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Archives de Tag: la ronde

La lettre qui va tout compromettre (extrait de la Ronde du 15 novembre 2017)

09 mardi Jan 2018

Posted by biscarrosse2012 in les échanges, mes poèmes

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la ronde, Zazie

Je reviens à la « normalité » en publiant sur « le portrait inconscient » une poésie que j’avais écrite pour la ronde du 15 novembre dernier, publiée ce jour-là  sur « talipo » (tapages libres, poèmes), le blog de mon ami poète Noël Bernard
G.M.

La lettre qui va tout compromettre

Sculptant dans l’écorce d’une fête champêtre
Qu’un rêve m’octroie rien qu’ouvrant ma fenêtre
Ma lettre sincère retrace la trame de mon être.

Chaque lettre de ma lettre je désire te soumettre.
Dans tes légers filets volontiers je m’empêtre
Car enfin dans tes bras je voudrais bien me mettre

Si je traîne mes guêtres oubliant mes ancêtres
Si je mène une vie piètre en me passant des maîtres
Si mes sabots de hêtre arpentent des kilomètres

Rien que pour le bien-être que tu vas me transmettre
C’est au pied de la lettre ce que j’ai à te promettre
Car voyant m’apparaître tu voudras bien l’admettre

Qu’il n’y a qu’un millimètre séparant nos deux êtres
Que ce n’est pas une lettre qui nous fera omettre
De commettre le délit qui va tout compromettre.

Giovanni Merloni

Hélas, Ulysse s’est perdu dans l’océan de lettres – Franck pour la Ronde de novembre 2017

15 mercredi Nov 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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la ronde

Bienvenus à la Ronde du 15 novembre 2017 ! Cette fois-ci autour des « lettres » ou de la « lettre ». Avec grand plaisir, j’héberge ici Franck, dont on connaît le blog « à l’envi », et le remercie vivement pour sa contribution. 

Lettres à Ulysse

Ulysse, hélas est le jouet de Poséidon, l’ébranleur de la terre, qui le poursuit de sa haine pour avoir tué son fils, le cyclope Polyphème. L’Odyssée est le récit du retour d’Ulysse vers son pays, l’île d’Ithaque, les naufrages successifs, les pièges et les brimades que lui fera subir le terrible dieu des mers. Rentrant péniblement après dix ans de guerre pendant le siège de Troie, et dix autres années d’un retour contrarié, Ulysse devra encore se battre contre les prétendants qui assaillent sa femme Pénélope et pillent ses richesses en son absence, sous le regard impuissant de son fils Télémaque.

Le récit de l’Odyssée, des premiers manuscripts égyptiens aux versions médiévales plus achevées en XXIV chants que tant d’oreilles ont entendu, tant d’yeux ont parcouru, tant d’esprits ont imaginé, tant de langues ont traduit, tant de mains ont transcrit, qui a inspiré tant d’artistes.

Ulysse, de l’océan cette immanence, flotte sur le récit comme la vague au large puis disparait dans l’insondable.

Je transcris l’Odyssée à mon tour, humblement, sur une feuille de papier coton haut de gamme à grain fin. Chaque phrase lue est manuscrite, matérialisée par les lettres liées dont certaines s’élèvent et d’autres sombrent. Chaque fois que la page est couverte d’une marée de lignes, une brume blanche recouvre la page jusqu’à la prochaine marée. Ces flux d’écritures se superposent et disparaissent. Chaque lettre flotte un temps puis sombre, invisible plancton du souvenir. Ainsi le récit des aventures incroyables du sage Ulysse, le demi-dieu aux mille tours, est-il tout entier dans une page ; présence indicible, le récit est là, illisible.

Tout comme la vague se détache puis sombre dans le vaste corps de l’océan, se reforme plus loin, écume un temps, roule en houle longue et cherche une île où enfin s’épuiser, Ulysse est là, dans ce récit sans âge, attend son prochain récif où il fera naufrage, encore et encore, rêvant d’Ithaque, de Pénélope et Télémaque.

Franck

J’ai le plaisir de recevoir Franck et la chance d’écrire sur le blog de Noël Bernard que je remercie vivement pour son accueil amical.

Ainsi va la ronde aujourd’hui,

Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com/

chez…

Marie-Christine Grimard https://mariechristinegrimard.wordpress.com/

Marie-Noëlle Bertrand http://ladilettante1965.blogspot.fr/

Guy Deflaux http://wanagramme.blog.lemonde.fr/

Dominique Autrou https://dom-a.blogspot.fr/

Hélène Verdier http://simultanees.blogspot.fr/

Jacques https://jfrisch.wordpress.com/

Franck http://alenvi.blog4ever.com/articles

Giovanni Merloni https://leportraitinconscient.com/

Noël Bernard http://cluster015.ovh.net/~talipo/?tag=noel-bernard

Jean-Pierre Boureux http://voirdit.blog.lemonde.fr/

chez DH, etc.

 

Télégramme de Joseph FRISCH (la Ronde du 15 septembre 2017)

15 vendredi Sep 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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la ronde

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est le thème de(s) « accent(s) », dans tous les sens possibles. J’ai le grand plaisir d’accueillir Joseph FRISCH, auteur du blog JFrish Ma propre contribution est publiée sur Métronomiques de Dominique Hasselmann. Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.
Giovanni Merloni

Notations (1)

Dans l’S, à une heure d’affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s’irrite contre un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu’il passe quelqu’un. Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, se précipite dessus.

Deux heures plus tard, je le rencontre cour de Rome, devant la gare Saint-Lazare. Il est avec un camarade qui lui dit : « Tu devrais faire mettre un bouton supplémentaire à ton pardessus. » il lui montre où (à l’échancrure) et pourquoi.

Télégramme :

L’été passé (août) : métro départ ODEON: incivilités
hé ! hé !! méchant arrêt précipite pékin bousculé, métatarses piétinés
René (démesuré chapeauté…) tempête, éructe : déplacé peuchère ; l’égoïste assiège Napoléon !


Après :
même réseau ferré près REPUBLIQUE, penché (fenêtre)
là même pèlerin mâle, scotché à l’échancrure :
à l’infortuné Léo, René réclame bêtement boutonnière supplémentaire

Joseph FRISCH

(1) Dans cette première version (« Notation ») figurent peu de mots accentués : tiré, méchant, précipite, supplémentaire, où, échancrure et deux fois « à ») qui sont repris au-dessous.

Voici le sens de la ronde :
Dominique Hasselmann chez Elise https://mmesi.blogspot.fr
Elise chez Hélène http://simultanees.blogspot.fr
Hélène chez Noel Bernard http://cluster015.ovh.net/~talipo/
Noel Bernard chez Dominique Autrou https://dom-a.blogspot.fr
Dominique Autrou chez Marie Noelle https://ladilettante1965.blogspot.fr
Marie Noelle chez Marie Christine https://mariechristinegrimard.wordpress.com
MC Grimard  chez Franck http://alenvi.blog4ever.com/articles
Franck chez Joseph https://jfrisch.wordpress.com
Joseph chez Giovanni https://leportraitinconscient.com/
Giovanni chez Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com/
etc.

 


« Cospetto, che odorato perfetto ! » (un écho dense d’odeurs de la ronde de juin 2017)

09 dimanche Juil 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges, mes contes et récits, textes libres

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la ronde

Giovanni Merloni, Parfums, 2009

« Cospetto, che odorato perfetto ! » (texte publié lors de la « ronde » de juin 2017 (1)

« Don Giovanni : Zitto, mi pare sentir odor di femmina…
Leporello : Cospetto, che odorato perfetto ! »
(2)

À chaque marche de l’escalier de mon enfance, je rencontre le souvenir d’une odeur ou d’un parfum ayant le pouvoir de me catapulter sans transition
dans un lieu
dans un jeu
ou alors dans un aveu
échouant dans un adieu.

Les odeurs de mon enfance, surtout les mauvaises, étaient souvent liées à de petits incidents ou alors à des malentendus. 
Il y avait par exemple un élève qui venait chez ma mère pour des leçons de latin. Il s’appelait Bufacchi. Quand il partait, ma mère était toujours perplexe : est-ce que Bufacchi puait ? Toute la famille riait de ce pauvre garçon courbe et maladroit aux cheveux abondants, jusqu’au jour où l’on découvrit que la faute de cette odeur intense, évoquant les effluves de la sueur, c’était à la lampe de bureau que le fil faisait fondre. L’élève fut acquitté, mais la lampe, même quand elle était devenue inodore, c’était désormais « la lampe de Bufacchi ». Plus tard, en 1958, pendant mon premier voyage en France, ce fut le tour du camembert, acheté avec enthousiasme dans une jolie charcuterie de Dinan et oublié sous le siège devant de la voiture de mon père. Il faisait chaud et à l’improviste on s’aperçut que le divin parfum de ce délice avait viré brusquement à la pire des puanteurs. Cela déclencha alors une drôle de procédure qui nous fit rire. D’abord, on déposa le paquet avec le camembert au-dessous de la voiture tout près du trottoir. Puis, une fois terminée la visite à l’ancienne habitation de Chateaubriand, en nous éloignant en voiture du lieu du délit, on fit beaucoup de suppositions sur le scandale que la découverte du camembert provoquerait.
Le thème des mauvaises odeurs a toujours eu une fonction cathartique dans ma lente
 formation d’homme civilisé, au point que même aujourd’hui il m’est difficile de distinguer une odeur d’un parfum, surtout s’il s’agit d’odeurs naturelles, telle la bouse des vaches, par exemple. Ne s’appellent-elles pas « l’or des champs » ces grandes roues de bouse aplatie constellant les promenades en montagne ? Et la sueur, n’est-elle pas un parfum, un véritable nectar aux effets prodigieux ?
Certes, les fleurs et les herbes amènent à notre nez la perception du sublime. Mais pourquoi transformer leurs parfums délicats en gommes pour effacer les embarras et les inquiétudes que les mauvaises odeurs provoquent ?

Giovanni Merloni, Smog, 2016

Inutile (et dangereux) de dire que 
j’aime vivement les odeurs qu’on appelle « intimes »,
 car je peux déclarer sans crainte
 que j’aime :
— l’odeur des livres
— l’odeur du pain
— l’odeur intense de la laiterie de Castel del Piano, un pays de Toscane dans les années 50
— l’atmosphère complice d’un bar à vin du passé, du présent et du futur
— le parfum de la pluie en été
— le parfum de l’asphalte qui évapore
— le parfum de l’essence
— l’odeur de l’ammoniac jaillissant des dessins pendant mes études d’architecture
— le parfum enivrant de la térébenthine
— l’odeur du ragoût qu’on cuisine à Naples
— l’odeur du café…

À propos du café, jamais je n’oublierai d’avoir assisté à l’un des spectacles d’Eduardo De Filippo, au théâtre Quirino à Rome, où le véritable café à la napolitaine était préparé sur le plateau, au début d’une pièce célèbre (« Samedi, dimanche et lundi »), et son parfum unique montait jusqu’aux rangs les plus reculés, où je faisais déjà idéalement partie des « enfants du paradis ».
Si le café demeure, heureusement, un interlocuteur fidèle de mes réveils et de mes incursions dans les bars parisiens, une compagne de vie me manque gravement, avec son parfum piquant prêt à se confondre dans la nature ou à s’installer péniblement dans les lieux clos. Il s’agit bien évidemment de cet outil génial et irremplaçable dont je me suis séparé, hélas, la cigarette, amenant bien sûr moins la vie que la mort, mais engendrant aussi l’insouciance et la fièvre, l’écho d’incendies plus désastreux ou, tout simplement, un soupir parfumé auprès d’un balcon accoudé sur l’infini.
Oui, le parfum d’une cigarette, soit-elle la première ou la dernière d’une longue carrière de transgressions ou de soumissions conformistes, représente un peu, pour moi, le parfum de la liberté. Une chose que je pense avoir connue, dont je profite encore de temps en temps, mais je vois parfois s’évanouir, remplacée par d’inquiétantes propositions où se cache souvent l’arrogance. Car je ne vois pas de liberté sans les cotisations pour l’assurance maladie, sans l’assistance au chômage, sans les soins pour tous… sans humanité, quoi !

Giovanni Merloni

(1) Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. En juin 2017 c’était le thème de(s) «  parfum(s) », dans tous les sens du mot. J’ai eu le grand plaisir d’accueillir ici  Dominique Hasselmann, auteur du blog Métronomiques. Ma propre fiction a été publiée sur Simultanées d’Hélène Verdier
La ronde a tourné cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le nom de l’auteur libère le lien de son blog) :
Guy Émaux, Noël Bernard, Dominique Autrou, Élise, Dominique Hasselmann, Giovanni Merloni, Hélène Verdier, Jacques Frisch, Jean-Pierre Boureux, Franck, Marie-Christine Grimard

(2) « Don Giovanni : Chut ! il me semble d’entendre l’odeur d’une femme…
Leporello : Parbleu, quel odorat parfait ! »

Prochaine ronde : le 15 septembre 2017

L’effluve oculaire : un texte dactylographié de Dominique Hasselmann pour la « ronde » du 15 juin 2017

15 jeudi Juin 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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la ronde

Le 15 juin 2017, la ronde 

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est le thème de(s) «  parfum(s) », dans tous les sens du mot. J’ai le grand plaisir d’accueillir  Dominique Hasselmann, auteur du blog Métronomiques. Ma propre fiction est publiée sur Simultanées d’Hélène Verdier. Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.


https://leportraitinconscient.com/wp-content/uploads/2017/06/machine-ac3a3c3a4-ec3a3c3a5crire-dh-8-6-17.mp3

(enregistrement D.H.)

La ronde tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le nom de l’auteur libère le lien de son blog) :

Guy Émaux, Noël Bernard, Dominique Autrou, Élise, Dominique Hasselmann, Giovanni Merloni, Hélène Verdier, Jacques Frisch, Jean-Pierre Boureux, Franck, Marie-Christine Grimard

Prochaine ronde : le 15 septembre 2017

 

D’une poule vieille et bavarde l’on fit une soupe gaillarde (un écho volatile de la « ronde » de mars 2017)

30 jeudi Mar 2017

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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la ronde

D’une poule vieille et bavarde l’on fit une soupe gaillarde (1)
(texte publié lors de la « ronde » de mars 2017 (2)

Enveloppée par les petits bruits quotidiens de sa modeste maison de campagne, la pauvre Marisa traînait dans sa chambre, se peignant en face de la glace en dessus de la commode. Comme d’habitude, elle faisait la liste de ses amours ratés tandis que, dans la cour, la Santina (3) s’occupait des poules. À quelques mètres de distance, dans le rectangle de terre battue longeant l’allée des cyprès, deux hommes et un garçon jouaient aux boules.
Sans doute dérangée par les éclats de voix intermittents, la Marisa ne réussissait pas à mener à terme sa liste. Fascinée, qui sait pourquoi, par le numéro sept, elle aurait voulu avoir autant de joies et de douleurs à remémorer. Mais, quand il arrivait au sixième fiancé, celui des chaussures et de l’hirondelle, sa tête commençait à tourner et elle précipitait dans le doute : « Comment ? N’étaient-ils pas sept ? »
Alors elle recommençait, tout comme on fait si l’on essaie de se souvenir, en vain, des prénoms des sept nains de Blanche Neige ou des sept rois de Rome : Son premier amour l’avait emmenée au sommet du mont Fumaiolo (4) pour regarder les aigles, mais ensuite, en redescendant vers la vallée, il avait ramassé avec enthousiasme le cadavre d’un vautour avant de le fourrer comme un trophée dans le coffre de sa voiture.
Le deuxième avait essayé de lui expliquer, par un exemple concret, la métaphore du miroir à alouettes, s’attirant au contraire l’attaque foudroyante d’un cormoran embêté.
Le troisième n’avait que la main gauche pour la caresser, parce qu’en fait la droite, cachée par un gros gant, était horrible à voir à cause des coups de bec qu’un faucon lui avait donnés.
Le quatrième l’avait traînée à Venise. Mais l’idylle avait été bientôt dérangée par une multitude de pigeons qui s’étaient jetés sur les cheveux de la Marisa où le jeune marin avait jeté une poignée de grains de maïs.
Le cinquième était le plus sincère. Il aimait énormément la Marisa, mais il aimait aussi la compagnie des oiseaux empaillés, dont il avait rempli une inquiétante vitrine juste à côté de son lit.
Le sixième lui avait fait cadeau d’une magnifique paire de chaussures à talons… Il avait voulu que la Marisa les essaie sans attendre, dans le bureau de son agence de voyages. Mais ensuite, qui sait pourquoi, depuis la boîte qui aurait dû être vide, une hirondelle désemparée était sortie, avant de se lancer en des trajectoires folles qui la faisaient cogner contre les murs et le plafond. Quand l’hirondelle s’était enfin précipitée, morte, dans l’une des deux chaussures… la Marisa s’était sauvée en un bond hors de cet endroit redoutable, quitte à se plaindre ensuite, des années durant, pour le sort disgracieux de la pauvre hirondelle… 

Ce matin, rien ne marchait dans la bonne direction. Ses cheveux bouclés et hirsutes ne se laissaient pas amadouer, et souvent le peigne restait emprisonné dans un nœud…
« Voilà, j’ai compris où est ma malédiction ! Et j’ai dû attendre mes trente-cinq ans pour m’en apercevoir ! » se dit la Marisa, sursautant de peur. Elle avait découvert qu’en chacune de ses rencontres ratées — qu’elles fussent physiques ou spirituelles, cela ne changeait pas grand-chose —, elle avait dû chaque fois se sauver à cause des oiseaux qui s’y étaient mêlés !
« Toujours à l’endroit où ils ne devaient pas être ! » ajouta-t-elle intérieurement.
Tous les matins, la Marisa, avant de descendre pour son petit déjeuner, courait à la fenêtre, espérant trouver, au milieu de l’air pétillant ou humide, la bonne réponse à une question tellement cruciale qu’elle n’avait pas eu le courage d’y ajouter le point d’interrogation :
« Ils vont où les oiseaux… »
Dans la fantasmagorie des mondes qui s’ouvraient à ses yeux chaque matin, le vol des oiseaux — petits ou grands ; bons ou méchants — l’aidait à mesurer la profondeur de la vallée tout en suivant du regard la crête de la colline aveuglée par le soleil. « Vivant dans leur espace, contigu au nôtre et pourtant inaccessible, les oiseaux se bornent à me frôler », pensait-elle. « Ils vont où ils veulent, librement. Ou alors, ils suivent un itinéraire bien précis, comme s’ils devaient exécuter un ordre. Voilà : les oiseaux s’accordent de longues pauses de repos et de jeu, avant de s’envoler définitivement à la poursuite de leur destin. Dans l’attente, se montrant humbles et innocents, ils entrent à petits pas dans notre cœur pour s’y fabriquer un nid confortable… Mais un jour, d’un seul coup d’aile, ils s’en détachent brusquement. Et, pointant leur bec pointu vers un endroit mystérieux du ciel, ils entament leur aller simple sans nous daigner d’un seul geste d’adieu… »
La Marisa ruminait ainsi, se reprochant pour avoir dépassé l’heure du petit déjeuner, quand elle se souvint qu’à la Saint-Jean, le lendemain, on avait prévu une grande tablée dans la cour. La Santina était déjà en train de préparer la pâte feuilletée pour les « cappelletti », tandis que Sergio…
On entendit un hurlement aigu, déchirant. La Marisa courut à la fenêtre. D’emblée, elle ne s’aperçut de rien. Elle fut juste frappée par le silence de spectres qui s’était installé autour de la maison, envahissant comme un brouillard épais le potager et la rangée de cyprès divisant le champ des boules et l’allée du cimetière… D’un coup, elle saisit une masse blanche au beau milieu d’une branche saillante… La Marisa n’arrivait pas à comprendre cet étrange phénomène : était-elle vivante ou morte, cette « chose » suspendue à cinq mètres du sol qui ressemblait moins à une poule qu’à une pièce de la crèche de Noël ? L’haleine coupée, elle regarda plus attentivement : la poule dormait ou alors elle était restée étourdie ou peut-être hypnotisée par quelque chose…
— N’ayez pas peur, Mademoiselle ! hurla Sergio. Sergio habitait dans le pays. Il traînait des journées entières dans le bar attendant de se rendre chez les uns et les autres pour de petits boulots lui assurant la survie. Il venait volontiers aider la Santina lorsqu’on devait tirer le cou aux poules :
— Ne vous inquiétez pas, je la fais descendre, voyons ! ajouta Sergio d’un ton de fanfaron.
— Mais comment a-t-elle pu grimper jusqu’ici ? murmura la Marisa, horrifiée. Elle avait vu, souvent, des poules en train de voleter péniblement, se soulevant juste de quelques centimètres audessus du sol. Elle aurait facilement cru qu’une élite entre elles serait capable de faire des œufs d’or…. Elle n’aurait jamais soupçonné qu’une vieille mère poule, grosse de taille comme celle-ci, serait capable de voler !
— D’une poule vieille et bavarde l’on fait une soupe gaillarde ! (4) déclara Sergio d’un air assuré, tout en agitant un long balai en direction du pauvre animal apeuré. Pendant ce tourbillon, la Marisa remarqua, émerveillée, que l’homme endossait son costume du dimanche tandis que, depuis le col déboutonné de la chemise blanche, pointait une belle cravate rouge ! Tout de suite après, la Marisa crut s’évanouir voyant l’animal se réveiller et avancer d’un air menaçant vers sa fenêtre à elle. Elle referma les vitres et y colla dessus son nez : maintenant, la poule atterrissait gauchement à deux pas de son bourreau.
Plus tard, dans une cuisine dense d’odeurs, la Marisa chercha un coin libre de la table pour y appuyer sa tasse de café au lait. Le marbre gris, constellé de veines noires et de rayures rougeâtres, avait été envahi par les plumes blanchâtres que Sergio laissait tomber tout autour, sans perdre pour autant son calme et sans souiller non plus sa belle chemise blanche.
— Ils vont où les oiseaux, Sergio ? demanda la Marisa, tout en fixant son cou statuaire, beau et costaud. C’était cette nouvelle « situation » qui l’avait poussée à prendre le risque de se servir du point d’interrogation ?
— La plupart de ces êtres ailés, mâles ou femmes, peu importe, finissent dans nos corps affamés, répondit Sergio, promptement. Heureusement, il y en a beaucoup qui ont la chance et la ruse de se dérober aux mille embuscades des humains, comme les hirondelles, par exemple. Elles savent très bien où aller. Du jour au lendemain, elles s’en vont, ces traîtresses, tout de suite après nous avoir brisé le cœur !
« Moi, je serais volontiers une hirondelle fidèle. Pourtant, telle une poule désemparée, l’on m’oblige à me sauver sans que jamais je ne sache où me rendre… » 

Giovanni Merloni 

(1) « Gallina vecchia fa buon brodo » en italien. La « vieille poule », qu’on doit bouillir pour que sa chair devienne plus tendre, produit en fait un très bon bouillon pour les « cappelletti ». Plus en général, par le mot « vieille poule », on entend aussi bien, en Italie, une femme qui a passé la trentaine, ayant sans doute des qualités secrètes (tels des bouillons extrêmement savoureux).
(2) La ronde de mars : une suite de textes en échanges avec un thème : cuisine(s), et un incipit : « Ils vont où, les oiseaux » Son principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Pour cette ronde, tandis que j’hébergeais « fraternité », le texte de Joseph Frisch, auteur du blog jfrisch  Dominique Autrou hébergeait le mien sur son blog, la distance au personnage.
(3) En Romagne, les prénoms féminins sont toujours précédés par l’article. On ne dit pas Anna, Rossella ou Santina : on dit l’Anna, la Rossella ou la Santina…
(4) Le Mont qui héberge les sources du Tevere
(5) Gallina vecchia fa buon brodo !

fraternité : la voix de Joseph Frisch dans la « ronde » du 15 mars 2017

15 mercredi Mar 2017

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la ronde

Le 15 mars, la ronde

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc. Aujourd’hui c’est à un incipit que nous devons nous tenir : « Ils vont où, les oiseaux » (sans ponctuation finale, volontairement) Et un thème : cuisine(s)  (dans tous les sens du mot, évidemment). J’ai le grand plaisir d’accueillir Joseph Frisch, auteur du blog jfrisch  Ma propre fiction est publiée sur la distance au personnage de Dominique Autrou. Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.

fraternité

Ils vont où, les oiseaux ?
Et bien, à la poêle, à la cocotte, au four : là mon canard joli ! Hop, puis tac, tac, deux petits coups de hachoir et vite un peu de beurre, quelques oignons, rondelles de carottes et un verre de blanc sec, poivre et sel de Guérande : faire d’abord revenir sans brûler puis réduire le feu ajoutez ensuite les épices et le zeste d’une orange non traitée, la poitrine fumée en dés. Alors il fait moins le fier le Gédéon du matin ! il ne crie plus dans sa jolie boîte en fonte, tout juste si on l’entend qui rissole à feu doux. Bon dimanche et bon appétit !

Et demain lundi, les gens, ils iront où ?
Ben tiens, à la Défense eux aussi dans la marmite en verre et acier : rasés, costumés, désodorisés, maquillés, en réunion puis en séminaire, jolie troupe avec smartphone silver et pause-cigarette à 10h15 et 16 heures en bas de l’immeuble, mêmes études  avec le code-barre tatoué dans la tête, traçabilité parfaite du diplôme, origine contrôlée, nourritures de masse avec ou sans gluten, à toutes les modes  ! Et vogue la galère : engueulades, entretien d’évaluation, cirque à tous les étages, valsez ! Et la pensée ?? Euh, et bien comme tout le monde un peu de Twitter, un tiers de buzz dans le journal gratuit, un zeste de Hanouna, voici le petit club, nous  libres égaux & fraternels, enrégimentés sous nos masques. Moutons vers l’abattoir, si mortels mais le sachant si peu, frères humains.

P.-S. à la réflexion je préfère ce troupeau d’images (merci Google) qui est plus conforme à l’esprit du texte ! 😉

Texte et images Joseph Frisch

La ronde tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le nom de l’auteur libère le lien de son blog) :

Hélène Verdier, Franck, Élise, Céline Gouël, Noël Bernard, Guy Deflaux, Dominique Hasselmann, Marie-Christine Grimard, Jean-Pierre Boureux,  Joseph Frisch, Giovanni Merloni, Dominique Autrou

Prochaine ronde : le 15 mai 2017

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