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D’une poule vieille et bavarde l’on fit une soupe gaillarde (un écho volatile de la « ronde » de mars 2017)

30 jeudi Mar 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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la ronde

D’une poule vieille et bavarde l’on fit une soupe gaillarde (1)
(texte publié lors de la « ronde » de mars 2017 (2)

Enveloppée par les petits bruits quotidiens de sa modeste maison de campagne, la pauvre Marisa traînait dans sa chambre, se peignant en face de la glace en dessus de la commode. Comme d’habitude, elle faisait la liste de ses amours ratés tandis que, dans la cour, la Santina (3) s’occupait des poules. À quelques mètres de distance, dans le rectangle de terre battue longeant l’allée des cyprès, deux hommes et un garçon jouaient aux boules.
Sans doute dérangée par les éclats de voix intermittents, la Marisa ne réussissait pas à mener à terme sa liste. Fascinée, qui sait pourquoi, par le numéro sept, elle aurait voulu avoir autant de joies et de douleurs à remémorer. Mais, quand il arrivait au sixième fiancé, celui des chaussures et de l’hirondelle, sa tête commençait à tourner et elle précipitait dans le doute : « Comment ? N’étaient-ils pas sept ? »
Alors elle recommençait, tout comme on fait si l’on essaie de se souvenir, en vain, des prénoms des sept nains de Blanche Neige ou des sept rois de Rome : Son premier amour l’avait emmenée au sommet du mont Fumaiolo (4) pour regarder les aigles, mais ensuite, en redescendant vers la vallée, il avait ramassé avec enthousiasme le cadavre d’un vautour avant de le fourrer comme un trophée dans le coffre de sa voiture.
Le deuxième avait essayé de lui expliquer, par un exemple concret, la métaphore du miroir à alouettes, s’attirant au contraire l’attaque foudroyante d’un cormoran embêté.
Le troisième n’avait que la main gauche pour la caresser, parce qu’en fait la droite, cachée par un gros gant, était horrible à voir à cause des coups de bec qu’un faucon lui avait donnés.
Le quatrième l’avait traînée à Venise. Mais l’idylle avait été bientôt dérangée par une multitude de pigeons qui s’étaient jetés sur les cheveux de la Marisa où le jeune marin avait jeté une poignée de grains de maïs.
Le cinquième était le plus sincère. Il aimait énormément la Marisa, mais il aimait aussi la compagnie des oiseaux empaillés, dont il avait rempli une inquiétante vitrine juste à côté de son lit.
Le sixième lui avait fait cadeau d’une magnifique paire de chaussures à talons… Il avait voulu que la Marisa les essaie sans attendre, dans le bureau de son agence de voyages. Mais ensuite, qui sait pourquoi, depuis la boîte qui aurait dû être vide, une hirondelle désemparée était sortie, avant de se lancer en des trajectoires folles qui la faisaient cogner contre les murs et le plafond. Quand l’hirondelle s’était enfin précipitée, morte, dans l’une des deux chaussures… la Marisa s’était sauvée en un bond hors de cet endroit redoutable, quitte à se plaindre ensuite, des années durant, pour le sort disgracieux de la pauvre hirondelle… 

Ce matin, rien ne marchait dans la bonne direction. Ses cheveux bouclés et hirsutes ne se laissaient pas amadouer, et souvent le peigne restait emprisonné dans un nœud…
« Voilà, j’ai compris où est ma malédiction ! Et j’ai dû attendre mes trente-cinq ans pour m’en apercevoir ! » se dit la Marisa, sursautant de peur. Elle avait découvert qu’en chacune de ses rencontres ratées — qu’elles fussent physiques ou spirituelles, cela ne changeait pas grand-chose —, elle avait dû chaque fois se sauver à cause des oiseaux qui s’y étaient mêlés !
« Toujours à l’endroit où ils ne devaient pas être ! » ajouta-t-elle intérieurement.
Tous les matins, la Marisa, avant de descendre pour son petit déjeuner, courait à la fenêtre, espérant trouver, au milieu de l’air pétillant ou humide, la bonne réponse à une question tellement cruciale qu’elle n’avait pas eu le courage d’y ajouter le point d’interrogation :
« Ils vont où les oiseaux… »
Dans la fantasmagorie des mondes qui s’ouvraient à ses yeux chaque matin, le vol des oiseaux — petits ou grands ; bons ou méchants — l’aidait à mesurer la profondeur de la vallée tout en suivant du regard la crête de la colline aveuglée par le soleil. « Vivant dans leur espace, contigu au nôtre et pourtant inaccessible, les oiseaux se bornent à me frôler », pensait-elle. « Ils vont où ils veulent, librement. Ou alors, ils suivent un itinéraire bien précis, comme s’ils devaient exécuter un ordre. Voilà : les oiseaux s’accordent de longues pauses de repos et de jeu, avant de s’envoler définitivement à la poursuite de leur destin. Dans l’attente, se montrant humbles et innocents, ils entrent à petits pas dans notre cœur pour s’y fabriquer un nid confortable… Mais un jour, d’un seul coup d’aile, ils s’en détachent brusquement. Et, pointant leur bec pointu vers un endroit mystérieux du ciel, ils entament leur aller simple sans nous daigner d’un seul geste d’adieu… »
La Marisa ruminait ainsi, se reprochant pour avoir dépassé l’heure du petit déjeuner, quand elle se souvint qu’à la Saint-Jean, le lendemain, on avait prévu une grande tablée dans la cour. La Santina était déjà en train de préparer la pâte feuilletée pour les « cappelletti », tandis que Sergio…
On entendit un hurlement aigu, déchirant. La Marisa courut à la fenêtre. D’emblée, elle ne s’aperçut de rien. Elle fut juste frappée par le silence de spectres qui s’était installé autour de la maison, envahissant comme un brouillard épais le potager et la rangée de cyprès divisant le champ des boules et l’allée du cimetière… D’un coup, elle saisit une masse blanche au beau milieu d’une branche saillante… La Marisa n’arrivait pas à comprendre cet étrange phénomène : était-elle vivante ou morte, cette « chose » suspendue à cinq mètres du sol qui ressemblait moins à une poule qu’à une pièce de la crèche de Noël ? L’haleine coupée, elle regarda plus attentivement : la poule dormait ou alors elle était restée étourdie ou peut-être hypnotisée par quelque chose…
— N’ayez pas peur, Mademoiselle ! hurla Sergio. Sergio habitait dans le pays. Il traînait des journées entières dans le bar attendant de se rendre chez les uns et les autres pour de petits boulots lui assurant la survie. Il venait volontiers aider la Santina lorsqu’on devait tirer le cou aux poules :
— Ne vous inquiétez pas, je la fais descendre, voyons ! ajouta Sergio d’un ton de fanfaron.
— Mais comment a-t-elle pu grimper jusqu’ici ? murmura la Marisa, horrifiée. Elle avait vu, souvent, des poules en train de voleter péniblement, se soulevant juste de quelques centimètres audessus du sol. Elle aurait facilement cru qu’une élite entre elles serait capable de faire des œufs d’or…. Elle n’aurait jamais soupçonné qu’une vieille mère poule, grosse de taille comme celle-ci, serait capable de voler !
— D’une poule vieille et bavarde l’on fait une soupe gaillarde ! (4) déclara Sergio d’un air assuré, tout en agitant un long balai en direction du pauvre animal apeuré. Pendant ce tourbillon, la Marisa remarqua, émerveillée, que l’homme endossait son costume du dimanche tandis que, depuis le col déboutonné de la chemise blanche, pointait une belle cravate rouge ! Tout de suite après, la Marisa crut s’évanouir voyant l’animal se réveiller et avancer d’un air menaçant vers sa fenêtre à elle. Elle referma les vitres et y colla dessus son nez : maintenant, la poule atterrissait gauchement à deux pas de son bourreau.
Plus tard, dans une cuisine dense d’odeurs, la Marisa chercha un coin libre de la table pour y appuyer sa tasse de café au lait. Le marbre gris, constellé de veines noires et de rayures rougeâtres, avait été envahi par les plumes blanchâtres que Sergio laissait tomber tout autour, sans perdre pour autant son calme et sans souiller non plus sa belle chemise blanche.
— Ils vont où les oiseaux, Sergio ? demanda la Marisa, tout en fixant son cou statuaire, beau et costaud. C’était cette nouvelle « situation » qui l’avait poussée à prendre le risque de se servir du point d’interrogation ?
— La plupart de ces êtres ailés, mâles ou femmes, peu importe, finissent dans nos corps affamés, répondit Sergio, promptement. Heureusement, il y en a beaucoup qui ont la chance et la ruse de se dérober aux mille embuscades des humains, comme les hirondelles, par exemple. Elles savent très bien où aller. Du jour au lendemain, elles s’en vont, ces traîtresses, tout de suite après nous avoir brisé le cœur !
« Moi, je serais volontiers une hirondelle fidèle. Pourtant, telle une poule désemparée, l’on m’oblige à me sauver sans que jamais je ne sache où me rendre… » 

Giovanni Merloni 

(1) « Gallina vecchia fa buon brodo » en italien. La « vieille poule », qu’on doit bouillir pour que sa chair devienne plus tendre, produit en fait un très bon bouillon pour les « cappelletti ». Plus en général, par le mot « vieille poule », on entend aussi bien, en Italie, une femme qui a passé la trentaine, ayant sans doute des qualités secrètes (tels des bouillons extrêmement savoureux).
(2) La ronde de mars : une suite de textes en échanges avec un thème : cuisine(s), et un incipit : « Ils vont où, les oiseaux » Son principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Pour cette ronde, tandis que j’hébergeais « fraternité », le texte de Joseph Frisch, auteur du blog jfrisch  Dominique Autrou hébergeait le mien sur son blog, la distance au personnage.
(3) En Romagne, les prénoms féminins sont toujours précédés par l’article. On ne dit pas Anna, Rossella ou Santina : on dit l’Anna, la Rossella ou la Santina…
(4) Le Mont qui héberge les sources du Tevere
(5) Gallina vecchia fa buon brodo !

Voyage à Créteil (vases communicants mars 2017 avec Marie-Noëlle Bertrand)

28 mardi Mar 2017

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Créteil : oubli et sagesse d’une banlieue parisienne

Assis au bout de la rame, je suivais sur la vitre rayée les vagues reflets ensoleillés d’un après-midi d’hiver, tandis que deux questions me tiraillaient :
— En quoi consiste-t-elle l’identité unique de chaque commune de la banlieue francilienne vis-à-vis de Paris ?
— Y a-t-il un rapport possible entre l’expérience qu’un habitant de la banlieue peut se faire de Paris et l’expérience d’un Parisien vis-à-vis d’une commune de la banlieue ?
Pendant le voyage, je me disais d’abord une chose assez banale : même si le trajet est constellé de nombreux arrêts, le fait de se déplacer en métro au lieu qu’en train ou avec le RER, cela crée inévitablement, avec le temps et la familiarité des noms des stations et leur pouvoir d’évocation symbolique, un lien affectif profond entre les communautés de voyageurs et les contextes qu’ils traversent au fur et à mesure. Peut-être, le lien établi par la ligne 8 du métro — entre République, Bastille, Daumesnil, Liberté, Charenton, Maisons-Alfort et Créteil, par exemple — est-il plus fort que le lien, confié à la voiture ou au bus, entre Créteil et Vincennes ou Montreuil…
Puis, j’ai réfléchi à l’âge des voyageurs. Un échange journalier entre la ville de Créteil et Paris ne concerne qu’une partie de la population. Les gens au foyer, les enfants ainsi que les adolescents se rendant à l’école secondaire ou les retraités de mon âge ne se déplacent que très rarement dans les deux sens…
Quelle valeur peut-il y avoir, alors, dans mon témoignage d’un jour ? Pourrait-on y découvrir l’intérêt d’une « découverte » quelconque ?
Je voudrais savoir exprimer ce que cette banlieue me suggère, savoir découvrir en elle ce qui jaillit de l’oubli, volontaire ou pas, de son ancien paysage disparu, savoir expliquer un à un ses actes de sagesse et de réalisme. J’aimerais bien être capable de trouver les mots pour dire ce qu’il faut dire et de même proférer les mots adaptés pour « ne pas » le dire…

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Arrivant à Créteil je me dis que l’idée de Marie-Noëlle, s’inscrivant dans l’esprit des « vases communicants », est déjà une réponse à mes questionnements. Elle a proposé en fait un échange assez simple : je vais me promener dans un endroit tout à fait inconnu pour moi, Créteil, tandis qu’elle choisit la nuit pour traverser le Xe arrondissement de Paris. Si je ne me suis jamais rendu, jusqu’ici, dans cette commune située à la confluence entre Seine et Marne (qui représente aussi la tête de pont du vaste département du val de Marne), il est aussi probable que Marie-Noëlle n’ait jamais flâné dans mon quartier pendant la nuit !
D’ailleurs, sa proposition contient en elle-même une provocation qui m’intrigue : étant presque impossible confronter les existences de ceux qui vivent dans les vingt arrondissements de Paris avec celles des habitants des multiples banlieues, l’expérience des vases communicants affronte, aussi courageusement qu’inconsciemment, le thème de l’incommunicabilité. Une question de plus en plusévidente de nos jours, mais qui n’a pas explosé que dans les dernières années du « boom » informatique.

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Paradoxalement, les « vases communicants » — tout en représentant l’un de plus intelligents escamotages pour briser, au nom de l’échange et de la prise de conscience réciproques, la logique conformiste des réseaux sociaux — peuvent devenir l’occasion pour mettre en valeur, au lieu des choses qui nous rapprochent, les contradictions qui nous font réfléchir. Et l’exercice des vases peut donc convoquer, sans qu’il y ait du scandale, le thème de l’incommunicabilité.
Comme le disait Pangloss — et il a toujours raison —, nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Et nous ne traversons qu’un petit segment de l’histoire de la terre que nous habitons. Ce qui assume aujourd’hui une importance vitale pour chacun de nous changera sans doute avec les systèmes de valeurs qu’on fabriquera autour de cela dans un futur assez prochain.

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Il me semble évident pourtant que cette incommunicabilité dont j’ai entendu parler en premier par Michelangelo Antonioni dans ses films, et notamment dans « L’éclipse » et « Désert rouge », descend directement de ce présumé « boom économique » ayant débarqué en Europe une dizaine d’années après la Seconde Guerre.
L’incommunicabilité entre les personnes jaillit d’abord de la rupture brutale et violente de l’ancien système de cohabitation et de collaboration mutuelle entre la ville et la campagne à travers l’abandon de la hiérarchie, jusque-là équilibrée, entre des villes ayant différent poids et importance et la création, au contraire, d’une hiérarchie indistincte entre centres et périphéries se traduisant, inévitablement, en une perte d’identité qui touche soit les centres que les périphéries mêmes.

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Évidemment, ce « modèle » d’érosion progressive du territoire — basé sur l’hypothèse de l’utilisation massive de l’automobile et des hypermarchés — s’appuyant sur les technologies du béton armé, de l’asphalte et du plastique, a rencontré parfois des résistances ou des solutions de compromis acceptable en France, surtout là où le réseau ferroviaire et métropolitain était intégré depuis longtemps aux centres urbains caractérisés par une identité historique et culturelle plus nette.
Toujours est-il que la banlieue parisienne n’échappe pas à « l’inversion de la modernité » qui touche la plupart des banlieues du XXe siècle en Europe. Tandis que Paris, le Paris du baron Haussmann avec le quartier de deux gares, par exemple, ayant pour axe primordial le boulevard Magenta, demeure, pour moi, la ville d’Europe la plus moderne et clairvoyante.

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En fait, si les Romains du temps de César, tout en ayant en Rome une ville assez chaotique, avaient un formidable talent pour bâtir de merveilleuses « villes nouvelles » (dont Bologne ou Bordeaux, par exemple), tout en profitant d’une ville « à mesure d’homme » les Parisiens n’ont pas su créer, aux environs, des villes également vivantes et confortables.
Certes, la banlieue parisienne se présente bien, beaucoup mieux que celles qui serrent Rome ou Naples dans un étau chaotique. Mais on y perçoit, quand même, l’absence de quelque chose d’essentiel…
Pourquoi, sur la paroi grise-céleste d’un édifice provisoire à côté des rails, à deux pas de la station du métro de Créteil, quelqu’un à écrit en lettres majuscules:

DROIT AU BONHEUR POUR TOUS
LA FRANCE INSOUMISE…. (?)

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Cependant, au bout de ma « promenade communicante », je voudrais abandonner toutes ces « considérations sérieuses », forcément pessimistes, pour exposer mon tout simple « déplacement à la découverte des lieux où habite une chère amie » en me bornant à analyser mon dépaysement vis-à-vis d’un contexte « tout neuf », dont le regard d’un jour ne pouvait pas saisir l’histoire ni la personnalité.
Quand j’y suis venu, j’ai dû d’abord constater ma condition de piéton, désormais irréversible depuis plus que dix ans, qui m’a rendu incapable de m’adapter à un endroit structuré en fonction de la voiture.

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Ensuite, j’ai réfléchi que si je ne partage pas, physiquement, la vie de quelqu’un qui compte pour moi dans le lieu même où il habite, si rien n’arrive d’étonnant au long du parcours suivi, je risquerais de survivre à la petite frustration d’une expérience suspendue…
J’ai alors suivi au hasard un parcours possible, essayant de traverser ou frôler les différents endroits qu’elle m’avait indiqués. Dans ce parcours, l’unique chose qui avait vraiment de l’importance pour moi c’était la rue où elle habite, c’était retrouver une maison qui pouvait être la sienne ; c’était imaginer sa rentrée chez elle le soir, ses rencontres chez elle ou dans la rue ; ses courses ; ses parcours quotidiens vers le bus ou le métro ; l’alternance du beau temps et du temps mauvais, ce qui lui donne l’envie de sortir ou, au contraire, ce qui l’invite à rester chez elle ; ses amis et ses amies, sa vie dans une collectivité engagée, enfin comment vit-elle le rapport entre son lieu de résidence et celui de travail ?

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Des choses qu’on ne peut pas découvrir en un seul jour ! Et pourtant, juste au couchant, un rayon jaune, en guise de flèche, m’a indiqué une grille avec des noms accrochés. Je me suis arrêté pendant un instant et je me suis vu moi-même entrer et sortir de cette porte, emprunter ma voiture garée à côté, partir à la recherche d’une boulangerie ou d’une pharmacie ou, plus loin, des berges de la Marne… Tout cela m’a rapproché davantage d’elle, donnant un sens accompli à ma visite, même si je n’ai rien compris de ce monde assez dur et impénétrable où les trésors sont cachés.

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Giovanni Merloni

François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier ; Angèle Casanova a pris le relais à partir de novembre 2014. Je remplace Angèle depuis un peu plus d’un an.
Vendredi 3 mars dernier, l’article ci-dessus à été publié sur le blog  La Dilettante de Marie Noëlle Bertrand. C’était la deuxième fois qu’elle me recevait dans le cadre des Vases Communicants, tandis que son texte « En descendant le boulevard Magenta avec la nuit » paraissait sur « Le portrait inconscient ».

fraternité : la voix de Joseph Frisch dans la « ronde » du 15 mars 2017

15 mercredi Mar 2017

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la ronde

Le 15 mars, la ronde

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est à un incipit que nous devons nous tenir : « Ils vont où, les oiseaux » (sans ponctuation finale, volontairement) Et un thème : cuisine(s)  (dans tous les sens du mot, évidemment). J’ai le grand plaisir d’accueillir Joseph Frisch, auteur du blog jfrisch  Ma propre fiction est publiée sur la distance au personnage de Dominique Autrou. Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.

fraternité

Ils vont où, les oiseaux ?
Et bien, à la poêle, à la cocotte, au four : là mon canard joli ! Hop, puis tac, tac, deux petits coups de hachoir et vite un peu de beurre, quelques oignons, rondelles de carottes et un verre de blanc sec, poivre et sel de Guérande : faire d’abord revenir sans brûler puis réduire le feu ajoutez ensuite les épices et le zeste d’une orange non traitée, la poitrine fumée en dés. Alors il fait moins le fier le Gédéon du matin ! il ne crie plus dans sa jolie boîte en fonte, tout juste si on l’entend qui rissole à feu doux. Bon dimanche et bon appétit !

Et demain lundi, les gens, ils iront où ?
Ben tiens, à la Défense eux aussi dans la marmite en verre et acier : rasés, costumés, désodorisés, maquillés, en réunion puis en séminaire, jolie troupe avec smartphone silver et pause-cigarette à 10h15 et 16 heures en bas de l’immeuble, mêmes études  avec le code-barre tatoué dans la tête, traçabilité parfaite du diplôme, origine contrôlée, nourritures de masse avec ou sans gluten, à toutes les modes  ! Et vogue la galère : engueulades, entretien d’évaluation, cirque à tous les étages, valsez ! Et la pensée ?? Euh, et bien comme tout le monde un peu de Twitter, un tiers de buzz dans le journal gratuit, un zeste de Hanouna, voici le petit club, nous  libres égaux & fraternels, enrégimentés sous nos masques. Moutons vers l’abattoir, si mortels mais le sachant si peu, frères humains.

P.-S. à la réflexion je préfère ce troupeau d’images (merci Google) qui est plus conforme à l’esprit du texte ! 😉

Texte et images Joseph Frisch

La ronde tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le nom de l’auteur libère le lien de son blog) :

Hélène Verdier, Franck, Élise, Céline Gouël, Noël Bernard, Guy Deflaux, Dominique Hasselmann, Marie-Christine Grimard, Jean-Pierre Boureux,  Joseph Frisch, Giovanni Merloni, Dominique Autrou

Prochaine ronde : le 15 mai 2017

En descendant le boulevard Magenta… avec la nuit (Marie-Noëlle Bertrand, vases communicants mars 2017)

03 vendredi Mar 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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En descendant…

…le boulevard Magenta
victoire d’un Napoléon
pas le grand, le petit

mânes d’Haussmann omniprésentes
quintessence maléfique
aménagement d’un grand Paris
bannissant misère et plèbe aux confins
élargissant les boulevards
pour la garde et les canons
contre les émeutiers et les barricades

détruire construire

marcher avancer descendre
se projeter et se retourner

001_louxor

Louxor d’abord
c’était au temps du cinéma muet
les bouis-bouis la mal-bouffe
sur le chemin
exotisme de pacotille

des magasins où s’exposent
des tenues pour les mariages
du rêve à bon marché

002_les-deux-gares

destinations plus proches
pas moins pittoresques
vers le Nord et l’Est
deux gares y invitent
des brasseries y encouragent

003_halle-du-marche-180

ici ou là affleure un quotidien possible
grandes enseignes alimentaires
halle du marché au-delà des reflets
discerner étals et foule des grands jours

004_saint-laurent-180

du portail de l’église
la sainte trinité
surveille les passants

veilleurs centenaires des façades
veilleurs quotidiens des halls d’hôtel
celui-là cycliste qui veille sur moi
quand un malappris m’insulte

005_cigogne-180

au mur s’accroche une cigogne
jamais ne verra Colmar
ni ne survolera l’Ill

006_jardin-180

un jardin associatif
Emmaüs y accueille les sans-logis
eux en offrent un aux insectes

007_ombres-et-lumiere

l’ombre et la lumière
jouent des espaces et du temps
dessinent du rêve et de l’évasion

008_republique-180

imaginer une République triomphante
la découvrir aux couleurs
de l’égalité, de la liberté, de la fraternité

…avec la nuit

rejoindre le métro, prendre la ligne 8 et rentrer à Créteil

Texte et Images : Marie Noëlle Bertrand

Pour les vases communicants (*) de mars 2017 Marie-Noëlle Bertrand et moi, nous avons opté pour une flânerie croisée : elle explore ici sur mon blog le quartier de deux gares de Paris (Xe arrondissement) où j’habite, tandis que sur son blog, La Dilettante je me borne à jeter un premier regard sur quelques endroits de la ville de Créteil, où Marie-Noëlle réside. Merci, Marie-Noëlle, pour cette incursion vivante et poétique en bas de chez moi ! 

(*) François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés parBrigitte Célérier et successivement par Angèle Casanova. Marie-Noëlle Bertrand a pris le relais à partir de novembre 2015

S’échapper par la tangente (Vases communicants octobre 2016 avec Hélène Verdier)

18 dimanche Déc 2016

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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001_cabanes-1 Cabanes de la Petite Camargue à Maguelone (Montpellier) : photo d’Hélène Verdier

Je publie aujourd’hui sur mon blog le texte que j’avais écrit le ..10 dernier en occasion des « vases communicants » (*) d’octobre 2016 sur « simultanées« , le blog d’Hélène Verdier, qui avait ainsi présenté notre échange : Aujourd’hui, deux textes, sous un même titre choisi par Giovanni Merloni, que j’ai le grand plaisir de recevoir aujourd’hui, tandis qu’il m’accueille sur son blog le portrait inconscient qui brosse, entre autres, un portrait de la société, de l’enseignement, et de l’exercice de la` profession d’architecte en Italie, des années 60 à aujourd’hui. Merci Giovanni.
Merci Hélène Verdier !

« S’échapper par la tangente… »

Chère Hélène,
« S’échapper par la tangente » est une expression typique de 1968, en Italie, mais en France aussi, je crois. « Partire per la tangente » voulait dire de ce temps-là « sortir de la bonne trajectoire », « aller au-delà », abandonner toute logique pour vaguer dans un univers sombre et sans poids, voire se perdre.
J’ai instinctivement songé à cette expression, et à l’idée de transgression qu’elle porte en elle, quand j’ai reçu par mail tes trois images.
D’un côté, je suis resté bouche bée devant le calme olympique des « cabanes » alignées sur la terre ferme de la petite Camargue, un superbe contexte où la Nature est le premier architecte…

002_franck-gehry-arles-0a Vue du chantier de l’atelier SNCF à Arles : photo d’Hélène Verdier

De l’autre côté je suis vraiment touché par ta splendide photo avec la vue du chantier de la Fondation LUMA dans les anciens ateliers SNCF à Arles : rien qu’un cadre percé dans la palissade, mais cela suffit à faire comprendre qu’un « monstre architectural », qui s’annonce fascinant, offrira bientôt à la ville d’Arles un nouveau repère à l’enseigne de la légèreté et de l’anticonformisme !
Avec une cohérence tout à fait étrangère à la monotonie, le grand architecte canadien Franck Gehry nous avait déjà habitués à des architectures qui « surfent » sur la surface terrestre ou aquatique comme autant de navires voilés, s’amusant aux convulsions de la tempête. Ils donnent d’ailleurs l’impression de demeurer tout à fait indifférents si — le calme venu et le vent disparu — ces voiles gonflées ressemblent alors à des déchets ou à des épaves délaissées en désordre dans une immense décharge.
Avec cette œuvre en cours de réalisation auprès de vieux bâtiments de l’atelier SNCF à Arles quelque chose d’inédit semble voir le jour ; des suggestions ultérieures semblent donner lieu à un débat acharné et intéressant, surtout pour ce qui concerne les structures légères qui bordent la « carapace » de cette tour redoutable évoquant les architectures métalliques et psychédéliques de Metropolis, l’incontournable film de Fritz Lang…
Est-ce qu’elles ont une fonction spécifique, allant au-delà de la seule exigence esthétique ?
Je peux bien me renseigner, ma chère Hélène, mais je me soumets à la règle que nous nous sommes donnée, celle de nous exprimer librement à propos de ce que les images nous communiquent, au risque même de dire quelques inexactitudes…

003_franck-gehry-arles-1 Chantier de l’atelier SNCF à Arles (Le Monde)

Depuis plus qu’un mois, sans réfléchir ni à l’auteur ni à l’œuvre, je gardais jalousement cette coupure du Monde ! Car ces structures biaises, ressemblant énormément aux échafaudages de bambou du fameux Chandigarh de Le Corbusier (1966), tout en évoquant l’architecture baroque, de Borromini jusqu’à Gaudì, semblent être parfaitement conscientes que le processus de rupture de tous les conformismes se déroule désormais par lignes intérieures, suivant la géométrie même de chacun des éléments concurrents au « montage » de l’œuvre. Le « geste » final qui en sera la synthèse et l’emblème aura alors été, à mon sentiment, celui de « s’échapper par la tangente » suivant de façon presque fataliste une géométrie prédéterminée.

004_sacripanti-1-copie Maquette de cellule d’habitation modulaire (1966)

Je me découvre d’ailleurs particulièrement passionné à cette architecture, parce que j’y retrouve un parcours que moi-même avais suivi dans une époque assez éloignée et révolue. Bien sûr, ce que je faisais pendant la deuxième année de mes cours d’architecture n’avait rien d’extraordinaire. Il ne s’agissait que d’un premier essai de composition sous la direction du professeur Maurizio Sacripanti et d’un de ses assistants, Roberto Perris, deux figures inoubliables pour leur intelligence et humanité.

005_sacripanti-2-copie Maquette de cellule d’habitation modulaire (1966)

Avec un camarade, nous avions « inventé » cette espèce de « cellule spatiale » ci-dessus, se développant sur la diagonale et en spirale, dont je trouve aujourd’hui une ressemblance avec ce que le grand architecte canadien est en train de réaliser…

006_sacripanti-3-copie-1 Maquette d’un ensemble de cellules d’habitation modulaires (1966)

Chez nous, cette espèce de cruche en colimaçon qui se multipliait « inexorablement » dans toutes les directions, n’avait ni but ni limite. Je me souviens bien de l’image poétique que Roberto Perris, en voyant la maquette où cet échafaudage prenait la forme d’un immense phalanstère, proposa : « immergez donc cette “bidonville” dans un bassin plein d’eau savonnée et soufflez-y dedans. Vous verrez entrer et sortir de vos cellules aux réflexes irisés des hypothèses inattendues ! »
Avant de présenter notre brinquebalante maquette, nous étions convaincus de travailler à une forme d’architecture « organique » et « modulaire », fabriquée de la même façon des voitures ou des chaussures… qu’on aurait pu « accrocher » à des structures architectoniques plus solides et « emblématiques », tels des ponts, des viaducs, des tours…

007b_santivo-cupola-1 Coupole de Sant’Ivo à la Sapienza, Rome

Rebroussant chemin, en discutant entre nous, nous saisîmes, au contraire, que la seule force d’une géométrie non traditionnelle nous avait amenés à une hypothèse baroque de l’architecture ! D’emblée, nous avions retrouvé dans nos petits êtres la même inspiration qui avait poussé le grand Francesco Borromini à réaliser la coupole vertigineuse, tout à fait anticonformiste, de Sant’Ivo à la Sapienza à Rome.

007_santivo-2-copie-1 Église de Sant’Ivo à la Sapienza, Rome

007asantivo-pavimento-1 Église de Sant’Ivo à la Sapienza, Rome

Cela trouvait une emblématique expression dans le pavement à losanges noirs et blancs de la même église… ces losanges qui avaient été, inconsciemment, à l’origine du choix de notre précaire cellule d’habitation… Or, avec tout l’amour que nous pouvions avoir mûri en nous envers l’architecture baroque de Rome, et notamment ses places incontournables (piazza Navona, piazza di Spagna, Fontana di Trevi, et cetera), nous avions bien compris que la « rupture baroque » n’allait pas vraiment à la rencontre des nécessités primaires du peuple et qu’elle avait, au contraire, le but de l’étonner, de l’émerveiller en l’intimidant. Est-ce que les ruptures sont toujours salutaires, alors ? Est-ce que les monstres qui nous font parfois rêver sont vraiment indispensables ?

Version 3 008a_franck-gehry-arles-projet-3 Atelier SNCF à Arles, projet de Franck Gehry : photo d’Hélène Verdier

En revenant à tes photos, ma chère Hélène, dans cette représentation du projet de Franck Gehry tel qu’il est présenté sur le mur des vieux bâtiments de l’atelier SNCF à Arles, je trouve une confirmation de ce que je viens d’observer. Ces structures en colimaçon qui bordent l’édifice, en exaltant sa fuyante verticalité, puisent moins dans les anciens escaliers des tours du Moyen Âge, dont la France est très riche, que dans l’idée de la postRenaissance et de l’art baroque où l’architecture se rebelle violemment aux contraintes statiques de « l’ordre architectural » donnant vie à des œuvres hardies et délibérément dérangeantes.
Toute une civilisation européenne et nord-américaine — avec ses innombrables œuvres exemplaires, basées sur les prodigieuses possibilités offertes par l’utilisation de plus en plus courageuse de l’acier et du béton armé — constitue sans doute un bagage essentiel pour l’auteur du Guggenheim de Bilbao et d’autres incontournables merveilles.
La liberté dont Franck Gehry se sert de technologies de plus en plus performantes est d’ailleurs la démonstration évidente qu’on peut bien « s’échapper par la tangente » et s’échouer, en même temps, sur quelque chose de stable et tout à fait rigoureux.

009_san-biagio-m-9-copie

Église de San Biagio, Montepulciano (Toscane)

Mais, parfois, je regrette, avec Rimbaud, « les anciens parapets de l’Europe » ainsi que les contraintes structurelles qui jadis enlevaient aux constructeurs « maladroits » toute possibilité de nuire aux gens. Il suffit d’ouvrir les yeux sur nos banlieues constellées de monstres mal fichus pour se rendre compte du mal qu’une mauvaise architecture peut causer à tout un chacun, en manque d’urbanisations harmoniques et correctes. Tous les architectes et artistes du monde n’ont pas le génie de Franck Gehry, de Gaudì ou de Le Corbusier. Toutes les villes n’ont pas la sagesse de s’autoriser les « voiles au vent » et, en même temps, une rigoureuse politique de l’environnement humain.

Images : Hélène Verdier et Giovanni Merloni

Texte : Giovanni Merloni

(*) François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier et successivement par Angèle Casanova. Marie-Noëlle Bertrand a pris le relais à partir de novembre 2015.

S’échapper par la tangente (vases communicants octobre 2016, lettre d’Hélène Verdier)

07 vendredi Oct 2016

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S’échapper par la tangente


Pour les vases communicants (*) du 7 octobre 2016 j’ai le plaisir de publier sur ce blog le texte d’Hélène Verdier, tandis que le mien vient d’être publié en contemporain sur « Simultanées », son blog à elle.
Avant de choisir cette forme et ce titre nous voulions Hélène et moi, écrire d’abord un texte unique, sous forme de « dialogue », à publier en contemporain sur nos deux blogs. Nous avions pour cela imaginé de nous engager dans une « promenade architecturale » auprès de l’un des nombreux exemples d’architectures « modernes » condamnées à l’oubli ou pire, à la destruction sans appel. Hélène avait été la première promotrice d’un choix très intéressant et l’on avait entamé notre dialogue qu’on a décidé de commun accord d’interrompre en vue d’une effective descente sur les lieux et d’une exploitation plus approfondie.
En attendant d’achever cette promenade, que nous partagerons sans doute dans un des prochains vases communicants, nous avons décidé, Hélène et moi, de garder un écho de notre hypothèse initiale. Nous avons échangé entre nous des images qui pouvaient correspondre à cette idée de « l’usure » et de « la perte » qui accompagne trop souvent les belles architectures ainsi que les belles villes de notre mémoire.
Dans cet esprit, avec la conscience du risque toujours présent d’être emportés par l’enthousiasme en dehors des justes limites, nous avons décidé aussi de donner à ces Vases communicants d’octobre un titre commun : « S’échapper par la tangente… »
Giovanni Merloni

001_arcades-de-la-memoire Giovanni Merloni, Portici della memoria, dessin 1992/collage 2012

Cher Giovanni,
nous avions envisagé un dialogue et une promenade. Finalement, ce sera une lettre. Et le croisement des lieux, comme des cartes postales. Pour commencer, et pour mettre un peu de désordre dans le genre épistolaire, je te propose cet exergue de Paul Valéry dont la famille, italienne, a un jour suivi le chemin des migrants transalpins, comme d’autres. Ce fut également le choix de Claude Simon, qui a choisi ces lignes en exergue de son roman « Le vent » (tentative de restitution d’un retable baroque) :

Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre
Paul Valéry (La crise de l’esprit)

Giovanni, je savais ton amour du dessin, et j’aime tes dessins. Il n’a donc pas été très facile de choisir. Mais celui-ci te ressemble. J’aime à y reconnaitre le dessin d’architecte, les couleurs, osées — mais n’est-ce pas le propre de la couleur que d’oser signifier l’époque ? — quelques visions op art en déformations géométriques comme le flou d’un rêve, et le titre, arcades de la mémoire.

La main devant la bouche (OUPS ?) le cartable d’étudiant, jaune, livrent quelques pistes d’interprétation, qui restent ton secret. J’y vois aussi une vision onirique qui aurait pu sortir de mes propres rêves.

Des scénarios fantasques, dans un espace-temps en concaténations, des pierres taillées comme les restes diurnes de tous les jours passés, les miens, les nôtres, nous-autres les humains — construisent sans mortier nos univers fragiles. Arcades/arcanes de la mémoire avec en contrepoint la tentation baroque de l’oubli.

Je me suis attardée sur ta ville, en arcades, arcatures et colonnes. Par ces 7 colonnes blanches aux ordres épurés, dépourvus d’ornement comme faisait Corbu avec les pattes d’éléphant de ses cités radieuses, tu sembles bousculer l’ordre de la mémoire, introduire tout à la fois du désordre dans l’ordre, et de l’ordre dans le désordre. En somme, sauver le monde, y mettre un peu d’ordre, parer à tous les dangers. C’est le socle impossible de la sagesse, au-delà du propos de Paul Valéry.

Un jour peut-être, nous irons dans le Havre reconstruit, sous les arcades, voir les cônes inversés des colonnes de Perret ? Et nous tapisserons à grands points une cartographie aléatoire, composite, ouverte, des villes que nous aimons, de Bologne au Havre, en passant par Arles, Bilbao ou Boston. Tangentielles des rêves.

Hélène

Franges du Bray, 6 octobre 2016

Post-scriptum : 7 colonnes, 6 piliers de l’architecture moderne (préceptes)

Version 3 Giovanni Merloni, Periferia dessin 1963/collage 2013

Chère Hélène
« Porta, portico o porticato » : il y a un lien entre « l’idée de la porte » (avec tous les symboles et les hiérarchies qu’on peut associer aux portes de différente taille et importance) et ce terme « portico » ou « porticato » qui ne correspond pas qu’à la seule idée de l’arcade et à la suggestion d’ailleurs très forte de ce mot, « arcade », lié davantage à la forme, à la structure et à l’idée de la continuité du parcours qui s’entame devant nos pas.
Le « portico » héberge, en lui-même, le mystère du passage, du franchissement d’une séquence presque interminable de portes, qui doublent les portes (des maisons, des boutiques, des institutions publiques, des églises) que le portico même côtoie. Marchant dans Bologne, on a chaque jour l’émotion et l’orgueil citoyen de briser une barrière invisible et enfin de participer à la première personne à la rupture de toute séparation entre le public et le privé, le civile et le religieux, le moi et le toi… qui finalement fusionnent ou tout simplement dialoguent intensément entre eux…

Donc « portici della memoria » évoque pour moi quelque chose de différent et probablement d’unique que Bologne seule détient et que d’autres villes, pourvues d’arcades-portici autant splendides possèdent moins ou de façon plus « standardisée », si j’ose le dire.
Par exemple Turin ou Padoue sont deux villes constellées d’arcades, mais ce n’est pas le même rapport entre les arcades et la ville qui s’y installe.
Plein de places européennes sont intégrées par des arcades : de notre incontournable place des Vosges à la piazza de Ascoli Piceno ou à la place du marché d’Uzès…
Mais je ne veux pas trop insister sur l’unicité de Bologne, je ne veux pas donner une trop précisé mesure à la « sage démesure » de mon souvenir qui risquerait sinon de se confondre avec l’oubli, comme le disent si bien tes mots émouvants et sincères.
Merci, Hélène de cet échange si agréable et suggestif, se terminant tout à fait naturellement, comme notre Seine bien aimée, au Havre !
Giovanni

Images : Giovanni Merloni
Texte : Hélène Verdier

(*) François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier et successivement par Angèle Casanova. Marie-Noëlle Bertrand a pris le relais à partir de novembre 2015

 

« Un cri qui vient de loin » (Vases communicants juillet 2016)

01 vendredi Juil 2016

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Vases Communicants (*) du 1er juillet 2016, invitée : Marie-Noëlle Bertrand : « Un cri qui vient de loin »
Pour ces Vases Communicants de juillet, nous avons choisi, Marie-Noëlle et moi, d’écrire un texte à quatre mains, librement inspiré par la sculpture « Rejection » de Louise Bourgeois dont «[l]es œuvres […] brisent et touchent à la fois ».

001_3 - Rejection 180

Louise Bourgeois, Rejeton

Marie-Noëlle

Du fond du puits de l’enfance, d’une fissure dans le temps et dans l’espace, me reviennent les cris de ma mère couverts par le silence et le regard gris acier de mon père.

Toujours cette menace qui guette… les cris fracassants de silence ou assourdissants de colère. Ils infestent mon corps et hantent mon cerveau dans l’attente de la libération.

Moi-même comme le cri, se délivrer des angoisses et de la rage dans le silence ou la fureur, imploser ou exploser pour accéder au vivre…

Giovanni

Le cri de la mère, jaillissant du corps creux d’un arbre millénaire, avec sa force ancestrale, menaçante même, cela évoque en moi les voix bruyantes des femmes de la tragédie grecque ou de Sicile…

Je me souviens d’un film au ralenti, « Salvatore Giuliano » de Francesco Rosi (1962), où le chœur assourdissant des femmes en noir hurle devant la flagrance de la mort. Un cri paradoxal et violent, d’autant plus bouleversant que l’on sait que Giuliano est l’un des responsables du massacre du 1er mai 1947 à Portella della Ginestra, une fusillade qui causa onze morts et vingt-cinq blessés, une des premières fractures dans le corps nouveau-né de la République italienne ! Il n’y a rien de plus humain, donc de contradictoire, dans un cri de douleur évoquant dans nos esprits la sensation d’une vaine rébellion, d’un feu qui crépite longuement avant de s’éteindre.

En contrechant, je ressens le silence assourdissant des photos immortelles et des fleurs parcheminées autour du corps du Che… un silence où le cri de chacun est englouti dans un inaccessible trou de lumière, miraculeusement soustrait à la fiction cinématographique.

Et encore le cri de ma mère, un cri retenu, solitaire qui pendant un instant fit sursauter la tête grande ou petite de mon père dignement étendu après avoir subi les coups de la faux assassine frappant rudement contre sa faible porte de papier et d’étoffe.

Marie-Noëlle

Le cri retenu, étouffé finit par déferler, le séisme intérieur déchaîne les mots enfouis au fond du gouffre ; lâcher ce qui est là tapi, laisser jaillir les mots prisonniers dans les abysses de la gorge.

Le silence, comme un chant à naître, résonne dans les profondeurs de la poitrine ; il remonte à la surface, avec le passé. Au commencement, il s’extrait de la voix ; affleurent du néant des murmures éteints, comme asphyxiés. Et soudain, surgit le cri, résonnant dans et du silence ; affluent la rage et la révolte, l’indicible se mue en cri, un cri bouleversant qui déchire le silence dénudant la souffrance enfouie, ouvrant la porte et libérant la menace.

Commençons alors à panser les plaies en laissant la place au Verbe.

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Louise Bourgeois, image empruntée à un tweet de @DidierGolemanas

Giovanni

Ce masque « expressionniste » de Louise Bourgeois fait aussi déclencher, en moi, le souvenir d’une longue rêverie suspendue dans des limbes étranges et secrets qui prend le nom de Luisa S. Oui, une Italienne qui encore vit, heureusement, dans ma Romagne chérie, demeurant à jamais attachée à la rétine agitée de mon corps en forme de cœur. Sans doute, au contraire de Louise B., Luisa S. n’a jamais eu le courage ni l’envie de trop chercher dans les tréfonds de son animalité joyeuse et pourtant maîtrisée. Lors de mon enfance agitée, depuis son vase-cerveau, elle m’a communiqué -comme Louise B.- une lagune de passions et, en même temps, l’écho d’une recherche incessante d’équilibre. Nous vivons dans l’attente d’un cri, de notre cri intime qui sera notre voix.

La voix de contralto de Luisa, l’élégance sobre de ses valises parfumées, la simplicité de ses jupes et de ses chandails, la fumée de la cigarette vaguant autour de sa bouche entrouverte… Par une légère inquiétude, ses gestes charismatiques me laissaient découvrir l’essence du mystère : en chaque homme il y a une femme, tandis qu’en chaque femme il y a un homme !

Ces deux pôles s’enchevêtrent à l’infini, obligés de se contenter de trêves provisoires qui seront bien sûr constellées de haussement d’épaules (en France) et de gestes larges des bras (en Italie). Ou alors des cris silencieux de joie et de chagrin comme celui de Louise B., où un regard qui vient de loin s’ajoute au drame violent et proche de l’animalité qui est en chacun de nous. On ne peut pas tout raconter !

Marie-Noëlle

Pansé à la hâte, le visage aux lèvres grandes ouvertes sur l’intérieur, aveu du silence dans lequel résonne l’angoisse qui colle au ventre et envahit de ses tentacules l’être tout entier.

Dans l’obscurité profonde, se tapit le silence, enchaînement à la douleur ; absence électrisée, présence palpitante.

Sans regard, les yeux arrachés et vides, le corps absent… j’entends le silence qui appelle à être crié, le silence qui crie si fort que subitement j’en suis comme sourde. Mais le vide des yeux contraint le regard à se détourner pour n’être plus qu’à l’écoute du grand cri, du pur cri… Et soudain, une énergie intacte jaillit, le silence se rompt… Le cri ultime, le fracas aveuglant d’un appel : M’entends-tu ? Ouvre, je ne peux pas rester enfermé !

Éjaculation ! Laissez la place au Verbe !

002_louise b_l'araignée

Louise Bourgeois et l’araignée 1995, photo Peter Bellamy, image empruntée à un tweet de Laurence (@f_lebel)

Aujourd’hui, c’est avec un très grand plaisir que je publie ce texte écrit à quatre mains avec Marie-Noëlle Bertrand, « Un cri qui vient de loin », chez Le portrait inconscient.

Je la remercie du coeur de m’avoir proposé cet échange et d’en partager l’aboutissement sur son blog : La dilettante 

Merci, chère Marie-Noëlle,  pour avoir choisi l’art emblématique de Louise Bourgeois pour en saisir librement quelques suggestions. Merci pour tout ce que tu dis dans ton texte, qui a fait déclencher en moi des émotions complémentaires, comme si des yeux et de la bouche de la tête « hurlante » de Louise Bourgeois entraient et sortaient librement, bras dessus bras dessous, nos propres mots sincères.
Tels des cris subliminaux, nos mots s’étaient déjà rencontrés dans les tréfonds d’une rébellion partagée. 
Ils se retrouvent maintenant au-dehors, à la (rare) lumière d’un soleil hardi, sage et combatif à la fois ! 

Giovanni Merloni


(*) François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier ; Angèle Casanova a pris le relais à partir de novembre 2014. Marie-Noëlle Bertrand remplace Angèle depuis le mois de novembre dernier.

..À demain en pleine forme je le veux (hommage à « paumée » : textes de Brigitte Célérier)

03 mardi Mai 2016

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Écrivains et Poètes de tout le monde

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Paris, Métro Passy

Chère Brigitte,
Au milieu d’une initiative collective où ma proposition n’a pas trouvé sa collocation, j’avais fait une petite « adaptation » des textes de « paumée » que tu avais publiés sur ton blog dans les mois de novembre et décembre 2015. Il s’agit en fait d’une double adaptation, parce que d’abord j’avais fait au jour le jour un extrait très exigu et parfois hasardeux de tes textes dans mes tweets (comme d’ailleurs je continue à faire), pour les « ranger » ensuite en fonction d’un fil narratif.
Dans mes extraits quotidiens, je ne cherche pas toujours à exprimer le contenu de tes articles, ni son message principal ou prioritaire, sauf des exceptions importantes. J’essaie de mettre en valeur ta personne, ton monde, ton esprit, ta façon de voir les choses dans le quotidien tout comme dans l’universel ou dans les livres.
Ton monde est incroyablement vaste et profond : « ce serait » très difficile en extraire un portrait exhaustif de ta personne et de ta personnalité. J’ai essayé tout de même de le faire, me donnant la contrainte d’un petit échantillon : deux de derniers mois de « paumée », où je t’ai suivi avec toute mon amitié et sympathie.
J’espère donc que tu aimeras mon hommage sincère ainsi que cette tentative d’esquisser enfin ton portrait (partiel et unilatérale, bien sûr) qui m’est vraiment cher.
Giovanni Merloni

002_per paumée 01 180

Paris, quai des Grands Augustins

..À demain en pleine forme je le veux

Jour blanc
jour de cigares
sortis de la boite
et vertueusement
remis en place.

Mal entrée
dans la lucidité
que demande
un jour neuf…
avançais roulant un peu
dans mon regard endormi.

A ces volutes noires
qui sortent de notre mur
j’ai demandé
d’enfermer
les nuages blancs
qu’on nous annonce…

..des nuages
en masse cotonneuse..
plus percer,
à l’heure du thé,
que quelques taches
d’un bleu très pâle.

Voir à travers
permet l’intrication
d’un monde
dans un autre
et l’avènement
d’un paysage
poétique.

003_per paumée 02 180

Paris, quai des Grands Augustins

Paumée tu me fais penser
à la pluie
qui imbibe
avec régularité
mon air
ma cour
la ville…

…la vie autour de l’antre
avec ses horreurs
ses dégoûts
ses admirations
et ses sourires.

Un jour où s’intéresser à la pénurie d’eau à Melbourne.

Me sens plus tout à fait chez moi. J’ai quand même osé sortir cet après- midi, dans le faux printemps de nos rues.

Il fait peut être
un tout tout petit peu moins
frio
mais la vieille oursonne
hésitait à sortir..
récompensée.

Les platanes
n’arrivent qu’à un beige
mâtiné de brun terne
ne sont pas arbres d’automne…

Dans le désert des lieux
(une femme assise
dans le fond..
yeux perdus, visiblement en besoin de solitude).

004_per paumée 03 180

Paris, quai des Grands Augustins

…N’avons pas connu par nos yeux, nos mains.. ceux qui y étaient restés…

Sous les platanes roux
dont l’ombre charmait
le brutal
parallélépipède
blanc…

Charles Dickens
voyageur sans commerce
descendu à Arras
attendu à la gare
par deux chapeaux ecclésiastiques…

Un peu marre de constater à quel point les catholiques ont toujours du mal
avec la laïcité.

Leur tendance
à nous laisser
chaque année
un peu moins
le temps de vivre.

Et la révolte se rendort
se mue en maussaderie
venant colorer
la résignation
de mon corps
assis
contre une colonne.

J’ai senti
ma timidité
envahir carcasse
suis entrée
sans trop trébucher
yeux
oreilles
habillés d’un sourire.

Sourire
en réponse
aux sourires
sans préjuger
de ce que sont
les êtres
rencontrés.

Aimer les gens du quartier
qui ont ouvert
aux passants en détresse
en l’indiquant.

Trois plus ou moins longues
prises de parole
sensibles et sans fausse note
et puis
lumineux et doux
l’adagio.

009_per paumée 09 (1)

Paris, quai des Grands Augustins

Je porte en moi beaucoup de pas dans les rues de Paris
des matins de cafard
contemplations jamais rassasiées.

La fenêtre venant découper
le visage par son reflet
Brigetoun
ou le spectateur
ne sont pas prévus.

Ai assisté brièvement
à un colloque
entre
un homme
et un arbre
ou une étoile.

…Mais ce texte là
me fait tout spécialement envie –
le journal de la brousse endormie.

(Il a aimé traverser l’antre où me coconnais)

On ne pourrait rien faire
si on écoutait les vieillards
ou alors faire
des choses insensées.

Pour me distraire
lire avec honte
étiquettes
made in
China
Inde
Bangladesh.

Cuisine rapide, déjeuner, sombrer en longue sieste avec la conscience en
paix…

Musique traitée
en bruit de fond
(remords)
et musique écoutée,
et réflexion,
bien sûr,
réflexion.

En trois jours un chandail ne sèche pas MARRE

Pense que
finalement
me trompais
et repars,
avec
juste un peu trop d’indifférence.

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Paris, quai des Grands Augustins

J’ai retrouvé inconsciemment le pas de parisienne qui sommeillait en moi.

Calme d’un moment
sortir dans l’humidité
flaques miroitent
pas sur pavés, eau, feuilles
et je retiens mon souffle…

Une presque douceur venant se glisser entre des rafales froides…

…en posant leur tendresse
sur les colonnes et Basquiat.

Ai suivi les trottoirs
en donnant des
coups de pieds
dans les feuilles
avec l’allégresse
d’une sale gosse.

Dans nos rues d’ombre
la mousse lasse
des feuilles était or sombre
dans la lumière.

Lumière dorée du jour qui monte
lumière adoucie, un peu plus tard,
pour accueillir mon retour
dans l’antre.

Premiers militaires
chargés
de nous protéger…
ai admiré l’accord
entre la tenue
et l’écorce
des platanes..

La couleur
digne d’Uccello
de la Bataille
de San Romano
dans la ligne
des madrigaux
musique
sans tohu bohu..

006_per paumée 05 180

Paris, quai des Grands Augustins

…La culture…
Si entrons
dans une glaciale
et longue phase
que mon crâne
se refuse
à imaginer.

…Ne pourrais plus aimer
et, zut, ne pourrais plus rager,
ni même penser, dire ou écrire des stupidités.

Ô nous
les ingénus réveillés
n’oublions pas
que seule compte
la fraternité humaine
à préserver
à pleurer
à renouer…

Ô vous
qui avez ainsi empiré
ce que l’Occident
avait contribué
à créer…

Écouter l’évocation des fronts en Syrie et imaginer une seconde ce qu’est la
vie d’un syrien pacifique.

010 per paumée

Paris, quai des Grands Augustins

M’en suis allée dans la neutralité absente.

Avançais dans la douceur de l’air et les petits éclairs que posait la lumière
sur les fers des façades.

Dans les rues ce matin,
un petit mistral
qui fouettait le bleu du ciel,
des résistantes
et des chutes…

Ce vent..
un adolescent
plein de fougue
m’a fait admirer
un vol
de martinets..
sautant
par dessus
le rempart.

Dans le petit vent
qui fouettait
juste pour un massage
mes joues
des idées
me sont venues.

En grimaçant
devant certaines
prises de position,
en fuyant
la campagne électorale
sous couleur
de «débat».

Les mots
cette merveille
avec lesquels
les humains correspondent
et ne s’entendent pas.

007_per paumée 06 180

Paris, quai des Grands Augustins

M’en suis allée, comme un hors d’oeuvre, pour me mettre en appétit de vie
et puis d’activités…

Un simple coup de ciseaux
et un collage,
déorganisant-réorganisant
les mots et les pages.

Je me suis promis
de ressortir
mes bonnets
de petite vieille sage
pour garder
douillettement
mes pensées.

Suivre
la courbe
tendue
des rues
dans la tombée
du soleil
grimper
vers l’autre
beau jardin
de l’après-midi.

Ma carcasse est ainsi, elle a une indéfinition brigetounienne, mais ce n’est
pas grave.

Portant nouvelles d’aimés
portant envie de dormir
portant images de feuilles..
Je dors

..en dehors de tout
et dans une carcasse rétive et floue
..à demain en pleine forme je le veux.

Brigitte Célérier

008_per paumée 07 180

Paris, quai des Grands Augustins

«  Je m’appelle Mathias Pascal » (Dissémination webassoauteurs février 2016)

26 vendredi Fév 2016

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Dissémination webasso-auteurs, Portraits de Poètes, d'Écrivains et d'Artistes

La question des limites

« Tous les textes, toutes les écritures qui poseront la question des limites (intérieures, mais aussi pourquoi pas géographiques) seront donc les bienvenus, que ce soit sous la forme d’un récit, d’un essai, d’un poème, là aussi restons ouverts, comme toute dissémination reste ouverte à tout blogueur souhaitant participer. » (webassoauteurs)

En accueillant, avec enthousiasme, l’invitation de webassoauteurs pour la dissémination de février 2016, je ne peux pas négliger de dire que le thème assigné — la question des limites — justement en raison du maximum de liberté qu’il accorde, m’avait d’emblée inquiété.
J’ai vu devant moi une page blanche dont les bords s’éloignaient pour atteindre des horizons de plus en plus insaisissables et nombreux.
Ensuite, j’ai vu paraître, sur la même page, des rectangles, des carrés et des parenthèses évoquant les tweets artistiques de Novella Bonelli-Bassano.
Enfin, j’ai eu l’impression d’être sur un avion volant juste au-dessus d’une ville méditerranéenne, dont je voyais les terrasses l’une à côté de l’autre ainsi qu’une séquelle infinie de gens essayant de vivre dans leurs limites, tandis que d’autres…
J’ai fermé les yeux, me disant qu’il fallait s’affranchir d’une interprétation seulement physique des limites ou barrières ou frontières ou aussi des formes de limitation de la liberté, etcétéra.
J’ai pensé alors aux limites qui peuvent marquer ou accompagner nos existences.
En général, nous disposons d’une seule existence, se développant entre les deux limites de la naissance et de la mort.
Cependant, il peut arriver de mourir — métaphoriquement — plusieurs fois dans la vie, ou de vivre des cycles ayant au bout la sensation d’une fin et, ensuite, d’un nouveau commencement.
On peut aussi vivre des vies parallèles, exploitant deux ou trois travaux différents, deux ou trois amours…
Tout cela pose bien évidemment la question des limites morales.
Il y a malheureusement des gens qui n’ont pas le sens de la limite et profitent excessivement de la relative liberté qu’on leur accorde. Des autres dépassent les limites avec la force…
Parfois, on est obligés de vivre comme de pendulaires, en passant d’une réalité à l’autre franchissant des limites plusieurs fois dans une seule journée.
Parfois, on subit un enfermement qui nous arrache à notre vie et nous catapulte dans un contexte que nous n’avons pas cherché, qui pourtant nous accueille…
C’est le cas par exemple de nombreux soldats italiens qui ne sont jamais revenus de la guerre en Russie, parce qu’ils ont préféré y rester, dit-on…
Il y a aussi le thème très suggestif de la limite physique qui marque un passage complexe et riche d’émotions, une métamorphose qu’on n’oubliera jamais : de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à la vie adulte, de la vie adulte à la mort…
Dans la littérature italienne, le personnage de « Pinocchio » qui naît pantin de bois pour être « condamné » à devenir garçon au bout de son « éducation », c’est une belle métaphore du prix qu’on accorde à qui s’efforce de s’élever à travers l’application et l’étude. Mais c’est aussi l’occasion pour trancher de façon qu’on ne peut plus géniale les caractères typiques de notre société bourgeoise et de ses absurdes contradictions. La lecture seule de Pinocchio serait l’idéal pour un corpus d’études sur les limites — physiques, mentales, psychologiques, morales, géographiques politiques, sociales, etcétéra — de notre société et de leur évolution au fur et à mesure que celle-ci s’est habituée à l’unité nationale, tout en perdant, parfois, le sens positif de certaines limites qu’on est en train de refouler à une vitesse excessive. D’ailleurs, Pinocchio, sous le paradoxe du roman d’aventures destiné à un public de jeunes, analyse en réalité impitoyablement le monde adulte avec ses dérives « kafkaïennes ».  

Un des livres italiens les plus bouleversants sur le thème des limites, qui représente aussi très efficacement l’Italie (et la Sicile), est sans doute « Feu Mathias Pascal » de Luigi Pirandello (1867-1936). C’est un livre qu’on lit d’un souffle et qu’on n’oubliera jamais, traitant de cette particulière et affreuse situation d’un homme mécontent de lui et de sa vie qui se découvre mort sans qu’il y ait le besoin de le prouver. Cet homme égaré, qui avait vécu jusque-là la vie d’un mort vivant ou d’une ombre, se trouve du jour au lendemain comme nu, obligé de se créer une nouvelle identité, de se donner un prénom et un nom de famille…
Pour cette dissémination sans limites (ou en dehors des limites ou alors en dépit des limites), j’ai copié et traduit pour vous un joli texte de Leonardo Sciascia (1921-1989), expliquant le rôle de Blaise Pascal dans le titre de ce roman et dans la personnalité de son protagoniste ainsi que dans l’esprit philosophique et religieux de Luigi Pirandello.
Je propose enfin quelques extraits de ce livre extraordinaire, juste pour en donner la saveur et le rythme original.

Giovanni Merloni

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P comme PASCAL

« Une des rares choses, peut-être même la seule dont je fusse bien certain, était celle-ci: je m’appelais Mathias Pascal. Et j’en tirais parti. Chaque fois que quelqu’un perdait manifestement le sens commun, au point de venir me trouver pour un conseil, je haussais les épaules, je fermais les yeux à demi et je lui répondais :
– Je m’appelle Mathias Pascal.
– Merci, mon ami. Cela, je le sais. – Et cela te semble peu de chose ?
Cela n’était pas grand-chose, à vrai dire, même à mon avis. Mais j’ignorais alors ce que signifiait le fait de ne pas même savoir cela, c’est-à-dire de ne plus pouvoir répondre, comme auparavant, à l’occasion :
– Je m’appelle Mathias Pascal. »

Juste une certitude d’état civil, une identité écrasée et collée comme une larve au milieu des feuilles d’un registre. Pour le reste — de lui, de son existence —, Mathias Pascal aurait pu bien dire (et en effet, il le dit, en le disséminant tout au long du livre) :
« Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi‑même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle‑même, et ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’en un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour. »
Il s’agit d’une pensée de Blaise Pascal, que nous n’avons pas citée sans raison, juste pour signaler un certain rapprochement avec l’esprit même de Pirandello, dans la traduction très exacte que fit Ugo Foscolo (avant de s’en approprier par un véritable plagiat, la faufilant dans l’une de ses lettres au comte Giovio). Cela fait d’ailleurs paraître tout à fait légitime le soupçon que cette suggestion plus ou moins proche de la pensée du « sublime misanthrope » (sachant que Pirandello était aussi un misanthrope) ait suggéré ce nom solennel qui s’accompagne de façon humoristique au prénom Mathias, comme s’il avait l’intention de le renverser, avec le réflexe immédiat d’un contraste ou d’une contrariété irrémédiable.
Puisqu’en Sicile les Mathias sont plutôt diffusés avec le nom Matteo. On a d’ailleurs vu combien les noms et les prénoms siciliens, avec le dialecte, sont présents dans l’œuvre de Pirandello. Mais celui-ci a bien sûr pensé aussi à la « mattia » : une folie légère, extravagante, qu’on pourrait classer alors, à la loupe de Lombroso (et Carducci aussi) comme une espèce de provisoires vacances qu’on accorde au génie, en contrepartie, et soulagement, de l’habitude aux réflexions lourdes et intenses. En somme : la « mattia » tels un acte ou alors un état de libération. Il suffit pour cela de penser à la nouvelle « Quand j’étais “matto” (fou)… » : le souvenir du bonheur perdu ; le bonheur d’une folie innocente, légère, cultivée, consciente et nourrie d’elle-même. Presque un luxe qu’on accorde à Fausto Bandini, le protagoniste de la nouvelle. Une folie que peuvent d’ailleurs concéder la richesse et la jeunesse. Un état de grâce que Pirandello reconnaît à Mathias Pascal en vertu des circonstances tout à fait hasardeuse d’avoir été tenu pour mort juste après un gain extraordinaire au casino de Monte-Carlo.
Pour ce qui concerne Pirandello, lecteur de Pascal secrètement affectionné au grand philosophe-mathématicien, nous pouvons en avancer le soupçon, sans en avoir aucune preuve. Car en fait il n’y a aucune œuvre de Pascal parmi ses livres. D’ailleurs, il n’y a même pas un texte de Montaigne, que pourtant il aimait et connaissait bien. La consistance actuelle de la bibliothèque de Pirandello fait penser juste à de pauvres restes tandis que, de son vivant, ses familiers et ses amis doivent y avoir pillé largement avec une dispersion importante. Invinciblement, en tout cas, certains moments de son œuvre, certaines fentes d’où Pirandello observe les abîmes cosmiques, certains « trous noirs », comme l’on dirait aujourd’hui, nous ramènent à Pascal. Un écrivain italien me raconta il y a quelques années qu’une fois, lorsqu’il était jeune, en entendant Pirandello parler de Dieu, par plaisanterie et avec une pointe de dérision (tous les jeunes hommes qui pensent sont convaincus qu’ils sont athées), se laissa échapper : « donc, maître, vous croyez en Dieu ! » Pirandello, torve, lui répondit : « oui, parce qu’il est ennemi de l’homme ». En cette idée de l’inimitié de Dieu envers l’homme je vois quelque chose de janséniste, de pascalien.
La Grâce qu’on accorde depuis toujours, de façon impénétrable donc gratuitement, à très peu de gens, n’est-elle pas la confirmation de telle inimitié ? Et l’on pourrait remonter aussi à l’Arnobio de cet autre sicilien — Concetto Marchesi — qui déclara sa foi dans le stalinisme, poussé peut-être par le même sentiment qu’eut Pirandello lorsqu’il déclara sa foi dans le fascisme : par misanthropie, par pessimisme, par dépit et mépris.

Leonardo Sciascia
« PASCAL », de « Pirandello dall’A alla Z », Supplemento al n. 26 dell' »Espresso », 6 juillet 1986.

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«  Je m’appelle Mathias Pascal. »

Je me suis trop hâté de dire, au début, que j’avais connu mon père. Je ne l’ai pas connu. J’avais quatre ans et demi quand il mourut. Étant allé sur une de ses balancelles, en Corse, pour certain négoce qu’il y faisait, il y mourut d’une fièvre pernicieuse, à trente-huit ans. Il laissait toutefois dans l’aisance sa femme et ses deux fils : Mathias (ce serait moi, et ce fut moi) et Robert, mon aîné de deux ans.
——————————
Quelques vieillards du pays, en effet, se plaisent encore à donner à entendre que la richesse de mon père (qui pourtant ne devrait plus leur donner ombrage, passée comme elle l’est depuis un bout de temps en d’autres mains) avait des origines… disons mystérieuses.
Certains veulent qu’il se la soit procurée en jouant aux cartes, à Marseille, avec le capitaine d’un vapeur marchand anglais, lequel, après avoir perdu tout l’argent qu’il avait sur lui, et ce ne devait pas être peu, avait joué encore une grosse charge de soufre embarquée dans la lointaine Sicile pour le compte d’un négociant de Liverpool (ils savent aussi ce détail ! et le nom !) qui avait affrété le vapeur ; ensuite, de désespoir, levant l’ancre, il s’était noyé au large. Ainsi le vapeur était rentré à Liverpool allégé aussi du poids du capitaine. Une chance qu’il avait pour lest la malignité de mes concitoyens…
D’autres veulent, par contre, que ce capitaine n’ait point du tout joué aux cartes avec mon père, lequel – bonnes âmes ! – était sans doute enclin aux jeux de main, à la violence, à la débauche et même… au vol, là ! Mais le vice du jeu, non, non, cent fois non, il ne l’avait pas, il ne l’avait pas, et il ne l’avait pas. Le capitaine anglais, selon ceux- là, avait été assez bonasse pour confier à mon père, en partant, une certaine cassette que naturellement mon père s’était hâté de forcer ; il l’avait trouvée pleine de pièces d’or et d’argent et se l’était appropriée, niant ensuite, au retour du capitaine, l’avoir jamais reçue en garde. Et le capitaine ? Pauvre homme ! il n’avait su prendre d’autre parti que de mourir de crève-cœur.
D’autres, enfin, soutiennent que ce capitaine anglais n’est pas vrai ; mieux, qu’il est bien vrai, mais qu’il n’a rien à voir dans la richesse de mon père, sinon par un beau chien de garde qu’il lui voulut laisser en souvenir. Un jour que mon père se trouvait à la campagne, dans la terre dite des Deux Rivières, ce chien, qui était rouge de poil et gros comme cela, se mit à gratter, à creuser au pied d’un mur… où mon père trouva la précieuse cassette.
Quels chiens, hein ? mon vieux Giaracannà, il y a en ce monde !… Sa mort, qui survint presque à l’improviste, fut notre ruine…
——————————
On sait que les malheureux deviennent facilement superstitieux, bien qu’ensuite ils raillent la crédulité d’autrui. Je me rappelle qu’après avoir lu le titre d’un de ces opuscules : Méthode pour gagner à la roulette, je m’éloignai de la boutique avec un sourire de dédain et de commisération. Mais, après avoir fait quelques pas, je retournai en arrière et (par pure curiosité, pas autre chose!) avec ce même sourire de dédain et de commisération sur les lèvres, j’entrai et j’achetai cet opuscule.
——————————
C’est justement cette crainte qui me rendit d’abord perplexe: irai-je, n’irai-je pas? Mais ensuite je pensai que, prêt à m’aventurer jusqu’en Amérique, sans connaître même de vue l’anglais et l’espagnol, je pouvais bien avec le peu de français dont je disposais m’aventurer jusqu’à Monte-Carlo, à deux pas d’ici.
——————————
Je m’attendais à ce que le croupier, toujours de la même voix (elle me parut très lointaine) annonçât :
– Trente-cinq, noir, impair et passe !
Je pris l’argent et je dus m’éloigner comme un homme ivre. Je tombai assis sur un divan, épuisé ; j’appuyai ma tête au dossier, par un besoin subit, irrésistible de dormir, de me restaurer avec un peu de sommeil. Et j’allais y céder quand je sentis sur moi un poids, un poids matériel qui aussitôt me fit sursauter. Combien avais-je gagné ? J’ouvris les yeux ; mais je dus les refermer immédiatement, la tête me tournait. La chaleur, là-dedans, était suffocante. Comment ? C’était déjà le soir ? J’avais entrevu les lumières. Combien de temps avais-je donc joué ? Je me levai tout doucement ; je sortis.
——————————
Cependant je cherchais un hôtel quelconque pour m’enfermer et voir ce que j’avais gagné. Il me semblait que j’étais plein d’argent : j’en avais un peu partout, dans les poches de ma veste : or, argent, billets de banque. Il devait y en avoir beaucoup.
——————————
Ainsi, le jour suivant, je retournai à Monte- Carlo. J’y retournai douze jours de suite. Je n’eus plus le moyen ni le temps de m’ébahir de la faveur, plus fabuleuse qu’extraordinaire, de la fortune : j’étais hors de moi, absolument fou ; je n’en éprouve point de stupeur, même maintenant, ne sachant que trop quel tour elle m’apprêtait en me favorisant de cette manière et dans cette mesure. En neuf jours, j’arrivai à constituer une somme véritablement énorme en jouant comme un désespéré; après le neuvième jour, je commençai à perdre, et ce fut le précipice. La fièvre prodigieuse, comme si elle n’avait plus trouvé d’aliment dans mon énergie nerveuse enfin épuisée, vint à me manquer. Je ne sus, ou plutôt je ne pus m’arrêter à temps. Je m’arrêtai, je me repris, non par mes propres forces, mais par la violence d’un spectacle horrible, mais qui n’est pas rare à cet endroit.
J’entrais dans les salles de jeu, le matin du douzième jour, quand le monsieur de Lugano, amoureux du numéro 12, me rejoignit, bouleversé et haletant, pour m’annoncer, plutôt du geste que de la parole, que quelqu’un venait de se tuer là, dans le jardin.
——————————
Je m’enfuis ; je retournai à Nice, pour en partir le jour même.
J’avais avec moi à peu près quatre-vingt-deux mille francs.
Je pouvais tout imaginer, sauf que, dans la soirée de ce même jour, il dût m’arriver à moi aussi quelque chose de semblable.

003_disse 02 180

J’avais toujours le journal en main, et je le retournai pour chercher en seconde page quelque présent meilleur que ceux du Lama. Mes yeux tombèrent sur un

SUICIDE

comme cela, en lettres grasses.
——————————
Je lus :

Hier, samedi 28, on a trouvé dans le bief d’un moulin un cadavre dans un état de putréfaction avancée…

Subitement un nuage passa devant mes yeux, je m’attendis à trouver à la ligne suivante le nom de ma propriété et, comme j’avais peine à lire, d’un seul œil, cette impression minuscule, je me levai debout, pour être plus près de la lampe.
… avancée. Le moulin est situé dans une propriété dite l’Épinette, à environ deux kilomètres de notre ville. Les autorités Judiciaires étant accourues sur les lieux avec d’autres personnes, le cadavre fut retiré du canal pour les constatations légales. Plus tard il fut reconnu pour celui de notre…
Le cœur me remonta à la gorge et je regardai, hors de moi, mes compagnons de voyage qui dormaient tous.
Accourues sur les lieux… retiré du canal… fut reconnu pour celui de notre bibliothécaire Mathias Pascal, disparu depuis quelques jours. Cause du suicide : embarras financiers.
– Moi ?… Disparu… reconnu… Mathias Pascal…
——————————
Je frémissais. Finalement, le train s’arrêta à une autre station. J’ouvris la portière et me précipitai dehors, avec l’idée confuse de faire quelque chose, tout de suite : un télégramme d’urgence pour démentir cette nouvelle.
Le saut que je fis en sortant du wagon me sauva: comme s’il m’avait fait tomber du cerveau cette stupide obsession, j’entrevis dans un éclair… mais oui ! ma libération, la liberté, une vie nouvelle !
J’avais sur moi quatre-vingt-deux mille lires, et je n’avais plus à les donner à personne ! J’étais mort, j’étais mort : je n’avais plus de dettes, je n’avais plus de femme, je n’avais plus de belle- mère : personne ! Libre ! Libre ! Libre ! Que cherchais-je de plus ?
——————————
Aussitôt je me mis à faire de moi un autre homme. Je n’avais que peu ou point à me louer de cet infortuné qu’ils avaient voulu à toute force faire finir misérablement dans le bief d’un moulin. Après toutes les sottises qu’il avait commises, il ne méritait peut-être pas un sort meilleur. À présent, j’aurais aimé que, non seulement extérieurement, mais au plus intime de l’être, il ne restât plus en moi aucune trace de lui.
J’étais seul désormais, et je n’aurais pu être plus seul sur la terre, délivré dans le présent de tout lien, absolument maître de moi, soulagé du fardeau de mon passé et avec devant moi un avenir que je pourrais façonner à ma guise…

Luigi Pirandello
« Feu Mathias Pascal » (19..)
(Traduction de l’italien par Henry Bigot, BeQ Bibliothèque électronique du Québec, collection  tous les vents, Volume 840 : version 1.0)

L’amour toujours, toujours l’amour…

16 vendredi Oct 2015

Posted by biscarrosse2012 in les échanges, mes poèmes

≈ 1 Commentaire

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Zazie

001_lectrice 3 180Lectrice de Michael Peter Ancher,
image empruntée à Laurence  (@f_lebel)

L’amour toujours, toujours l’amour…

A — L’amour toujours ?
B — Toujours l’amour.

A — Donc, cela remplit vos jours !
B — C’était, au contraire, des accidents de parcours
Des moments impromptus venant à mon secours.

A — Je croyais que pour vous ce n’était que velours…
B — Vous me reprochez toujours ma chère Pompadour !
Mais c’est vous qui m’avez appris l’amour !

A — Alors, dites, sincère, c’est quoi, pour vous, l’amour ?
B — S’éclipser au sommet de la tour…
Faufiler la tête dans le four…
Entendre nuit et jour un orchestre de tambours
Se brûler la cervelle au milieu du carrefour
Chanter des mots idiots, déguisés en troubadour
Sachant bien que l’amour ce n’est pas un calembour…

A — Croyez-vous vraiment qu’il existe, l’amour ?
B — Je crois bien sûr qu’il a existé, et j’attends son retour.

A — Mais si vous êtes seul, malheureux tous les jours
Pourquoi sourire au monde, avec des mots d’amour ?
B — Si je voyage souriant dans ce monde sans contours
C’est pour guetter de près la mort, ennemie de l’amour.

A — Ne voyez-vous pas qu’on s’en fiche de votre cour ?
B — Je ne cesse d’expliquer à qui esquive l’amour
Qu’il ne faut pas prétendre des plaisirs sans amour
Ni profiter de la gloire, sans amour
Ou aussi d’une couronne d’épines, sans amour.

A — Que pensez-vous d’obtenir, avec « votre » amour ?
B — Rien. Juste une tasse de thé et des petits-fours !

Giovanni Merloni

002_lectrice 1 - copie

Lectrice de Pierre Bonnard,
image empruntée à Laurence  (@f_lebel)

Lors d’une récente publication concernant une poésie d’amour, j’ai reçu un tout bref commentaire qui m’a intrigué : « Votre prédisposition à l’amour toujours, toujours l’amour, est une belle ouverture sur votre altérité. (1) »
Tout en admettant qu’il y a peut-être dans mon blog un « excès d’amour », surtout pour ce qui concerne mes textes poétiques, j’ai profité de cette suggestion pour me poser une question, qualitative et quantitative à la fois.
J’ai d’abord réfléchi à l’extrême difficulté, dans un blog, de fournir une image cohérente de soi, ayant pour conséquence une distribution équilibrée des différents propositions et thèmes. La nature même des blogs, tout en nous poussant à « montrer » des textes sous l’emprise de l’urgence, n’aide pas trop à organiser, sélectionner, en un mot administrer ce qu’on est en train d’écrire au fur et à mesure.
Lorsqu’on publie un livre sur papier, par exemple — du roman au recueil de poèmes ; de la récolte de contes aux récits autobiographiques — on est forcés à sélectionner en fonction d’un thème, d’un but narratif ou alors, tout simplement, d’une longueur de pages fixées par l’éditeur après un examen sévère des textes manuscrits.
Dans mon cas, à part les quatre romans publiés en Italie (dont le dernier en vers), avant de m’installer à Paris, je n’avais publié qu’un livre de poésie (« Il treno della mente ») qu’on trouve ici en version française sous le titre « Le train de l’esprit ».
Mon éditeur italien, Gaetana Pace, précocement disparue, en 2010 — une femme charismatique, énergique et sensible à la fois, poète elle-même —, avait insisté pendant des années pour que je réorganise mes poésies en vue d’ultérieures publications. Malheureusement, les pièges de mon travail se soudèrent alors à d’autres circonstances de la vie, interrompant ce circuit vertueux…
Or, en publiant dans mon blog les poésies dont j’avais raté la publication sur papier, je ne me suis pas trop investi d’une véritable sélection ni d’un travail éditorial accompli. En fait, le caractère de « work in progress » du blog m’a déconseillé de le faire et, d’un coup, la paresse d’avant le blog, qui rimait bien avec sagesse, a été remplacée par l’urgence du web, synonyme d’auto-indulgence…
D’ailleurs, en publiant, jour après jour, les poésies que j’avais écrites pour Ambra, Nuvola, Stella et Ossidiana, par exemple, je ne me suis pas chargé d’accrocher à mon mur un placard adapté, pour y expliquer qu’il ne s’agissait pas de recueils poétiques achevés, mais plutôt d’évocations symboliques de contextes poétiques et d’endroits de la mémoire où mes poésies — ou billets ou lettres — ont déroulé plusieurs fonctions. Ces récoltes évoquaient en définitive moins les vraies histoires que la façon de se produire de chaque rencontre, de chaque adieu. Ou alors, tout simplement, on y repérait les traces d’un travail intérieur incessant pour essayer d’entraver le chagrin, la douleur pour l’absence, le désespoir, la déception…
D’ailleurs, ces encadrements dans de différents contextes n’expliquent pas grand-chose au sujet des personnages à plusieurs facettes qui traversent ces endroits et ces histoires différents. Comment se peut-il qu’ils soient toujours joyeux ou souffrants et, en même temps, inexorablement fidèles à l’idée de l’amour comme but et moyen unique pour s’en sortir ? Est-ce que ces personnages évoluent vraiment, avec le temps ?
Ce n’est pas à moi de répondre, mais, si je n’abandonne pas les poèmes appartenants à des époques forcément révolues, je devrai bien sûr me poser la question de la distance à mon personnage, à celui qui écrivait au fur et à mesure ses textes, ayant pour la plupart, sinon la forme, la substance de missives directes, voire de lettres d’amour, dans le but de faire un choix : celui de décider si je vais être tout simplement le traducteur ou le passeur de ces émotions et états de l’esprit ; ou alors si je vais assumer jusqu’au bout ce que j’étais en stricte relation à celui que je suis maintenant.
G.M.

003_lectrice 4 (1) 180

Lectrice de Jan Mankes (1911),
image empruntée à Laurence  (@f_lebel)

(1) J’ai retrouvé par hasard une intéressante cotation du philosophe George Marinier à propos de l’altérité dans l’amour : « L’amour ne détruit pas l’altérité, il l’intensifie au contraire, mais en la transformant (…) L’amour implique une certaine altérité, non pas une altérité de l’ordre du lui, qui est exclusion, mais une altérité de l’ordre de toi, qui est réciprocité de présence. » G. Madinier, Conscience et amour, pp. 96-97 (Foulq.-St-Jean 1962)

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