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« Abruptement, l’arbre rêvé m’abrite… » (Extrait de la Ronde du 15 septembre 2018)

15 lundi Oct 2018

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Aujourd’hui, je publie un texte que j’avais écrit pour la Ronde du 15 septembre dernier, autour du thème de l’Arbre, publié ce jour-là sur « Promenades en ailleurs », le blog de Marie-Christine Grimard (@GrimardC).
G.M.

« Abruptement, l’arbre rêvé m’abrite… »

Est-ce que je vivais vraiment heureux auprès de mon arbre ? Vivais-je pour de bon, avec mes confrères et compatriotes d’un monde prétendu meilleur, dans un véritable paradis terrestre ?
Est-il juste et généreux, envers les nouvelles générations et tous ceux qui en sont concernés, de fermer les yeux pour ne pas voir les erreurs et les horreurs de l’actualité et se réfugier dans la nostalgie d’un passé désormais révolu, s’obstinant à le juger coûte que coûte propice à l’insouciance de belles espérances ?
Je ne crois pas que ce soit juste de prétendre trop, lorsqu’on se rend au pied de l’arbre de la vie pour y rechercher quelques fruits comestibles ainsi que quelques traces du passage d’êtres sages et civilisés qui s’occuperont de nous au moment de notre trépas.
Il n’y aura jamais de paradis sur terre, parce que la terre ne nous appartient que provisoirement, toute revendication de propriété s’accrochant en fait moins à un droit qu’à un privilège… tandis que l’arbre du Bien et du Mal ne cessera jamais d’agiter ses branches immenses comme autant de doigts levés en signe de reproche pour nos inépuisables faiblesses.
Aucun paradis, alors. Cependant, puisque les arbres existent et, malgré tout, résistent, nous n’allons pas non plus plonger dans l’enfer, pour l’instant !
Toutes les fois que j’emprunte rue de la Fidélité pour me rendre rue de Paradis — où je trouve, sinon une oasis de paix, un peu de calme par rapport au tourbillon des voix et des corps que j’entends défiler dans les rues adjacentes — je rattrape quelques-unes de mes rêveries perdues.
Contrairement à Jean-Jacques, je me promène sur des planches incohérentes au milieu d’un paysage de pierre et goudron et c’est tout à fait logique que la rue de Paradis soit presque totalement dépourvue d’arbres… Cependant, de ces décors aux infinies nuances du blanc et du gris, jaillit toujours la plante encourageante et colorée d’un arbre hardi et prolifique, prêt à m’offrir un toit et un lit :

« Abruptement, l’arbre rêvé m’abrite
M’offrant gratuitement un confortable gîte. »

Étendu là-dessous, je n’aurai pas peur de la foudre ni de la pomme empoisonnée qui pourrait tomber brusquement sur ma tête.
D’ailleurs, j’ai toujours été un rat de ville, habitué dès la plus tendre enfance à me rendre par d’allègres traversées dans les rares jardins que les rois et les reines avaient bâtis pour leur propre plaisir. Et je me rends avec dévotion et reconnaissance dans les grands ou petits squares que le baron Haussmann a eu la gentillesse d’offrir aux Parisiens pour se faire pardonner ses brutales (ô combien clairvoyantes) destructions. Dans mon vocabulaire citoyen, le mot « boulevard » (« viale », en Italie) a toujours représenté, rien qu’à le prononcer, une promesse de liberté pour les poumons et les yeux. Encore plus suggestives, dans le souvenir enfantin ce sont les enfilades d’arbres séculaires qui bordent les fleuves et les doubles rangées d’arbres au tronc peint en blanc qui accompagnent les routes principales hors de la ville…
Pourtant, les arbres qui résistaient à la pollution dans la ville de Rome, tout comme leurs confrères qui embellissaient ses routes aux noms élégants (Aurelia, Cassia, Flaminia, Salaria, Tiburtina, Appia…) n’étaient pour moi que des témoins de la nature, des ambassadeurs pris au piège faisant un jour partie d’un immense royaume caché ou peu connu.

Né à dix minutes de la célèbre Villa Borghese, j’ai habité dans une périphérie sans arbres, me voyant obligé de me contenter des grandes ombrelles des pins de viale delle Medaglie d’oro ou alors de la petite pinède autour du fort Trionfale tout en haut : juste un échantillon — où j’ai découvert plus tard des endroits « panoramiques » tout à fait inattendus — par rapport à la glorieuse pinède de Ravenne ou à celle que Giuseppe Garibaldi récréa dans son île de Caprera…
L’image du « héros de deux mondes » qui s’efface dans son exil travailleur et plante un à un les pins d’une immense pinède, évoque forcément le berger Elzéard Bouffierle de Jean Giono, cet homme qui consacrait tout son temps et même son désir de communiquer avec les autres à cette course contre le temps de redonner les arbres à la terre qui en avait été privée…

Cela a été une initiative de Jean-Lou Guérin, patron des mardis littéraires au café de la Mairie de la place Saint-Sulpice, celle de faire poser l’inscription ci-dessus dans la terrasse du café que Georges Perec avait intensément fréquenté en octobre 1974 (1)

Par une simple association d’idées, je cours de ces jours, avec esprit reconnaissant, à un homme qui « plantait les livres », œuvrant de toutes ses forces pour que la parole écrite circule et sème la plante la plus indispensable à la vie, celle de la culture contre les ravages de l’ignorance : Jean-Lou Guérin, animateur de nombreux ateliers d’écriture en France et passeur de littérature contemporaine, décédé en juillet à l’âge de 80 ans, avait consacré les vingt dernières années de sa vie aux mardis littéraires du café de la Mairie place Saint-Sulpice dans le 6e arrondissement. Il s’agissait d’un personnage de roman, comme l’a dit Pierrette Fleutiaux par la voix d’une écrivaine présente mardi dernier à la réunion commémorative : presque complètement effacé, il donnait très généreusement aux autres… Lors de chaque rendez-vous, comme à ce dernier, cette salle à l’étage du café de la Mairie affichait désormais le même air désenchanté et infatigable de son gardien et maître Jean-Lou Guérin : un air décalé et tout à fait indifférent aux attitudes exclusives du monde littéraire parisien.
Ce ne sont pas forcément le temps ni les lois inexorables de la nature qui effacent les traces des bienfaits des êtres humains. Ce sont les humains mêmes les seuls responsables de destructions souvent irréversibles !

Je suis donc, hélas, un mauvais connaisseur de différentes espèces d’arbres qui peuplent le monde que j’ai portant traversé — en train, en voiture ou à pied — avec des élans d’amour sincère et même d’enthousiasme pour ces êtres gentils et parfois sévères sans lesquels il n’y aurait pas d’aubes ni de couchants à retenir dans notre petite mémoire intime.
Comme je viens de le dire, je connais assez bien les pins, leurs aiguilles et leurs fruits, l’odeur et la saveur intime de leur résine.
Pendant les vacances dans le sud de la Toscane, on m’amenait « au bois ». Il s’agissait d’un vaste bois sombre de châtaigniers, dont j’ai appris à aimer les branches généreuses et les fruits qui devaient attendre l’automne et l’hiver pour être mangés.
En montant vers le sommet du mont Amiata, marqué par une grande croix blanche, on traversait un bois moins épais et impénétrable, rythmé par la noble présence des hêtres…
Je ne connaissais pas encore l’incontournable personnage de Tityre, que Virgile nous décrit confortablement installé au-dessus des frondes d’un hêtre lui offrant un toit. Avec toutes ces commodités, Tityre ne pouvait avoir qu’un esprit rêveur, tandis que son âme se perdait volontiers dans la contemplation des merveilles de la nature :

Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi,
mollement étendu sous l’ombrage, tu apprends aux forêts
à répéter le nom de la belle Amaryllis… (2)

Plus tard, ayant atteint désormais l’âge adulte, j’ai fréquenté assez régulièrement la montagne que j’ai pendant longtemps préférée à la mer… à ces plages brûlantes où j’avais quelquefois traîné, fauve et maladroit, au milieu de femmes insaisissables et indifférentes. Dans les Dolomites, le roi c’était le sapin, se mariant toujours à des prés moelleux et ondulés où j’aimais me rouler à l’infini…
Oui, bien sûr, même un rat de ville comme moi peut vanter d’infinies expériences de vie ayant un arbre pour complice !
J’ai donc frôlé de la tête des saules pleureurs, j’ai mangé les fleurs des glycines, j’ai profité de l’ombre des amandiers dans le parc-campagne de Villa Ghigi aux portes de Bologne…
Et finalement, j’ai séjourné pendant des années dans une petite villa avec jardin auprès de la mer, à cinquante kilomètres de Rome, où trônait un chêne aux feuilles luxuriantes qui nous faisait cadeau d’une ombre parfaite et constante…
Comme celui du Gianicolo, où Torquato Tasso se rendait en pèlerinage pour s’abstraire un peu de ses obsessions, le chêne de mon beau-père Arnoldo tombait souvent malade… mais chaque été, grâce aux soins incomparables de son propriétaire, il renaissait de ses cendres dans un triomphe de reflets et d’agréables bruissements…

Malgré ces expériences non abouties et parfois frustrantes, les arbres sont au centre, depuis toujours, d’un monde fantastique que je me suis forgé moi-même, en m’autorisant entre autres une bizarre rêverie : en me faufilant dans le personnage de Virgile, Tityre, endormi au-dessus de larges frondaisons de son hêtre, je rêve de temps en temps à une exploration indiscrète et irrévérencieuse parmi les branches de mon arbre généalogique..
Contre lequel, inévitablement, je ferai naufrage…

Giovanni Merloni

1) Du 18 au 20 octobre 1974, Georges Perec s’y installe à différentes heures et note tout ce qu’il observe sur la place, attendant l’instant où il n’y aurait plus rien à dire. Cela donne Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. https://www.terresdecrivains.com/Le-Cafe-de-la-Mairie

2) Virgile, Les Bucoliques, Églogue I

Selfie gothico-sylvique (La contribution de Franck à la ronde de septembre 2018)

15 samedi Sep 2018

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Bienvenus à la Ronde du 15 septembre 2018 ! Cette fois-ci autour de « l’arbre » ou des « arbres ». Avec grand plaisir, j’héberge pour la deuxième fois ici Franck, dont j’apprécie vivement le blog « à l’envi », et le remercie vivement pour sa contribution. 

Selfie gothico-sylvique

Il fait gris, bruine, sombre sous le couvert des grands arbres austères. Les plaques tombales alignées en damier sur leur lit de mousse sont des miroirs sans tain qui, silencieuses, attendent sous les cris sardoniques des corneilles. Nul doute que des racines circulent, de l’èpaisse terre glaiseuse vers les branches, les humeurs gothiques des ancêtres de ces lieux.

A travers les petits carreaux des fenêtres aveugles guettent des ombres. Celles de jeunes filles passionnées, au maintien victorien malgrè une imagination débordante et pétries de romantisme contrarié. Elles guettent, depuis des siècles maintenant, du haut des fenêtres du Parsonage vers le cimetière et l’église en face, à travers les hautes branches dénudées, le galop d’un cavalier qui descendrait de Top Withens vers elles.

A qui vient-il rendre visite, Emilie, Charlotte, Anne ? L’humidité alourdit l’écho, freine l’espoir de voir apparaître, de derrière les futaies, un Heathcliff trempé et radieux.

Hélas, cette apparition diaphane entre les tombes n’est que moi, égotouriste incongru un temps interpellé par le murmure solennel des rêves éffilochés pendus aux branches noires. Entrent en résonnance galop et tronc basilaire, branches issues de l’aorte et des futaies de Wuthering Heights.

« Heathcliff, it’s me, I’m Cathy
I’ve come home, I’m so cold
Let me in through your window ».

Fantôme transparent parmi les ombres, je croise Lord Byron entre les tombes sages, résignées.

Texte et image : Franck

Voilà ci-dessous le tour de la Ronde d’aujourd’hui :

Marie-Noelle BERTRAND
va chez Joseph Frisch https://jfrisch.blog
qui va chez Noel Bertrand http://cluster015.ovh.net/~talipo/
va chez Hélène Verdier  http://simultanees.blogspot.com
va chez Franck Bladou https://alenvi.blog4ever.com/articles
va chez Giovanni Merloni https://leportraitinconscient.com
va chez Marie Christine Grimard https://mariechristinegrimard.wordpress.com
va chez Dominique Autrou https://ladistanceaupersonnage.fr
va chez Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com
va chez Guy Deflaux http://wanagramme.blog.lemonde.fr
qui va chez Marie Noelle Bertrand http://ladilettante1965.blogspot.com

« Ils ont fait un désert et l’ont nommé Paix… » (Extrait de la Ronde du 15 juillet 2018)

29 dimanche Juil 2018

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Le Nil vu de l’avion, janvier 1983

« Ils ont fait un désert et l’ont nommé Paix… »

Dans les adorées cartes muettes de mon adolescence — où les mers et les fleuves prenaient orgueilleusement le dessus vis-à-vis du réseau des villes, des routes et des lignes ferroviaires — avec les volcans, les failles géologiques et les tremblements de terre, les déserts figuraient surtout comme un phénomène de la Nature ayant sans doute la fonction de rappeler aux humains que rien n’est acquis à jamais, parce que tout demeure dans un équilibre plus ou moins précaire : tout change continuellement, il faut donc faire toujours attention…

Le désert qu’on voit d’en haut de l’avion descendant sur Le Caire, ressemble aux dunes qui longent les océans et les mers. Également, une plage méditerranéenne assiégée par le soleil d’été évoque en moi le désert, un endroit redoutable où l’on peut facilement se perdre et mourir de soif.
Cela entraîne aussi des personnages emblématiques, comme Saint Antoine harcelé par le Démon, ou l’ambigu Lawrence d’Arabie, ou alors les archéologues qui ont creusé les sables à la découverte des civilisations ensevelies avec leurs alliés les spéléologues, toujours prêts à se faufiler dans les abîmes et les galeries souterraines les plus effrayantes.
Avec son hypothèse de mirages et de mondes mystérieux qui bougent jour et nuit au-dessous d’une immense surface inhospitalière, le désert garde dans notre culture occidentale un charme contradictoire, comme tous les extrêmes d’ailleurs. Voilà alors que le désert est convoqué dans nos métaphores quotidiennes :
« On a dû traverser le désert, avant d’atteindre un peu de bonheur et tranquillité… »
Ou alors dans certaines expressions emblématiques :
« (au Viêt Nam) les États-Unis ont fait un désert et l’ont nommé Paix… »
« … en ce désert surpeuplé qu’on appelle Paris… » (s’exclame Violetta dans la Traviata de Giuseppe Verdi)
et cætera…

Cependant, toutes ces images risquent de devenir anachroniques de nos temps méchants, où le désert a cessé désormais de se figer qu’en métaphore des hauts et des bas de la planète. Parce qu’aujourd’hui une pareille sensation de manque (et disparition de la vie animale et naturelle) est partout et nulle part, tandis que la notion même de désert se décline et se multiplie de façon impressionnante en contribuant de plus en plus, hélas, à la désertification de notre espérance de vie.

Dans les années 1960, en Italie, les rares personnes qui en avaient la conscience, s’inquiétaient vivement et criaient vainement au scandale pour l’édification sauvage qui serrait dans un étau de béton les Temples d’Agrigento, par exemple, ou pour la destruction des côtes, jusque-là presque intactes, où proliféraient sans aucune règle les lotissements de villas privées. Et l’on n’était qu’aux exordes d’un phénomène de « désertification immobilière » qui a progressivement appauvri notre pays sans pour autant enrichir les communautés au fur et à mesure concernées.

Je vois maintenant qu’une massive urbanisation sans scrupule ni loi se déclenche aussi autour des pyramides du Caire : le désert de béton est en train d’engloutir l’ancien désert de sable ayant la fonction, depuis des siècles, de « filtre » ou de « jardin » vis-à-vis du plus extraordinaire site archéologique de la Terre !

Certes, rien n’est vraiment définitif sur les cinq continents. Les Pyramides retrouveront un jour, sans doute, l’aura incontournable que ces assauts irresponsables sont en train de leur enlever. Et les forêts aussi, ces poumons indispensables pour la vie animale, résisteront à la faux assassine où seront remplacées, un jour…

On pourrait écrire des livres et des livres pour témoigner un à un les crimes contre la Nature que les hommes sont en train de perpétrer, en expliquant (moi aussi j’ai essayé de le faire) les logiques perverses et souvent criminelles où l’indifférence et la vénalité fusionnent sous la bénédiction d’un capitalisme de plus en plus malade et agressif.

Atterrissage au Caire, janvier 1983

Mais à quoi bon en parler, s’il n’y a pas quelqu’un capable de travailler dans le sens contraire de toutes ces destructions, voire dans la bonne direction ? À quoi bon jouer du scandale comme s’il s’agissait d’une harpe mélancolique qui résonne dans un vide de mort au lendemain d’une nouvelle Hiroshima ? J’ai toujours cru que les humains, chacun dans sa spécificité, garderont toujours assez d’intelligence et de savoir-faire pour « repartir de trois » (comme le disait l’inoubliable acteur-réalisateur Massimo Troisi) après la débâcle d’un système économique et social qui ne marche pas (surtout quand on prétend de le remettre « en marche », en insistant sur des « réformes » qui se sont déjà révélées en d’autres pays nuisibles pour la société et la démocratie).
Pour repartir, comme après un écrasant chagrin, il nous faudra un peu de silence, beaucoup de vigilance républicaine et… des hommes et des femmes de bonne volonté.

Oui, je ne crois pas aux génies, auxquels je suis prêt à accorder les droits d’auteur pour d’éventuelles découvertes scientifiques ou des innovations technologiques positives. Mais les gens trop intelligents (surtout ceux qui prétendent l’être) devraient être regardés avec respect… donc avec le légitime soupçon qu’ils ne seraient pas à la hauteur de diriger les vies des autres ni de faire vraiment du bien pour les autres. Sauf des exceptions, bien sûr, notamment dans le monde de l’art…

Oui, dans le silence qui succédera à la désertification violente et belliqueuse à laquelle nous assistons dans un angoissant sentiment d’impuissance, ce seront surtout les travailleurs honnêtes, les bons pères et mères de famille, les gens qui offriront humblement leurs habiletés et expériences comme un service, qui pourront remettre debout le pantin et reconstruire le jouet irrémédiablement cassé.

Des hommes et des femmes de bonne volonté, guidés, comme les personnages de José Saramago dans « Aveuglement », par quelqu’un qui a encore les yeux bons pour voir où mettre les mains et les pieds.

En cette hypothèse d’optimisme désespéré, l’homme extraordinaire « qui plantait des arbres » dans le merveilleux livre de Jean Giono, s’avère, encore plus aujourd’hui, comme une figure exemplaire et charismatique dont la route vertueuse devrait être indiquée aux nouvelles générations :

« Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffit pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu. » (1)

Giovanni Merloni

(1) Jean Giono : L’homme qui plantait des arbres (1983), Collection Folio Cadet, Gallimard Jeunesse, 2002

Déserts (Contribution de Jean-Pierre Boureux à la Ronde du 15 juillet)

15 dimanche Juil 2018

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Bienvenus à la Ronde du 15 juillet 2018 ! Cette fois-ci autour du mot « désert/s ». Avec grand plaisir, j’héberge ici Jean-Pierre Boureux, auteur du blog Voir et le dire, mais comment ? que j’apprécie vivement. Merci, Jean-Pierre, pour votre belle contribution !

Déserts

Vaste étendue aride de sable ou de pierres dont je ne connais rien, exceptées quelques zones de faible étendue en Europe de l’ouest, dont le ‘Désert de Retz’,  faux désert peuplé de la douceur de vivre propre aux gens d’Ancien Régime favorisés par Fortune et retirés en leurs ‘fabriques’ tel François Racine de Monville. Pourtant dès l’enfance le mot attisait mes sens en éveil vers quelque nouveauté à découvrir, et très vite j’ai su que le désert est vivant. 

-par l’esprit : quantité de voyageurs ont été saisis à tout jamais par ces surfaces infinies, lisses ou rugueuses au point de vouloir y retourner, y vivre, y mourir. Lieux de contemplation propices à la réflexion philosophique ou théologique lors du ‘retrait eu désert’, endroits où le retour sur soi ouvre les portes de l’infini universel.

-par la vie même, étonnamment : nombre d’organismes se sont adaptés à ces ergs et regs comme ils savent tout aussi bien faire en ces autres déserts jamais nommés ainsi = hautes montagnes et fosses marines gigantesques.

Dès l’enfance donc,  comme écrit ci-dessus, car mon « Désert vivant » fut un livre publié sous ce titre par Walt Disney en 1955. J’avais neuf ans. Richement illustré, annonciateur d’une politique éditoriale tournée vers le ‘grand public’ il connut un certain succès de librairie. Tout y est orienté vie et le choix des photographies révèle ces forces obscures qui depuis le vide ou trop plein originel et par le processus mystérieux de l’évolution ont permis l’expression de vie sous des formes végétales ou animales extraordinaires. S’il ne fut le déclencheur de mes penchants naturalistes du moins y a-t-il contribué. 

Quelques courtes années plus tard, quand par des étés très chauds au long des savarts en balcon sur les rives de l’Aisne stridulait la cigale de Bourgogne, quand en ces mêmes heures je parvenais à distinguer parmi les hautes tiges herbacées la silhouette à nulle autre pareille de la mante religieuse, alors oui,  j’étais comme emporté vers ce désert vivant imaginaire et présent tout à la fois. Curieusement cet ouvrage a également été retenu par le mathématicien Cédric Villani, parmi ses souvenirs d’enfance, tel qu’il en fit part dans un article du ‘Monde des livres’ du vendredi 14 septembre 2012 dans lequel il exalte le vivant des mathématiques. 

Encore déserts tous ces déserts planétaires ?  

Ci-dessus : fort apprécié de la famille Claudel et spécialement de Paul et Camille, le chaos rocheux de « la hottée du diable » à Coincy et Bruyères-sur-Fère, Aisne. Peinture numérique sur tablette d’après original au pastel par J.-P. Boureux.

Texte et Images : Jean-Pierre Boureux

Aujourd’hui, la ronde tourne dans le sens suivant :

Marie-Christine Grimard
chez
Jacques
Dominique Autrou
Dominique Hasselmann
Franck
Céline Gouël
Jean-Pierre Boureux
Giovanni Merloni
Marie-Noëlle Bertrand

Que sera sera (Extrait de la Ronde du 15 mai 2018)

15 vendredi Juin 2018

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Aujourd’hui, je publie un texte que j’avais écrit pour la Ronde du 15 mai dernier, autour du thème du souvenir, publié ce jour-là sur « chemin tournant », le blog de Serge Marcel Roche (@Chemintournant) (1).
G.M.

Giovanni Merloni, Que sera sera, calame à l’enchre de Chine sur carton, 2018

Que sera sera

Je n’aurais pas dû attendre la dernière minute.
J’allais à la rencontre de mes amis de la Ronde sans me faire de soucis. Je me disais que le 15 mai était encore loin, et m’amusais à errer parmi des souvenirs éloignés ou proches comme s’il s’agissait de rêves en lutte les uns contre les autres.
Je me demandais : « Est-ce qu’on peut épingler les souvenirs à des étagères secrètes ? » « Demeureraient-ils tranquilles à leur place, sans bouger ou filer à l’anglaise ? »
« Y a-t-il un rapport entre les objets et les images évoquant par exemple une personne chérie et les souvenirs de cette même personne qui font irruption dans nos rêves diurnes et nocturnes, sans nous prévenir ? »
« Que reste-t-il de tout cela ? »
Je me demandais aussi si j’avais tout rêvé de ma vie passée ou ultra-passée, puisqu’il a toujours été très difficile de la raconter. En tout cas, je ne réussissais pas à trancher, à décider de quoi aurais-je trouvé enfin le courage de me libérer avec le talent nonchalant d’un ailier gauche, avant d’en partager la reconstruction, ô combien difficile…
« Parlerai-je d’un souvenir d’amour ou d’un souvenir de mort ? »
« Ressusciterai-je l’un de mes conjoints, ayant formé intimement ma personnalité et son parcours constellé d’intermittences ? Ou alors ferai-je revivre un ami, une amie, une personne rencontrée par hasard, dans la rue, le temps d’un instant ? Un quidam qui me donna pourtant, si le souvenir est sincère, quelques inoubliables suggestions ? »
J’étais juste en train de faire une sorte de liste mentale des rencontres que le hasard m’avait octroyées avec des inconnus clairvoyants et parfois même charismatiques, quand la nouvelle insupportable du dernier attentat de Paris a tout brisé.
Incapable de me souvenir de quoi que ce soit, je me suis figuré la mort de cet homme de vingt-neuf ans qu’on a appelé provisoirement « un passant ». J’ai essayé de reconstruire le trottoir où celui-ci poursuivait le fil de quelques engagements, s’adonnant aussi, comme la plupart des passants parisiens, à l’insouciance d’un samedi soir comme les autres, à cette petite liberté qu’augmente le plaisir de croiser des gens installés aux terrasses des bars, en train de s’échanger des sourires, des petits contacts, des promesses… J’ai vu ou cru voir la scène d’un film d’horreur tout à fait déplacé et brutal dont je n’aurais jamais voulu me souvenir.
Puis j’ai pensé à cet homme de vingt-neuf ans… C’est le même âge que j’avais quand mon deuxième enfant, Paolo, est né. Il a maintenant quarante-quatre ans et se promène, lui aussi, vertigineusement, dans les rues de Paris, comme moi-même d’ailleurs…
Je me suis alors souvenu de premières heures de Paolo et j’ai revu son nez de Pinocchio pointant derrière la vitre de la couveuse où l’on avait emprisonné le temps, heureusement bref, d’être hydraté… Quand il était un bébé, Paolo ressemblait beaucoup à sa mère, mais aussi à mon père, ce qui s’est successivement accentué jusqu’à cet âge adulte où il m’arrive de m’adresser à mon fils avec les mêmes attitudes de respect et d’attente de protection que je réservais à mon père, que j’appelais « babbo »…
« Dépêchez-vous à faire des enfants ! » disait mon babbo, en s’accompagnant d’un geste éloquent. Mais pour ma sœur, mon frère et moi, c’était encore tôt, hélas.
Il aurait été bien fier de ses sept petits-fils, venus au monde au bout de dix-huit ans après sa disparition. Et, peut-être, ce nouveau rôle de grand-père l’aurait emmené à nous laisser découvrir quelques-uns de ses secrets…
Mon père est parti, encore jeune, avant l’explosion de 1968. Il n’a rien su de la décadence de son Parti socialiste, auquel il avait consacré toutes ses aspirations et convictions honnêtes et profondément sages. Il est resté en deçà d’une série de changements imprévisibles à son temps… Je n’ose pas imaginer ce qu’il se passerait si j’avais la chance de le rencontrer maintenant… Qu’est-ce qu’il dirait en sachant par exemple que depuis 2015 deux cent quarante-six personnes ont été tuées en France lors des actes de terrorisme, que les États-Unis ne sont plus les libérateurs d’antan… pour ne pas parler de ce qui se passe en Italie, de la corruption, du chômage de plus en plus dramatique, de la perte de confiance dans la politique !
Je me souviens de son chapeau gris, de ses costumes avec gilet qu’un tailleur de sa confiance lui fabriquait de façon qu’on ne s’apercevait pas de son allure un peu courbe. Et je me souviens, bien sûr, de son penchant pour Doris Day… 

Je me souviens de son arrivée à Cortina d’Ampezzo, au début du mois d’août de l’été 1955, avec la Fiat Giardinetta « Roma 155394 » (eh oui, je me souviens aussi du numéro de la plaque…). Il s’agissait d’une voiture d’occasion qui ne dépassait pas les 80 km/h sans être attrapée par un inquiétant tremblement. Pourtant, notre père s’aventurait sans aucune crainte dans les pas dolomitiques, tout en emmenant les quatre autres membres de la famille ainsi que la cousine Dora ou, d’autres fois, mon oncle Dodo et ma tante Antonia… Les montées étaient pénibles pour le radiateur qui fumait, mais les descentes étaient folles, accompagnées de chansons adaptées à nos esprits créatifs.
Il s’agissait parfois de voyages interminables, avec nombreuses étapes avant d’attraper notre but. Nous sortions chaque fois de notre glorieuse boîte de sardines comme autant de clowns d’un cirque. Et c’étaient pour nous des occasions pour courir, grimper sur des rochers, se rouer sur les prés, courir auprès d’une fontaine… Et, si notre terminus provisoire était Venise, une inattendue liberté du corps et de l’esprit nous comblait, en mettant à l’épreuve nos inépuisables énergies… 

Assis derrière notre père, nous apprenions insensiblement à conduire, sans besoin de leçons supplémentaires, rien qu’à le regarder. Parfois, il nous demandait de poser une main sur son épaule parce qu’il souffrait de rhumatismes en conséquence d’une vie très éloignée du sport et de toute activité physique. Il marchait longuement, bien sûr, orgueilleux de son bâton de montagnard embelli par les plaques des refuges… Mais son esprit contemplatif se traduisait surtout dans un amour invétéré pour son appareil photo, la fameuse Comtesse Zeiss, dont il se servait pour fixer à jamais le portrait des personnalités qui se formaient brusquement ou sournoisement en chacun de nous…
Derrière l’inexprimable « distance bienveillante » que son rôle de père équilibré lui imposait, il nous aimait plus que toute autre chose au monde. Cela se manifestait surtout quand quelqu’un de nous se faisait mal ou tombait malade… quand ma sœur aînée attrapa la pneumonie ou mon frère cadet tomba d’un vélo… ou alors quand j’eus mon premier incident de voiture…
Un ami m’avait accompagné à l’hôpital où l’on était en train de me recoudre un angle de la bouche quand je vis mon père arriver de son pas élégant, avec sa voix chaude qui ne se perdait pas en trop de mots ni surtout d’exclamations inutiles.
Cet attachement aux siens me ramène brusquement un souvenir assez triste.
Mon père, malade dans son lit, tenait foi à l’accord qu’il avait voulu lui-même : « Si vous savez que je dois mourir, ne me le dites pas ! » Donc il avait été soigné toujours avec le sourire, comme s’il s’agissait d’une mauvaise maladie d’où il se serait affranchi, tôt ou tard… Mais ce jour-là, quand mon frère fut convoqué par erreur pour partir en avance au service militaire, il eut une réaction inoubliable.
Depuis longtemps il n’appelait personne au téléphone. Ce jour-là, il s’empara brusquement du combiné et appela le Parti socialiste. Nous fûmes étonnés en voyant la désinvolture qu’il affichait avec les différentes personnes qui lui répondirent : il n’aurait pas eu la force de résister au mal sans avoir toute la famille autour de lui. Ou, pour tout dire, il ne voulait pas mourir sans que mon frère fût là… 

Pendant toute sa vie, cet état d’appréhension à fleur de peau, que toute la famille lui reprochait, se manifestait presque tous les jours si ma mère n’était pas à la maison.
« La mamma ? » disait-il en rentrant. Tout de suite après on le voyait à la fenêtre, ou alors il sortait pour aller à sa rencontre.
Rarement, j’ai vu mon père s’aventurer à pied dans notre quartier de proche périphérie. Il partait en voiture même si elle rentrait de l’école avec le bus. Pourtant, il réussissait toujours à l’intercepter, retrouvant ainsi son calme et sa confiance.
Et, le plus souvent, il préférerait l’accompagner à ses rendez-vous et l’attendre en voiture. Puisque la vie de ma mère et de ses enfants comptait pour lui même plus que la sienne, il se soumettait de bon gré et même avec enthousiasme à ce rôle de chauffeur-accompagnateur…
Mais, ne travaillait-il pas ? Comment est-il possible que sa profession d’avocat lui laissât le loisir de s’occuper des déplacements de sa famille ?
Le matin il ne sortait pas très tôt, mais il avait sans doute une série d’engagements dans les tribunaux (et notamment à la Cour des comptes) qui l’épuisaient. En tout cas, il était assis à notre table ronde à tous les déjeuners. Après cela, il se reposait quelques heures avant de retourner à son cabinet où il recevait ses clients entre 17 et 20 heures. À 21 h on dînait. Il arrivait qu’après dîner il sorte avec ma mère, pour rendre visite à leurs amis et parents préférés. Je ne me souviens pas d’avoir vu mon père travailler le soir ou la nuit…
En fait, à toutes les émergences, il avait une impressionnante capacité de concentration dont il profitait pour exploiter chaque question à la vitesse de la lumière.
Tante Lellina, sa sœur aînée, eut le confort de l’assistance juridique de mon père lors de la mort de son mari et de son héritage très compliqué : « Il écoutait en silence les uns et les autres attendant qu’ils se perdent dans les milles complications des choses dites ou écrites… et finalement, avec une impressionnante lucidité, Lello tranchait, tout expliquant de façon que tout un chacun pouvait l’entendre et, son jugement suivi, tout se déroulait sans secousse… »
Apparemment, mon père n’avait d’autres encombres que la peur de mourir, cette appréhension pour les autres qui rebondissait en lui-même sous forme d’hypocondrie et besoin d’être continuellement rassuré.
Tout le monde se moquait affectueusement de lui. Mais comment pouvait-il être confiant et indifférent avec la vie qu’il avait enduré, les morts auxquelles il avait assisté, la Guerre, la disparition précoce du père ainsi que de nombreux amis et parents ?
Au-delà de cette crainte spontanée, il était sans doute un homme courageux, prêt à affronter n’importe quel péril, sans pour autant se prendre pour un héros. Au contraire, il prêchait silencieusement un comportement honnête et altruiste où le seul héroïsme admis était celui de la cohérence et de la raison.
Mon père m’a appris des choses primordiales qui m’ont sauvé la vie et dont je ne me suis aperçu qu’avec le temps.
J’ai appris à conduire la voiture rien qu’en l’observant ; j’ai profité d’une inattendue attitude d’avocat dans mon travail d’urbaniste sans qu’il m’ait dit un seul mot ou expliqué un seul article de loi ; j’ai appris à faire un pas et même deux en arrière parce qu’il ne faut pas exagérer quand nos ambitions ne trouvent pas un contexte qui l’accueille ; j’ai appris à accompagner mes proches.
J’ai hérité aussi de mon père — qui avait joué du violoncelle pendant sa jeunesse et dessinait avec un sincère dévouement —, mon penchant pour l’art. Cependant, au lieu d’écouter ses mots qui prêchaient une application rigoureuse, je me suis inspiré, plus ou moins consciemment, à l’essence de son être, qui me transmettait la spontanéité du geste dans un esprit de liberté.
Et j’ai appris enfin à aimer Doris Day, une de rares stars d’Hollywood qui ait réussi à s’imposer comme femme douée d’intelligence et de combativité. Je la préfère à Katherine Hepburn, qui a joué des rôles pareils dans un contexte plus aristocratique, parce que je trouve en Doris un côté érotique tout à fait naturel.
Puisqu’on dit que chaque humain est toujours porté à choisir des partenaires qui se ressemblent, il se peut que mon père, ayant trouvé en ma mère la beauté d’une Ava Gardner, cherchât dans la blonde Doris une compagne également énergique et rêveuse ! 

Giovanni Merloni

(1) En cette occasion, Serge Marcel a écrit des mots à mon intention qui m’ont vraiment touché et je garde ici comme « souvenir » : « pour la Ronde de ce 15 mai à laquelle Dominique Autrou m’a aimablement convié, surgissent au tournant du chemin les souvenirs de Giovanni Merloni, auteur du Portrait inconscient, portrait multiple fait, selon son à-propos, à l’insu des personnages ou des choses, au-delà d’un miroir secret. Au sein du pluriel d’un thème au singulier, entre ses parenthèses et la sombre actualité, apparaît la figure de “babbo”, le père, qui dévoile que le souvenir(s) allie, dans l’esprit du lecteur transporté, le rêve et la lucidité. Merci à Giovanni. » 

C’était un compas (la contribution d’Élise L. à la Ronde du 15 mai)

15 mardi Mai 2018

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la ronde

Bienvenus à la Ronde du 15 mai 2018 ! Cette fois-ci autour du « souvenir » ou des « souvenirs ». Avec grand plaisir, j’héberge ici Élise L., auteure du blog Même si  que j’apprécie vivement. Merci, chère Élise pour ta contribution !

c’était un compas
récupérer un bureau, de ceux qui trônaient sur les estrades aux temps jadis, dans un tiroir surprise d’un compas,

se souvenir des tableaux ravinés de trous et cicatrices, lire, écrire là, c’était pas si facile, « qui veut passer le chiffon » on se précipitait, horizontalement, verticalement, chacun sa méthode, mais s’appliquer, des traces il en restait toujours et après le coup d’éponge du soir aussi, « qui veut taper les brosses », la même hâte, la même impatience, zébrures de couleur sur le rebord de la fenêtre, c’était joli, on s’arrêtait, regardait, puis reprenait, un halo de poussière, on tapait dru, une odeur âcre, qui parlait d’allergie,

se souvenir aussi d’un matin France Culture, leçon du Collège de France, sommeiller à demi, il est encore tôt, voix un rien monocorde, soudain, oreille en alerte, comme des coups de bec, soupir d’aise, plaisir à reconnaître, bien sûr, c’est une craie, une craie qui picore le tableau, imaginer calculs, équations, croquis, et songer que les tableaux numériques sont entrés dans nos classes depuis moins de dix ans, on oublie vite.

Texte et photos : Élise L.

Aujourd’hui, la ronde tourne dans le sens suivant :

Marie-Noëlle Bertrand, ​Éclectique et Dilettante
chez Elise, Même si
chez Giovanni Merloni, le portrait inconscient
chez Serge Marcel Roche, chemin tournant
chez Dominique Autrou, la distance au personnage
chez Franck, à l’envi
chez Jean-Pierre Boureux, Voir et le dire, mais comment ?
chez Hélène Verdier, simultanées
chez Noël Bernard, talipo
chez Jacques, La vie de Joseph Frisch
chez Marie-Christine Grimard, Promenades en ailleurs
chez Marie-Noëlle Bertrand, etc.

« Una cosa rara, bellezza e onestà » dans le dialogue ! (Extrait de la Ronde du 15 mars 2018)

15 dimanche Avr 2018

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la ronde

Le 15 mars dernier, en choisissant de m’adresser à l’ami Dominique Hasselmann pour exploiter, dans un « monologue dialoguant », le thème que la Ronde s’était donné pour cette échéance, je ne pouvais pas imaginer qu’il aurait bientôt décidé d’arrêter les publications de « Métronomiques » en y apposant le mot FIN !
Ce que je n’imaginais pas non plus quand j’ai décidé de relancer ici l’article qu’il avait chaleureusement accueilli sur son blog.
Évidemment, je demeure attristé et contrarié depuis cette date… où Dominique nous a communiqué sa décision. Surtout, parce que son blog reflétait profondément la personne de son auteur :
— avec sa façon, souvent transgressive et impertinente, de « dialoguer » avec la réalité de nos jours ;
— avec son fort penchant pour la modernité, dans la recherche infatigable d’un nouveau regard sur la « vie en mouvement ».

J’espère vivement qu’il reprendra ses publications, et qu’il trouvera aussi la façon de rendre cette œuvre unique (« Metronomiques » et « Le Tourne-à-gauche ») disponible pour tout le monde présent et futur.
Car son blog constitue l’une de plus brillantes et riches expériences d’auto-édition numérique qu’ai-je pu savourer et aimer pendant les années récentes, l’équivalent et même plus qu’un « Playtime » de Jacques Tati ou alors des découvertes cinématographiques de Georges Méliès ou des Frères Lumière. Paris et la France renaissent prodigieusement sous son regard ironique et désenchanté, tandis que ses mains habiles découvrent une forme tout à fait inusuelle et géniale pour les raconter.

Je suis sûr que cette œuvre trouvera sa façon « indépendante » de profiter du web et de nouvelles techniques numériques pour atteindre à nouveau les anciens lecteurs avec une foule grandissante de lecteurs de l’avenir.
Dans ce monde où nous sommes tous menacés de disparition avec nos rêves et nos preuves d’existences inspirées et communicantes, Dominique Hasselmann a donné vie à un exemple et prototype cohérent d’expression artistique, littéraire et philosophique ayant la chance de s’éterniser dans un seul objet, sous un abri précis et reconnaissable. J’espère pouvoir visiter parmi les premiers, avec lui, son « musée vivant » indélébile et indestructible (sur vinyle, par exemple) qui, tout en gardant les possibilités de consultation multiple du blog, offre au lecteur le loisir de parcourir librement ses pistes infinies. Qu’elles tournent à gauche ou pas, cela n’a pas d’importance !
G.M.

Giovanni Merloni, Dialogues contrariés, acrylique sur carton, 65 x 50 cm, 2018

« Una cosa rara, bellezza e onestà » dans le dialogue ! (1)

Cher Dominique,
Je t’avoue que depuis que je participe à la Ronde, une chose comme ça ne m’était jamais arrivée. Il s’agit sans doute de l’importance du mot « dialogue », qui demande, rien qu’à le prononcer, un engagement « à la hauteur du défi »…
Comme le « paysage » récemment évoqué et exploité dans une série d’admirables propositions, le « dialogue » et son opposé (« l’absence de dialogue ») font partie du quotidien de chaque être humain, intervenant aussi dans les rapports entre les États, les peuples, les cultures, les corps, les mentalités, les habitudes, et cætera.
Je me demandais, mon cher ami, pour quelle raison, au fur et à mesure de chaque Ronde, on découvre un mot plus grand, plus important et plus universel que le précédent. Dans cette mer infinie, je me noie, sans ressentir pour autant, hélas, la douceur dont parlait Giacomo Leopardi, ni le goût de la résignation que dicterait à ce propos un minimum de clairvoyance.

En me connaissant un peu, tu sais que je suis naturellement porté pour le dialogue, c’est-à-dire pour la recherche d’une vérité partagée. Et même aujourd’hui, profitant de la Ronde qui te demande de m’offrir un provisoire abri verbal et iconographique, je suis en train d’entamer un dialogue épistolaire avec toi, en espérant que tu es d’accord pour accueillir mes réflexions et digressions inopportunes…
Sans doute, pendant ces dernières années — plus que cinq — nous avons entretenu plusieurs dialogues entre nous, pour la plupart dans le domaine numérique ou télépathique. Cependant, nous avons eu aussi la chance de voir se développer en parallèle une amitié tout à fait traditionnelle, encouragée par notre commune appartenance au Xe arrondissement, où se détache notamment le canal Saint-Martin, avec son Pont tournant, ses écluses et ses mystérieux bateaux en course lente.
Nous avons partagé la phase héroïque (pour moi) des commentaires, souvent assez fouillés, que je consacrais à tes articles sur le « Tourne-à-gauche » et puis sur « Métronomiques ». Nous avons échangé quelquefois dans les vases communicants, dont nous sommes tous le deux redevables au génie insaisissable de François Bon, et puis, au jour le jour, nous nous sommes réciproquement « tenus au courant » au sujet de nos vies assez régulières et familiales ainsi que de nos éclats de fantaisie ou de désobéissance civile… toujours bien tempérée et maîtrisée, cette dernière, comme cette musique secrète que nous aimons tous les deux emprunter à la rue, aux passantes, aux vitrines, aux inscriptions plus ou moins séduisantes…
Nous avons partagé et partageons aussi la stupeur et la rage des citoyens obligés de survivre dans un monde qui évolue obscurément, dans une intermittence de beautés contradictoires et de violences contre notre vie même, véhiculant des menaces subliminales ou bien explicites à tout ce que nos ancêtres nous ont légué et nous avons contribué à bâtir nous-mêmes…

Mais je reviens, excuse-moi, à mon propos initial. Comme je te disais, je suis sincèrement porté pour le dialogue, le plus souvent parce que j’en ai besoin, ou alors c’est en raison de mon penchant spontané pour les autres qui m’a appris une certaine attitude à l’écoute. Et ce sont toujours des dialogues (non nécessairement basés sur les seuls mots) qui demeurent primordiaux dans la reconstruction mnémonique des rencontres en grand nombre qui ont marqué ma vie, lui imposant parfois des changements de direction e de sens, ou alors de haltes salutaires.
Il s’agit finalement et rétrospectivement d’un dialogue à deux échouant enfin dans un dialogue intérieur qui m’accompagnera toujours dans une alternance de jugements derniers et de phrases consolatrices ou encourageantes.
Par le dialogue, on n’atteint que très rarement une vérité convaincante et solide. Mais si le dialogue est sincère, il sera tout de même en mesure de nous octroyer ce qui est le plus rare à ce monde : un sentiment d’honnêteté et de propreté aboutissant à une beauté aussi sereine qu’indispensable.

J’avais un programme beaucoup plus vaste, mon cher Dominique, et regrette déjà de n’avoir pas eu le temps ni le bon courage pour exploiter les nombreuses suggestions venues à l’esprit au sujet du dialogue, et je regrette aussi de ne m’être pas accordé l’espace pour en dénombrer au moins les titres…

Autant que dire que la suggestion du dialogue s’est finalement traduite dans mon cas dans le silence !
Ou alors dans une grande question solitaire : « si le dialogue — un bien commun de plus en plus rare et difficile à pratiquer — échoue si spontanément dans le souvenir de dialogues perdus, inexorablement coincés dans des endroits éloignés et révolus de la mémoire, est-ce que nous plongeons à présent dans un obscur sentiment d’incommunicabilité, de difficulté ou même d’inutilité situé au bout de n’importe quel dialogue, puisqu’en principe ses deux interlocuteurs vont demeurer de plus en plus figés en leurs certitudes et privilèges ? Est-ce que nous devenons tous méfiants et égoïstes et cela nous amène à nous passer de tout effort de dialogue dont nous escomptons dès le départ la faillite ? »
Je pense, par exemple, à la désinvolture de nos ministres et de notre président dans une action gouvernementale qui se passe de plus en plus d’un dialogue honnête avec les citoyens… Cela trouve symétriquement son miroir dans l’illusion d’un dialogue libre et exhaustif que nous inoculent internet et les réseaux sociaux.
Mais, puisque le succès de tout dialogue dépend de chacun des deux interlocuteurs, il est possible qu’une sorte d’analphabétisme de retour touche aujourd’hui la partie de la population qui devrait être la plus intéressée à cet instrument d’émancipation envers lequel elle a perdu toute familiarité.
Il faut donc espérer dans un prompt réveil des consciences, dans un retour à l’essentiel qui ne se sépare pas de l’attitude socratique de la recherche de la vérité, voire d’une condition humaine inspirée à la beauté et à l’honnêteté.

En attendant ce réveil, plus modestement, cher Dominique, j’aurais envisagé, pour l’une de prochaines Rondes, le mot « souvenir (s) ». Avec la suivante suggestion personnelle :
« Existe-t-il dans notre passé un événement, un lieu ou alors une rencontre avec quelqu’un qu’on puisse appeler le plus beau souvenir de ma vie » ?

Giovanni Merloni, La ronde humaine, encre de chine sur papier 36 x 29,7 cm, 2018

Merci de ton accueil chaleureux, mon ami !

Giovanni Merloni

(1) « Una cosa rara. Bellezza e Onestà », opéra de Vicente Martin y Soler (1786) citée par Don Giovanni dans la scène finale de l’opéra éponyme de W.A. Mozart et Lorenzo da Ponte

Dialogue de sourds (Le texte de Marie-Christine Grimard pour la Ronde du 15 mars 2018)

15 jeudi Mar 2018

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la ronde

Bienvenus à la Ronde du 15 mars 2018 ! Cette fois-ci autour du « dialogue » ou des « dialogues ». Avec grand plaisir, j’héberge ici Marie-Christine Grimard, depuis plusieurs années collègue de Twitter et auteure du blog « Promenades en ailleurs » que j’apprécie vivement pour son regard courageux et sensible ainsi que pour son esprit de partage sincère et solidaire jusqu’au bout ! Merci, chère Marie-Christine pour ta contribution !

Dialogue de sourds

“Madame Pinto, Madame Pinto, vous oubliez votre baguette ! “
La boulangère hurle derrière son comptoir, en tendant la baguette qu’elle vient d’empaqueter vers une vieille dame qui franchit la porte sans se retourner.
Celle-ci sourit à une jeune beauté brune, arborant d’énormes lunettes noires qui entre en lui tenant la porte, et sort dans la rue.
La boulangère soupire, l’air exaspéré. Il ne faut pas qu’elle explose devant les clients, mais là, c’est la goutte d’eau. Cette journée a mal commencé, la chambre froide est tombée en panne et la jeune employée a la grippe. Si ça continue, elle va tous les planter là et aller se coucher. Elle est boulangère, pas ange gardien. Malgré elle, elle se fait du souci pour Mme Pinto, si personne n’en prend soin, elle n’ira pas loin. Elle se perd de plus en plus, dans sa monnaie, dans ses trajets, et voilà qu’elle oublie le pain qu’elle vient d’acheter !
La jeune cliente à lunettes comprend la situation, prend le pain puis rattrape la vieille dame en quelques enjambées et lui rend son bien. Elle revient un peu essoufflée, et reprend sa place dans la queue en silence. La boulangère sert les clients un par un lorsqu’arrive le tour de la jeune femme, elle lui dit :
« Merci beaucoup d’avoir porté sa baguette à Mme Pinto, je ne pouvais laisser le magasin pour le faire et mon apprentie est en maladie !

— Je vous en prie, répond la jeune femme d’une voix douce, c’était la moindre des choses.
— Détrompez-vous, les gens comme vous se font rares, réplique la boulangère, ici c’est chacun pour soi et Dieu pour personne. L’autre jour, elle a perdu son porte-monnaie dans la rue. Au moment de payer son pain, elle ne l’avait plus dans son panier, elle est repartie dans le sens inverse pour le chercher. Quelques minutes plus tard, elle est revenue, toute contente de l’avoir retrouvé au bord du caniveau. En fait, il était vide, alors que la veille, je lui avais fait la monnaie sur cinquante euros. Vous voyez, tout le monde n’a pas votre grandeur d’âme, il n’y a pas de petits profits à notre époque et les petites vieilles sont des proies faciles.
— En effet, je trouve ça lamentable ! dit la jeune femme.
— En plus, elle devient sourde comme vous l’avez vu tout à l’heure, j’avais beau hurler son nom, elle n’a rien entendu. Ce qui facilite encore le travail des pickpockets !
— Dans notre monde, les plus faibles sont écrasés. Il faut un solide caractère pour survivre au quotidien lorsqu’on a un handicap, dit-elle en ajustant ses lunettes de soleil. Il n’y a qu’un moyen, faire comme si tout allait bien.
— Vous avez raison, répond la boulangère, ce monde est intraitable pour les plus faibles. Puisque nous sommes seules, je vais vous faire une confidence. Voilà pourquoi je n’ai pas eu d’enfant, ma jeune sœur qui était aveugle de naissance a tellement souffert dans son enfance et jusqu’à sa mort prématurée, que je n’ai pas voulu reproduire cela. Je n’aurais pas supporté de donner la vie à un enfant pour qu’il souffre d’un handicap de ce genre toute sa vie. Il paraît que je suis porteuse du gène responsable. Vous vous rendez compte, comment aurait-il pu se défendre dans un monde aussi violent et égoïste.
— Je vous comprends, on n’a pas envie de voir ses enfants souffrir, mais je crois que la vie est un cadeau et que la souffrance peut passer au second plan si on est entouré d’amour.
— Sans doute… hésite la boulangère un peu déstabilisée.
— Il me semble même, insiste la jeune femme, que si l’on est poussé par des gens qui croient en vous, on peut développer des facultés incroyables, surtout à notre époque où l’on est bien aidé par la technologie, ne croyez-vous pas ?

Elle se retourne vers la commerçante, qui la regarde, dubitative. Cette jeune femme inconnue remet en question ses belles certitudes en quelques phrases. Elle réveille ses regrets aussi. Elle baisse les yeux et poursuit à voix basse, enfermée dans ses souvenirs.

— Aujourd’hui, tout est plus facile, mais du vivant de ma jeune sœur, elle était fermée dans ses ténèbres, comme un animal en cage, et j’avais beau essayer de l’aider, elle refusait…
— Je sais ce qu’il en est, répond la jeune femme, sortir de son carcan est un effort surhumain parfois. La frustration de n’avoir pas accès à un sens que tous les autres possèdent sans s’en apercevoir, nourrit la révolte ou la résignation. En fait, se servir de cette frustration pour y puiser l’énergie de vivre malgré elle, est la solution. Se dire que le ciel est d’un bleu magnifique et que les arbres chantent sur votre passage pour vous expliquer l’intensité ou la tendresse du vert de leurs feuilles, est une tournure d’esprit difficile à acquérir lorsqu’on n’a pas accès à la vision. En hiver c’est plus facile, la vie ressemble à un film en noir et blanc, les différences sont gommées…
— Vous auriez pu aider ma sœur, je crois, dommage qu’elle ne vous ait pas connue. Vous êtes psychologue peut-être ? s’enquière la boulangère de plus en plus intriguée.

La jeune femme se tourne vers la vitrine où l’on voit les arbres du quartier tendre leurs branches dénudées vers un ciel morne et gris.

— Je ne suis pas psychologue, j’ai seulement un peu d’expérience dans ce domaine et j’aurais été ravie d’aider votre sœur. Apprendre à vivre avec ce que la vie nous a donné et accepter ses manques comme une force différente, est probablement la seule manière d’être heureux lorsqu’on a un handicap à porter. Combien vous dois-je pour mon pain ?
— 2 euros 10, répond la boulangère.

La jeune femme cherche dans son porte-monnaie et lui donne l’appoint. Lorsqu’elle se penche en avant pour le ranger dans son sac, ses lunettes glissent sur le bout de son nez. La boulangère aperçoit ses prunelles et ne peut s’empêcher de pousser un petit cri de surprise. La jeune femme se redresse, remonte ses lunettes, prend son pain et sourit en se dirigeant vers la porte, qu’elle ouvre en disant :

— Nous aurons une belle journée, la grisaille se lève, regardez là-bas un petit peu de ciel bleu montre son nez derrière les nuages !
— Mais comment… commence la boulangère.
— Je sens les choses que je ne peux voir, répond la jeune femme en sortant, et souvent elles sont plus belles encore dans les vibrations qu’elles m’offrent. Votre pain, par exemple, je sais qu’il sera bon sans même l’avoir goûté. Belle journée à vous Madame. A bientôt.

La boulangère la regarde s’éloigner sans une hésitation, suivant la ligne du trottoir en regardant vers le ciel, puis se retourne sentant sur elle le regard de la commerçante, lui fait un petit signe de la main, et tourne au coin de la rue.

Texte et photo Marie-Christine Grimard

Aujourd’hui, la ronde tourne dans le sens suivant :

Marie-Noëlle Bertrand http://ladilettante1965.blogspot.fr/

chez…

Jean-Pierre Boureux http://voirdit.blog.lemonde.fr/

Jacques https://jfrisch.wordpress.com/

Elise http://mmesi.blogspot.fr/

Dominique Autrou ladistanceaupersonnage.fr

Marie-Christine Grimard https://mariechristinegrimard.wordpress.com/

Giovanni Merloni https://leportraitinconscient.com/

Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com/

Franck https://alenvi.blog4ever.com

Noël Bernard http://cluster015.ovh.net/~talipo/

Le principe de la ronde est expliqué ici 

Qu’y a-t-il de beau en une montagne empruntant sa forme à la pluie, au vent et à la neige ? (extrait de la Ronde de janvier 2018)

11 dimanche Fév 2018

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la ronde

Aujourd’hui, je publie une texte que j’avais écrit pour la Ronde du 15 janvier dernier, autour du thème du paysage, publié ce jour-là  sur « à l’envi », le blog de Franck.
G.M.

Giovanni Merloni, Paysage en voyage, 2018
acrylique sur carton 50 x 51 (ébauche)

Qu’y a-t-il de beau en une montagne empruntant sa forme à la pluie, au vent et à la neige ?

Qu’il soit grand ou petit, beau ou laid, un paysage reviendra toujours à ce que nous saurons en dire et raconter. En fin de compte, sa description sera aussi importante que son essence.
D’ailleurs, la richesse de la description d’un paysage — s’échouant inévitablement sur un jugement subjectif et personnel qui devra forcément se confronter avec des jugements collectifs basés sur un ensemble de critères codifiés par la culture dominante — est aussi importante que la richesse du paysage même.
Donc, pour être en mesure d’apprécier un paysage, il faut savoir en parler, d’abord intérieurement, avec nous-mêmes. Le paysage se présente en fait devant nous comme un plat dont on est appelé à reconnaître les ingrédients et deviner les saveurs même avant de porter la fourchette à la bouche.
Cependant, chaque fois que nous nous aventurons dans le monde qui nous entoure, nous risquons de cogner contre l’émotion tout à fait inattendue d’un paysage changé, ou d’un paysage nouveau qui se présente à nos yeux sous une apparence inquiétante ou même embarrassante sinon carrément effrayante…
Heureusement, la culture de chaque pays vient au secours de ses citoyens en leur proposant une méthode bien expérimentée pour se défendre par exemple du choc d’une banlieue désolante ou détruite ou à l’opposé pour fixer dans la mémoire la soudaine beauté d’une vallée entourée de montagnes ou alors l’éclat d’une falaise se précipitant abruptement sur la mer…
Dans le jugement de chaque paysage est toujours présente l’idée d’une hiérarchie qui descend de « magnifique », « beau » ou « agréable » jusqu’à « désagréable » :
— Le panorama de la vallée de Cortina d’Ampezzo depuis la route descendant du pas Falzarego, aurait susurré mon père, est d’une beauté qui enlève le souffle !
— Lorsque je me suis accoudée pour la première fois sur le paysage du lungotevere depuis l’atelier d’un ami peintre rue Sant’Onofrio sur les flancs du Gianicolo, dit un jour Marina, une de mes camarades de l’université. D’en haut de cette fenêtre, j’ai eu la vive sensation d’être frappée par un poing sur l’estomac !
— Au couchant, après la pluie, m’écrivit un ami qui voulait m’inviter à Paris, la Tour Eiffel s’est détachée soudainement contre le ciel, avant de se rapprocher de moi, telle une dame élégante au sourire plein de promesses…

Chaque paysage s’enrichit au fur et à mesure de notre observation attentive, ou alors il s’appauvrit si notre regard paresseux devient distrait… Pourtant — en dépit des changements qui s’y produisent imperceptiblement et sans cesse —, ce paysage demeure toujours, indifférent à notre passage, dans une hypothèse d’éternité… tout en étant prêt à harceler notre âme sensible et fantaisiste.

Tandis que je le traverse, le paysage change continuellement autour de moi. C’est un paysage inoubliable, ce que je vois couler derrière la fenêtre d’une ambulance tout comme celui que j’observe dans un tableau de Mario Sironi ou depuis la tour des Asinelli à Bologne.
Pendant cette traversée infinie, il ne faut pas négliger le « syndrome de Stendhal » dont je pourrais être saisi en observant la montée de la marée qu’en quelques minutes transforme Mont Saint-Michel en île…
Je découvre alors qu’un paysage s’adapte très bien à la taille et aux couleurs figées d’une carte postale, et qu’il peut assumer aussi la force menaçante d’une intempérie !

Sinon, il serait intéressant d’évaluer en quelle mesure les transformations apportées au paysage par le travail de l’homme contribuent à la beauté du paysage même.
Pendant une inoubliable journée sur la côte d’Amalfi, un ami de mon père — qui avait écrit le sujet et le scénario d’un film célèbre avec Vittorio De Sica et Gina Lollobrigida (1) — scandalisa tout le monde avec une phrase péremptoire que personne n’osait partager.
« Qu’y a-t-il de beau en une montagne empruntant sa forme à la pluie, au vent et à la neige ? avait-il crié. Un paysage nu et sauvage, où l’on ne peut pas identifier la trace de la main de l’homme, ne m’intéresse pas du tout ! J’aime au contraire la nature maîtrisée par le génie des hommes ! Amalfi et sa casbah inextricable valent mille fois mieux qu’un promontoire inaccessible, à pic dans l’eau ! »
Il s’agissait bien sûr d’une provocation. Quel paysage demeure intègre dans sa forme originelle ? Quel paysage sortira indemne de la manipulation — bénéfique ou maléfique — d’êtres humains seuls ou associés ?

Pour conclure, en parlant de paysage (et de paysages) il est presque inévitable qu’on sorte du thème et du paysage même avec la conscience de ne jamais être à la hauteur de la tâche d’en décrire les contours ou les couleurs… Parce que le paysage est la vie même : le paysage de tous les jours c’est la vie au jour le jour, tandis que celui que nous voyons pour la première fois pendant des vacances heureuses c’est un paysage extraordinaire qui ne nous appartiendra jamais….

En octobre 2000, ma femme vint me récupérer après un séjour de presque dix jours dans une clinique romaine où j’avais assisté à bien de souffrances ainsi qu’aux petites joies que peuvent déclencher l’envie de vivre et la solidarité humaines. En peu de temps, on s’habitue à ces quatre murs et l’on s’affectionne même à cette étrange communauté où le sourire est la seule arme pour survivre… et l’on oublie qu’au-delà du grand escalier et du hall d’en bas (dont nous gardons le vague souvenir d’un froid sinistre), une banlieue laide et anonyme se réjouit de son indifférence, tel un immense terrain vague…
Toujours est-il que lorsque la voiture se mit à courir, en cette matinée de soleil et de brise légère, je découvris dans la lumière nette qui caressait les maisons et les arbres se détachant contre le ciel la quintessence de la beauté ! Une beauté qui venait à ma rencontre comme une gifle affectueuse ou un cadeau.

Giovanni Merloni

(1) Ettore Maria Margadonna : « Pain, Amour et Fantaisie » (1953)

le mur d’en face, le paysage poétique de Noël Bernard pour la Ronde de janvier 2018

15 lundi Jan 2018

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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la ronde

Bienvenus à la Ronde du 15 janvier 2018 ! Cette fois-ci autour du « paysage » ou des « paysages ». Avec grand plaisir, j’héberge ici mon ami poète Noël Bernard, auteur du blog « le talipo » que j’estime vivement pour sa rigueur et liberté d’expression ainsi que pour son engagement humain et solidaire. Merci, cher Noël pour ta contribution ! 

Vassily Kandinsky « Unequal » 1932 (source : Wikimedia commons)

le mur d’en face

la fenêtre
donne sur la cour
Ram voit à travers les carreaux
le mur aveugle où rien ne vient trancher sur le gris
sauf une humidité phosphorescente et du pigeon cette coulure laiteuse
il s’assied pose à côté de lui son sac vide et son manteau de grosse laine il regarde l’autre côté de la cour et ce mur

et ce mur
qui n’a jamais vu
le ciel ouvre sans prévenir
une transparence où sous un soleil de velours
Ram reconnaît au centre du hameau son toit de tôle sa porte et le banc bleu

sous le pont
le torrent qui danse
sur la place hurlent deux chiens
autour les bambous dressent leur mystère immobile

sur l’asphalte
deux corps dénudés
son père et sa petite sœur

Ram a froid
il se lève et ferme

le volet

Noël Bernard

« Dans chaque strophe de ce poème, les longueurs des vers sont ordonnées selon la suite de Fibonacci 3-5-8-13-21-34-55. Cette forme est chère à son auteur qui l’a baptisée le bigollo. »

J’ai donc le plaisir de recevoir Noël et la chance d’écrire sur le blog  « à l’envi » de Franck, que je remercie vivement pour son accueil amical.

Ainsi va la ronde aujourd’hui :

Jean-Pierre Boureux http://voirdit.blog.lemonde.fr/

chez …

Noël Bernard http://cluster015.ovh.net/~talipo/?tag=noel-bernard

Noel chez

Giovanni Merloni https://leportraitinconscient.com/

Giovanni chez

Franck http://alenvi.blog4ever.com/articles

Franck chez

Jacques https://jfrisch.wordpress.com/

Jacques chez

Hélène Verdier http://simultanees.blogspot.fr/

Hélène chez

Dominique Autrou https://dom-a.blogspot.fr/

Dominique chez

Guy Deflaux http://wanagramme.blog.lemonde.fr/

Guy chez

Marie-Noëlle Bertrand http://ladilettante1965.blogspot.fr/

Marie Noeële chez

Marie-Christine Grimard https://mariechristinegrimard.wordpress.com/

Marie Christine chez

Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com/

Dominique chez Jean-Pierre etc..

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