacéré.

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IV
[la rencontre]
Depuis peu j’étais né tandis que lui, dans ses jours
fangeux, exténué, seul, demeurait dans l’ombre
froide de hauts murs humides. Quand, dites-moi,
quand aurais-je pu le rencontrer ? Et comment ?
Et cela, est-ce qu’on l’avait gravé dans la pierre,
quelque part ?
Non, ce n’était pas lui. C’était son fils musicien.
Un autre jour c’était son frère survécu. Quel coup
ces visages tellement évocateurs et semblables
l’un à cette image, évanescente de sa femme lointaine,
perdue, l’autre tout à lui, tout comme il paraît
dans la photo de Formia. Quelle insoutenable
étreinte autour des pouls, des tempes !

Mais lui, par une autre voie, par l’outil des mots,
par ces lettres, ces cahiers ardents, fourmillants
capables de graver la vie, de la reconduire
dans un seul vers ! Ô combien insipide
cette vie à moi ! Et pourtant elle aussi
quelque peu signifie, en raison
de ces raisons à lui si fortes,
de ces pensées à lui si grandes.

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Rome, Pier Paolo Pasolini près du tombeau d’Antonio Gramsci

V
[débris]
Comment ce furent les années ? Maintenant
je sais que ce n’était pas là [où nous la cherchions]
l’âpre contradiction ; c’était une autre contradiction
celle où nous descendîmes pour mesurer des images
celle où avec insistance grimpions,
tandis que les jours s’habituaient
à nous. Maintenant, je connais la fracture,
nonobstant qu’il fût dans nos cœurs
dans la pleine lumière, et qu’il fût bien caché
dans le fond de nos sombres viscères.
Je le sais. Mais aussi, ne rien savoir c’est la vie
là où remonte (sourd) le vacarme des vivants
perdus, féroces (ou éteints) dans la montée ;
là où elle, la classe (ouvrière) imperturbable,
a très peu d’envie d’apprendre :
oubliées les vexations subies,
juste d’elle-même elle s’occupe.
Toute seule, dans l’impitoyable gras
de villes qui montent, son œil se trouble dans l’air,
sa conscience séculaire se brise.

C’est le monde en débris qui voltige,
se dérobant à la prise.
D’autant plus nous cherchions un seul sens
aux choses ;
d’autant plus nous croyions au but cohérent
(une fois éteint, finalement, le royaume
de la nécessité)
du nouveau royaume de l’homme, dans un monde
renversé par l’inéluctable vague de l’histoire.
Et je sais que l’attente
ne pourra jamais plus me rendre
l’illusion d’une veille, ni la faible explosion d’une lueur.
Or, l’on n’est pas dans une fin de l’histoire
hantée par le calme candide du monde :
mais je vois passer, inflexible,
avec ses arêtes de peine
le numéro mille neuf cent quatre-vingt-onze ;
et s’en vont, à précipice,
ne faisant qu’un avec le millénaire,
les années.

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VI
[la flagellation ]
Tous les gens se réunirent. Il demeurait écarté
─ serré au milieu d’architectures blanches, de rigides
perspectives (fruit des multiples solennelles contraintes
de la raison structurante), au centre
du palais, devant le trône, indifférent,
et pourtant complice du commanditaire inconnu
(mais on en reconnaît l’habit, le portement)
sous le bras de l’idole
(le bras tendu idéologiquement, le globe dans la main),
illuminé par un rayon venant d’une autre source
─ l’homme : le pauvre Christ, le flagellé avec dérision,
l’ecce homo surveillé, gardé à vue, couronné
d’épines ; toujours, à tout moment, l’enfant
de son état social, humain et historique.

Mais celui qui est ici, au premier plan
(c’est-à-dire là où court en premier
notre œil contemporain), le jeune pâli
par sa mort imminente, qui est-il
si cette mort immanente le garde
vainement angélique et docte ?
s’il se dérobe à la vue effective ?
si son corps n’est pas présent ?
s’il traîne, presque nu, dans sa rude tunique
amarante, déchaussé comme le prétend une âme,
une mémoire nue, une quête extrême de pitié ?
Qui est-il ce jeune où nous voyons nous-mêmes
(malgré nos rides, malgré le temps coulé
sur nos corps aussi évident,
malgré nos esprits croulants)
toi, moi, les spectateurs, ayant vu,
nous tous, la lumière en ce tout proche mille
huit cent quarante ou mieux quarante huit,
ou peut-être
plus vraisemblablement en mille neuf cent vingt et un ?
toi, moi, encore sur le seuil d’une mort historique
qui nous hante déjà ?
toi, moi, n’importe qui parmi ceux
que les flots de fer de la passion
(assumée dès la naissance ou dans l’élan)
jetèrent dans les tempêtes et les sèches
du vingtième siècle ?

Il ne parle ni n’entend ; il ne peut pas ouïr
(si même il écoute, si même il attend
qu’il descende encore des mots une lueur,
un flot de futur), il est seul, il est blanc
dans la pure existence d’un déjà inexistant (un mythe)
au centre de sérieux conviés.
L’autre, sur la gauche, le sage aux vêtements solennels,
invite : brisons toute contrainte, pourtant il regarde
gravement, fixement, lui aussi, dans ce point
au-delà du temps, se coagulant en dehors
de son espace (et du nôtre).

000_Piero,_flagellazione_recadrée 480

VII
[dans ce qu’en nous demeure]
Mais nous sommes en ce lieu, en ce temps-ci, c’est ici
que notre vie a du sens : d’ici, donc, nos âmes
reviennent à l’écoute, à l’intelligence,
à ce travail que chaque plante demande.
Et encore ─ même sous le poids d’un tourment intime ─
encore, ici, puisant dans ce qu’en nous demeure,
on recommence.

Mario Quattrucci

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Le Siècle Bref était en train de mourir. En 1991, précisément. Juste au moment où la Grande Alternative de l’Histoire cédait avant de s’écrouler honteusement. Après la chute du Mur, la disparition de l’URSS, tandis qu’en Russie et dans tous les territoires à l’Est [de l’ancien rideau de fer], la restauration féroce du capitalisme financier le plus sauvage se déclenchait.
Vis-à-vis de telle modification et de la violence brutale de son exploitation, on s’interroge sur les réactions de ceux qui avaient consacré, avant cette date fatidique, leur vie aux idéaux fauchés dont Marx et Gramsci restaient pourtant deux voix incontournables, que l’Histoire n’avait pas vraiment liquidé. L’Auteur parle donc de :
— tous ceux qui avaient espéré (demeurant, après la crise de 1956, dans le sillon de la Révolution d’Octobre et, en Italie, dans le Parti Communiste) et lutté pour une nouvelle  révolution démocratique et socialiste, capable, une fois abattu le stalinisme, d’en dépasser (pendant le temps de quelques décennies) les conséquences historiques, sociales et politiques ;
— tous ceux qui avaient espéré et lutté pour qu’on se remet en chemin vers une nouvelle organisation de la société ainsi qu’en direction d’un monde nouveau, habité par la liberté et la justice, dont les prémisses venaient directement du grand événement de 1917 ;
— tous ceux qui avaient espéré et lutté pour que l’Histoire puisse assumer un nouvel élan propulsif ;
— ces opiniâtres marxistes gramsciens (toujours animés par le doute brechtien) qu’ils avaient été et qu’ils étaient encore, apprenaient (désormais sans doutes) avoir vécu dans un rêve. Ou, si l’on préfère, dans un héroïque espoir sans espoir.
Avec la complicité du temps — le temps humain de la vie de chacun, ce temps qui coule et tourne vers son accomplissement —, cette génération, qui avait résisté avec ses certitudes tenaces aux grosses vagues tragiques ainsi qu’aux raisons féroces des convictions indéfectibles (typiques du siècle grand et terrible), ne pouvaient qu’accepter la catastrophe, en se donnant quelques lancinantes raisons de cette disparition du rêve dans le gouffre ouvert par la défaite, s’accoutumant aussi à ne plus attendre une veille… et l’éclat même d’une seule faible lueur.
Repenser Gramsci, ou mieux partir à nouveau à la rencontre avec Gramsci, cela devenait alors le moyen pour révéler à nous-mêmes la faute, le vice absurde, les raisons de la défaite historique en train de s’accomplir.
Et, en même temps, valoriser et revendiquer à  raison notre propre non négligeable existence, consacrée à la lutte idéale ainsi qu’à la praxis politique, dans le sillon de Marx et Gramsci, tout en reconnaissant la valeur durable de leur philosophie de la praxis, dont on a su peut-être changer tout ce qu’il fallait.
En arrivant à la nécessité de reprendre les analyses ─ vues les iniquités de plus en plus insupportables que le capitalisme financier impose partout dans le monde ─, tout en partant de ce qui demeure ; de recommencer donc la lutte, redonnant la vie au mouvement. Pour abolir l’état des choses présentes ? N’est-ce pas celle-ci, en dehors de toute abjuration de la pensée faible, selon son fondateur, la substance du socialisme et sa nécessité ?
Espoir contre tout espoir ? Peut-être. Mais, pour tenir en vie notre espoir, nous n’avons d’autre voie que « le faire » : d’ailleurs même la peur la plus justifiée ne nous amène pas à crier : Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? [Elì, Elì, lema sabactani]

Mario Quattrucci

(1) La VIe Partie, La flagellation, s’inspire au chef d’œuvre de Piero de la Francesca qu’on admire dans le Palais d’Urbino, lu de façon  allégorique ainsi que critique, sur la base des découvertes et des interprétations de Carlo Ginzburg dans ses Indagini su Piero.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 27 avril 2014

Texte original en ITALIEN

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Giovanni Pascoli : L’âne. Une traduction hasardeuse

21 dimanche Juil 2013

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Giovanni Pascoli

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

Vive le beau temps qui rend les vacances crédibles ! Jusque aujourd’hui, dimanche 21 juillet, je n’ai rien envisagé. Il est possible que je profite du calme relatif da cette ville qui d’ailleurs offre des alternatives très agréables à la solitude et au manque de repos et détente physique. Je pourrais aussi faire de brèves escapades dans un ou deux de ces merveilleux endroits d »Île de France entourant Paris. Ou alors, je pourrais me rendre là où habitent et lancent des signaux de fumée mes correspondants éperdus dans le réseau virtuel, vainquant ainsi la paresse présomptueuse de tout savoir en deçà de la connaissance physique des lieux. Selon les liens qui me sont devenus les plus familiaux je pourrais aller à Avignon, Poitiers, Pas-de-Calais, Barcelone, Mons, Fribourg, Luxembourg, La Haye…
Même si je me décide à ne rendre visite qu’à un seulement de ces correspondants, il me faudra une dizaine de jours pour que cela soit d’abord une rupture, ensuite une vacance saine.
Cet ambitieux projet me contraint, chers lecteurs, à effectuer une modification de rythme vis-à-vis de mes publications dans la période estivale.
D’ailleurs, pour ne pas succomber aux fatigues du loisir, avant de partir il faut se reposer.
Pendant les vacances, d’ici à dimanche 15 septembre, je continuerai mes publications tous les mardis, vendredis et dimanches de chaque semaine au lieu que tous les jours.

pascoli

L’âne de Giovanni Pascoli, une traduction hasardeuse.

Pour conclure le cycle presque ininterrompu de mes publications journalières et lancer un pont estival vers les publications de septembre, je considère comme stratégique ce poème de Giovanni Pascoli, dans lequel l’image poétique du « retour du poète à Sogliano » se fusionne intimement avec la vision filmique du « retour du père mort à San Mauro ».
Sogliano, commune située en position dominante au milieu des collines reliant la Romagne au Marches ; San Mauro, île heureuse, du moins dans le souvenir de Pascoli, encastrée entre la route Émilie et la mer.

Je vous laisse lire ma traduction à moi, dans laquelle j’ai essayé de respecter le plus que possible soit les intentions de Pascoli soit ses fondamentales contraintes poétiques. Fin du mois de septembre, je reprendrai ce texte pour l’intégrer dans le vie de Pascoli et aussi dans l’histoire de la Romagne à l’enjambement des siècles XIX et XX.

Je veux ici remercier Marina Foschi pour les photos qu’elle m’a gentiment envoyées. Elles font partie d’un plus grand travail sur les lieux qu’elle réalisa en 1972 avec notre commun ami et camarade Sergio Venturi, récemment disparu. Je crois que Sergio serait content de voir  Sogliano al Rubicone – ce modeste et pourtant vivant village situé au milieu des collines de Romagne – efficacement représenté ici grâce à ces photos émouvantes pour leur simple et joyeuse beauté.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

Giovanni Pascoli (1855-1912) : L’âne (Premiers petits poèmes, 1897)

I
L’âne… m’apparut tout devant : c’était un soir
d’octobre, en route vers Sogliano. En train
de monter, le courrier crissait  jusqu’à choir.

Moi, je regardais en arrière, vers la plaine
où déjà mon San Mauro s’effaçait de l’air
— oh mon nid d’alouette dans le grain ! —

où luit parmi le vert, frôlant les claires
brèches de villes bourgs cités, telle un dragon
bercé par le doux chant de la mer

la Marecchia argentine. Dès que glouton
ravi je fus à cette vue, me retournai, et noir
comme un écueil au milieu rose d’un lagon,

noir au-dessus du changement  provisoire
de la couleur du ciel, inexplicable ombre nette,
noir et immobile là-haut comme ostensoir

je vis un âne avec sa charrette.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

II
Rien d’autre ? Non. D’une mystérieuse
pente venait le chant des vendangeurs,
venait le chant d’une vendangeuse :

glissant par-ci par-là dans la rumeur
des roues. J’entendis une voix disant :
— Et l’on m’a dit déjà que l’amour meurt —

Moi, rien que ça ; mais plus que ça sûrement
entendit l’âne là-haut, tout en sombrant
dans la mort du soleil en plein éclatement

Par intervalles je vis qu’il ne bougeait pourtant
pas son ombre longue avec ses longues oreilles
pour ce couplet ainsi long et touchant

quitte à se tordre lors d’une ritournelle
claire, la voix d’une cornemuse enflée
âpre, sortant d’avide vorticelle…

Sur la charrette le chauffeur dormait.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

III
Ronflait au milieu de la route solitaire
Écume, le rauque poissonnier pieds nus,
ton fils, ô Bellaria aux aubépines claires.

Par le vin de Bagnolo pris et vaincu
fut-ll en revenant ; l’autre, peu à peu,
voulant sa route seul ne suivre plus,

s’arrêta (dépourvu de bâton !) au feu
des vêpres. Au dos, de ces flottantes joues
de ce fort souffle rauque il écoutait le jeu.

Je vis l’un dormant sur les bourriches nues,
lors du passage : et l’âne, Chut ! Qu’il dorme !
parut-t-il faire signe envers les sonores roues.

L’un sur les paniers, et sur ses quatre ormes
l’autre, pas moins immobile que cet être humain.
Rien que son ombre à lui, longue et difforme

paîtrait sur le talus à l’odeur vague de thym.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

IV
Tandis que l’homme, la chère âme léchée
par l’oubli, dormait au centre de la grand-route
auprès du foyer sa femme, oh l’attendait.

S’il eût juste allé là où des gens, sans doute,
sont maîtres en poêlées, sous cet abri soudain
où le fragon et le genêt crépitent ;

à Montetiffi ; à Montebello, où d’entrain
encore le merle bleu de son plein gré
aime revenir dans ton château lointain ;

elle déjà l’attendait ; au Luso, la cabane usée
n’entendrait plus de cette femme l’orgueil
du tourbillon frémissant de la fusée ;

parce qu’elle réveillait déjà le feu, par feuilles
sèches, et tamisait, avant de mettre son
pied dehors, aux femmes assises près du seuil

demandant, de temps en temps : Le voit-on ?

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

V
Cet homme était là-haut, loin de la mer
sur le mont bleu ; sans le savoir : à peine
croyait-il suivre son allure légère

Non, déjà touche-t-il à pas hardi la plaine
en sentant sursauter au-dessous du chariot
ton pavé résonnant, ô ville humaine ! [1]

Non, déjà de San Mauro il reconnaît le mot
d’Ave Marie le son sans retenue
grave et suave, parmi le bruit du trot.

Non, c’est la Tour : dans le noir connu
de son parc il saisit le pinson au très gai cri
tout en galopant au tour du coin de la rue.

Dès l’arrivée, il hurle : Hue ! mon chéri
L’air de la mer lui piquait le front,
et le sable engageait : Hue ! Mais celui

était là-haut, figé contre le bleu du mont.

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

VI
Écume, le sable entrave ! Homme, l’arène
ligote les roues ! Le peu de route resté
On le fera bien sûr avec un peu de peine :

mais c’est la fin, au juste ! La fin, on est
déjà au but, au repos ! Écoute : du chant
de mille vagues la mer va te fêter.

Allez ! On ralentit maintenant ; mais avant
on a couru vraiment ! Voilà Bellaria, ô Écume !
Allez ! Touche la joie, bel homme ! — Pourtant

l’âne ne bouge pas. L’homme rêve. Brume
mouvante en taches noires contre le ciel pourpré,
les chauve-souris bondissent dans l’air en grumes.

Un son de cloches frappe à travers un voile léger
de terres lointaines ; et tout se décolore.
Là-bas une femme implore la mer tourmentée

fixant son ombre muette : Ne se voit-il pas encore ?

Giovanni Pascoli

(traduction en français de Giovanni Merloni)

TEXTE ORIGINAL de la Fondazione Giovanni Pascoli

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Sogliano al Rubicone. Photo de Marina Foschi et Sergio Venturi (1972)

[1] Savignano dans le texte original

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 21 juillet 2013

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Giorgio Bassani : Les poèmes de Ferrare III/III – Les lunettes d’or

07 dimanche Juil 2013

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Giorgio Bassani

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Giovanni Merloni « La folie de Roland », dessin en technique mixte sur le thème du Roland Furieux de l’Arioste. L’original, à l’encre de chine, en noir et blanc, a été exposé au Centre des Activités Visuelles du Palais des Diamanti de Ferrare en 1974

Troisième dimanche consacré à la Ferrare de Giorgio Bassani (1916-2000), auteur incontournable de la littérature italienne du XXe siècle. Ses romans et ses poésies nous surprennent toujours par cette force tout à fait unique de nous introduire dans la ville de Ferrare soit de l’intérieur des personnages soit de l’extérieur des paysages et des architectures.
En automne 2013, dans un prochain article (soit ici, soit sur mon blog consacré aux articles et commentaires) j’exploiterai encore le portrait de Ferrare, à travers la vie et les œuvres de quatre Ferrarais incontournables, dont Giorgio Bassani, qui ont eu en Ferrare leur lieu de formation et d’inspiration. Les trois autres personnages sont l’Arioste (1474-1533), Biagio Rossetti (1447-1516) et Michelangelo Antonioni (1912-2007).
Dans ce « portrait du dimanche », j’ai d’ailleurs toujours préféré « donner la parole » aux auteurs même, essayant de ne pas ajouter mon point de vue personnel.
Avant de nous séparer de cet écrivain-poète avec la lecture de quelques extraits poignants d’une partie du roman, Les lunettes d’or, que j’ai particulièrement aimé, je pense que deux brèves citations — venant de l’époque de la publication du plus important roman de Bassani, Le Jardin des Finzi Contini (Einaudi 1962), peuvent intégrer notre lecture sans en déranger la musique.

Dans la couverture du Jardin des Finzi Contini, j’extrais ci-dessous une petite phrase  d’Eugenio Montale (1896-1981), poète italien qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1975 :
« On soupçonnait, nous lecteurs pour obligation, qu’on avait entre les mains un livre, un objet tout à fait digne vis-à-vis des exigences du “marché”, et pourtant nous nous sommes aperçus, au contraire, que cet objet était assez inattendu et plus inquiétant que prévu ; et aussi, au contraire, qu’il ne s’agissait pas d’un objet. Croyez-vous vraiment qu’une rencontre pareille, par les temps qui courent, soit fréquente ? » Eugenio Montale à propos du roman Le Jardin des Finzi-Contini, Corriere della Sera, 1962

La deuxième citation concerne une interview, que Bassani accorda à Giorgio Varanini pour « Il Castoro » (Éditions La Nuova Italia, 1970), d’où j’ai extrait une seule question et une seule réponse (p. 17) :
Giorgio Varanini : « Est-ce que vous voyez une limite à votre narration dans le caractère unilatérale de votre […] attention humaine et artistique envers Ferrare et le milieu juif de cette ville ? »
Giorgio Bassani : « Toute œuvre d’art, quant au style, naît toujours d’une vision unilatérale. Toute œuvre d’art, en plus, est toujours limitée. Sans compter Joyce, avec sa petite Dublin, et Proust, avec ses petites Paris, Illiers et Deauville, Dante, même Dante, avait sa petite Florence. Et Giorgio Morandi, avec ses bricoles et ses maigres Apennins de Grizzana ? Non : en poésie ce n’est pas l’objet qu’on doit illuminer, mais au contraire le sujet, l’Esprit qui dicte. Illimité, démesuré, qui embrasse tout : comme celui de Dieu, avant de devenir le Verbe, la parole. »

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Giorgio Bassani III/III, Les lunettes d’or (Gli occhiali d’oro), Éditions Gallimard, folio bilingue, 2005. Traduit de l’italien par Michel Arnaud. Traduction revue et complétée par Muriel Gallot. (Dimanche 23 juin, on a publié ici quatre poèmes de Giorgio Bassani, dimanche 30 juin, on a publié des extrait de l’édition française de ce même roman Les lunettes d’or, extraits chapitre 14).

Je remercie vivement Paola et Enrico Bassani, ainsi que la Fondazione Giorgio Bassani, de m’avoir donné l’autorisation de publier dans « le portrait inconscient » les suivants extraits du chapitre 15 :

(p. 279 de l’édition française)
Je revis Fadigati.
Ce fut dans la rue, de nuit : une humide nuit de brouillard, environ au milieu du mois de novembre suivant. Je sortais du lupanar de la via Bomporto, avec mes vêtements imprégnés de l’habituelle odeur, et je m’attardais là, devant la porte, ne pouvant me résoudre à rentrer chez moi et avec le désir d’aller jusqu’aux remparts proches, en quête d’un peu d’air pur.
Le silence alentour était total. De l’intérieur de la maison close, derrière moi, filtrait la conversation paresseuse de trois voix : deux masculines et une féminine.
[…….]

(p. 281 de l’édition française)
Lentement, trébuchant sur les cailloux pointus de la ruelle, un pas lourd s’approchait.
« Mais est-ce qu’on peut savoir ce que tu veux ? Tu as faim, hein ? »
C’était Fadigati. Je l’avais reconnu à la voix, avant même de réussir à le voir dans le brouillard très épais.[…….]

(p. 283 de l’édition française)
Il avançait lentement, un peu penché sur le côté, parlant toujours : s’adressant à un chien, ainsi que je m’en aperçus aussitôt.
Il s’arrêta à quelques mètres de distance.
« Et alors : vas-tu, oui ou non, me ficher la paix ? »
Il regardait l’animal dans les yeux, son index levé dans un geste de menace. Et l’animal, une chienne bâtarde, de taille moyenne, blanche à taches marron, lui rendait, d’en bas, agitant désespérément la queue, un regard humide et implorant avec anxiété. Et, cependant, elle se traînait sur les cailloux, vers les souliers du docteur. Dans un instant, elle allait se renverser sur le dos, ventre et pattes en l’air, entièrement à sa merci.
« Bonsoir. »
Il détacha ses yeux de ceux du chien et me regarda.[…….]
« Vous avez maigri vous aussi, le savez-vous ? disait-il. Mais cela vous va bien, cela vous rend plus homme. Vous voyez, certaines fois, dans la vie, quelques mois suffisent. Parfois, quelques mois comptent plus que des années entières. »

(p. 285 de l’édition française)
La petite porte bardée de clous s’ouvrit et en sortirent quatre ou cons jeunes gens : des types des faubourgs, sinon carrément de la campagne. Ils s’arrêtèrent en cercle, pour allumer des cigarettes. L’un d’eux se rapprocha du mur, près de la porte, et se mît à uriner. Cependant, tous, ce dernier y compris, nous lorgnaient avec insistance.
Passant sous les jambes écartées du jeune homme immobile devant le mur, une petite rigole descendit rapidement, en serpentant, vers le milieu de la ruelle. La chienne fut attirée par elle. Prudemment, elle s’approcha pour la flairer.
« II vaudrait mieux que nous partions ! » chuchota Fadigati, avec un léger tremblement dans la voix.
Nous nous éloignâmes en silence, cependant que, derrière nous, la ruelle retentissait de hurlements obscènes et de rires.[…….]

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(p. 287 de l’édition française)
Il était si tard que nous étions peut-être les seuls, Fadigati et moi, à tourner en ville à cette heure-là. Il me parlait d’une voix basse, désolée. Il me racontait ses malheurs. Sous un prétexte quelconque, on l’avait révoqué de son poste à l’hôpital. Même à son cabinet de la via Gorgadello, des après-midi entiers s’écoulaient désormais sans que se présentât un seul malade. Il n’avait personne au monde, d’accord, personne à qui penser… ou dont s’occuper…, des préoccupations immédiates, du point de vue financier, ne s’annonçaient pas encore. Mais était-il possible de continuer à vivre longtemps ainsi, dans la solitude la plus absolue, entouré de l’hostilité générale ? Bientôt, de toute façon, viendrait le moment où il lui faudrait congédier son infirmière, réduire les dimensions de son cabinet médical et commencer à vendre ses tableaux. Il valait donc mieux partir tout de suite, essayer d’aller s’établir ailleurs.
« Pourquoi ne le faites-vous pas ?
— C’est facile à dire, soupira-t-il. Mais à mon âge… Et puis, même si j’avais le courage et la force de me décider à une telle solution, croyez-vous que cela servirait à quelque chose ? »
Comme nous arrivions à proximité du Montagnone, nous entendîmes derrière nous un léger bruit de piétinement. Nous nous retournâmes. C’était la chienne bâtarde de tout à l’heure qui arrivait, hors d’haleine.
Elle s’immobilisa, heureuse de nous avoir retrouvés, grâce à son flair, dans cette mer de brouillard.[…….]

(p. 289 de l’édition française)
Toujours suivis ou précédés par la chienne, nous reprîmes enfin notre promenade.

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(p. 291 de l’édition française)
Nous nous rapprochions maintenant de chez moi. Quand elle nous précédait, la chienne s’arrêtait à chaque croisement, comme craignant de nous perdre une nouvelle fois.
« Regardez-la, disait pendant ce temps Fadigati, en me la montrant. Peut-être faudrait-il être ainsi, savoir accepter sa propre nature. Mais, d’autre part, comment faire ? Est-il possible de payer un tel prix ? Il y a beaucoup de la bête en l’homme : et pourtant, l’homme peut-il s’avouer vaincu ? Admettre qu’il est une bête et seulement une bête ? »
J’éclatai d’un grand rire.
« Oh non, dis-je. Ce serait comme si l’on disait : un Italien, un citoyen italien, peut-il admettre qu’il est un juif et seulement un juif ? »
Il me regarda, humilié.
« Je comprends ce que vous voulez dire, dit-il ensuite. Ces jours-ci, vous pouvez me croire, j’ai bien de fois pensé à vous et aux vôtres. Mais, permettez-moi de vous le dire, si j’étais vous…
— Qu’est-ce que je devrais faire ? l’interrompis-je avec impétuosité. Accepter d’être ce que je suis ? Ou mieux : me résigner à être ce que les autres veulent que je sois ?
— Je ne sais pas pourquoi vous ne le devriez pas, répliqua-t-il avec douceur. Cher ami, si le fait d’être ce que vous êtes vous rend tellement plus humain. (sinon, vous ne seriez pas là, maintenant, avec moi !), pourquoi refusez-vous, pourquoi vous révoltez-vous ? Mon cas est différent, exactement l’opposé du vôtre. Après ce qui s’est passé l’été dernier, je ne parviens plus à me supporter.

(p. 293 de l’édition française)
Je ne le peux plus : je ne le dois plus. Me croirez-vous si je vous dis que , parfois, je ne supporte pas de me raser devant la glace ? Si je pouvais au moins m’habiller différemment ! Mais est-ce que vous me voyez, vous, sans ce chapeau… sans ce manteau… sans ces lunettes d’homme convenable ? Et d’autre part, vêtu ainsi, je me sens tellement ridicule, grotesque, absurde ! Ah, non ! inde redire negant (1), c’est vraiment le cas de le dire ! Pour moi, comprenez-vous, il n’y a plus rien à faire. »
Je gardai le silence. Je pensai à Deliliers et à Fadigati, l’un bourreau et l’autre victime. La victime pardonnait, comme d’habitude, se soumettait au bourreau. Mais moi, il n’en était pas question, Fadigati se trompait. Je ne réussissais jamais à répondre à la haine que par la haine.

Giorgio Bassani

(1) Inspiré de Catulle, « Le moineau de Lesble » : « De là [les Enfers], ont dit que personne ne revient. »

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Giorgio Bassani : Les poèmes de Ferrare II/III – Les lunettes d’or

30 dimanche Juin 2013

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Giorgio Bassani

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Deuxième dimanche, consacré à Giorgio Bassani et à sa ville de formation et d’inspiration littéraire, Ferrare, avec la lecture d’un chapitre de son roman bref, Les lunettes d’Or, qu’il a écrit à Rome et publié en 1958, exploité successivement, en 1987, dans le film homonyme de Giuliano Montalto avec Philippe Noiret.
Dans ce texte, touchant par son extrême sincérité, les lecteurs trouveront une analyse et un témoignage assez poignants de ce qui se passait à Ferrare au tournant des lois raciales contre les juifs, en 1938.
Ferrare a été toujours une ville très civilisée et ouverte, où pourtant serpentaient, à cette époque-là, l’hypocrisie et l’acceptation passive des idéologies paternalistes, totalitaires et homophobes du régime fasciste au pouvoir.

Giorgio Bassani II/III, Les lunettes d’or (Gli occhiali d’oro), Éditions Gallimard, folio bilingue, 2005. Traduit de l’italien par Michel Arnaud. Traduction revue et complétée par Muriel Gallot. (Dimanche 23 juin, on a publié ici quatre poèmes de Giorgio Bassani). 

Je remercie vivement Paola et Enrico Bassani, ainsi que la Fondazione Giorgio Bassani, de m’avoir donné l’autorisation de publier dans « le portrait inconscient » les suivants extraits du chapitre 14 :

(p. 261 de l’édition française)
La messe de midi allait se terminer. Une petite foule de gamins, de jeunes gens et d’oisifs, s’attardait comme toujours autour du parvis.
Je les regardais. Jusqu’à ces derniers mois, je n’avais jamais raté, le dimanche matin, la sortie de la messe de midi et demi à San Carlo ou à la cathédrale, et ce jour-là non plus, après tout, réfléchissais-je, je n’allais pas la rater. Mais cela, pouvait-il me suffire ? Aujourd’hui, c’est différent. Je n’étais plus là-bas, mêlé aux autres qui étaient probablement en train de rire et de plaisanter dans l’attente habituelle. Adossé au portail du palais archiépiscopal, relégué dans un coin de la place (la présence à mes côtés de Nino Bottecchiari ne faisait qu’accroître encore mon amertume), je me sentais exclu, irrémédiablement un intrus.
À cet instant précis, le cris rauque d’un vendeur de journaux retentit. […]

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(p. 263 de l’édition française)
« Prochaines mesures du Grand Conseil contre les juifs ! » braillait-il avec indifférence, de sa voix caverneuse.
Et cependant que Nino se taisait, très gêné, je sentais naître en moi, avec une indicible répugnance, la vieille et atavique haine du juif pour tout ce qui est chrétien, catholique, bref, goy, Goy, goïm : quelle honte, quelle humiliation, quel dégoût de m’exprimer ainsi ! Et pourtant j’y parvenais déjà, me disais-je, tel un quelconque juif de l’Europe de l’Est, qui n’aurait jamais vécu hors de son ghetto. […]

003_castelloBN(p. 265 de l’édition française)
Dans un futur assez proche, eux, les goïm, allaient nous forcer à grouiller à nouveau là, parmi les étroites et tortueuses ruelles de ce misérable quartier médiéval, dont en fin de compte nous n’étions sortis que depuis soixante-dix, quatre-vingts ans. Entassés les uns sur les autres, derrière les grilles, comme autant de bêtes apeurées, nous ne nous évaderions plus jamais.
« Ça m’embêtait de t’en parler, commença Nino sans me regarder ; mais tu ne peux pas imaginer combien ce qui est en train de se passer me fait de la peine. […] Moi, personnellement, je ne crois pas. Malgré les apparences, je ne crois pas que, en ce qui vous concerne, l’Italie imitera vraiment l’Allemagne. Tu verras, comme d’habitude, tout cela finira en bulle de savon, » […]

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(p. 267 de l’édition française)
Je lui demandai pourquoi, lui, à différence de son oncle, il était optimiste.
« Oh, nous autres Italiens, nous sommes trop farceurs, répliqua-t-il sans paraître avoir remarqué mon ironie. Nous pouvons sans doute imiter tout ce que font les Allemands, y compris le pas de l’oie, mais point le sentiment tragique qu’ils ont de la vie. Nous sommes trop vieux, trop sceptiques et trop usés. »
C’est seulement alors, à mon silence, qu’il dut se rendre compte de l’inopportunité et de l’inévitable ambiguïté de ce qu’il était en train de dire. Brusquement, son visage changea d’expression.
« Et c’est tant mieux, tu ne crois pas ? s’écria-t-il avec une gaieté forcée. Après tout, vive notre millénaire sagesse latine ! »
Il était sûr, continua-t-il, que, chez nous, l’antisémitisme ne pourrait jamais prendre des formes graves, politiques, et donc s’enraciner. Il suffirait simplement de penser à Ferrare — une ville qu’on pouvait dire « socialement parlant » parfaitement représentative — pour se convaincre qu’une séparation nette de l’« élément » juif de celui dit « aryen » était dans notre pays pratiquement irréalisable. Les « israélites », à Ferrare, appartenaient tous, ou presque tous, à la bourgeoisie des villes, dont, en un certain sens, ils conservaient le nerf, l’épine dorsale. […]

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(p. 271 de l’édition française)
Une telle politique n’aurait eu des chances de « marcher » qu’au cas où des familles du genre des Finzi-Contini, avec leur tendance très « typique » à rester isolés dans une vaste demeure aristocratique […], eussent été plus nombreuses. […]
Tout à coup, il me toucha la main.
« J’aurais besoin que tu me donnes un conseil, dit-il. Un conseil d’ami.
— Je t’en prie.

(p. 273 de l’édition française)
— Tu me promets la plus grande sincérité ?
— Mais oui ».
Deux jours plus tôt — il fallait que je le sache, commença-t-il en baissant la voix —, ce « reptile » de Gino Cariani était venu le trouver et, sans trop de préambules, lui avait proposé de prendre les fonctions de préposé à la Culture. Su le coup, il n’avait ni accepté ni refusé. Il avait seulement demandé un peu de temps pour réfléchir. […]

(p. 275 de l’édition française)
« Tiens, ajouta-t-il, j’ai si peu d’estime pour la nature humaine et pour le caractère de nous autres Italiens en particulier, que je ne peux même pas me porter garant pour moi-même. Nous vivons dans un pays, mon cher, où il n’est resté de romain, de romain au sens antique, que le salut bras tendu. Raison pour laquelle je me demande moi aussi : à quoi bon ? En fin de compte, si je refusais…
— Tu aurais grand tort », l’interrompis-je tranquillement.
006_scaloneBN

(continue p. 275 de l’édition française)
Il me scruta, avec une nuance de méfiance dans les yeux.
« Tu parles sérieusement ?
— Et comment ! Je ne vois pas pourquoi tu ne devrais pas aspirer à faire carrière dans le parti ou grâce au parti. Moi, si j’étais à ta place… si, je veux dire, je faisais mon droit comme toi… Je n’hésiterais pas un seul instant.
J’avais pris soin de ne rien laisser transparaître de ce que j’éprouvais. L’expression du visage de Nino s’éclaira. Il alluma une cigarette. Mon objectivité, mon détachement l’avaient visiblement frappé. […]

(p. 277 de l’édition française)
Il termina par un geste vague de la main. […]
« À propos, demanda-t-il brusquement, en fronçant le sourcil. Ton premier examen, à Bologne, c’est quand ? Il va falloir penser au renouvellement de notre abonnement de chemin de fer, bon Dieu !… »

Giorgio Bassani

(continue)

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Giorgio Bassani : Les poèmes de Ferrare I/III

23 dimanche Juin 2013

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

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Giorgio Bassani

001_corrò 740Giovanni Merloni « Corrò la fresca e mattutina rosa », dessin à l’encre de chine sur le thème du Roland Furieux de l’Arioste, exposé au Centre des Activité Visuelles du Palais des Diamanti de Ferrare en 1974

Je poursuis mes lectures du dimanche avec un grand écrivain de Ferrare, Giorgio Bassani, auteur du roman Le Jardin des Finzi-Contini, roman très connu en France. Je consacrerai deux dimanches à cet auteur que je lis la première fois à l’âge de 17 ans et que j’aime sans réserves. Ici je vous propose quatre poésies évoquant le monde de Ferrare, l’amour, la mort et la solitude.

Je remercie vivement Paola et Enrico Bassani, ainsi que la Fondazione Giorgio Bassani, de m’avoir donné l’autorisation de publier dans le portrait inconscient quelques morceaux de l’œuvre de l’écrivain.

VERS FERRARE

C’est à cette heure que vont à travers les chaudes herbes infinies
vers Ferrare les derniers trains, avec de lents sifflets
ils saluent le soir, plongent indolents
dans le sommeil qui peu à peu éteint les bourgs rouges et leurs tours.

Par les fenêtres ouvertes, le remugle des prés inondés
s’infiltre et voile la patine des banquettes misérables.
Des pauvres amants en chandail il dénoue les doigts fatigués,
et les baisers désertent leurs lèvres desséchées.

Giorgio Bassani (Histoire des pauvres amants, 1945)

002_l'avventura 740

HISTOIRE DES PAUVRES AMANTS

Le garçon que nous connûmes
avec sa pelisse sombre au col relevé
et ce visage pâle, amaigri, et ces yeux,
ces yeux si semblables à la lune que tu aimes ;

ce garçon qui passa à côté de nous dans une
nuit hivernale humide et tiède ;
que faisait sourire le crêpe de ses pas silencieux
(quel sourire impensable sous le rebord de son chapeau !) ;

celui qui t’offrit le bras et tu tremblais
de trop d’amour ; et il te conduisit, et il fut
sans pitié ; qui jamais plus n’est revenu
comme les brouillards, ours en peluche chaleureux et crêpe et neige ;
et il avait main et salive, yeux et sourire de lune
sous le rebord du chapeau ; et pour la neige une pelisse : oh lune,
il m’a suivi jusqu’ici avec le couteau de ses yeux,
Il a voulu, lune, que je t’appelle
avec la flûte amoureuse des souvenirs,

lune de ces nuits.

Giorgio Bassani (Histoire des pauvres amants, 1945)

003_fuori palazzo diam. 740

DEPUIS QUE

Depuis que
j’ai décidé de ne plus jamais
répondre
à une lettre de toi
jamais aucune autre lettre
je n’ai pu
même ouvrir

Je les laisse
arriver
tomber autour de moi
s’étaler là à mes pieds
à l’envers et sans réponse
muettes
comme moi comme désormais ma
vie

Giorgio Bassani (Épitaphe, 1974)

004_cattedrale 740

ROLLS ROYCE

Tout de suite après avoir fermé les yeux pour toujours
me voilà une fois encore qui sait comment retraverser Ferrare en
auto
— une grosse berline métallisée de marque
étrangère aux grandes
vitres sombres peut-être une
Rolls —
descendre une fois encore du château des Este le long du cours
Giovecca vers le rose
entrelacs final de la Perspective qui alors tout doucement
grandissait dans le rectangle
concave du parebrise

Le chauffeur à la nuque haute et raide assis devant à droite
savait certes très bien de quel côté se diriger et d’ailleurs moi
je ne me souciais en rien
de le lui rappeler
anxieux comme j’étais de reconnaître à gauche l’église
de San Carlo plus loin sur la droite
celle des Théatins
et contre elle déjà arrêtés de si bonne heure rassemblés sur le trottoir
devant la pâtisserie
Folchini
les amis de mon père quand lui était jeune
la plupart avec de grands feutres sombres sur la tête certains tenant une grosse
canne au pommeau d’argent
anxieux ou plutôt avide que j’étais en somme de reparcourir l’entière Main
Street de ma ville en un jour quelconque de mai-juin
environ au milieu des années vingt un quart d’heure avant
neuf heures du matin

Presque poussée par son luxueux souffle même la Rolls tournait finalement
plus bas par la via Madama et de là tout près via
Cisterna del Follo
et à ce moment je me retrouvai à dix ans à peine
les joues en feu dans la crainte d’arriver tard à l’école
sortant à cet instant précis avec mes livres sous le bras
du portail numéro
un
c’était moi qui tout en continuant à courir me retournais
vers maman penchée à la fenêtre du haut pour me recommander
quelque chose
c’était moi vraiment moi qui un instant avant de disparaître
de sa vue d’elle jeune fille derrière la coin
levais le bras gauche dans un geste
à la fois d’agacement et
d’adieu

J’aurais voulu crier halt au raide
chauffeur et descendre mais la Rolls
en tressautant mollement longeait déjà
le Montagnone et désormais à l’extérieur
de la Porte volait déjà par les amples rues désertes
tout à fait dépourvues de toits sur les côtés et tout à fait
inconnues

Giorgio Bassani (Épitaphe, 1974)

005_copertina 740

Giorgio Bassani – Poèmes (1945-1978) Choix et traduction de l’italien par Muriel Gallot. Préface de Martin Rueff. Cahiers de l’Hôtel de Galliffet (Textes/Testi) Collection dirigée par Paolo Grossi. Istituto Italiano di Cultura, Parigi, 2007 – ISBN : 978-2-9503030-5-9

Petite digression sur l’infini 4/4

07 jeudi Mar 2013

Posted by biscarrosse2012 in portraits d'auteurs

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001_l'io legato e la libertà x blog 740

Chère Catherine,
Mon portrait inconscient se multiplie et se complique, apparemment. Car il m’a un peu trop dérangé avec suggestions et digressions qui m’ont amené : d’abord à abandonner mon grand-père pour parler de Pascoli ; ensuite à abandonner Pascoli et son père, juste au seuil de la République romaine de 1849, pour revenir en arrière au Leopardi de Recanati et finalement à Foscolo, désespéré comme Ajax devant le paysage abrupt et douloureux des Apennins. Dans mon voyage à rebours, j’étais désormais revenu à la République cisalpine de 1797…
D’ailleurs, Catherine, ne s’appelle-t-il pas portrait inconscient ? Donc, d’un côté « inconscient », c’est-à-dire difficile à maîtriser, de l’autre « portrait », soumis aux règles de l’inspiration. En plus, ce portrait inconscient se déroule dans un blog que quelques-uns lisent au jour le jour. Un portrait vivant, qui assume sa personnalité au fur et à mesure.
Il y a eu des coïncidences aussi.Non seulement de coïncidences extérieures, comme la publication sur publie.net du dernier ouvrage d’Isabelle Pariente-Butterlin, «L’infini, que j’ai apprise le jour même de la sortie du 18e volet de ce « portrait d’une table » consacré à l’infini du Jacopo Ortis d’Ugo Foscolo. Il y a eu aussi l’expérience des « vasescommunicants » de mars avec Élisabeth_Chamontin. Une rencontre très positive, du moins pour moi. Je la suivais sur Twitter et j’avais beaucoup apprécié un conte à surprise qu’elle avait écrit à propos d’un mur et d’une bicyclette.
Ce mur est arrivé au juste moment, se rencontrant avec notre envie de parler de la traduction et, par la traduction, de la complexité des rapports entre les langues, notamment entre le français et l’italien, et vice versa. Donc, nous avons décidé de nous adresser des textes ayant au centre le thème du mur-frontière unissant et séparant deux mondes qui ont d’ailleurs entre eux beaucoup de points en commun. Un mur mitoyen.
Je serai rentré diligemment dans mon engagement ancien, retrouvant Foscolo et son idée très actuelle de la mort et de l’éternité, ou bien j’aurais parlé finalement d’un autre grand exilé, Giuseppe Mazzini — héros de la République romaine, vrai père de la patrie italienne —, si je ne me fus souvenu, ma chère Catherine, de cette nouvelle que j’avais écrite trois ans après mon arrivée à Paris. Tu te rappelles le titre, «La cloison et l’infini» ?
Il y a une espèce de magie, qui guide mes mains ou plutôt mes doigts sur le clavier de l’ordinateur ou de la tablette. Car cette nouvelle parle d’un mur mitoyen, d’un petit balcon, d’une balustrade, du petit infini d’une cour parisienne et du grand infini insondable de Leopardi. Et un des protagonistes… est venu d’Italie en vélo, franchissant plusieurs murs !
Je te demande donc de patienter encore un peu. Car, après la petite digression, pas encore achevée, sur l’infini et les infinies balustrades possibles, cette exploitation « pratique » du thème de l’infini servira beaucoup à la cohérence finale du tableau. Après les quatre volets de cette petite tragédie, on reviendra à notre passionnante routine. Ciao, je t’embrasse, G.

Giovanni Merloni

(Giovanni Merloni, La cloison et l’infini épisode_1 épisode_2 épisode_3 épisode_4)

Petite digression sur l’infini 3/4 — La beauté fragile

26 mardi Fév 2013

Posted by biscarrosse2012 in contes et récits, portraits d'auteurs

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001_faro grecia x blog_740

Digression sur l’infini/3 — La beauté fragile

« A EGREGIE COSE IL FORTE ANIMO ACCENDONO L’URNE DEI FORTI… »
« Pour de hauts faits l’âme du fort s’enflamme
Devant l’urne des forts, ô Pindemont ; et belle
Et sacrée elle fait au pérégrin la terre
Qui les recueille… »
Ugo Foscolo « Les Tombeaux » (1807)
Traduction de Gérard_Genot)

Tu vois, Catherine, les coïncidences. À la veille d’élections cruciales en Italie on est juste sortis, et timidement, toi de ta grippe, moi de ma paresse… Il a suffi de s’occuper de l’infini, de chercher une pause pour ne pas se faire submerger par un récit risquant la nostalgie et le perfectionnisme excessifs, pour découvrir, en passant et même à la volée le personnage d’Ugo Foscolo…
Ugo_Foscolo
002_rodo_montagna x foscolo_740_defOn n’a même pas eu le temps de le connaître, d’en savourer quelques vers immortels… Foscolo a tout de suite glissé sous nos yeux d’un air timide, sortant de l’Italie « à l’anglaise » pour s’exiler, tout comme d’autres malchanceux enfants de la patrie italienne. Avait-il d’autres possibilités ? Bien sûr, l’exil n’est pas une solution idéale. En s’exilant, il s’est sauvé, peut-être, mais il a dû souffrir énormément, pendant le reste de sa vie, de cette rupture. Comme d’ailleurs souffrent aujourd’hui les Italiens qui pour d’infinies raisons se sont définitivement installés à l’étranger, vis-à-vis de cette tragique incapacité des Italiens d’Italie – malheureusement confirmée, juste hier, par un résultat électoral assez inquiétant – de s’en sortir tandis qu’une crise de la démocratie et même de l’identité de ce pays, essentiel pour l’Europe, dure désormais depuis trop de temps.
Quoi faire devant les infinies raisons de l’exil ? Comment considérer les solutions adoptées par chacun – entraînant des destins personnels et en même temps reflétant les destins d’entières collectivités – vis-à-vis des infinis paysages qui évoquent, en général, l’impact de l’homme avec le mystère de l’infini ? Est-ce que ces derniers ne deviennent pas, à la lumière de l’actualité, des tableaux statiques et tristement inefficaces ? Je ne crois pas. D’ailleurs, même dans les moments les plus dramatiques, il faut toujours trouver le temps de réfléchir.

Je reprends alors mon chemin : le paysage décrit par Jacopo Ortis dans sa lettre du 13 mai 1798, prémonitoire de ce que Foscolo devait vivre en première personne en 1816, m’a rappelé plusieurs passages successifs de Leopradi, dont L’infini, me faisant comprendre surtout la force morale et symbolique du message foscolien… Mais le texte du poète m’a évoqué aussi des images que moi-même j’ai vu ou pour mieux dire ressenti dans la plupart des paysages de Romagne, où la fragilité ne fait qu’un avec une beauté extraordinaire (et vice versa). Voilà la raison de la publication, dans l’article du 24 février dernier, de photos du paysage typique de l’Apennin entre Marches et Romagne qu’a su choisir et interpréter très efficacement Italo Insolera — architecte et urbaniste récemment disparu, auteur de l’incontournable « Rome moderne », long essai qui décrit magistralement la « transformation » urbaine et sociale de cette ville au lendemain de l’achèvement de l’Unité nationale avec le déplacement là de la Capitale, texte assez célébré jusqu’aux années 80, ensuite mis de côté sinon trahi.
Italo_Insolera
Roma_moderna

Comment concilier le thème de l’infini, celui de la « beauté fragile » de l’Italie – avec tous ses trésors mal gérés et protégés – et le troisième thème, celui des « hauts faits » ? Comment parler de toutes ces choses nécessaires et vitales comme l’air qu’on respire, sans perdre le fil ? Comment concilier le panthéon de Santa Croce de Florence avec la force suggestive de l’infini romantique, du spleen poétique et mystique devant un paysage que baigne une lumière tout à fait spéciale, capable, en elle même de raconter, dans les passages subtils de l’aube au matin, du matin au plein jour, du plein soleil (ou plein noir de nuages immobiles et redoutables) aux infinies nuances du couchant ?
Santa_Croce_de_Florence

003_paysage 740 antiqueJe dirais une chose seulement, Catherine, un seul mot, « harmonie ». Une « harmonie » qui ressuscite à chaque fois comme si de rien n’était dans les fresques d’un Piero de la Francesca ou dans les vers de Leopardi. Cependant, cette harmonie, ce formidable et unique équilibre — entre les pulsions romantiques (ou aussi gothiques) et le perpétuel retour à la culture classique, dont les Italiens sont imprégnés comme Obélix de la potion magique de Panoramix — n’arrive jamais sans que les passions se déclenchent et que les hommes se sacrifient. Une harmonie qui cache à peine des fleuves de sang. Je découvre l’eau chaude, Catherine ? Oui, peut-être.

004_paysage 740 x blogEn tout cas, l’infini s’est imposé tout seul. J’avais besoin de parler de l’infini moins connu qu’on peut regarder depuis la balustrade en fer forgé de Sogliano, qui est peut-être un calque de l’infini de Recanati. Je n’osais espérer m’accouder à la grande muraille chinoise pour scruter au loin l’arrivée des Tartares de Buzzati, ni même regarder Gênes depuis les premières collines, comme fait Paolo Conte dans sa plus célèbre chanson « Genova per noi ». Le monde est plein d’infinis, plus ou moins spectaculaires. Dans mon sentiment personnel — à la fois romantique et anxieux d’harmonie — je ne peux pas concevoir l’infini sans les hommes qui travaillent, les trains qui parcourent une ligne à peine visible au loin, sans l’histoire qui s’affiche à travers de petites traces. Donc il y a une cohérence entre le spectacle vivant du mystère tragique de la vie que Monet essayait et réussissait presque à bloquer sur ses toiles en série consacrées à la cathédrale de Rouen et l’infini travailleur et subtilement douloureux que décrivent Foscolo et Leopardi, mais aussi Carducci et Pascoli, que décrira aussi Pavese et bien d’autres protagonistes et témoins du dernier siècle. C’est, au fond, le même infini qui bouge comme une fourmilière au-delà du parapet du Rouge et Noir de Stendhal, le même infini que les parapets d’Europe de Rimbaud font rebondir sur son bateau ivre. Rien à voir avec un infini où la Nature et les hommes assument, même de façon inconsciente, un rôle sombre, menaçant, belliqueux. Je partage, ma chère Catherine, cette vision confiante de l’infini. Même si la vie nous amène de plus en plus au pessimisme — qui peut-on trouver de plus pessimistes sur le destin humain qu’un Rousseau, un Foscolo ou Pasolini, mes maîtres de vie ? — je crois qu’il faut toujours croire à la substantielle bonté de l’homme, à son amour pour la nature qui, en soi, incarne une substantielle positivité.

foscolo 1 Ugo Foscolo (Île de Zante, 1778 – Londres,1827)

Donc les infinis de Leopardi et de Stendhal, protégés par les « parapets d’Europe » merveilleusement évoqués par Rimbaud sont tout à fait compatibles avec les « panthéons » des grands hommes dont Santa Croce à Florence, protagoniste du célèbre poème des « Sepolcri », est le prototype et le repère moral.

Mais venons, chère amie, aux coïncidences d’aujourd’hui. La première, la plus choquante pour moi, vient de deux dates : 13 mai 1798, 14 mai 1898, auxquelles j’ajouterais, timidement et un peu pour jeu, un troisième date, 30 mai 1998… Comme tu as lu hier, la première date se situe à l’intérieur d’un journal de bord tumultueux et dramatique où Jacopo Ortis, incarnant Ugo Foscolo et son destin de sacrifice et d’exil, avoue ses passions intimes, exaltant en même temps ses fautes et se lançant en analyses aussi radicales que justes. Albert Camus aurait peut-être appelé Jacopo Ortis un « juste ». Cependant, il n’avait certainement pas les caractéristiques d’un vrai révolutionnaire comme Giuseppe Mazzini (1805-1872), qui justement théorisait la fusion de « pensée et action ». Il n’était pas non plus un redoutable brigadiste, quelqu’un qui dans le meilleur des cas se dupe de changer le monde par une guérilla décidée en théorie. Foscolo, comme Pasolini, Rousseau et Victor Hugo, est un homme intransigeant qui réfléchit beaucoup avant d’exprimer librement ses idées. D’ailleurs, comme la plupart des artistes, grâce à son énorme sensibilité et à l’inévitable souffrance qui va avec, il « voit » les contradictions là où elles se créent. Il voit le mal et, puisqu’il est libre en dehors de tous les enjeux, il le dit. Pas tous les génies incommodes ont eu la chance de publier les Misérables ou Châtiments comme Victor Hugo, ayant ainsi la possibilité d’aider la « bonne cause » de l’extérieur. J’aime profondément Victor Hugo et je ne peux que me réjouir du fait qu’un personnage comme ça — prophète en patrie et aussi prophète en dehors de sa patrie — ait pu vivre sous les caresses de ses lecteurs, et survivre encore, sous les yeux caressants de la postérité, dont je fais part. Mais pour un Victor Hugo il y a mille, dix mille cent mille poètes que la poésie a obligé à la cohérence, à l’intransigeance, à l’exil et plus souvent à la mort. Donc cette date 13 mai 1798, même inscrite dans une histoire romanesque  aussi douloureuse que flâneuse, où l’esprit de l’oubli assume un rôle central, aussi important que celui de la sagesse, n’est pas seulement la date consacrée au paysage infini d’une Italie entre colline et montagne que notre héros se plaint de devoir abandonner à jamais. C’est une date historique aussi. La date de la déception de plusieurs patriotes, anticipateurs de l’idée unificatrice du Risorgimento, la déception amère et insupportable d’esprits imprégnés des idéaux de la Révolution Française qui avaient cru en Napoléon. D’ailleurs, on ne peut pas oublier que le drapeau tricolore italien (blanc, rouge et vert),  est né avec la République Cisalpine que Bonaparte avait si fortement soutenu. Or, Foscolo, né dans une île grecque liée historiquement à l’Italie par le biais de Venise, avait grandi à Venise qui était devenue sa patrie. Il n’y a aucun doute que Venise, ville unique au monde et patrimoine de l’humanité, est une ville qui ne pourrait être plus italienne. Un symbole aussi de cette unité nationale dont les patriotes comme Foscolo (et son frère Giovanni, très actif à Forlì dans la première République Cispadane et promoteur entre autres de l’adoption du tricolore d’inspiration jacobine) ne pouvaient pas se passer. La cession pragmatique que Napoléon accepta, de Venise à l’Autriche, déclencha en Foscolo (et en général en tous les patriotes songeant à une Italie unie et souveraine sur son territoire) un procès graduel qui terminera en 1816 avec l’exil en Angleterre.

005_la grecia di foscolo 740

Revenant à ce moment tout à fait particulier de la République Cisalpine de 1797-1799, qu’alors on appelait le « république sœur », je ne peux pas me passer de voir en cette « promesse » qui aboutit dans l’échec (échec d’ailleurs anticipateur, au niveau local, de l’échec général de Napoléon en Europe), une anticipation d’une autre « promesse », la République romaine du 1849, née dans la vague des mouvement de 1848 et de la deuxième République en France, elle aussi « république sœur ». Il est vrai que l’Histoire n’est faite que très rarement par les peuples…

Pour finir, chère Catherine, je voudrais te dire une dernière chose. Venise, même se  détachant en plusieurs aspects de la physionomie des autres villes italiennes (comme Bologne, ou Gênes, Florence ou Rome), tout comme Naples, ne pourrait être plus italienne. Impossible de séparer les vénitiens et les napolitains, comme les toscans d’ailleurs, d’une image unique de cet étrange mais évident peuple italien. Que ferait la culture italienne sans Arlequin, Pulcinella et Pinocchio ? Bientôt je te parlerai de ces trois masques et personnages qu’on peut rencontrer partout en Italie, comme en Espagne on rencontrerait Don Quichotte ou en France Pierrot et Jacques Tati… Et je te parlerai aussi de Don Abbondio, le triste mais très intéressant personnage qu’Alessandro Manzoni a inventé et qui est devenu avec le temps un modèle plutôt négatif, presque un alibi pour le manque de courage et l’opportunisme qui serait « typiquement italien ». Un personnage qui a trouvé en Alberto Sordi un magistral interprète, aussi performant que cynique, hélas. Bon, Catherine, excuse-moi de mes divagations qui feraient bien sûr retourner Foscolo et Zvanì – mais aussi Goldoni et Garibaldi — dans leurs tombeaux silencieux et égarés.

Après ce 13 mai 1798, je m’engage à developper les deux autres dates cruciales dans une des prochaines lettres…

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni Première publication et Dernière modification 26 février 2013.

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