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Mes chers lecteurs, on est presque au terminus, c’est-à-dire à l’Arrivée de cet Alphabet Anachronique et Anticonformiste, tandis qu’en suivant les règles de toute bonne école buissonnière on devrait être à l’Avant-propos, c’est-à-dire au seuil de l’Antichambre. Là, il aurait fallu attendre avant de passer dans le Boudoir et entrer dans le vif de la discussion se déroulant dans une Chambre pleine de monde, où déjà plusieurs seraient inscrits à parler, dont Diderot.
Mais c’est comme ça, le tour de France des écrevisses est fini et va se rencontrer idéalement au Parc des Princes avec le Giro d’Italia.
Prochainement, pendant quelques temps, au lieu de ces essais d’écriture renversée vous trouverez ici d’autres exploitations non-résidentielles qui seront en général affranchies vis-à-vis d’une contrainte quelconque.
Cela dit, je ne peux pas nier que je me suis fort amusé, tandis que la fréquentation nonchalante du dictionnaire de la langue française m’a peut-être appris une centaine de mots dont j’avais mal compris la signification, en plus d’une trentaine que je ne connaissais pas du tout.
Je remercie tous ceux qui m’ont encouragé dans cette aventure, et je profite du microphone pour saluer mes parents :

« Ciao maman, ciao papa ! »

Comme tout brave cycliste, qu’il soit grégaire ou champion, je vous remercie, avant d’embrasser la Miss de la course et me lancer dans la dernière descente, à la façon hasardeuse de Roger Rivière. Une descente terrible, même Affreuse, mais Allègre, tout à fait Adaptée à nos temps Affolants et Aveugles.

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Alors, je descend. Ou plutôt, je précipite dans un monde en noir et blanc où je ne trouve d’autres couleurs que celles des étoiles filantes du carnaval ou de l’habit de fou follet, rouge de la tête aux pieds.
Assis avec mon frère dans un coin que je ne reconnais pas, je vivais partagé et déjà épuisé… D’un côté la joie de la lumière et du jeu, les promenades à Villa Borghese ; de l’autre côté la peur de la nuit, la solitude avec l’oreiller froid et cet escalier en colimaçon retentissant de l’écho menaçant de mon propre cœur essoufflé. D’ailleurs, la joie du dîner familial autour de la petite table ronde n’était pas toujours à la hauteur des ombres déplacées, presque physiques, secouant mon tronc et mes branches fragiles… J’étais terrorisé par l’épingle enfoncée dans la calotte noire, entourée de cheveux électriques, de la nouvelle maîtresse, sévère et même méchante — rien à voir avec l’âme gentille qui l’avait précédée, qu’on avait prématurément accompagnée au cimetière.
Je ne sais pas si cette espèce de radiographie photographique très proche d’un négatif remonte à la période où je me sauvais dans le placard pour me dérober à la sorcière noire se détachant contre le vide bleu de la fenêtre. Mais oui, c’était déjà la phase obscure où l’adolescence frappait à la porte et que je me perdais dans un labyrinthe de nombres…
Avec ma sœur aînée et mon frère cadet, je ne renonçais pourtant à mon rôle mitoyen d’état tampon qui ne manquait pas d’avantages : au risque de paraître parfois imbécile, je ne cessais de rire, même convulsivement, devenant ainsi sur le champ paladin de l’évasion et de l’insouciance comme infaillibles antidotes contre la Mort.
J’aimais la « pastasciutta » [1] au-dessus de tout autre genre et forme d’aliment. Elle me réconfortait presque tous les jours et c’était justement la simplicité  de ses ingrédients, d’ailleurs très pauvres, qui m’avait conquis depuis ma première enfance substituant sans une vraie transition le lait maternel et celui des nombreuses nourrices (auxquelles je dois mon esprit sombre et mélancolique).
Maintenant, tout en considérant les différentes recettes de sauce aux tomates, que nous appelons « sugo », je ne réussis pas à m’expliquer les différences de saveur, parfois énormes, qui touchent mes papilles gustatives à chaque fois qu’on mêle le même sugo à de différents types de pâtes. Pâtes longues, pâtes courtes : l’ainsi dite cuisine méditerranéenne, caractéristique des régions du centre et du sud de l’Italie — se basant plutôt sur le grain dur que sur le mélange de la farine avec les œufs — donne vie à un nombre infini de suggestions, dont il n’y a que les Anellini, consacrés aux soupes, qui commencent par A.
Je crois que ce soit la forme, c’est-à-dire la différente géométrie des multiples qualités de pâtes,  le facteur décisif pour le déclenchement d’une variété étourdissante de plaisirs.
Je pourrais continuer longuement, jusqu’à tracer les lignes, peut-être, d’un essai aussi passionné que scientifique. D’ailleurs, je pourrais raconter plusieurs anecdotes où le rôle de la pastasciutta à été central dans les différentes saisons de ma vie.
Parmi tous les souvenirs, souvent très nets et vifs — où la pastasciutta occupe la place de la madeleine de Proust — il y a le glorieux épisode, plusieurs fois raconté en famille, du jour où je me refusai de manger la viande en boîte même si confondue dans un strate généreux de mayonnaise en tube.
On était debout, près d’un mur de pierres à sec, dans un intervalle de la visite aux tombeaux étrusques de Cerveteri : je n’obtins pas la pastasciutta, mais on me laissa quand même libre de rester à jeun. D’ailleurs, je comprenais les raisons du programme, cette fois-là assez stricte. J’acceptais en bon ordre, mais je voulais marquer le primat absolu de cette assiette de couleur rouge dans mon existence présente et future.

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Figurez-vous, au contraire, quelle joie absolue et inoubliable cette fois-là, en 1955, au milieu de longues vacances à la montagne… Un groupe d’amis de mes parents, avec leurs enfants — jeunes pousses venant directement, en grand nombre, de l’après-guerre —, s’était donné rendez-vous dans un vaste pré pas loin du pas Tre Croci (Trois Croix), au nord de Cortina. De cet endroit partait une très connue excursion aux Cinque Torri (Cinq tours) et au mont Nuvolau (qu’on pourrait appeler Nuageux). Une randonnée, à travers le bois, à la portée de tout le monde, aboutissant dans un paysage lunaire ressemblant, au couchant, même si à la petite échelle, aux canyons du Colorado.
Mais, cette fois-là, les randonneurs — dont quelques-uns se glorifiaient peut-être de leur participation à la guerre de Libération de 1943-1945, tandis que la plupart se réjouissaient surtout de la survie —, avaient décidé de piqueniquer. Je ne me souviens pas de barbecue ni de saucissons ou de poulets rôtis. On avait bien sûr monté un joli bûcher de sapin dans un endroit adapté… Tous ces particuliers se fragmentent et se pulvérisent dans ma mémoire, où reste pourtant bien central, certes aidé par cette photo efficace, le souvenir de la marmite fumante et des spaghettis prêts à être distribués à la troupe.

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Presque trente ans après, en janvier 1983 (donc il y a exactement trente ans), un fait divers se déroula dans mon existence Ambulante. Cela fut l’occasion pour rassembler quelques-uns des personnes avec lesquelles j’ai souvent très strictement renoué les fils de mes incertitudes et de mes passions. Ici, ce n’étaient pas des parents ou des vice-parents qui s’occupaient de tout, en laissant la «pipinara» [2] libre de s’éparpiller partout comme des mouches dans une bouteille. Ici, c’était moi, aidé par la fidèle Daniela, qui avais enlevé tous les Zucor et toutes les traces de dessins et de trucs typiques du travail des architectes-urbanistes pour aménager une véritable salle des fêtes.

(Rita Pavone, Viva la pappa col pomodoro)

Giovanni Merloni

[1] les pâtes.

[2] groupe, assez bruyant et vivant, d’enfants ou de jeunes garçons et filles.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 18 octobre 2013

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