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La passerelle Bichat, canal Saint Martin (Paris 10e), acrylique sur toile de Paolo Merloni, 2025

Texte de Claudia Patuzzi

Petit vocabulaire de poche

Partout seule,
partout étrangère,
j’ai compris que les mots
(comme les pierres[1])
ont le pouvoir d’abattre
langues et frontières.

Combien de mots tombent-ils bruyamment ?
Combien d’eux traînent-ils dans le vent ?
Ou alors restent muets, dans le cachot du cœur ?

Il y a des mots en guise de péniches
rapides et légères
s’échouant sur la rive de l’autre
tout en gardant le sourire
d’un marin inconnu[2] .

Il y a des mots en forme de flèches,
des mots aigus [3] comme des cristaux,
capables de briser l’écran gris
de l’indifférence et de la résignation.

Il y a des mots à la nature d’oiseaux,
curieux et vagues, [4]
ayant la force de ressusciter l’espoir
que la solitude cache.

Il y a les mots enfantins,
sautillant comme autant d’écureuils,
des mots nous aidant
à retrouver nous-mêmes
dans la clairière d’un jardin perdu.[5]

Il y a des mots de biais,
réfractant nos questions
tels les reflets d’un miroir,
des mots hantés de mystères
de labyrinthes et de rêves.[6]

Il y a des mots à l’allure d’ondes
qui traversent les derniers refuges
de l’histoire, arpentant tous les enfers
et le cimetières du monde.

Il y a des mots au parfum de fleurs,
rouges comme le sang des innocents,
des mots s’épanouissant
jusque sur les tombeaux
pour nous rappeler l’injustice.[7]

Il y a des mots qui vont en couple
ou en rime, qui nous racontent
(joliment, en boucle)
les mêmes histoires connues :
« amour-fleur-cœur.» [8]

Au fond de tous les mots,
au bout de l’horizon, vous trouverez
les mots se sauvant dans le vent
le vol fou [9] de mots minuscules
se perdant dans l’espace
d’une bulle de savon.

Pour en finir, refoulés qui sait où,
il y a des mots tout à fait inventés
qu’on n’a pas encore reconnus
ni transcrits, et qui poussent pourtant,
comme des poussins dans le nid,
contre leurs coquilles.

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Claudia Patuzzi

(Traduction de Giovanni Merloni)

[1] Carlo Levi [2] Vincenzo Consolo [3] Albert Camus et Jean Paul Sartre [4] Jacques Prévert et Giacomo Leopardi [5] Italo Calvino [6] Jorge Luis Borges [7] Primo Levi [8] Umberto Saba [9] Dante Alighieri

TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN

Publié la première fois le 12 avril 2014 sur « Décalages et métamorphoses »