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Giorgio Bassani : Les poèmes de Ferrare III/III – Les lunettes d’or

07 dimanche Juil 2013

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Giorgio Bassani, Portraits de Poètes

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Giovanni Merloni « La folie de Roland », dessin en technique mixte sur le thème du Roland Furieux de l’Arioste. L’original, à l’encre de chine, en noir et blanc, a été exposé au Centre des Activités Visuelles du Palais des Diamanti de Ferrare en 1974

Troisième dimanche consacré à la Ferrare de Giorgio Bassani (1916-2000), auteur incontournable de la littérature italienne du XXe siècle. Ses romans et ses poésies nous surprennent toujours par cette force tout à fait unique de nous introduire dans la ville de Ferrare soit de l’intérieur des personnages soit de l’extérieur des paysages et des architectures.
En automne 2013, dans un prochain article (soit ici, soit sur mon blog consacré aux articles et commentaires) j’exploiterai encore le portrait de Ferrare, à travers la vie et les œuvres de quatre Ferrarais incontournables, dont Giorgio Bassani, qui ont eu en Ferrare leur lieu de formation et d’inspiration. Les trois autres personnages sont l’Arioste (1474-1533), Biagio Rossetti (1447-1516) et Michelangelo Antonioni (1912-2007).
Dans ce « portrait du dimanche », j’ai d’ailleurs toujours préféré « donner la parole » aux auteurs même, essayant de ne pas ajouter mon point de vue personnel.
Avant de nous séparer de cet écrivain-poète avec la lecture de quelques extraits poignants d’une partie du roman, Les lunettes d’or, que j’ai particulièrement aimé, je pense que deux brèves citations — venant de l’époque de la publication du plus important roman de Bassani, Le Jardin des Finzi Contini (Einaudi 1962), peuvent intégrer notre lecture sans en déranger la musique.

Dans la couverture du Jardin des Finzi Contini, j’extrais ci-dessous une petite phrase  d’Eugenio Montale (1896-1981), poète italien qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1975 :
« On soupçonnait, nous lecteurs pour obligation, qu’on avait entre les mains un livre, un objet tout à fait digne vis-à-vis des exigences du “marché”, et pourtant nous nous sommes aperçus, au contraire, que cet objet était assez inattendu et plus inquiétant que prévu ; et aussi, au contraire, qu’il ne s’agissait pas d’un objet. Croyez-vous vraiment qu’une rencontre pareille, par les temps qui courent, soit fréquente ? » Eugenio Montale à propos du roman Le Jardin des Finzi-Contini, Corriere della Sera, 1962

La deuxième citation concerne une interview, que Bassani accorda à Giorgio Varanini pour « Il Castoro » (Éditions La Nuova Italia, 1970), d’où j’ai extrait une seule question et une seule réponse (p. 17) :
Giorgio Varanini : « Est-ce que vous voyez une limite à votre narration dans le caractère unilatérale de votre […] attention humaine et artistique envers Ferrare et le milieu juif de cette ville ? »
Giorgio Bassani : « Toute œuvre d’art, quant au style, naît toujours d’une vision unilatérale. Toute œuvre d’art, en plus, est toujours limitée. Sans compter Joyce, avec sa petite Dublin, et Proust, avec ses petites Paris, Illiers et Deauville, Dante, même Dante, avait sa petite Florence. Et Giorgio Morandi, avec ses bricoles et ses maigres Apennins de Grizzana ? Non : en poésie ce n’est pas l’objet qu’on doit illuminer, mais au contraire le sujet, l’Esprit qui dicte. Illimité, démesuré, qui embrasse tout : comme celui de Dieu, avant de devenir le Verbe, la parole. »

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Giorgio Bassani III/III, Les lunettes d’or (Gli occhiali d’oro), Éditions Gallimard, folio bilingue, 2005. Traduit de l’italien par Michel Arnaud. Traduction revue et complétée par Muriel Gallot. (Dimanche 23 juin, on a publié ici quatre poèmes de Giorgio Bassani, dimanche 30 juin, on a publié des extrait de l’édition française de ce même roman Les lunettes d’or, extraits chapitre 14).

Je remercie vivement Paola et Enrico Bassani, ainsi que la Fondazione Giorgio Bassani, de m’avoir donné l’autorisation de publier dans « le portrait inconscient » les suivants extraits du chapitre 15 :

(p. 279 de l’édition française)
Je revis Fadigati.
Ce fut dans la rue, de nuit : une humide nuit de brouillard, environ au milieu du mois de novembre suivant. Je sortais du lupanar de la via Bomporto, avec mes vêtements imprégnés de l’habituelle odeur, et je m’attardais là, devant la porte, ne pouvant me résoudre à rentrer chez moi et avec le désir d’aller jusqu’aux remparts proches, en quête d’un peu d’air pur.
Le silence alentour était total. De l’intérieur de la maison close, derrière moi, filtrait la conversation paresseuse de trois voix : deux masculines et une féminine.
[…….]

(p. 281 de l’édition française)
Lentement, trébuchant sur les cailloux pointus de la ruelle, un pas lourd s’approchait.
« Mais est-ce qu’on peut savoir ce que tu veux ? Tu as faim, hein ? »
C’était Fadigati. Je l’avais reconnu à la voix, avant même de réussir à le voir dans le brouillard très épais.[…….]

(p. 283 de l’édition française)
Il avançait lentement, un peu penché sur le côté, parlant toujours : s’adressant à un chien, ainsi que je m’en aperçus aussitôt.
Il s’arrêta à quelques mètres de distance.
« Et alors : vas-tu, oui ou non, me ficher la paix ? »
Il regardait l’animal dans les yeux, son index levé dans un geste de menace. Et l’animal, une chienne bâtarde, de taille moyenne, blanche à taches marron, lui rendait, d’en bas, agitant désespérément la queue, un regard humide et implorant avec anxiété. Et, cependant, elle se traînait sur les cailloux, vers les souliers du docteur. Dans un instant, elle allait se renverser sur le dos, ventre et pattes en l’air, entièrement à sa merci.
« Bonsoir. »
Il détacha ses yeux de ceux du chien et me regarda.[…….]
« Vous avez maigri vous aussi, le savez-vous ? disait-il. Mais cela vous va bien, cela vous rend plus homme. Vous voyez, certaines fois, dans la vie, quelques mois suffisent. Parfois, quelques mois comptent plus que des années entières. »

(p. 285 de l’édition française)
La petite porte bardée de clous s’ouvrit et en sortirent quatre ou cons jeunes gens : des types des faubourgs, sinon carrément de la campagne. Ils s’arrêtèrent en cercle, pour allumer des cigarettes. L’un d’eux se rapprocha du mur, près de la porte, et se mît à uriner. Cependant, tous, ce dernier y compris, nous lorgnaient avec insistance.
Passant sous les jambes écartées du jeune homme immobile devant le mur, une petite rigole descendit rapidement, en serpentant, vers le milieu de la ruelle. La chienne fut attirée par elle. Prudemment, elle s’approcha pour la flairer.
« II vaudrait mieux que nous partions ! » chuchota Fadigati, avec un léger tremblement dans la voix.
Nous nous éloignâmes en silence, cependant que, derrière nous, la ruelle retentissait de hurlements obscènes et de rires.[…….]

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(p. 287 de l’édition française)
Il était si tard que nous étions peut-être les seuls, Fadigati et moi, à tourner en ville à cette heure-là. Il me parlait d’une voix basse, désolée. Il me racontait ses malheurs. Sous un prétexte quelconque, on l’avait révoqué de son poste à l’hôpital. Même à son cabinet de la via Gorgadello, des après-midi entiers s’écoulaient désormais sans que se présentât un seul malade. Il n’avait personne au monde, d’accord, personne à qui penser… ou dont s’occuper…, des préoccupations immédiates, du point de vue financier, ne s’annonçaient pas encore. Mais était-il possible de continuer à vivre longtemps ainsi, dans la solitude la plus absolue, entouré de l’hostilité générale ? Bientôt, de toute façon, viendrait le moment où il lui faudrait congédier son infirmière, réduire les dimensions de son cabinet médical et commencer à vendre ses tableaux. Il valait donc mieux partir tout de suite, essayer d’aller s’établir ailleurs.
« Pourquoi ne le faites-vous pas ?
— C’est facile à dire, soupira-t-il. Mais à mon âge… Et puis, même si j’avais le courage et la force de me décider à une telle solution, croyez-vous que cela servirait à quelque chose ? »
Comme nous arrivions à proximité du Montagnone, nous entendîmes derrière nous un léger bruit de piétinement. Nous nous retournâmes. C’était la chienne bâtarde de tout à l’heure qui arrivait, hors d’haleine.
Elle s’immobilisa, heureuse de nous avoir retrouvés, grâce à son flair, dans cette mer de brouillard.[…….]

(p. 289 de l’édition française)
Toujours suivis ou précédés par la chienne, nous reprîmes enfin notre promenade.

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(p. 291 de l’édition française)
Nous nous rapprochions maintenant de chez moi. Quand elle nous précédait, la chienne s’arrêtait à chaque croisement, comme craignant de nous perdre une nouvelle fois.
« Regardez-la, disait pendant ce temps Fadigati, en me la montrant. Peut-être faudrait-il être ainsi, savoir accepter sa propre nature. Mais, d’autre part, comment faire ? Est-il possible de payer un tel prix ? Il y a beaucoup de la bête en l’homme : et pourtant, l’homme peut-il s’avouer vaincu ? Admettre qu’il est une bête et seulement une bête ? »
J’éclatai d’un grand rire.
« Oh non, dis-je. Ce serait comme si l’on disait : un Italien, un citoyen italien, peut-il admettre qu’il est un juif et seulement un juif ? »
Il me regarda, humilié.
« Je comprends ce que vous voulez dire, dit-il ensuite. Ces jours-ci, vous pouvez me croire, j’ai bien de fois pensé à vous et aux vôtres. Mais, permettez-moi de vous le dire, si j’étais vous…
— Qu’est-ce que je devrais faire ? l’interrompis-je avec impétuosité. Accepter d’être ce que je suis ? Ou mieux : me résigner à être ce que les autres veulent que je sois ?
— Je ne sais pas pourquoi vous ne le devriez pas, répliqua-t-il avec douceur. Cher ami, si le fait d’être ce que vous êtes vous rend tellement plus humain. (sinon, vous ne seriez pas là, maintenant, avec moi !), pourquoi refusez-vous, pourquoi vous révoltez-vous ? Mon cas est différent, exactement l’opposé du vôtre. Après ce qui s’est passé l’été dernier, je ne parviens plus à me supporter.

(p. 293 de l’édition française)
Je ne le peux plus : je ne le dois plus. Me croirez-vous si je vous dis que , parfois, je ne supporte pas de me raser devant la glace ? Si je pouvais au moins m’habiller différemment ! Mais est-ce que vous me voyez, vous, sans ce chapeau… sans ce manteau… sans ces lunettes d’homme convenable ? Et d’autre part, vêtu ainsi, je me sens tellement ridicule, grotesque, absurde ! Ah, non ! inde redire negant (1), c’est vraiment le cas de le dire ! Pour moi, comprenez-vous, il n’y a plus rien à faire. »
Je gardai le silence. Je pensai à Deliliers et à Fadigati, l’un bourreau et l’autre victime. La victime pardonnait, comme d’habitude, se soumettait au bourreau. Mais moi, il n’en était pas question, Fadigati se trompait. Je ne réussissais jamais à répondre à la haine que par la haine.

Giorgio Bassani

(1) Inspiré de Catulle, « Le moineau de Lesble » : « De là [les Enfers], ont dit que personne ne revient. »

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Giorgio Bassani : Les poèmes de Ferrare II/III – Les lunettes d’or

30 dimanche Juin 2013

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Giorgio Bassani, Portraits de Poètes

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Deuxième dimanche, consacré à Giorgio Bassani et à sa ville de formation et d’inspiration littéraire, Ferrare, avec la lecture d’un chapitre de son roman bref, Les lunettes d’Or, qu’il a écrit à Rome et publié en 1958, exploité successivement, en 1987, dans le film homonyme de Giuliano Montalto avec Philippe Noiret.
Dans ce texte, touchant par son extrême sincérité, les lecteurs trouveront une analyse et un témoignage assez poignants de ce qui se passait à Ferrare au tournant des lois raciales contre les juifs, en 1938.
Ferrare a été toujours une ville très civilisée et ouverte, où pourtant serpentaient, à cette époque-là, l’hypocrisie et l’acceptation passive des idéologies paternalistes, totalitaires et homophobes du régime fasciste au pouvoir.

Giorgio Bassani II/III, Les lunettes d’or (Gli occhiali d’oro), Éditions Gallimard, folio bilingue, 2005. Traduit de l’italien par Michel Arnaud. Traduction revue et complétée par Muriel Gallot. (Dimanche 23 juin, on a publié ici quatre poèmes de Giorgio Bassani). 

Je remercie vivement Paola et Enrico Bassani, ainsi que la Fondazione Giorgio Bassani, de m’avoir donné l’autorisation de publier dans « le portrait inconscient » les suivants extraits du chapitre 14 :

(p. 261 de l’édition française)
La messe de midi allait se terminer. Une petite foule de gamins, de jeunes gens et d’oisifs, s’attardait comme toujours autour du parvis.
Je les regardais. Jusqu’à ces derniers mois, je n’avais jamais raté, le dimanche matin, la sortie de la messe de midi et demi à San Carlo ou à la cathédrale, et ce jour-là non plus, après tout, réfléchissais-je, je n’allais pas la rater. Mais cela, pouvait-il me suffire ? Aujourd’hui, c’est différent. Je n’étais plus là-bas, mêlé aux autres qui étaient probablement en train de rire et de plaisanter dans l’attente habituelle. Adossé au portail du palais archiépiscopal, relégué dans un coin de la place (la présence à mes côtés de Nino Bottecchiari ne faisait qu’accroître encore mon amertume), je me sentais exclu, irrémédiablement un intrus.
À cet instant précis, le cris rauque d’un vendeur de journaux retentit. […]

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(p. 263 de l’édition française)
« Prochaines mesures du Grand Conseil contre les juifs ! » braillait-il avec indifférence, de sa voix caverneuse.
Et cependant que Nino se taisait, très gêné, je sentais naître en moi, avec une indicible répugnance, la vieille et atavique haine du juif pour tout ce qui est chrétien, catholique, bref, goy, Goy, goïm : quelle honte, quelle humiliation, quel dégoût de m’exprimer ainsi ! Et pourtant j’y parvenais déjà, me disais-je, tel un quelconque juif de l’Europe de l’Est, qui n’aurait jamais vécu hors de son ghetto. […]

003_castelloBN(p. 265 de l’édition française)
Dans un futur assez proche, eux, les goïm, allaient nous forcer à grouiller à nouveau là, parmi les étroites et tortueuses ruelles de ce misérable quartier médiéval, dont en fin de compte nous n’étions sortis que depuis soixante-dix, quatre-vingts ans. Entassés les uns sur les autres, derrière les grilles, comme autant de bêtes apeurées, nous ne nous évaderions plus jamais.
« Ça m’embêtait de t’en parler, commença Nino sans me regarder ; mais tu ne peux pas imaginer combien ce qui est en train de se passer me fait de la peine. […] Moi, personnellement, je ne crois pas. Malgré les apparences, je ne crois pas que, en ce qui vous concerne, l’Italie imitera vraiment l’Allemagne. Tu verras, comme d’habitude, tout cela finira en bulle de savon, » […]

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(p. 267 de l’édition française)
Je lui demandai pourquoi, lui, à différence de son oncle, il était optimiste.
« Oh, nous autres Italiens, nous sommes trop farceurs, répliqua-t-il sans paraître avoir remarqué mon ironie. Nous pouvons sans doute imiter tout ce que font les Allemands, y compris le pas de l’oie, mais point le sentiment tragique qu’ils ont de la vie. Nous sommes trop vieux, trop sceptiques et trop usés. »
C’est seulement alors, à mon silence, qu’il dut se rendre compte de l’inopportunité et de l’inévitable ambiguïté de ce qu’il était en train de dire. Brusquement, son visage changea d’expression.
« Et c’est tant mieux, tu ne crois pas ? s’écria-t-il avec une gaieté forcée. Après tout, vive notre millénaire sagesse latine ! »
Il était sûr, continua-t-il, que, chez nous, l’antisémitisme ne pourrait jamais prendre des formes graves, politiques, et donc s’enraciner. Il suffirait simplement de penser à Ferrare — une ville qu’on pouvait dire « socialement parlant » parfaitement représentative — pour se convaincre qu’une séparation nette de l’« élément » juif de celui dit « aryen » était dans notre pays pratiquement irréalisable. Les « israélites », à Ferrare, appartenaient tous, ou presque tous, à la bourgeoisie des villes, dont, en un certain sens, ils conservaient le nerf, l’épine dorsale. […]

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(p. 271 de l’édition française)
Une telle politique n’aurait eu des chances de « marcher » qu’au cas où des familles du genre des Finzi-Contini, avec leur tendance très « typique » à rester isolés dans une vaste demeure aristocratique […], eussent été plus nombreuses. […]
Tout à coup, il me toucha la main.
« J’aurais besoin que tu me donnes un conseil, dit-il. Un conseil d’ami.
— Je t’en prie.

(p. 273 de l’édition française)
— Tu me promets la plus grande sincérité ?
— Mais oui ».
Deux jours plus tôt — il fallait que je le sache, commença-t-il en baissant la voix —, ce « reptile » de Gino Cariani était venu le trouver et, sans trop de préambules, lui avait proposé de prendre les fonctions de préposé à la Culture. Su le coup, il n’avait ni accepté ni refusé. Il avait seulement demandé un peu de temps pour réfléchir. […]

(p. 275 de l’édition française)
« Tiens, ajouta-t-il, j’ai si peu d’estime pour la nature humaine et pour le caractère de nous autres Italiens en particulier, que je ne peux même pas me porter garant pour moi-même. Nous vivons dans un pays, mon cher, où il n’est resté de romain, de romain au sens antique, que le salut bras tendu. Raison pour laquelle je me demande moi aussi : à quoi bon ? En fin de compte, si je refusais…
— Tu aurais grand tort », l’interrompis-je tranquillement.
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(continue p. 275 de l’édition française)
Il me scruta, avec une nuance de méfiance dans les yeux.
« Tu parles sérieusement ?
— Et comment ! Je ne vois pas pourquoi tu ne devrais pas aspirer à faire carrière dans le parti ou grâce au parti. Moi, si j’étais à ta place… si, je veux dire, je faisais mon droit comme toi… Je n’hésiterais pas un seul instant.
J’avais pris soin de ne rien laisser transparaître de ce que j’éprouvais. L’expression du visage de Nino s’éclaira. Il alluma une cigarette. Mon objectivité, mon détachement l’avaient visiblement frappé. […]

(p. 277 de l’édition française)
Il termina par un geste vague de la main. […]
« À propos, demanda-t-il brusquement, en fronçant le sourcil. Ton premier examen, à Bologne, c’est quand ? Il va falloir penser au renouvellement de notre abonnement de chemin de fer, bon Dieu !… »

Giorgio Bassani

(continue)

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Giorgio Bassani : Les poèmes de Ferrare I/III

23 dimanche Juin 2013

Posted by biscarrosse2012 in les portraits

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Giorgio Bassani, Portraits de Poètes

001_corrò 740Giovanni Merloni « Corrò la fresca e mattutina rosa », dessin à l’encre de chine sur le thème du Roland Furieux de l’Arioste, exposé au Centre des Activité Visuelles du Palais des Diamanti de Ferrare en 1974

Je poursuis mes lectures du dimanche avec un grand écrivain de Ferrare, Giorgio Bassani, auteur du roman Le Jardin des Finzi-Contini, roman très connu en France. Je consacrerai deux dimanches à cet auteur que je lis la première fois à l’âge de 17 ans et que j’aime sans réserves. Ici je vous propose quatre poésies évoquant le monde de Ferrare, l’amour, la mort et la solitude.

Je remercie vivement Paola et Enrico Bassani, ainsi que la Fondazione Giorgio Bassani, de m’avoir donné l’autorisation de publier dans le portrait inconscient quelques morceaux de l’œuvre de l’écrivain.

VERS FERRARE

C’est à cette heure que vont à travers les chaudes herbes infinies
vers Ferrare les derniers trains, avec de lents sifflets
ils saluent le soir, plongent indolents
dans le sommeil qui peu à peu éteint les bourgs rouges et leurs tours.

Par les fenêtres ouvertes, le remugle des prés inondés
s’infiltre et voile la patine des banquettes misérables.
Des pauvres amants en chandail il dénoue les doigts fatigués,
et les baisers désertent leurs lèvres desséchées.

Giorgio Bassani (Histoire des pauvres amants, 1945)

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HISTOIRE DES PAUVRES AMANTS

Le garçon que nous connûmes
avec sa pelisse sombre au col relevé
et ce visage pâle, amaigri, et ces yeux,
ces yeux si semblables à la lune que tu aimes ;

ce garçon qui passa à côté de nous dans une
nuit hivernale humide et tiède ;
que faisait sourire le crêpe de ses pas silencieux
(quel sourire impensable sous le rebord de son chapeau !) ;

celui qui t’offrit le bras et tu tremblais
de trop d’amour ; et il te conduisit, et il fut
sans pitié ; qui jamais plus n’est revenu
comme les brouillards, ours en peluche chaleureux et crêpe et neige ;
et il avait main et salive, yeux et sourire de lune
sous le rebord du chapeau ; et pour la neige une pelisse : oh lune,
il m’a suivi jusqu’ici avec le couteau de ses yeux,
Il a voulu, lune, que je t’appelle
avec la flûte amoureuse des souvenirs,

lune de ces nuits.

Giorgio Bassani (Histoire des pauvres amants, 1945)

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DEPUIS QUE

Depuis que
j’ai décidé de ne plus jamais
répondre
à une lettre de toi
jamais aucune autre lettre
je n’ai pu
même ouvrir

Je les laisse
arriver
tomber autour de moi
s’étaler là à mes pieds
à l’envers et sans réponse
muettes
comme moi comme désormais ma
vie

Giorgio Bassani (Épitaphe, 1974)

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ROLLS ROYCE

Tout de suite après avoir fermé les yeux pour toujours
me voilà une fois encore qui sait comment retraverser Ferrare en
auto
— une grosse berline métallisée de marque
étrangère aux grandes
vitres sombres peut-être une
Rolls —
descendre une fois encore du château des Este le long du cours
Giovecca vers le rose
entrelacs final de la Perspective qui alors tout doucement
grandissait dans le rectangle
concave du parebrise

Le chauffeur à la nuque haute et raide assis devant à droite
savait certes très bien de quel côté se diriger et d’ailleurs moi
je ne me souciais en rien
de le lui rappeler
anxieux comme j’étais de reconnaître à gauche l’église
de San Carlo plus loin sur la droite
celle des Théatins
et contre elle déjà arrêtés de si bonne heure rassemblés sur le trottoir
devant la pâtisserie
Folchini
les amis de mon père quand lui était jeune
la plupart avec de grands feutres sombres sur la tête certains tenant une grosse
canne au pommeau d’argent
anxieux ou plutôt avide que j’étais en somme de reparcourir l’entière Main
Street de ma ville en un jour quelconque de mai-juin
environ au milieu des années vingt un quart d’heure avant
neuf heures du matin

Presque poussée par son luxueux souffle même la Rolls tournait finalement
plus bas par la via Madama et de là tout près via
Cisterna del Follo
et à ce moment je me retrouvai à dix ans à peine
les joues en feu dans la crainte d’arriver tard à l’école
sortant à cet instant précis avec mes livres sous le bras
du portail numéro
un
c’était moi qui tout en continuant à courir me retournais
vers maman penchée à la fenêtre du haut pour me recommander
quelque chose
c’était moi vraiment moi qui un instant avant de disparaître
de sa vue d’elle jeune fille derrière la coin
levais le bras gauche dans un geste
à la fois d’agacement et
d’adieu

J’aurais voulu crier halt au raide
chauffeur et descendre mais la Rolls
en tressautant mollement longeait déjà
le Montagnone et désormais à l’extérieur
de la Porte volait déjà par les amples rues désertes
tout à fait dépourvues de toits sur les côtés et tout à fait
inconnues

Giorgio Bassani (Épitaphe, 1974)

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Giorgio Bassani – Poèmes (1945-1978) Choix et traduction de l’italien par Muriel Gallot. Préface de Martin Rueff. Cahiers de l’Hôtel de Galliffet (Textes/Testi) Collection dirigée par Paolo Grossi. Istituto Italiano di Cultura, Parigi, 2007 – ISBN : 978-2-9503030-5-9

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