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Mes chers lecteurs, comme vous avez vu, la publication du Testament immoral représente un contre-chant vis-à-vis du Strapontin, qui en profite pour marquer des brèves pauses. Le chapitre n. III qui suit (« Je peux me souvenir ») mériterait une lecture sans arrêt, en une seule fois. J’essaie pourtant de vous le proposer en trois parties (de vendredi à dimanche prochain) en fonction de la meilleure articulation possible de la narration et du rythme de lecture. Vous pourrez bien sûr relire l’entier chapitre avec la publication du troisième volet.
Je peux me souvenir I/III
(Giovanni Merloni, Testament immoral III/I, Manni 2006)
1.
Dix-sept ans c’était mon âge
spécial ou normal. Dès lors
quarante ans se sont déjà déroulés,
exhalés, jouis, bien connus
inconnus, que je voudrais
vomir, cracher,
mais pas du tout régaler
à la poubelle.
Plutôt je les mets
dans un chiffonnier
au-dessous de mon lit.
2.
Quarante ans, quoi de plus
puis-je faire
de spécial ou de normal
pour réussir à éviter
de me faire pendre ?
Je serais fatigué ou ennuyé
de gouverner en souverain
dans une île exclue par les routes
sans salopes ni bigotes ;
épuisé de me barioler
à chaque exploration
à chaque exécution
à chaque procession.
J’en ai marre de feindre
de recruter,
d’entraîner,
d’embrigader
ces restes de galère
qui ne savent
même pas trébucher
qui jamais n’apprendront
à savoir se démêler
un-deux dans la vie.
3.
Si l’île s’effondre,
si ce gouffre
attendu et inévitable
engloutit toutes les boîtes,
les lettres, les dossiers,
les congés,
les bavardages du bar,
le parfum unique
de la belle Irène
si nonobstant cela
nous tous survivons
et moi aussi je survis
que pourrai-je faire ?
Comment pourrai-je éviter
à nouveau de me tromper ?
4.
J’essayerai de déménager,
d’émigrer,
de recommencer
sans rechercher
le juste milieu
la maîtrise ou l’harmonie
(d’ailleurs, personne ne s’attend à cela).
Je sortirai et jamais
je ne rentrerai.
Je m’habituerai
à défier la mort.
Hop-là !
Après le saut mortel,
jamais plus je ne renoncerai
à mes besoins cachés,
car je suis fait ainsi.
Je serai heureux de m’apercevoir
que j’ai oublié
cette étrange
obligation ancestrale
de prouver ou alors de renoncer
(c’est là mon
prendre ou lâcher) :
enthousiaste
et ressuscité à la vie
si je pourrai esquiver
la sombre condamnation
à me garder
sensible et spécial,
tourmenté, mais original,
marginal, mais doué
frais, mais surgelé.
Jamais plus, jamais plus
un tel volume de jeu
en échange
d’une survie triste.
Fourmi ou géant
il n’y aura plus d’obstacle.
Ce sera désormais indifférent
que parler ou se taire ;
écrire ou effacer ;
inventer ou se souvenir.
5.
Je peux me souvenir
d’avoir été un acteur,
un fin diseur,
un book-maker,
un relieur,
un observateur aigu
ou alors un trompettiste,
un grenadier,
un contrebandier,
un voleur de drapeaux,
un facteur,
un jockey,
un buveur de vin,
un divin amateur,
un conquérant,
un personnage sage
doué de courage
un otage
de haut lignage, Titire
au-dessous du feuillage
et même Caravage.
Giovanni Merloni
1960-1965 ambra 1966-1971 nuvola 1972-1974 stella 1975-1976 ossidiana 1977-1991 luna 1992-2005 roma2006-2013 paris
écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 24 janvier 2014
TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN
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« Hop-là » : oui, on peut sauter de paragraphe en paragraphe, comme on enjambe le Tibre (ou le Tigre) d’un regard…
En fait, aujourd’hui, en lançant ce chapitre (de passage) d’une phase à l’autre du Testament immoral, je me suis interrogé sur le décalage, évident, entre ce texte et celui du Strapontin.
Même si ce dernier subit les multiples formes de stress liées à la publication quotidienne dans le blog, je vois maintenant les choses vécues (et vues) d’une façon plus équilibrée et surtout je me charge beaucoup plus du point de vue du lecteur et de la « vérité » du texte.
Donc, je me rends parfaitement compte de certaines « fermetures », surtout dans cette partie du Testament immoral, vis-à-vis de l’exigence d’authenticité ressentie par les lecteurs, qui est aussi la mienne.
Pourtant, je ne suis pas en condition, du moins pour le moment, d’intervenir dans ce texte d’il y a 7-8 ans.
Je suis d’ailleurs convaincu que cette publication, même si un peu coincée dans une époque (dont on devrait reconstruire les circonstances), peut intégrer efficacement la vision de mes personnages préférés.
Dans les chapitres suivants, le Testament immoral, tout en gardant le jeu verbal et ses obsessions, va assumer finalement une physionomie cohérente et comparable à celle du Strapontin.