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Valère Staraselski, “LES PASSAGERS DE LA CATHÉDRALE”

23 vendredi Mai 2025

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

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Écrivains français, Valère Staraselski

Je viens de terminer la lecture du dernier roman de Valère Staraselski — “Les passagers de la Cathédrale” (Le cherche midi, 2025) —, que j’ai beaucoup aimé.

Au commencement, je ne sais pas pourquoi, il y avait quelque chose en moi qui m’empêchait de m’y plonger dedans. C’était à cause de la scène de vent impossible de novembre 2017, que j’avais lu un peu à la hâte, sans trop la comprendre. Ensuite, j’ai retrouvé mes repères et, en fin de lecture, j’ai constaté combien était-elle importante, dans l’ensemble du roman, cette scène-là qui, tout en donnant le ton et le « la », contenait déjà, en germe, telle l’ouverture d’un opéra, la plupart des thèmes posés et fouillés à fond dans les pages qui la suivent. 

En fait, en relisant le premier chapitre après avoir lu et apprécié les autres, j’ai compris la fonction narrative et philosophique que V. Staraselski assigne à la cathédrale : qu’il s’agisse de la moins connue Saint-Étienne de Meaux ou de l’hyper mondialisée Notre Dame de Paris, la cathédrale symbolise (tout comme les autres innombrables consœurs de France et d’Europe) la force de l’histoire et la preuve de quoi les hommes sont capables, avec leurs talents et volontés réunies.

Tout au long du récit – ou pour mieux dire de deux récits parallèles se déroulant sous la forme de la conversation et/ou de l’entrevue – le thème de la religion, et notamment de la religion chrétienne (ayant eu un rôle central dans la naissance des nations européennes et de la nation française en particulier), constitue le fil conducteur d’un long raisonnement, qui finalement résonne dans la tête du lecteur, moins comme une évidence que comme une piste qui vaut la peine d’emprunter, d’abord pour comprendre, ensuite pour agir.

D’ailleurs, la cathédrale n’est pas que le symbole et la preuve de l’existence de Dieu. Elle a toujours été un grand espace vide qui attend d’être rempli… par la foi, c’est-à-dire par un acte non obligatoire qui seul peut justifier la véritable sortie de l’homme de son « en soi » pour donner sa propre contribution active à la construction et à la défense d’une société égalitaire, fraternelle et solidaire…

En les aidant à refouler la frustration du manque (inévitable) de la réponse de Dieu, en les incitant énergiquement à donner eux-mêmes cette réponse, la foi pousse les hommes à se dépasser et agir au-delà de leurs limites. Sans une foi pareille, on ne pourrait pas expliquer l’immense abnégation de ceux qui ont fait les cathédrales, les ont défendues, réparées, embellies et remplies surtout d’une constante mission de partage, d’assistance et d’élévation sociale. Au nom d’une religion qui, malgré son histoire intermittente et tourmentée, se veut à juste titre très ouverte à la multiplicité des voix et des échanges.

Cela dit, « Les passagers de la Cathédrale » s’ouvre sur une situation qui, par la métaphore du vent, dit le contraire. Il s’agit aussi, bien sûr, d’un phénomène prémoniteur de la dévastation planétaire annoncée : la nature est en train de se révolter, essayant de nous avertir du pire qui va arriver. Mais je crois qu’ici la signification est plus vaste et profonde : il s’agit d’une sorte de parabole : François Koseltzov, pas du tout habitué à fréquenter les églises, échoue sur la nécessité absolue d’y entrer à cause du vent, en train de le rendre fou. Mais l’horaire d’ouverture est dépassé, l’immense porte de la cathédrale est fermée !

Cependant, en échange, cette journée exceptionnelle lui fait rencontrer cet homme, Louis Massardier, qui est lui-même une cathédrale, une cathédrale où la porte est ouverte. Plus tard, il découvrira qu’il suffit d’avoir la bonne clé pour entrer dans l’église et profiter de son calme silencieux pour en découvrir les trésors.

Ce jour de tempête, François a donc saisi un manque, il a découvert un besoin en lui, et commencé à entrevoir un but et peut-être un parcours pour arriver à le satisfaire. Il va d’abord exaucer son anxiété subliminale de voir ce qui se passe là-dedans… Et c’est ainsi qu’un athée endurci peut devenir “passager de la cathédrale” !

Cet athée endurci est bien sûr un homme des années deux mille, tiraillé comme jamais par la nécessité d’empêcher qu’on jette à la poubelle l’immense héritage des générations qui le précèdent et la tragique sensation d’une précarité contemporaine galopante, qu’un impressionnant manque de valeurs partagées ne fait qu’aggraver.

En fait, il ne faut absolument pas, comme le dit un ancien proverbe, « jeter le nouveau-né avec l’eau sale ». Il est plus sage d’essayer de renouer avec tout ce que le genre humain, au fil des siècles, a fait de positif, de sain et de respectueux envers la nature et lui-même.

D’autant plus qu’il y a beaucoup de choses qui résistent, demeurant figées dans les traditions et dans les convictions de tout un chacun : les religions, par exemple, l’idéal communiste, l’idée de démocratie républicaine, la laïcité, l’antifascisme, et bien sûr l’immense patrimoine d’expériences, de luttes, de vies exemplaires, dont on connaît le sacrifice, l’héroïsme, la génialité, le charisme, et cætera.

Quitte à découvrir, au fur et à mesure, le fond de grande humanité et sensibilité demeurant en tous les cinq personnages ainsi que dans l’esprit et l’âme de son Auteur, celui-ci facilite la lecture et l’administration des émotions de tout un chacun :

— se donnant la contrainte de laisser s’écouler deux récits parallèles aux différentes densités narratives, s’intégrant parfaitement entre eux, qui se déroulent l’un en août 2017 et l’autre de novembre 2017 jusqu’à la Noël 2018 ;

— choisissant pour décors de son « voyage hors du temps » des endroits ayant une grande force symbolique : la Cathédrale de Meaux, le Jardin Bossuet, l’Institut médico-légal de Paris, le Carré des Indigents au cimetière de Thiais, la maison de Louis Massardier avec ses « dazibaos » ;

— confiant le rôle de « moutons désemparés à la recherche de la lumière » à François Koseltzov et à ses deux amis fraternels (l’Iranien persécuté Darius Madhavi, musulman chiite et le Français Thierry Roy mieux connu comme Chéri-Bibi, fervent catholique), partageant avec lui une primordiale blessure ainsi qu’une vie constellée de difficultés très dures à supporter ;

— accordant une irremplaçable fonction stratégique à la jeune femme Katiusca Ferrier, se révélant au fur et à mesure un véritable « don du ciel » ;

— plaçant au centre de toutes les convoitises Louis Massardier, l’ancien « militant emmerdeur », celui dont personne ne voulait plus entendre les raisons, qui se révèlent pourtant précieuses et d’impressionnante actualité.

Pendant un temps inoubliable, les jeunes gens désemparés trouvent donc en Louis leur « maître de vie », leur Ange gardien avec une renouvelée raison de croire en quelque chose de positif pour le futur.

De son côté, la reconnaissance de Louis est également vive et profonde : « Vieillir, en fait ça revient à être peu à peu fichu en dehors de l’existence. Les portes, en quelque sorte, ne s’ouvrent plus. Elles demeurent closes. Là, avec lui [François], la porte était déjà ouverte ! Et elle est restée grande ouverte. Ça, si je n’étais pas tombé sur lui ce jour de tempête, mon penchant Alceste, se serait encore accentué. Et l’aurait emporté. […] Cela dit, il est vrai, enfin j’avoue, j’ai de plus en plus de mal avec mes congénères. C’est que je n’ai plus vraiment le temps, plus la force. Heureusement, il y en a parmi eux qui sont dotés d’une conscience active ! Katiuscia, oh que cette gamine est formidable de vie ! Elle n’a pas froid aux yeux, la môme. Elle bataille. » (Page 153)

« Les passagers de la cathédrale » m’a beaucoup touché et intrigué par son honnêteté intellectuelle et son approche poétique discret et réfléchi ainsi que pour le courage d’assumer une « thèse » à la fois morale et politique, apparemment paradoxale et provocatrice et parfois problématique, qui répond pourtant très correctement à la plupart des questions qui flottent aujourd’hui sans réponse au-dessus de nos têtes.

Un livre à la portée de tous, qui coule avec élégance et dans le respect des temps de l’attention. On dirait que V. Staraselski a parfois décidé de « ralentir » son exposition pour attendre les retardataires, comme moi, en leur donnant le temps de récupérer les passages perdus ou mal compris.

En relisant à plusieurs reprises certains passages, qui deviennent enfin familiers, j’ai eu même la sensation de la perfection, car ici rien ne manque pour faire vivre les multiples facettes de la « polis » souhaitée, l’endroit accueillant où vont se former les idées, les contrats, les alliances et l’on pourra apprendre à considérer la valeur fondatrice de l’altérité, de la reconnaissance à Dieu ainsi qu’à tout ce qui lui appartient.

Comme le dit Louis Massardier, Dieu est un tout, « Un tout constitué de deux. Comme l’identité. Oui, cela, s’était en quelque sorte créé : l’émergence du sujet, la possibilité d’un sujet, lorsqu’il avait pu y avoir va-et-vient, dialogue, rapport, relation, résonance… Ce qui induisait qu’il n’y avait pas de Moi sans Toi et que le Je ne pouvait pas être sans le Nous. Et le Nous inconcevable sans le Je… Et que l’autre se soit d’abord appelé « Dieu » ne changeait rien à l’affaire ! » (Page 211)

Cette « perfection » qui ne prétend pas du tout de l’être, est d’ailleurs le réflexe de la situation profondément dégradée de l’information contemporaine, de plus en plus stricte et mensongère et désormais totalitaire, obligeant les intellectuels militants ainsi que les écrivains à ne rien négliger pour ne pas être mal interprétés voire soumis au plus sommaire des jugements.

C’est surtout dans ce dernier roman que cette exigence devient systématique. Escomptant l’époque actuelle, où le dialogue et la compréhension entre les humains sont devenus de plus en plus rares et difficiles, l’Auteur voit justement la nécessité d’offrir au lecteur un contexte ainsi qu’un temps adapté.

En fonction de cela son choix est net : loin de Paris, de ses sirènes et de cyclistes impitoyables. Et c’est donc à Meaux, dans un univers connu et paisible que l’Auteur, maître de « l’art de la conversation », invite une petite communauté homogène et disparate à la fois, qui anime le débat et, en même temps, témoigne, par sa « présence militante », de la possibilité concrète de faire front à la complexité.

Au cours de la lecture, cette dialectique entre la ville capitale et la petite ville traversée par la Marne et le canal de l’Ourcq se révèlera essentielle, tout comme important au point de vue symbolique est le lien — d’abord subliminal et enfin explicite — entre la cathédrale Saint-Étienne et Notre Dame de Paris, la grande blessée. Car en fait l’attitude de tous les personnages du roman envers Paris ressent toujours d’un sentiment contradictoire, pleinement justifié : d’un côté une forme de gêne sinon de rejet vis-à-vis de la vie dure et difficile qu’on y doit subir, de l’autre l’intarissable émerveillement face aux trésors de beauté et de vitalité positive que cette ville contient.

Le choix des endroits, ne faisant qu’un avec l’invention-découverte de personnages dignes d’un grand réalisateur français, se marie parfaitement à cette nécessité de fouiller ensemble dans la dure réalité pour en extraire quelques vérités à assumer… collectivement.

C’est quelque chose que tout être humain a vécu au moins une fois dans sa vie : ce moment magique où se forme une petite communauté d’égaux qui deviennent amis au fur et à mesure qu’ils se disputent sur ce qui leur tient plus vivement à cœur ou lorsqu’ils découvrent, ensemble, une chose inattendue qui peut tout changer de leurs convictions… En même temps, par le biais de ce « faire ensemble » ils s’ouvrent réciproquement le cœur, ils deviennent solidaires.

Mais ce livre « magistral » jaillit surtout de la rencontre entre François Koseltzov et Louis Massardier (dont le prénom est sans doute celui de Louis Aragon, tandis que le nom semble emprunté à Hugo ou à Balzac) et se structure autour d’elle. Seul personnage toujours présent sur scène, le jeune François n’a pas hâte de se laisser découvrir par le lecteur, car il peine beaucoup à gérer sa souffrance psychologique ainsi que sa détresse physique et morale. Tout en ayant besoin d’être rassuré et autorisé à vivre, il est pourtant amené, par sa vive intelligence et son esprit généreux, à la découverte de nouveaux défis. Au-delà de ses rares monologues silencieux, où il dévoile, parfois brusquement, son ressenti, ses interventions sont toujours brèves et ciblées. Le lecteur ne connaîtra qu’à la fin (pages 233-236) son esprit et son âme nobles.

Heureusement, quelques mois avant de connaître Louis, François avait rencontré une certaine Katiuscia qui, dès son apparition à Meaux, donnera à toute la compagnie d’amis une touche de véritable bonheur. Pour François, l’expérience extraordinaire et inespérée de l’échange intergénérationnel avec Louis sera la cerise sur la tarte de son équilibre personnel que la présence de Katiuscia à ses côtés est déjà en train de renforcer.

Inébranlable centre de gravité, avec son humour et sa désarmante sincérité, Louis Massardier rend le lecteur heureux d’être là à son écoute, même s’il comprend que celui-ci est en train de profiter de ses derniers moments de vie pour distiller son sang même. Suivant ses connaissances et sa longue expérience, le vieux Louis traîne ses partenaires dans des discours tous azimuts qui se révèlent toutefois bien ancrés :

« Lui qui, tout au long de son existence, avait été un être de conviction ! Conviction, pas certitude… Et Dieu sait qu’il y en avait, des êtres à certitude ! Lui qui avait choisi d’endosser la réalité, de prendre parti, d’être, de devenir, oui, un militant. Et puis qui avait cessé faute d’organisation, faute de contenu, faute des combattants. Faute non de raison d’être, mais d’orientation à force de baisser pavillon. À court de liens avec la réalité parce que plus d’”orga” comme on disait, digne de ce nom. Oui, l’organisation qui ne semblait plus vivre que pour elle-même, ratatinée sur de faux militants de conviction mais vrais militants alimentaires. Organisation devenu appareil, qui avait un temps dérivé dans la communication pour la communication et, croyant se reprendre, avait opté pour la sous-culture des extrémistes. Ceux qui éternellement se satisfont de dire non… » (Pages 157-158)

Au bout d’une vie qu’on devine pleine et dense d’épreuves, cet ancien professeur d’histoire contemporaine au Collège de France essaie de dévider « pacifiquement » le nœud gordien contemporain au nom d’un souterrain espoir : que le communisme revienne, comme le christianisme, à son essence foncièrement religieuse. Ce que Gramsci appelait le “communisme au visage humain”, peut-être : une grande alliance de chaque peuple avec son histoire : un communisme intégré dans la démocratie républicaine, capable d’hégémonie mais aussi d’écoute et de respect des raisons d’autrui.  

Le rôle stratégique de Katiuscia, vaguement annoncée dans les premiers « actes » du récit douloureux qui fait pendant à l’histoire principale, s’affiche pleinement dans le chapitre au titre « La semaine Sainte » (pages 99-113), extrêmement suggestif, au-delà de l’hommage à l’un des chefs-d’œuvre de Louis Aragon. Suggestif et allusif parce qu’entre le dimanche de Rameaux et celui de Pâques se déroule la plus grande révolution sémantique dans le mystère de la foi : la Résurrection du Fils de Dieu. Une résurrection privée celle que vit François lorsqu’il commence, avec Katiuscia, sa vraie vie ; une résurrection collective, celle prônée par Louis Massardier et ses camarades, qui n’arrivera que le jour où les hommes apprendront à se respecter les uns les autres.

Dans le récit « théatral » que François raconte à Darius sur le train qui les amène de Paris à Meaux, l’Amour subliminaire avec Katiuscia a le pouvoir de refouler l’idée de la Mort et du renoncement et de projeter le couple naissant vers la vie et le combat serein pour une existence digne et solidaire.

Dans l’histoire de notre cénacle contemporain, dont Louis Massardier, l’homme âgé, est le maître, c’est l’Amitié, qui établit, au fur et à mesure, un terrain commun — très proche du bien commun souhaité — entre personnes mûries par le biais de différentes expériences. L’ancienne Renault bien conservée qui emmène à Valmy-la-bataille quatre hommes soudés, peut évoquer chez le lecteur l’image du “radeau de la Méduse” où se rassemblaient les “copains d’abord” de George Brassens.

Je n’aurai pas mis en exergue l’Amitié et l’Amour si le thème de la Mort ne fût dominant tout au long du livre : d’abord, la mort évoquée de Brice Beaulieu, dont François Koseltzov ressent la responsabilité (parce qu’il n’avait pas eu la promptitude de l’empêcher en se chargeant jusqu’au bout de l’état extrêmement critique de son ami) ; ensuite la mort évoquée par le franco-iranien Darius Madhavi (ayant vu mourir à ses côtés l’un de ses camarades de prison) ; puis, la mort d’un pauvre chien, tué et mutilé par son même patron avant d’être jeté dans le canal de l’Ourcq près de Meaux ; enfin, les innombrables morts dans la rue… des morts intervenues précocement, avec violence, au milieu de vies difficiles sinon impossibles, se gravant indélébilement dans la peau et dans les nerfs de ceux qui les ont frôlées de près ou se sont donné le courage de les regarder en face tout en ayant un œil trop sensible.

Tous les personnages que V. Staraselski convie dans sa recherche d’une réponse unitaire et plurielle à notre embarras contemporain, ce sont des anciens militants, des vrais, qui ne trouvent plus, dans la réalité contemporaine, un véritable contexte de rencontre et d’action. C’est le signal clair d’un sentiment d’impuissance : malgré toutes les analyses systémiques, voire idéologiques, dont on pourrait se servir pour échafauder cette réponse sociale, culturelle, morale, mais surtout politique, en manque d’un véritable militantisme plein et désintéressé, tout espoir de « renaissance » des consciences apparaît illusoire. D’ailleurs, « il y en a toujours, des Justes, des êtres normaux dotés d’une colonne vertébrale morale et mentale ! » (Page 82)

Je ne peux que partager cette confiance dans ce Dieu que même les hommes justes ont perdu. Je pense que c’est le même Dieu dont avait besoin Jean-Jacques, le même Facteur lui inspirant ce Contrat social qui tant se rapproche de l’idée d’Alliance proposée dans ce livre.

Et, « puisque l’homme s’est montré bien incapable de s’y tenir par lui-même, de respecter le contrat ! Dieu surplombe, il transcende. Ouf, enfin une autorité indiscutable et surtout permanente. Mais pas une autorité toute-puissante, omnipotente, despotique, autoritariste en un mot, puisqu’elle ne vaut que si, côté humain, il y a un accord, contrat, pacte, alliance… Or, la liberté de ne pas y souscrire existe ! Et seuls les mortels sont en mesure de faire vivre ou non cela. Cet engagement, je veux dire. Car, fait majeur, la liberté est reconnue aux humains… » (Page 82)

Le travail que ce livre essaie de contenir et traduire est immense, prodigieux : on ne saurait que lire et relire ce texte bienveillant, sans avoir la moindre envie d’en contester l’honnêteté et la force morale. La lucidité aussi :

« Il faut agir, oui, être dans l’action et faire au quotidien comme si tout dépendait de nous. Car c’est bien là le secret : faire comme si absolument tout dépendait de nous et de nous seuls. Pas de salut hors de ça. » (Pages 50-51)

Giovanni Merloni

« Il n’est au pouvoir de personne… de réduire un artiste au silence… » : douze bouleversantes nouvelles de Valère Staraselski

26 mardi Nov 2019

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Écrivains français, Valère Staraselski

« Il n’est au pouvoir de personne… de réduire un artiste au silence… » : douze bouleversantes nouvelles de Valère Staraselski

Après une longue et bienheureuse série de romans « engagés », porteurs de poignants témoignages et d’utopies positives, Valère Staraselski nous livre aujourd’hui, avec La Revanche de Michel-Ange, suivi par Vivre intensément repose (La Passe Vent, 2019), un recueil de nouvelles aboutissant dans son ensemble à une sorte de roman autobiographique.

En fait, avec ces nouvelles, Valère Staraselski se montre disponible à partager avec le lecteur quelques bribes de ses expériences et même des souffrances qu’il a endurées ; à lui confier comment, après des années de travail incessant, ses déchirures se sont estompées en des sentiments d’apaisement et de confiance, devant : l’évidence de la vocation à l’écriture ; la satisfaction de voir celle-ci respectée et reconnue ; l’importance de l’engagement politique et idéal ; l’impératif moral, qui en découle, de transmettre, aux nouvelles générations surtout, ce que l’Histoire nous apprend, notamment à travers son immense patrimoine de luttes et de conquêtes sociales et culturelles.

Tout cela est bien exprimé dans l’une de ses nouvelles : Vivre intensément repose, donnant l’un de deux titres au recueil : « …je suis un lowbrow [nous dit Valère Staraselski en citant Virginia Woolf], autrement dit quelqu’un qui n’a pas d’autre choix — comme aimaient à le répéter les Américains dans leurs films des années cinquante — que de travailler dur… Oui, j’aime la littérature ! Oui, j’aime le monde ! Seulement, étant comme la majorité, depuis le collège, dans l’obligation de travailler sans cesse, je me suis fait une raison en même temps qu’une devise : vivre intensément repose ! Quelle autre réponse que celle-ci un lowbrow est-il en mesure d’apporter à la grande dépossession de la vie ! Depuis toujours, pour les lowbrows, vivre intensément repose… »
Le titre de cette nouvelle — évoquant en moi deux exemples italiens tout à fait
opposés : « Travailler fatigue » du poète Cesare Pavese et « Je voulus, je voulus toujours, avec toutes mes forces je voulus » du dramaturge Vittorio Alfieri — aurait sans doute représenté tout seul l’ensemble des nouvelles publiées, s’il n’y avait pas eu la nécessité d’une ouverture, d’un changement de vitesse, voire de la prise de conscience de nouveaux horizons.

Dans La revanche de Michel-Ange, Staraselski, représenté par son avatar quadragénaire Philippe Mariani, s’accorde une pause. Sans démordre de son défi existentiel d’écrivain engagé, Philippe part à Venise pour se nourrir d’une beauté hors du temps et de tous les contextes possibles. Ici, pour une fois, sa vie et ses nécessités personnelles sont mises entre parenthèses, pour mettre en valeur le sujet de l’art et notamment du destin de l’artiste dans la société. Telles deux quilles plantées entre le parvis et les marches de l’église de Santa Maria della Pietà, Philippe et son camarade, le photographe Charles Dolnay, ne voient pas le temps qui passe ni le froid brumeux de novembre les pénétrer jusqu’aux os, car ils « doivent » atteindre le bout d’une discussion qui les regarde intimement :
« Le privilège de l’artiste repose intrinsèquement sur des devoirs !… Croyez-m’en, Michel-Ange ne bénéficia pas que des avantages, il eut, tout Michel-Ange qu’il était, à supporter de sérieux inconvénients, à subir bien des avanies qui prouvaient à chaque instant le faire choir de sa situation. Et je dis bien à chaque instant !… Et si Michel- Ange eut beaucoup à subir des papes et des commanditaires, je l’ai dit, il fut bien sûr immanquablement et férocement jalousé par les autres artistes et bien évidemment gêné, importuné par des éminences de tous rangs. »
Cependant, Michel-Ange trouvait toujours la façon de se faire respecter, protégeant son oeuvre, comme il arriva lors des fresques à la Cappella Sistina, où le maître des cérémonies Biagio da Cesena « fut contraint à goûter, bien contre son gré, à la revanche de Michel-Ange ! Revanche que — sûr de son bon droit — il n’avait pas une seule fois envisagée. Non, décidément, il n’est au pouvoir de personne, à moins d’user de l’assassinat, de réduire un artiste au silence… »

« Il n’est au pouvoir de personne… de réduire un artiste au silence… »: voilà le message primordial que Valère Staraselski nous confie avec esprit ferme et serein. Je vois dans cette affirmation un important aboutissement dans le parcours humain et intellectuel de cet auteur courageux qui a su se dépasser au fur et à mesure de son affranchissement de nombreuses contraintes matérielles et existentielles qui ont inévitablement forgé son destin.

Et maintenant, par le biais de ces douze nouvelles — de véritables perles de beauté littéraire — se regroupant autour de deux titres que je viens de citer, nous avons la chance d’être conviés sur le chemin que Valère Staraselski a parcouru pendant des années et qu’il nous raconte, à travers une bouleversante polyphonie de voix venant de son vécu personnel et du monde qui « l’a vu naître », voire se former cette splendide identité d’écrivain qu’on lui connaît.
Ce n’est pas la première fois que Staraselski ouvre discrètement une fenêtre sur son propre personnage. Il l’avait déjà fait, de façon presque subliminale, dans plusieurs de ses textes, tels Dans la folie d’une colère très juste, Un homme inutile, Nuit d’hiver et Sur les toits d’Innsbruck.
Cependant, il me semble que cette fois-ci, avec les douze nouvelles qui viennent
d’être publiées, Staraselski fait un pas en avant plus explicite dans la direction d’une représentation à la fois organique et sincère de son parcours d’homme et d’écrivain, choisissant justement les années de sa vie les plus significatives pour cette représentation.
Peut-être, suis-je influencé par quelques-unes de mes lectures fétiches, comme
l’étonnant Vivre pour la raconter de Gabriel Garcia Marquez ou alors les
incontournables Rêveries du Promeneur solitaire.
Mais les personnages de Valère Staraselski, tout comme l’immense Jean-Jacques, ne se rapprochent-ils pas d’infatigables promeneurs solitaires, des amants de la nature, des êtres à l’esprit inquiet, des hommes exigeants avec eux-mêmes qui ne cessent de travailler autour de la « véritable raison des choses » et du sens ultime de notre destin d’hommes et de citoyens ?
N’y a-t-il pas aussi, en ces personnages, comme dans le roman du grand Colombien, la conscience de vivre ou du moins d’avoir vécu leur vie, avec toutes ses joies et contrariétés, justement pour pouvoir un jour la raconter ?

Giovanni Merloni

Au profit de quoi, en France, allons-nous vivre dans une société où le travail, la justice et les bases culturelles de la civilisation seront de moins en moins garantis ?

14 dimanche Avr 2019

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Valère Staraselski

Pablo Picasso, Guernica

Au profit de quoi, en France, allons-nous vivre dans une société où le travail, la justice et les bases culturelles de la civilisation seront de moins en moins garantis ?

Toujours en me demandant comment est-il possible que nous en soyons là — à la destruction systématique de biens et valeurs aussi primordiales qu’indispensables pour qu’une démocratie puisse se défendre des attaques venant de l’extérieur — je m’obstine à croire que les hommes et les femmes de France sauront arrêter la vague des actions négatives qui en défigurent l’image et le rôle en Europe et dans le monde.

Dans les récentes interventions gouvernementales concernant la justice, le travail et l’école — trois questions intimement entrelacées et interdépendantes depuis toujours — on perçoit la hâte d’empirer les équilibres existants, négligeant de garantir aux citoyens français cette partie essentielle de la « certitude du droit » qui vient du partage d’une vision commune au sujet des conquêtes et des valeurs de notre démocratie républicaine.

Giovanni Merloni

Sans ultérieur commentaire de ma part, je vous transmets deux entrevues animées par Valère Staraselski, écrivain et journaliste de l’Humanité dans l’émission « Libre parole »  :

— La première, avec Jean-Paul Jouary, philosophe et essayiste : « L’enseignement de la philosophie est-il en danger ? »

— La deuxième, avec Meriem Ghenim, avocat : « Une justice privée coûtera cher aux contribuables ! »

(CLIQUEZ sur les liens en rouge pour saisir les vidéos)

La politique, unique possibilité pour résoudre les conflits humains… (Le Prix LICRA 2018 au « Parlement des cigognes » de Valère Staraselski)

29 mardi Mai 2018

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Écrivains français, Valère Staraselski

« La poésie est le miroir brouillé de notre société. Et chaque poète souffle sur ce miroir : son haleine différemment l’embue » (Louis Aragon).
Photo de Rodney Smith.
Image et vers empruntés à un tweet de Laurence (@f_lebel)

« C’était ainsi… Il me revient ce que m’a dit un jour Luka. Oui, Luka, un camarade. Avec lui, nous avons partagé la même cache… « Tu sais, Zygmunt, m’a dit un jour Luka, c’est drôle mais, dans le ghetto, j’avais peur des Allemands et, ici, je n’ai plus peur que des Polonais… Oui, parce que l’Allemand, il ne saura pas me reconnaître dans la rue, il n’ira pas flairer, alors qu’ici, dans ce grenier, il y a encore qui ont échappé à leurs meurtriers.
— Bon, d’accord, ai-je alors rétorqué, mais le Polonais, il n’est pas dangereux en soi. Il est juste dangereux parce qu’il peut te livrer aux Allemands. Donc, il ne faut pas l’accuser de la même manière que l’Allemand.
— Si, m’a alors répondu Luka, parce que l’Allemand, c’est mon ennemi alors que le Polonais, c’est mon compatriote. » »
(Valère Staraselski, Le Parlement des cigognes, Cherche midi 2017, page 81)

La politique, unique possibilité pour résoudre les conflits humains…

J’ai été particulièrement heureux d’assister le dimanche 27 mai à la Mairie du Ve, place du Panthéon, à la remise du Prix LICRA 2018 à Valère Staraselski pour son roman « Le Parlement des cigognes ».
Il s’agit d’un livre extrêmement clair et explicite sur le drame qui s’est passé en Europe et notamment en Pologne lors de l’Occupation allemande et de l’extermination massive des Juifs de la part des nazis.
Aujourd’hui, le prestigieux Prix de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme en souligne davantage l’actualité et l’importance.
Cela laisse bien espérer pour une divulgation encore plus vaste du livre, avec son message de tolérance et de paix qui fait de Valère Staraselski l’un de rares écrivains français qui se chargent jusqu’au bout du respect de la vérité historique et de sa correcte interprétation.

Dans « Le Parlement des cigognes », Valère Staraselski évoque les évènements tragiques de la ségrégation dans le ghetto de Cracovie et des camps d’extermination en Pologne comme la preuve, on ne peut plus accablante des crimes et des horreurs que les hommes peuvent commettre sous le prétexte de la haine et de l’intolérance raciale et religieuse. Une preuve ayant la fonction d’avertissement pour le moment présent.
En fait, ce qui arrive aujourd’hui en plusieurs endroits de la planète — s’annonçant dangereusement aussi dans le cœur de l’Europe — ce n’est pas exactement le même phénomène évoqué dans le livre : le déclenchement de la Shoah de la part des nazis et le comportement lâche et complice d’une partie des Polonais qui, au lieu de réintégrer, après la Libération, leurs compatriotes juifs dans le cœur de la communauté nationale, ont continué à les persécuter pendant des années.
Et pourtant, au fur et à mesure des violences terroristes ou des actes de guerre ouverte qui s’affichent à l’horizon, une confrontation avec la lointaine tragédie polonaise est bien possible.
Dans « Le Parlement des cigognes », j’apprends donc que l’humanité est constamment confrontée à deux luttes indispensables : la lutte culturelle et morale contre l’intolérance et la haine ; la lutte politique contre tous ceux qui favorisent l’installation et la radicalisation d’un climat d’intolérance et de haine avant d’en profiter pour imposer un pouvoir qui se passe de la démocratie et du respect pour les exigences primordiales des êtres humains et de la nature.
Ce qui arriva en Pologne avant et après la Seconde Guerre s’est déclenché par exemple dans l’ex-Yougoslavie au lendemain de la chute du mur de Berlin et se déroule incessamment dans le Moyen-Orient où la Syrie est devenue aujourd’hui le théâtre d’une nouvelle apocalypse où les haines et les intolérances se multiplient et se croisent dans une spirale inépuisable de violence et de mort.
Cela a entraîné, depuis longtemps désormais, le douloureux phénomène de l’exode des populations chassées ou en fuite des pays en guerre. Elles essaient de trouver en Europe un havre d’espérance et de paix qu’elles ne trouveront pas. Nous assistons, au contraire, au crescendo de l’égoïsme et de l’indifférence, quand on n’a pas affaire à la méfiance et au rejet.
C’est la débâcle de tout principe de fraternité entre les peuples, mais c’est aussi la débâcle de la politique !

Prix LICRA 2018 : Valère Staraselski est le premier sur la gauche.

Avec sa profonde sensibilité d’écrivain engagé et d’observateur avisé, Valère Staraselski a bien saisi cette dérive impressionnante dans tous ses écrits, manifestant en plusieurs occasions publiques son inquiétude pour la mauvaise connaissance de l’Histoire de la part de nouvelles générations et aussi pour le rejet progressif de la politique dans nos sociétés occidentales qui ne sont pourtant pas à l’abri de dérives antidémocratiques sinon d’involutions de nature fasciste.
Dans le but de briser ce mur d’indifférence et réaffirmer l’importance des conquêtes sociales et culturelles que les générations précédentes nous ont livrées, Valère Staraselski a délibérément opté pour le « roman » comme moyen privilégié de communication. Une forme qui correspond bien sûr à son esprit poétique et dialectique à la fois, qu’en tout cas il adopte dans le but primordial de transmettre au lecteur le plus efficacement possible tout ce qu’il doit connaître.
Je suis complètement d’accord avec ce « choix de vie » de Valère Staraselski : tout en gardant le cap d’une écriture littéraire de grande force et beauté et d’un regard profondément sensible à la condition des exclus, des démunis et des marginaux, dans ses romans il réussit à faire revivre l’Histoire de façon que tout un chacun reconnaisse enfin la valeur irremplaçable de la politique comme unique possibilité pour résoudre les conflits humains de tout genre.
 l’occasion du Prix 2018 à Valère Staraselski, je me suis renseigné davantage sur la LICRA, et j’ai appris que cette association a été fondée à Paris en 1927, bien avant que la haine raciale et antisémite ne se déclenche en toute son ampleur homicide en Europe.
J’espère, au-delà de nombreux signaux assez redoutables que produit la réalité contemporaine, que cette rencontre de la LICRA avec Valère Staraselski marque un tournant dans la prise de conscience collective de la gravité du moment, que l’Histoire ne se répète pas avec le même insupportable scénario où le fascisme intolérant et raciste deviendrait partout l’allié naturel des intérêts égoïstes de minorités puissantes et sans scrupules. Et qu’ici, en Europe, demeurent finalement victorieux la tolérance tous azimuts et l’esprit de démocratie et liberté républicaine dont nous bénéficions, malgré tout !

Giovanni Merloni

« Il s’agit d’une personne avec qui l’on peut parler ! »

26 lundi Mar 2018

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Valère Staraselski

Giovanni Merloni, Le lit jaune, acrylique et encre d’Inde, 50 x 50 cm, 2018

« Il s’agit d’une personne avec qui l’on peut parler ! »

Dans les années soixante-dix, lorsqu’on avait au plus haut degré l’illusion qu’un idéal pouvait trouver « ses jambes » à travers la confrontation et la discussion, il y avait une expression assez récurrente :
« Il s’agit d’une personne avec qui l’on peut parler ! »

Car, évidemment, à chaque pas, il fallait choisir le bon interlocuteur.
Une autre expression, typique de cette époque, était la suivante :
« Celui-là, au contraire, n’a pas la phase de l’écoute… »
Entre-temps, Michelangelo Antonioni préconisait l’arrivée de la redoutable ère de l’incommunicabilité…

Maintenant, la situation a vivement empiré. Peut-être, les êtres humains sont-ils en train de subir une profonde métamorphose, au bout de laquelle la notion d’amitié désintéressée aura disparu, tandis que nos mains aussi auront perdu toute leur souplesse et habilité calligraphique et dessinatrice. Tout le monde sera « sans papier » au sens strict du terme, parce qu’il n’y aura plus de papier pour y écrire dessus ni de papier imprimé avec des mots immortels…
Les humains volontaires et raisonnables, même ceux qui s’obstinent à protester en descendant dans la rue au nom d’une démocratie qu’ils voient pourtant s’émietter, ils se trouvent de plus en plus confrontés à un manque d’écoute impressionnant, à un sentiment d’impuissance vis-à-vis de bêtises comme la destruction graduelle du transport ferroviaire ou l’abolition progressive du travail stable et de la retraite.
On pourrait dire que le Président Macron, comme ses récents prédécesseurs, profite du manque d’une véritable et surtout constructive circulation des idées ainsi que de la banalisation de la culture. Mais qui sont les responsables de cette banalisation ? Tout cela ne se trouve pas dans les livres, bien sûr.

« Tu sais, le gros problème, jusqu’à présent, c’est qu’il y a toujours eu d’énormes différences entre la littérature et la vie, et ceux qui font de la littérature n’ont pas intégré la vie à leurs textes, et ceux qui sont pleinement dans la vie se sentent exclus de la littérature… »
Voilà un tweet lancé par Laurent Margantin (@oeuvresouvertes) qui m’interpelle vivement.

Il s’agit sans doute d’une affirmation qui ne se veut pas axiomatique ni absolue, exprimant notamment une profonde inquiétude pour les dérives possibles de la littérature contemporaine. Elle met pourtant le doigt sur une plaie bien ouverte, évoquant en moi — et sans doute dans les « passants » de Twitter les moins distraits aussi — le désir d’y ajouter quelques mots ou même d’entamer une discussion (presque) sérieuse sur l’adhérence de la vie à la littérature.

Tout en partageant la vérité autour de laquelle L. Margantin nous propose de réfléchir, je ne crois pas que la vie, avec toutes ses contradictions et conflits quotidiens, ait été de quelque façon ignorée par les livres d’André Gide ou de François Mauriac, par exemple. Elle entre de plain-pied aussi dans les textes de Josè Saramago (voir entre autres « Aveuglement »), d’Albert Camus (« L’étranger ») ou encore de Dino Buzzati (« Le désert des Tartares »). La liste serait bien longue. Et si, au bout de la lecture d’un livre, je lève la tête heureux et ému, c’est pourquoi j’y ai partagé des morceaux de vie réelle, peu importe s’il s’agissait d’une vie rêvée ou réellement vécue, d’une fiction ou d’un récit se voulant « objectif ».
En revanche, la littérature « sert » à la vie. Pourvu que les gens lisent, qu’ils aient le bon esprit ainsi que l’envie de se dépasser culturellement pour rentrer de plus en plus profondément dans les nombreuses richesses qu’un beau livre peut contenir.
Il est vrai aussi qu’une telle envie de se dépasser, vive et présente dans les lecteurs les plus volontaires, cogne de nos jours, de plus en plus souvent, avec « l’aridité » et la « répétitivité » de l’écriture dominante, parfois très soignée et même parfumée, mais de plus en plus à la poursuite des curiosités ou des scandales que nous impose l’actualité. Il s’agit souvent d’une écriture qui ne comporte pas des risques et que la plupart des éditeurs encouragent parce qu’elle contient en doses équilibrées ce que le public est amené selon eux à accepter le plus facilement. Il s’agit finalement de l’écriture des gagnants, des embauchés de la littérature qui ne risqueront pas, apparemment, de perdre leurs postes dans la vitrine figée du monde contemporain…
Il y a en tout cas des exceptions, parmi les écrivains de qualité, dont Valère Staraselski, par exemple — ayant atteint son public d’inconditionnels sans en tirer pourtant, jusqu’ici, une plus vaste reconnaissance —, où j’ai retrouvé le même sentiment et la même intelligence de la vie que L. Margantin recherche dans la littérature.
Au plus bas niveau de cette échelle impitoyable, les écrivains maudits ou marginaux, sans papier ou sans abri au sens plus ou moins métaphorique, n’auront pas la possibilité de faire entendre leur voix. Je ne sais pas s’ils « expriment » mieux que les autres la vie réelle. Je sais qu’ils « sont » eux aussi la vie réelle…

En tout cas, depuis mon observatoire — suivant les différentes expériences de travail et de vie qui m’ont conduit jusqu’à Paris à mes soixante-dix ans largement accomplis et dépassés, toujours avec l’engagement littéraire dans la peau — je peux affirmer que ce qui arrive à la littérature suit le même douloureux destin qui touche aux autres domaines, artistiques ou pas, de notre société contemporaine.
La voix du poète, de l’écrivain ou de l’artiste atteint de moins en moins son but naturel de communiquer voire de témoigner la dramatique richesse de la vie à ceux qui n’attendent que cela.
Parce que nous vivons dans une société devenue extrêmement rigide, cloisonnée et bureaucratique (et bien sûr asservie aux règles commerciales imposées par des élites rusées qui vivent aussi bien au- dedans qu’au-dehors de cette société même).
Parce que les gens sont de moins en moins capables d’écouter ni d’entendre la voix des autres.
Parce qu’on est plongé dans un régime basé sur la méfiance et l’égoïsme du « sauve-qui-peut ».

Parce que ce sont les monopoles grands ou petits qui décident si tel médicament est bon pour la santé, si tel artiste « se vend » et si tel livre peut circuler.
Parce qu’en fin de compte on intercepte de plus en plus les relations entre les humains de façon que tout ce qui est « indépendant » se décourage ou se retire dans un petit cercle aussi marginal qu’inoffensif.

Je ne crois pas que tout ce qui est marginal et indépendant soit forcément « baisé » par les Muses. Mais je suis sûr et certain que ceux qui font le possible pour décider de nos vies et de nos goûts par une sorte d’invisible Fahrenheit 451 trouvent plusieurs complicités dans le « monde » de la littérature.
Je me demande alors, suivant la réflexion de Laurent Margantin : « est-ce que nos guides, nos maîtres ou les gens de lettres qui travaillent à différents titres auprès des maisons d’édition “intègrent la vie” à leurs carrières exemplaires ? »

Giovanni Merloni

Suffit-il d’une visite à Auschwitz pour apprendre à combattre la banalité du Mal ? Une rencontre avec Valère Staraselski

18 jeudi Jan 2018

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Écrivains français, Valère Staraselski

Suffit-il d’une visite à Auschwitz pour apprendre à combattre la banalité du Mal ?

J’ai été ravi de participer, le dernier jour de 2017, à une matinée avec Valère Staraselski, invité par Antoine Spire au café dès Psaumes, rue des Rosiers, au sujet du « Parlement des Cigognes ».
J’ai été fort impressionné par le haut niveau de l’entrevue, où Antoine Spire, inspiré par le livre, a voulu fouiller davantage dans les questions encore ouvertes que ce roman soulève, tandis que Valère Staraselski, l’auteur, a su très efficacement expliquer d’abord la motivation primordiale du livre ensuite la raison de son déroulement.
En général, j’ai vu en ces deux interlocuteurs deux façons différentes d’affronter le thème de la Shoah dans son temps et à l’époque actuelle, même s’ils ont montré de partager le même but et presque les mêmes analyses.
J’avais déjà remarqué, en lisant « Le Parlement des cigognes », la présence d’un discours novateur, d’un coup d’aile en direction d’un changement d’attitudes vis-à-vis du « négationnisme » contemporain, qui essaie d’effacer toute vérité historique au profit d’une involution de la démocratie là où elle existe et résiste.
Ce travail dur et difficile de réhabilitation de la vérité historique est d’ailleurs le thème dominant de l’œuvre de Staraselski dans son ensemble : une réhabilitation qui ne fait qu’un avec des principes inébranlables que notre auteur a mûris à travers la discipline d’études sérieux et sa longue militance dans le Parti communiste français.
Tout cela se retrouve pleinement dans « Le Parlement des cigognes », où  notre écrivain se donne la contrainte de faire jaillir la vérité historique de l’Holocauste en Pologne dans la conscience paresseuse et pleine de préjugés de quelques-uns de jeunes Français en visite à Cracovie.
Car Staraselski se pose aussi une question devenue pénible de nos jours : comment éveiller les consciences fourvoyées ou endormies lorsque les conquêtes de la civilisation et de la fraternité des peuples sont attaquées voire anéanties ?
Comment pouvons-nous apprendre l’un l’autre à réapprendre à discuter, à dialoguer et finalement à reprendre le bon chemin pour contribuer au salut de l’humanité sans en compromettre les nécessités primordiales de liberté égalité et fraternité ?

Valère Staraselski essaie de faire cela dans ses romans, non seulement par un travail acharné de reconstruction fidèle des faits et des circonstances historiques, mais s’efforçant aussi de comprendre les mécanismes psychologiques qui se déclenchent notamment dans les jeunes gens quand on aborde un thème comme celui de la Shoah et donc de la nécessité d’un engagement politique pour éviter que cela se répète ou, pour mieux dire, d’un engagement collectif pour que rien ne reste obscur de ce qui s’est passé en Pologne et dans le reste d’Europe durant et après la Seconde Guerre.
Pour qu’on veille sur ce qui se passe aujourd’hui, dans un monde où la circulation vertigineuse des informations se révèle une arme indispensable pour se défendre un peu, mais n’est pas vraiment efficace pour rassembler des hommes de bonne volonté autour d’une bataille constructive.
Je partage tout à fait cet effort de transmettre aux jeunes la vérité en toutes ses facettes même les plus honteuses.
J’ai été donc ravi voyant Antoine Spire, un journaliste très exigeant, approuver pleinement ce livre ainsi que sa façon légère et profonde à la fois de raconter la Shoah, c’est-à-dire la tragédie la plus monstrueuse et insensée de notre histoire récente.
D’ailleurs, je partage tout à fait la critique de Valère sur le caractère touristique des « visites guidées » à Auschwitz…..
Certes, celles-ci sont importantes, mais il ne faut pas négliger la force d’un roman (ou d’un film ou d’une chanson) lorsqu’il s’agit d’une œuvre ayant  la capacité de déclencher, comme le fait le « Parlement des cigognes », une réaction positive parmi les jeunes !
À présent, le roman s’avère, dans les mains et dans le regard clairvoyant de Staraselski, comme le moyen le mieux adapté pour véhiculer le jugement de l’histoire, car la complexité et la précision de ce jugement sont toujours liées à des expériences réelles auxquelles seul le roman peut donner une voix qui brise le conformisme et l’indifférence.
Au bout de cette réunion je crois que tout le monde a saisi, dimanche matin, l’universalité du message du « Parlement des cigognes » avec son hommage à la question cruciale de la tolérance : un sentiment ou action qui ne peut se développer qu’en dehors de la méfiance et de la haine !

Aujourd’hui, 18 janvier, c’est l’anniversaire de mon ami Valère Staraselski, auquel je souhaite une longue et belle vie, riche de reconnaissances à son talent d’écrivain qui sait conjuguer la constance de l’engagement avec l’invention soudaine et inattendue. Valère détient finalement cet « art de transmettre » qui devient de plus en plus rare à l’époque où, paradoxalement, les possibilités d’expression et de diffusion de l’écriture sont de plus en plus sollicitées.

Giovanni Merloni

Le 18 janvier d’il y a 111 ans, naissait mon père, Raffaele Merloni, avocat et homme politique de gauche que tout le monde appelait Lello. Il est tellement présent en tout ce que j’écris ou j’imagine d’écrire, que je parle très rarement de lui sur ces pages. J’ai voulu le convoquer aujourd’hui, avec quelques-unes des personnes qui l’adoraient, pour une sorte d’étrange suggestion, venant du fait que mon père (né à Rome en 1907 où il est mort en 1967, le 20 novembre d’il y a 50 ans), avait la même faculté que Valère Staraselski de surprendre, de révéler soudainement des éclats de créativité inattendus… Inattendus, parce que ses explosions subites semblaient contredire une vie entière d’engagement obscur, solitaire, invisible…
G.M.

« …survivre aux siens, c’est une vie de détresse sans fin ! » (un extrait du dernier roman de Valère Staraselski)

31 jeudi Août 2017

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Écrivains français, Valère Staraselski

Cracovie, la Halle aux Draps.

« …survivre aux siens, c’est une vie de détresse sans fin ! »

«… Je peux vous dire que dans le ghetto, à l’intérieur, les jours, les nuits étaient lourds, infiniment pesants, parce que nous connaissions l’issue : nous savions que nous devions aller à la mort… On attendait, on attendait. Oui, c’est ça, péniblement on attendait… Chaque jour était une épreuve recommencée, il y avait des adieux entre nous, des pleurs…
Notre espoir de vivre était maigre, très maigre. La mort était partout, jusque dans les mouvements de l’air, les rayons du soleil. Personne n’avait plus la tête à rien. On se couchait en y pensant, on se levait en y pensant, on faisait nos besoins en y pensants. Comment aurait-on pu dormir en sachant qu’une mort inéluctable nous guettait ? On n’avait qu’une seule demande sur les lèvres : pourvu que cela dure au moins jusqu’à demain. Le soir venait, la nuit tombait et chacun se refermait sur lui-même, dans une torpeur brute. Et le tic-tac de l’horloge de la grande pièce nous accompagnait dans une nuit sans sommeil… Car on attendait la mort, comprenez-vous ? pleinement conscients de cela. Et voilà que trois heures sonnaient et puis quatre heures… Autant vous dire qu’au matin, dehors, on marchait en ne voyant ni la rue ni les gens. »
Un bruit de déglutition ponctua son propos. Maxime, dont la grosse figure perdait toute expression, avalait sa salive.
« On a dit et répété que nous étions allés à l’abattoir passivement. Comme des veaux, comme des moutons ! Mais enfin, le choix le plus évident, le plus fondé, le plus normal, oui, c’était de mourir ensemble. Non ? À quoi bon vivre s’il ne reste plus personne ! Qu’il m’arrive ce qu’il arrive aux autres, voilà ce que nous pensions… Tous ! Et ma famille, elle aussi, pensait de la sorte. Plutôt la mort que la séparation !… »
Il marqua une courte pause car il était un peu essoufflé.
« Et je le pense encore car survivre aux siens, c’est une vie de détresse sans fin ! Ceux qui ne savent pas cela devraient se taire. Moi, la perte des miens me lacère toujours la poitrine chaque jour que Dieu fait… »
À présent, il fixait ses mains.
« Mais, à l’époque, disons que mon idée à changé peu à peu… un soir, après avoir appris l’évacuation de Lublin, nous avons été quelques-uns réunis à nous demander ce que nous allions faire lorsque notre tour viendrait. Qu’allions-nous faire quand ils commenceraient à nous évacuer ? Certains, jeunes ou vieux, ont répondu qu’ils iraient où les Allemands leur ordonneraient d’aller. D’autres, un certain nombre de camarades, ont décidé de ne pas se laisser déporter. De résister. De ne pas se laisser emmener en captivité en Allemagne. De ne pas se laisser tuer ! J’avais dix-sept ans, et même si je me sens encore coupable à l’endroit des miens, n’empêche qu’à ce moment-là j’ai choisi de ne pas subir… »

Valère Staraselski
Extrait du roman « Le Parlement des cigognes », le cherche-midi 2017, pages 64-65

 

https://leportraitinconscient.com/wp-content/uploads/2017/08/384leparlement2.mp3

Interview à Valère Staraselski au sujet du roman « Le Parlement des cigognes »

« La beauté du vivant » dans « Le Parlement des cigognes » de Valère Staraselski

29 mardi Août 2017

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

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Écrivains français, Valère Staraselski

« La beauté du vivant » dans « Le Parlement des cigognes » de Valère Staraselski

« Le Parlement des cigognes » de Valère Staraselski vient juste de sortir dans les librairies. Il sera sans doute l’un des textes les plus convoités de la rentrée littéraire 2017. Pour ne pas en gâcher la découverte et pour éviter que le dévoilement de sa trame et du caractère de ses personnages soit reçu comme une représentation exhaustive du livre, je me bornerai à vous partager mon ressenti et quelques réflexions parallèles que ce roman me suggère, sans trop dire de l’histoire racontée.

D’autant plus qu’en général, dans les textes de Valère Staraselski, quoique structurés avec la perfection d’une architecture gothique, la trame se développe en filigrane jusqu’à devenir invisible pour accorder le maximum d’espace à des voix humaines : les voix de jeunes Français en vacances à Cracovie ; la voix du vieux Zygmunt, victime et témoin des horreurs perpétrées contre les Juifs en Pologne ; la voix de l’auteur, véhicule généreux et sévère de notre conscience collective à la recherche d’elle-même.

Quai de Valmy, Paris Xe, juin 2017

J’avoue d’abord que j’ai dû lire deux fois ce livre pour en savourer jusqu’au bout l’atmosphère unique et mieux comprendre le caractère et le rôle de chaque personnage dans la narration.
Je pense d’ailleurs que la plupart de lecteurs auront, comme moi, cette exigence de « revenir en arrière » pour une deuxième lecture, notamment de la première moitié du roman. Cela est d’une certaine façon voulu par l’auteur, car, tout en glissant dans les comportements et les mots des personnages une action narrative dense et cohérente, il semble avoir le souci majeur d’aller vite, d’atteindre au plus tôt et de la façon plus légère possible le noyau central, où toutes les énergies se rassemblent avant de se lancer dans une enquête plus approfondie autour de ce qui s’est vraiment passé en Pologne pendant et après la Seconde Guerre. Car il y a toujours des choses à découvrir qu’on ne savait pas, ou alors qu’on avait laissé de côté…
Refermant le livre après cette deuxième lecture, j’ai songé d’emblée à la campagne malchanceuse de Napoléon, traversant l’Europe presque sans contraintes jusqu’à Moscou. Une traversée que les Russes avaient rendue facile, brûlant leurs villes et se retirant au fur et à mesure vers l’est, de plus en plus gagné par le gel hivernal.

En fait l’histoire racontée par Valère Staraselski se déroule de nos temps en Pologne, lors d’un février aussi lumineux que gelé, rigide au-delà des habitudes de cinq jeunes Français qui décident pourtant, au petit matin du seul jour de liberté qu’on leur accorde après un stage plutôt engageant, d’arpenter à la petite course la ville presque vide de Cracovie engouffrée dans la neige.

Les cinq camarades, guidés par la curiosité de David et le charisme féminin de Katell, traversent les premiers chapitres du livre avec la même insouciance mêlée de méfiance que devait avoir l’Armée française lorsqu’elle pointait au cœur de l’Europe de l’est. Un sentiment de suspension et d’étrangeté est d’ailleurs presque inévitable, tellement la ville de Cracovie, avec ses rues larges et presque inhabitées, diffère de Paris, par exemple, tandis que les paysages traversés pour rejoindre les différents quartiers de la ville polonaise — pour visiter les deux ghettos de Kazimierz et de Podgórze — diffèrent aussi des paysages français, même les plus nordiques.

Constellée de petits événements révélateurs de nos temps actuels et de l’atmosphère typique des escapades organisées par un invisible patron passionné de l’Europe, cette traversée profite de l’équilibre ainsi que de la clarté narrative de Valère Staraselski, pour laisser au lecteur la possibilité de s’emparer petit à petit du sens de cette histoire « difficile ».

Voilà pourquoi les cinq échantillons de la jeunesse française sont embauchés par l’auteur en tant qu’acteurs et spectateurs comme s’il s’agissait du tournage d’un film.
Je vous ai cité ci-dessus le fameux Guerre et Paix (1), mais ce serait également adaptée l’image de la bataille d’Alexandre Nevski (2) contre les Teutons sur le lac gelé : comme les chevaliers aux équipements légers du film de Sergueï Eisenstein, nos cinq enfants de la patrie française semblent courir sur une couche de glace subtile à la veille du dégel.

Si la couche de gel — représentée par la neige recouvrant Cracovie de façon uniforme — évoque sans doute l’Histoire toujours cachée, repliée sur elle-même et réfractaire à toute nouvelle découverte, on est bien conscient que tôt ou tard cette couche même se brisera bruyamment, comme le lac Peïpous sous le poids excessif des armures teutoniques, laissant finalement affleurer la Vérité.
La méthode cinématographique adoptée pour raconter cette première moitié du Parlement des cigognes emprunte d’ailleurs plusieurs suggestions aux plus récents et importants films sur la Shoah, tels Le Pianiste (3) et La Liste de Schindler (4).


D’habitude, le thème de l’extermination nazie, particulièrement atroce en Pologne, ne se laisse pas aborder facilement. Au-delà des innombrables témoignages — tel le Journal d’Anna Frank (5) ou Si c’est un homme de Primo Levi (6) —, la reconstruction romanesque ou cinématographique des horreurs perpétrées par les Allemands et par leurs complices a toujours été un défi dangereux. L’auteur ou le réalisateur peut risquer en fait de laisser trop transparaître sa vision personnelle ou politique des choses, ou alors, au contraire, de s’essayer à une objectivité excessive qui enlèverait toute émotion. Tout cela n’arrive pas dans le roman de Valère Staraselski, en raison de son extraordinaire équilibre et de son sincère penchant pour l’humanité tout entière qui l’amène à refuser nettement toute vision préconçue et aprioriste.
Ce n’est pas donc un hasard si notre auteur fait démarrer cette « marche pour la vérité » par la citation de deux films cités. En fait, si le film de Roman Polanski rejoint pleinement la plupart des attentes de vérité et de partage, car il se base sur une histoire authentique, écrite avec le sang même du réalisateur, en celui de Steven Spielberg, juif lui aussi et persécuté avec sa famille, on reconnaît la rigueur d’un document d’histoire que tout le monde peut saisir et assumer. Il s’agit en plus du cadeau magnifique qu’une gigantesque machine à films nous a offert, nous aidant à comprendre davantage ce qui s’est passé en Europe entre 1940 et 1945.

Quai de Valmy, Paris Xe, juin 2017

Revenant à nos cinq jeunes gens — David, Katell, Maxime, Charlotte et Cyril — il faut dire qu’en débarquant en Pologne il n’y connaissent presque rien de son Histoire, des horreurs qu’elle a subies ou de ses moments glorieux. Avant de partir, le père de David lui a donné quelques renseignements, lui fournissant une « piste ». Celui-ci a donc envie, seul parmi tous les autres, de trouver le camp de Plaszów où des milliers de Juifs polonais ont été méticuleusement tués par les occupants :
« …Avant, à cet emplacement, il y avait deux cimetières juifs. Les nazis les ont détruits. Et les pierres tombales ont tout de suite servi à faire des routes. Ça s’est passé en 1942, quand on a construit le camp… Un camp de travail où on mourait beaucoup. Après, en 1944, c’est devenu un camp d’extermination… Avant que les Russes n’arrivent, les Allemands ont tout démantelé… Depuis, c’est ce terrain vague, là, devant vous, devant nous… »
David assume par cela la fonction de guide naturel du groupe, mais lorsqu’il réussit finalement à emmener ses amis jusqu’à ce redoutable endroit, sa mission ferait faillite s’il n’y avait pas ici même la maison où l’on avait joué une scène cruciale de La liste de Schindler et s’il n’y avait pas Katell qui connaissait le film par cœur et par celui-ci se passionnait elle aussi à ce drame.
À travers les mots engagés de David et la reconstruction du film de Spielberg qu’en fait Katell, on n’atteint bien sûr que des échos de la vérité atroce des ghettos et des camps d’extermination. D’ailleurs, la fouille des lieux où les Juifs polonais ont attendu ou subi la mort aurait laissé une impression bien incomplète du rapport de ses lieux avec leur histoire, s’il n’y avait pas eu, au terminus de ce marathon, la visite au premier étage de l’ancienne halle aux draps de Cracovie…

Quai de Valmy, Paris Xe, juin 2017

Si la première partie de ce roman incontournable était consacrée au gel et à la vitesse insouciante, avec des haltes de curiosité prudente, la seconde moitié sera vouée à une chaude immobilité offrant un abri à l’échange de terribles vérités.
Il arrive donc, presque à moitié de notre histoire, que le film de cette traversée, juvénile et physique, suivant les sentiers et les rues de la douloureuse ville de Cracovie, s’échoue enfin sur une façon alternative de communiquer (et de s’interroger sur les côtés encore obscurs de l’occupation nazie qui s’y est déroulée) quand le relais passe, de façon tout à fait naturelle, à la voix humaine ! Il n’y a rien qui puisse égaler la voix humaine dans la transmission de la tragédie des hommes.
Et ce sera le témoignage direct et authentique d’un personnage tout à fait inattendu qu’imposera enfin la Vérité, de façon qu’au fur et à mesure la mémoire collective s’installe correctement.
Dans l’ancienne halle aux draps de Cracovie, David, Kettel et leurs amis pourront enfin satisfaire leur amour pour la vérité, bien au-delà de leurs attentes. Car ils rencontreront, encore en vie, un témoin désormais rarissime d’horreurs longuement cachées qu’on a su jusqu’ici soustraire à toute enquête… Il s’agit d’un homme âgé de quatre-vingt-quatorze ans va, retourné pour la première fois dans la ville qu’il avait quittée en 1946. Par sa merveilleuse rêverie, suspendue entre la mémoire et l’espérance, celui-ci « transmettra » une vérité assez explosive, ayant sans doute en perspective des effets positifs sur ces quelques jeunes intelligents et volontaires. 

Laissez-moi rappeler, à ce propos, une affirmation très poignante d’un ami psychanalyste (7) : « C’est la rêverie de la mère qui fait déclencher la volonté de l’enfant ». À cette vérité ajouterais-je l’importance de la métaphore dans toute poésie ayant le but de transmette des émotions sincères.
Dans le livre de Valère Staraselski, la métaphore est représentée par les cigognes réunies en Parlement dans un incontournable tableau de la pinacothèque… de Cracovie. 
Il s’agit d’une métaphore à plusieurs facettes, comme le lecteur le découvrira, dont la principale revient à la valeur irremplaçable de l’animalité, de l’exemple que les animaux donnent aux hommes, de la nécessité absolue de mettre un frein à la destruction de la Nature partout dans la planète. Pour l’homme suranné que les cinq marcheurs rencontrent au pied de ce tableau, les cigognes représentent l’envie de vivre, le courage de vivre, la force pour se battre à nouveau.
« Mais pourquoi donc le peintre a-t-il donné ce drôle de titre à son tableau, Le Parlement des cigognes, ce n’est pas commun, non ? », demande Kettel.
« J’avoue que je ne sais pas…, répond le vieux Zigmunt. Elles sont rassemblées, elles forment un ensemble et c’est peut-être en raison du bruit qu’elles font, vous savez, en claquetant avec leurs becs, cela peut faire penser à une assemblée d’élus. Sûrement qu’elles se chamaillent, mais au moins vivent-elles en paix, comme il est d’usage dans une démocratie ! »

Partant de cette métaphore et de cette image des cigognes aussi agréable que solennelle, l’ancien rescapé du ghetto de Cracovie s’adonne à une rêverie où chacun des souvenirs de son incroyable expérience devient une parabole ou une fable aussi terrible que magique.
« Je n’ai jamais autant trouvé de trèfles à quatre feuilles... » déclare Zygmunt au cours de son récit, tandis que le lecteur se réjouit, intérieurement, de chacune de ses révélations comme d’une nouvelle trèfle à quatre feuilles…
En fait, par sa rêverie, ce vieil homme généreux et inquiet pour le futur de notre planète laisse jaillir de la tragédie l’espérance et de l’horreur la beauté :
« Par la volonté des nazis, j’étais ravalé au rang de bête, mais, loin de représenter pour moi une déchéance, cela est peu à peu devenu dans mon esprit un progrès, un accroissement de mon humanité. » Car il a le goût de se sentir « … vivant, d’appartenir à la grande tribu des êtres mortels et qui se doivent fraternité pour la raison même qu’ils sont mortels ! »
Pendant l’hiver, il vit l’enfermement d’un être constamment menacé « … en quête, en attente de voir les cigognes, de redécouvrir leur beauté lente, leur beauté immobile, la beauté simple des cigognes… Quand on n’a rien, ce qui est beau nous appartient. Oui, tout ! Les trilles des oiseaux, les papillons qui voltigent dans les branchages, la brise pure de la forêt et des champs, les crépuscules qui s’allongent au printemps et même le cri des corneilles qui annoncent le soir. Oui, la beauté !.. L’horreur de ce monde, la cruauté de l’existence, ça engendre la folie ! Mais heureusement, la beauté est une force, oui la beauté du vivant !…
»

Je laisse au lecteur la suite du merveilleux récit de Zigmunt, qu’une espèce d’accélération convulsive — ponctuée de scènes d’enfermement et de peur, mais aussi de courage et d’espoir — rendra de plus en plus émouvant, léger et… juste !

Giovanni Merloni

Valère Staraselski

(1) Film réalisé par King Vidor en 1956
(2) Film réalisé par Sergueï Eisenstein en 1938
(3) Film réalisé par Roman Polanski en 2002
(4) Film réalisé par Steven Spielberg en 1993
(5) Journal, Anna Frank (1929-1945)
(6) Si c’est un homme, Primo Levi (1919-1987)
(7) Paolo Perrotti (1926-2005)

L’horloge marquait onze heures du soir. Nous étions le 30 mai 1778 : une histoire française de Valère Staraselski IV/IV

01 dimanche Nov 2015

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Écrivains français, Valère Staraselski

Portrait de Voltaire (Francois Marie Arouet dit, 1694-1778) tenant l'annee litteraire. Peinture de Jacques-Augustin-Catherine Pajou (1766-1828), 18eme siecle. Paris, Comedie Francaise

Pour intégrer avec quelques extraits exemplaires mon commentaire-reportage sur « Une histoire française » de Valère Staraselski, j’avais d’abord envisagé de me borner au « journal » de Georges de Coursault. Malgré mes efforts, si j’avais peut-être touché quelques aspects du roman qui aident à comprendre l’esprit de l’auteur dans son but primordial de « transmission poétique » de la vérité de l’histoire (qui n’est pas nécessairement la proposition d’une seule « vérité historique »), cela ne pouvait pas suffire à rendre synthétiquement et jusqu’au bout l’atmosphère unique de cette œuvre.
Le journal de Coursault a d’ailleurs brisé, un peu, la nébuleuse de mes propositions, en offrant quelques échantillons pour une illustration fidèle du roman. Mais il manque encore quelque chose.
J’essaie alors de répondre à ce manque en choisissant l’un de nombreux épisodes où ladite « vérité de l’histoire » assume une saveur de réalité et de mystère à la fois. Il s’agit d’un des passages le plus touchants, concernant l’extraordinaire portrait de Voltaire, dont je vous propose un extrait.
Celui-ci peut donner une idée des émotions auxquelles le lecteur est convié tout au long de la traversée des vingt-trois années qui précèdent la prise de la Bastille. En fait, cette « histoire française » n’est pas une « visite guidée » de l’histoire. Elle est plutôt un appel à la responsabilité.
Car l’histoire c’est nous. Elle nous appartient, dans le bien et dans le mal. Elle nous forge et habite en nous. En même temps, elle nous échappe, elle répète ses erreurs, ses menaces, ses absurdités. Donc nous devons nous en charger, selon nos possibilités, humblement. Mais il ne faut jamais lâcher prise. Car si nous nous dérobons à une telle responsabilité ce seront des autres qui décideront pour nous. Même la plus solide des démocraties républicaines a besoin que chacun veille. Car rien n’est escompté, rien n’est donné à jamais.
En ces jours où les menaces à l’esprit des Lumières ne manquent pas, dans cette Planète blessée et meurtrie presque partout, je considère, par exemple, un choix discutable proposer à nouveau, aujourd’hui, « Mein Kampf ». Un livre qui théorise l’enfermement, l’intolérance, la barbarie ancestrale, le manque de respect entre les humains, la violence. J’aimerais au contraire qu’on s’engage davantage pour faire connaître aux jeunes générations, partout dans le monde, des « œuvres ouvertes » comme « Candide », « Le Siècle de Louis XIV » ainsi que, évidemment, « Une histoire française » de Valère Staraselski. Nous avons besoin d’optimisme, de tolérance et de solidarité. Nous n’avons pas besoin d’autres monstres.
Giovanni Merloni

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L’horloge marquait onze heures du soir. Nous étions le 30 mai 1778

…je me souviens que nous étions convenus, un jour où nous étions à la Comédie-Française, d’aller assister à la destruction de la porte Saint-Antoine, quand une nouvelle incroyable s’était répandue à l’entracte dans le parterre puis dans les loges : Voltaire revenait à Paris ! Après vingt sept années ! Voltaire à Paris ! C’était la révolution ! Mme du Châtelet, enfin Constance, en avait versé des larmes de joie. Quelqu’un — qui ? nous n’en savions fichtre rien — avait obtenu la permission de laisser Voltaire venir dans la capitale. Pour sûr, le roi avait fermé les yeux. Certains, soit par austérité, soit par prudence, avaient jugé excessive cette mansuétude royale. Toujours est-il que le soir du 10 février de cette année 1778, à six heures, il y avait eu cette chose impensable encore deux jours avant : Voltaire arrivait à Paris ! On avait raconté qu’à l’octroi, lors du contrôle des voyageurs et des marchandises, au commis qui lui aurait demandé s’il n’avait rien à déclarer, notre philosophe aurait répondu : « Ma foi, je crois qu’il n’y a ici de contrebande que moi. »
À ces mots, à l’expression de celui qui les avait prononcés plus sûrement, les commis avaient levé l’œil, puis, ayant ajusté le halo de leurs lanternes, l’avaient immédiatement reconnu. « C’est… Pardieu ! C’est M. de Voltaire ! » s’étaient-ils alors exclamés en chœur. Lui, l’honorable, le considérable homme, s’apprêtant à descendre afin qu’on puisse procéder à la fouille du carrosse, les commis s’étaient empressés de l’en dissuader. Il y avait eu assaut de politesses de part et d’autre, du saisissement sans doute chez les commis, et le carrosse de Voltaire avait filé jusqu’à la rue de Beaune, à destination de l’hôtel du marquis du Plessis de Villette, où son appartement était préparé. Magnifiquement, à ce qu’alors m’en avait dit Constance à qui rien de cette affaire n’avait échappé…
(Pages 324-325)

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…Jour après jour, au comble du ravissement et de l’enthousiasme, Constance avait suivi les faits et gestes du Socrate français m’invitant à me rendre chez elle le plus souvent possible afin qu’elle puisse me raconter les choses…
Le grand Voltaire s’était donc déplacé depuis Ferney avec Mme Denis, sa nièce gouvernante, ainsi que Wagnière, son secrétaire. Le 11 février, son premier jour parisien, on savait déjà qu’il avait envoyé un billet à Mme du Deffand : « J’arrive mort, et je ne veux ressusciter que pour me jeter aux genoux de Mme la marquise du Deffand. »…
…Du côté de la Cour, si le roi demeurait muet, la reine avait déclaré quant à elle qu’il était décidé de manière irrévocable que Voltaire ne verrait aucun membre de la famille royale ! Car ses écrits, avait-elle jugé encore, n’étaient pas avares de principes qui portaient une atteinte directe à la religion et aux mœurs. Commentant le fait, Maisonseule avait laissé entendre que cela n’avait aucune importance car la Cour et Paris étaient deux mondes non seulement opposés, mais irrémédiablement imperméables l’un à l’autre…
(Page 326)

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…du jour au lendemain, la rue de Beaune était devenue le centre du monde. Je n’exagère pas, l’esprit et l’intelligence régnaient sur chacun…
(Page 327)

Un jour que, vers cinq heures de l’après-midi, je passais quai des Théatins, où j’avais à faire, je vis un attroupement, en fait, une multitude prodigieuse au milieu de laquelle j’avais eu des difficultés à me frayer un passage. Je ne fus pas long à comprendre l’objet de cette foule de gens. L’hôtel du marquis de la Villette donnait sur le quai et par la croisée on apercevait, parfois, frêle silhouette emperruquée, le héros des philosophes… des applaudissements saluaient chacune de ses apparitions…
Tout au long de la journée, sans quitter sa robe de chambre, autant dire sans s’abstraire de sa condition de simple mortel, le roi Voltaire recevait. L’Académie tout d’abord…
…Il y avait eu un moment où l’on avait cru à un arrêté d’expulsion, l’eau avait cessé de bouillir dans la marmite de la rue de Beaune. Fort heureusement, ça n’était qu’une provocation ! La Comédie Française s’était déplacée en la personne de Mme Vestris qui devait jouer Irène, pièce à laquelle Voltaire apportait les dernières retouches. Plein d’urbanité, le vieillard marquait une grande déférence pour la volonté des autres, de la docilité dans le caractère. Las ! ce qui devait arriver arriva: le fragile Voltaire était tombé malade. Cependant, s’il s’abstint de sortir, il avait continué de recevoir rue de Beaune …
(Pages 328-329)

Quant au médecin Tronchin, il s’inquiétait terriblement de la santé du vieillard dont les jambes s’étaient tout à coup mises à enfler. Mais, sourd à ses objurgations, l’entourage ne voulait rien entendre…
La vessie malade de Voltaire, l’enflement alarmant de ses jambes, les deux cents personnes reçues par jour, deux cents, m’entendez-vous, les répétitions d’Irène, tout cela ne fut pas sans conséquences fâcheuses !…
Et puis Mme du Deffand, la vieille dame, aveugle elle aussi, avait fait le déplacement rue de Beaune. La du Deffand avait fait part de ses craintes, déclarant : « Tout le Parnasse s’y trouvait depuis le bourbier jusqu’au sommet, il ne résistera pas à cette fatigue, il se pourrait qu’il mourût avant que je l’aie vu. » La recevant, Voltaire ne l’avait entretenue que d’Irène…
(Pages 328-330)

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Vers la fin de février, Constance m’avait rapporté que Voltaire avait craché du sang alors qu’il était en train de dicter du courrier à Wagnière. Puis il avait demandé d’aller quérir un abbé…
« Au reste, avait-il répété, je ne veux pas qu’on jette mon corps à la voirie ; cette prêtraille m’assomme mais me voilà entre ses mains. Il faut bien que je m’en tire. Dès que je pourrai être transporté, je m’en irai. J’espère que leur zèle ne me poursuivra pas jusqu’à Ferney. Si j’y avais été, cela ne me serait pas arrivé. » Ça, il avait parlé d’or !
(Pages 330-331)

Quant à Voltaire, Constance m’avait rapporté qu’il n’avait qu’une obsession : se rendre à Versailles ! Que le roi l’ignore était insupportable ! Plutôt que d’une rage impuissante, il paraissait saisi d’un amour malheureux et inconsolé. On avait beau l’en dissuader, lui chanter sur tous les tons que Versailles et ses occupants étaient absolument vides d’esprit, Voltaire ne renonçait pas. Le roi de France, tout de même ! Le roi de France… Cela lui était comme une blessure intolérable. Comme si la reconnaissance du roi était la seule qui, à ses yeux, comptait…
(Page 332)

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À la mi-mars, il y avait eu la générale d’Irène à la Comédie Française. Retenu par son mauvais état de santé, Voltaire n’avait pu s’y rendre, et on avait envoyé une estafette afin d’être informé du déroulement de la soirée. La représentation avait été un triomphe. Peu de temps après, il s’était répandu dans Paris que le maître s’était senti mieux…. or son état aurait pu subitement empirer : ayant découvert qu’on avait corrigé sa pièce, il était entré dans une fureur extrême ! Et son entourage avait, cette fois-ci, cru sa fin arrivée… C’eût été dommage parce que les derniers jours de mars s’étaient transformés pour lui en une véritable apothéose. Il avait été reçu dans la cour du Louvre où loge l’Académie française… Honneur qui n’a jamais été rendu à quiconque ! Ce fut à d’Alembert qu’il était revenu de l’accueillir… In fine, le siège de directeur de l’Académie lui avait été offert à l’unanimité ! Voltaire avait remercié puis s’en était allé de sa démarche gracile dans son carrosse jusqu’à la Comédie Française. Quel souvenir, quel inoubliable souvenir ! J’y étais ! Je m’y trouvais avec Maisonseule et Constance, réunis pour la circonstance ! Partout l’affluence l’accompagnait. Les femmes se montraient les plus empressées à le voir, à le toucher même, ses mains, l’étoffe de son habit. L’ambiance était bouillante, formidable, délirante. Les gens ne semblaient plus s’appartenir. Sa tête minuscule recouverte d’une perruque comme on n’en faisait plus depuis la régence, le vieillard illustre était acclamé à l’égal d’un dieu…
…À la Comédie, quand le maître prit place, on le voulut sur le devant de sa loge… Et puis on avait ceint son front d’une tresse de laurier. Ému au possible, bouleversé, Voltaire riait et pleurait à la fois. « Ô mon Dieu, vous voulez me faire mourir à force de gloire » avait-il protesté. Et, ôtant la couronne, il l’avait déposée sur la tête de sa nièce. Mais le public avait grondé. J’avais senti tout autour de moi vibrer une vraie désapprobation. On avait alors découronné la dame et on avait recouronné Voltaire. Puis on avait joué Irène…
À la fin, la représentation terminée, alors que les loges, les balcons et le parterre recevaient de la lumière, une actrice avait placé le buste de Voltaire au beau milieu de la scène qu’entouraient les acteurs. Des poignées de pétales de fleurs avaient été jetées sur le buste. Devant ce spectacle, comme effrayé, Voltaire s’était réfugié au fond de sa loge. On l’avait appelé, moi comme les autres, moi le premier. Une clameur puissante mais pacifique s’était élevée jusqu’à ce qu’enfin il reparût, être minuscule et homme grandiose ! Selon les témoignages de ceux qui avaient la chance de distinguer les traits de son visage, il avait baissé la tête, son front posé sur le rebord de velours de la loge, puis il avait redressé sa figure, la faisant alors paraître couverte de pleurs….
(Pages 334-336)

La chair de poule avait élu domicile sur la moindre parcelle de la peau de mon corps. À mes côtés, Maisonseule levait plus haut que de raison son menton. Je crois bien qu’il reniflait. Constance, pâle et belle comme la lune, avec ce surplus de beauté qui semblait en quelque sorte l’environner, avait les bras qui tremblaient.
(Page 337)
Dehors, il avait encore manqué d’étouffer dans la foule qui donnait libre cours à sa folie. On avait dû hisser l’honorable vieillard à l’intérieur de son carrosse. Certains embrassaient les chevaux, d’autres avaient entrepris de dételer le carrosse dans le dessein de le tirer eux-mêmes ! On avait parlementé. On avait laissé les chevaux contre la promesse du cocher d’aller au pas. Ce jour-là, je n’ai pas honte de dire que j’avais eu la chance d’être de cette ville même qui nous avait donné à voir le triomphe du roi Voltaire.
(Page 338)

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Constance m’avait raconté que le philosophe était même retourné au théâtre, sans se faire connaître, en catimini. Une fois où on donnait son Algire, Voltaire avait assisté à la représentation, dissimulé du regard de tous au fond de sa loge. Durant le quatrième acte, l’auteur, emporté par le déroulement de sa propre œuvre, s’était avancé depuis le fond de sa loge et n’avait pu résister au désir d’intervenir : « Que c’est beau ! Ah ! c’est beau ! » Se retournant pour faire taire l’importun, des spectateurs avaient fini par le reconnaître et lui avaient fait une ovation dans l’instant. Stimulés par la ferveur de la salle et surtout par la présence de Voltaire, les comédiens avaient joué à la perfection, disait-on, jusqu’à la fin…
(Page 340)

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Le soleil de mai avait commencé à embellir les femmes de Paris et ce fut à partir de cette période, je m’en souviens, que Voltaire n’était plus sorti. Du tout.
…il était alors sensiblement entré dans une longue et affreuse agonie. Un jour, une nouvelle qu’on lui avait rapportée l’avait déplongé de ses tourments un instant : le fils de Lally-Tollendal avait obtenu la cassation de l’arrêt qui condamnait son père, par une majorité de voix. Voltaire s’était alors soulevé, ses yeux avaient cherché un point d’accroche et il avait dicté ceci : « Le mourant ressuscite en apprenant cette grande nouvelle, il embrasse bien tendrement M. de Lally, il voit que le roi est le défenseur de la justice, il mourra content. » Et puis, il avait fait épingler au mur en face de lui un panonceau où il avait fait écrire : « Le 26 mai 1778, l’assassinat juridique commis par Pasquier, conseiller du parlement, en la personne de Lally, a été vengé par le roi. »
Pour sa fin, tous les témoignages concordent, elle fut terrible… aussi incroyable que cela puisse sembler, Voltaire est mort délaissé… Il me semble que son entourage s’était vengé de lui, de son caractère impossible, certes, mais plus sûrement de son génie, de sa renommée. De sa liberté ! Avec une rare cruauté. La cruauté des gens normaux, de loin la plus effroyable, n’est-ce pas ?…
…Nous avons un témoin, Tronchin, le médecin, qui a assisté aux derniers instants. Son témoignage tient en une parole : « Quelle mort ! Je n’y pense qu’en frémissant ! » « Monsieur, tirez-moi de là », se plaignait Voltaire, à quoi Tronchin s’était vu dans l’obligation de répondre autant de fois : « Je ne puis rien, monsieur, il faut mourir. » Paroles qui avaient donné lieu au moribond de s’écrier : « Je suis donc abandonné de Dieu et des hommes ! » et puis dans la suite, Voltaire avait poussé un cri. Un cri de bête qu’on aurait cru réservé à un autre genre d’homme. Un cri d’épouvante et de soulagement à la fois. Comme un défi à la mort. Il avait passé. L’horloge marquait onze heures du soir. Nous étions le 30 mai 1778.
(Pages 341-343)

Valère Staraselski

Le journal de Georges de Coursault : une histoire française de Valère Staraselski III/IV

29 jeudi Oct 2015

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Écrivains français, Valère Staraselski

001_stara 03 002 180 Image empruntée de « Abiti de’ Veneziani, texte de Piero Chiara et d’autres, photos de Massimo Listri et Mirko Toso, FMR n.11/1983, magazine mensuel de Franco Maria Ricci (Parme)

L’esprit du contexte et le rôle de la langue dans les romans de Valère Staraselski

J’ai toujours considéré les marionnettes — ou les pantins et les poupées, déguisées selon la mode d’une époque révolue, par exemple les « pupi » siciliens et les masques vénitiens et napolitains — comme quelque chose de « stucchevole », à la saveur écœurante, à l’aspect mièvre. Ou alors je les vois comme des objets qui entrent dans notre vie de collectionneurs ou tout simplement de rêveurs ayant besoin de toucher notre fétiche en miniature, notre jouet personnel auquel nous donnons une fois la parole dans un théâtre pour les enfants de tous les âges.
Les marionnettes vénitiennes, habillées à la mode du XVIIIe siècle évoquent pour moi le théâtre de Goldoni, cette merveille à moitié incompréhensible pour tous ceux qui ne parlent pas cette langue-là, aussi charmante et riche d’éclats. Sinon je songe au théâtre de Marivaux, au jeu de l’amour et du hasard, aux histoires aussi emblématiques que figées, qui demeurent forcément éloignées et étrangères, ou bien ressuscitent pour un seul jour sur des tréteaux tout à fait éphémères.
Au contraire, quand j’ai découvert le « Mozart italien » de Così fan tutte ou des Noces de Figaro (empruntées ces dernières directement au laboratoire parisien), j’ai finalement vu le Siècle des Lumières s’approcher de moi, me convoquant dans ses rues et ses salons pour me faire savourer, comme il arrivait chaque matin à Georges de Coursault, un bol de chocolat chaud fumant en me laissant libre de respirer cette atmosphère unique.
Voilà, tout cela pour dire combien la langue peut se révéler le principal facteur de rapprochement dans nos échanges avec le passé… d’autant plus que, heureusement, les langues circulant en Europe à l’époque de Voltaire, Mozart et Da Ponte (et aussi de Giacomo Casanova) étaient des langues extrêmement dépouillées, de moins en moins rhétoriques et baroques.
Dans son « histoire française » Valère Staraselski brise l’écran qui d’habitude sépare ce passé révolu de notre sensibilité contemporaine. Cela, grâce au choix stratégique d’une langue qui nous parle — qui nous écoute même —, grâce à sa façon unique de s’imprégner jusqu’au bout de l’esprit du XVIIIe siècle, de se caler dans le contexte de cette époque ou, pour mieux le dire, dans les multiples contextes qui font la réalité parisienne saisie dans son flux quotidien. Une réalité d’ailleurs fort dialectique et souvent conflictuelle.
Évidemment, une telle maitrise est le résultat d’une très longue et assidue fréquentation, de la part de Valère Staraselski, de ces immenses personnages qui s’appellent Diderot, Robespierre, Voltaire, Rousseau, et cetera, mais aussi d’une infinité de documents et d’œuvres d’art qui lui sont devenus tellement familiers qu’il les partage tout à fait naturellement.
Toujours est-il que tous ces dons et talents poétiques n’aboutiraient pas à de telles merveilles de naturel et d’équilibre s’il n’y avait pas cette générosité, cette vocation à la transmission. Si tout cela ne faisait qu’un avec son indéfectible enthousiasme envers ce monde qui ressuscite debout, vivant, prêt à parler… sans aucune colle ou patine de vieille poupée de carton-pâte.

002a_stara 03 004 180 Image empruntée de « Abiti de’ Veneziani, texte de Piero Chiara et d’autres, photos de Massimo Listri et Mirko Toso, FMR n.11/1983, magazine mensuel de Franco Maria Ricci (Parme)

Pour ceux qui ont envie de continuer à le suivre, le journal du jeune écrivain Georges de Coursault devient de plus en plus passionnant, au fur et à mesure que le récit de Marc-Antoine Doudeauville s’approche de la fameuse année 1789.
Jusque du premier jour, le jeune écrivain écoute avec un intérêt sincère le récit de son hôte. Ensuite, petit à petit, il s’affectionne à cet avocat mal fichu et pourtant de plus en plus vivant et passionné, jusqu’à s’identifier en lui dans un rêve prémonitoire : convaincu d’être devenu Doudeauville et se trouvant guéri, il monte sur un carrosse qui pourtant ne veut pas l’emmener à l’Hôtel Dieu ou à la Pitié, mais à l’hôpital Saint-Valère… Même si cela peut bien être une pure coïncidence de prénoms, on est portés ici à déduire que Georges de Coursault, tout en acceptant de partager sans réserve les responsabilités de Doudeauville, en ajoutant sa propre signature au témoignage de celui-ci, se refuse à l’idée de devoir s’identifier aussi à Valère… Staraselski, l’auteur du livre. Cela serait trop engageant pour lui !
En se souvenant de cette ancienne « succursale » de l’Hôtel Dieu, l’auteur du roman nous dévoile donc le critère qu’il a adopté pour intégrer ses personnages dans la vie réelle du XVIIIe siècle, sans pour autant renoncer aux inévitables va-et-vient entre l’époque du roman et l’actualité de nos jours.
Dans la poésie, soient-ils des vers lyriques les plus passionnés et personnels, l’auteur doit forcément se servir de métaphores pour exprimer jusqu’au bout ses sentiments et ses pulsions. Ou alors a-t-il besoin de personnages fictifs, auxquels s’adresser en les transformant en des figures-écrans (derrière lesquelles se cachent toujours des figures réelles).
Dans le roman, où l’auteur entre toujours en jeu, il faut créer un filtre, embauchant un passeur, un interprète, des figures étrangères et non concernées qui puissent raconter de façon le plus possible objective et décalée la même histoire que l’auteur raconterait peut-être de façon trop explicitée ou partisane…
Dans « Une histoire française », à travers les deux voix narratives, Valère Staraselski crée aussi deux filtres éloignant le roman de lui-même. Coursault, « courant et sautant » de son logis de la rue Saint-Sauveur jusqu’à la maison rue de Nevers de Marc-Antoine Doudeauville, se charge de voir et décrire le Paris qu’il traverse dans ce mois de janvier 1789. Dans l’impossibilité de sortir de son immobilité, Doudeauville se charge quant à lui de voir et décrire le Paris des années jusque-là écoulées tandis que Coursault, nouveau-né ou enfant-adolescent, vivait encore en province. Donc, le récit de l’avocat intègre les connaissances encore incomplètes que le jeune écrivain peut vanter de Paris, tandis que ce dernier représente pour son hôte quelqu’un qui lui amène chaque matin un écho vivant du monde extérieur.
Si Doudeauville est l’alter ego « humain » de l’auteur, son interlocuteur privilégié, incarnant de toute évidence les passions que nous retrouvons dans d’autres romans de Staraselski, en particulier dans son premier texte, « Dans la folie d’une colère très juste », Coursault est son alter ego « littéraire », son disciple.

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Image empruntée de « Abiti de’ Veneziani, texte de Piero Chiara et d’autres, photos de Massimo Listri et Mirko Toso, FMR n.11/1983, magazine mensuel de Franco Maria Ricci (Parme)

Tandis que ces deux « personnages-filtres » se chargent de la descente sur les lieux d’où lui renvoyer leurs reportages (comme le faisaient Lucas ou Janvier avec Maigret), l’auteur en personne se charge souvent d’intervenir dans le récit de l’un et dans le journal l’autre. Car le but primordial de son travail d’écrivain et d’essayiste engagé est enfin celui de transmettre efficacement au lecteur contemporain le véritable sens de ce plongeon dans le passé.
Je découvre en fait, dans certaines réflexions « politiques » particulièrement fouillées de l’avocat Doudeauville et dans les suggestions tous azimuts de son ami Maisonseule, un ultérieur niveau d’expression narrative. Car, au-delà de leur clairvoyance, ni Doudeauville ni Maisonseule ne seraient pas en condition de faire, en janvier 1789, un bilan rétroactif de ces vingt-trois années précédant la Révolution française, pour en transmettre les plus évidents facteurs de crise. D’ailleurs, Valère Staraselski juge cela indispensable, non seulement pour que les lecteurs contemporains y retrouvent les raisons de la « rupture » dans le long et fécond dialogue entre le peuple français et son roi, mais aussi pour qu’ils interprètent correctement la dialectique entre la transformation-involution de la monarchie et les effets évidents des idéologies philosophiques et politiques nouvelles.
Je trouve très originale l’adoption d’une telle perspective historique. Car ce roman, comme la plupart des romans de cet auteur, ne se borne pas à la mise en scène de l’histoire racontée selon les trois unités — de temps, de lieu et d’action —, mais répond aussi au but d’offrir au lecteur tous les éléments pour mettre en relation cette histoire racontée avec tout ce qui est arrivé par la suite : voilà que l’auteur s’autorise, et nous autorise aussi, à regarder cette « histoire française » avec le regard critique d’un œil contemporain.
Valère Staraselski réussit de façon superbe à nous transformer en concitoyens des deux personnages-narrateurs en nous donnant donc la sensation magique d’être là, à Paris, du temps de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Au-delà de la fiction narrative dont on a jusqu’ici parlé, cela dépend surtout de deux éléments caractéristiques de son écriture tout à fait originale : d’un côté l’attitude spécifique à ressentir de façon extraordinaire « l’esprit du contexte », de l’autre de travailler en profondeur sur la langue.

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Musée des Arts Décoratifs, Bordeaux

La représentation du contexte historique et politique assume un rôle central, primordial même, dans la plupart des romans de Valère Staraselski. Selon sa vision théâtrale des vicissitudes humaines et sociales, le contexte entourant les personnages et leurs mondes doit vivre comme un contexte réel, avec les mêmes caractéristiques physiques, météorologiques, avec les mêmes odeurs et saveurs qu’on pouvait retrouver dans un quotidien constellé de carrosses, de chevaux, de chars et charrettes, de perruques et d’outils domestiques tout à fait différents par rapport à aujourd’hui. Valère Staraselski ressent l’esprit du contexte d’une façon très profonde : cela l’amène à une description rapide et en même temps précise, riche en particuliers. Si son premier repère était tout probablement Honoré de Balzac, les réalisateurs plus adaptés pour la transposition cinématographique de ses romans seraient à mon avis Éric Rohmer ou Bertrand Tavernier…
Mais Valère Staraselski se donne aussi, comme on a pu le constater dans la plupart de ses romans, la contrainte de la langue. Si dans « Le maître du jardin », par exemple, le lecteur est plongé dans une langue française ondoyante et légèrement baroque, empruntée à la langue des poètes et des gens de lettres du XVIIe siècle, dans « Une histoire française » la langue qui nous arrive du XVIIIe siècle au couchant est une langue essentielle, souple, sans trop de tournures. Parce que les philosophes s’efforçaient de parler et d’écrire dans une langue assez limpide et compréhensible et que l’avocat Doudeauville et son ami Maisonseule sont aussi des hommes simples et concrets, particulièrement doués dans cet art de parler en public où la phrase élégante, codifiée, se mêle avec désinvolture aux expressions orales de la vie parisienne.
Il s’agit d’une langue littéraire réinventée, que Valère Staraselski maîtrise avec décision et poésie. Voilà, sinon une piste, des suggestions à suivre pour faire vous-mêmes de tels miracles. Allez-y !

Giovanni Merloni

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Image empruntée de « Abiti de’ Veneziani, texte de Piero Chiara et d’autres, photos de Massimo Listri et Mirko Toso, FMR n.11/1983, magazine mensuel de Franco Maria Ricci (Parme)

Le journal de Georges de Coursault (deuxième partie) : une histoire française de Valère Staraselski

Mercredi 7 janvier 1789
Au petit matin, ouvrant les yeux, je n’osais quitter ma couche alors que mon esprit m’ordonnait de raviver au plus vite les braises gisant dans la cendre grise. De la cheminée. Je m’assoupis un peu quand je songeai tout à coup à ceux qui avaient passé la nuit dehors : rendu déterminé par cette pensée brutale, je m’arrachai à défaire une falourde. Après quelques minutes, une flambée bien franche réchauffait l’air glacial de la pièce. Ce qui me permit de faire ma toilette puis de me raser. Ce matin-là, je n’entendis rien et je ne croisai âme qui vive dans l’escalier. Il était trop tôt.
C’est enfoui dans ma pelisse que je traversais Paris à pied, filant par les rues où les êtres, hommes ou bêtes, passaient comme des ombres tant il gelait à pierre fendre…
(Pages 275-276)

[années évoquées : 1776-1779]

Soit fatigue due à une tension trop forte, soit début de refroidissement mais, ne me sentant pas très bien, je m’avais ai, cette fin de matinée-là, de solliciter ouvertement M. Doudeauville afin que nous nous en tenions là pour ce jour. Puis j’osais la requête d’être raccompagné en voiture. Mon hôte appela Baptiste qui aussitôt se présenta et écouta son maître le prier de bien vouloir préparer la vinaigrette afin de me conduire rue Saint-Sauveur. Avant que je parte, Marc-Antoine Doudeauville m’annonça que le lendemain matin Baptiste viendrait me chercher à neuf heures. Je remerciai, priai qu’on m’excusât et me retirai. Voyant mon état, Baptiste me proposa une tisane de sa confection à laquelle il avait mélangé du miel. J’acceptai. Il me fait patienter dans la cuisine où il me coupa de la brioche. La tisane était brûlante avec un arrière-goût de thym. Son absorption me fit transpirer aussitôt en abondance. Une fois chez moi, je me mis au lit et je m’endormais jusqu’au soir.
Vers huit heures, je me levai submergé d’une torpeur fiévreuse, j’allumai ma chandelle pour avaler une assiette de soupe, arrosée d’un verre de vin puis d’un second. Ensuite, je me frottai le corps d’un linge frais afin de me débarrasser de mes suées et changeai de chemise en même temps que le drap de mon lit. Je me recouchai et, attrapant une gousse d’ail, je me mis en besogne de la croquer en entier afin de me nettoyer le sang. Par la fenêtre, avant de fermer l’œil, j’aperçois un merveilleux croissant de lune qui brillait de façon intense dans la nuit. Je songeai que, au même moment, M. Doudeauville l’observait peut-être aussi, depuis son lit. Dehors, il gelait à perdre fendre. L’ail me brûlait la bouche. Je dormais jusqu’au lendemain matin.
(Pages 367-368)

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Musée des Arts Décoratifs, Bordeaux

Jeudi 8 janvier 1789
Je parle depuis, comment nommer… appeler cela… disons un endroit dont personne, hormis Dieu, ne connaît ni l’origine ni peut-être la fin et qu’on appelle la vie. Je parle depuis un lieu aussi étrange que donné, semblable à un grand orme remué par le vent d’été, à un porte-falot qu’on croise dans la nuit, rue de Vieille-Draperie, pareil à un appartement éclairé par la faible lueur d’une femme par-dessus son épaule nue que parsèment des taches de son, gai et joyeux comme ces enfants qui chantent sans fin Le Bon Roi Dagobert sur le pont au Change, triste et pesant comme le remords qui vous mord et déchire sans fin le sommeil tant attendu de la pleine nuit, entêtant et émouvant comme le lever du soleil chaque matin sur les toits de Paris. Je parle depuis un long rêve recommencé dont seule la mort peut me réveiller et un jour me réveillera. Mais pour l’heure, en dépit de tout le mystère de vivre, mon métier est d’écrire, plume d’oie et encrier. Et c’est du reste pour cette raison que M. Doudeauville a fait appel à moi. Alors j’écris… Ce bruit… Ce craquement… ce tintement… Mon horloge ! Elle vient de sonner huit heures et je suis encore au lit. Je dormais. Et ces bruits de cognement, ces gémissements : le jeune couple d’à côté qui remet ça dès le matin ! Fichtre, quel froid… Vivement les beaux jours ! Il est grand temps que je quitte ma couche pour le lever. Broaouh, quel froid ! Où est la tinette…
(Pages 369-370)

[années évoquées : 1780-1782]

Ce jour du 8 janvier 1789, je quittai Marc-Antoine Doudeauville à quatre heures de l’après-midi, littéralement affamé. C’était signe que la bonne santé m’était revenue ! En sortant, je constatais qu’il tombait une espèce de givre qui devenait aussitôt verglas. Je croisai des portefaix et des marchandes à qui on distribuait du café au lait : le breuvage était réchauffé dans des fontaines de fer blanc et servi dans de grandes tasses de faïence. Dans le froid, l’haleine des buveurs se mêlait à la vapeur du café chaud. La bonne odeur du breuvage agit sur mes papilles gustatives et accentua ma fringale. Je n’y tenais plus. Passé le Pont-Neuf, j’entrais dans la première gargote venue où je commandai du cervelas puis une livre de tripes que j’arrosai de preniac. Au sortir de manger, il était nuit.
(Pages 422-423)

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Image empruntée de « Abiti de’ Veneziani, texte de Piero Chiara et d’autres, photos de Massimo Listri et Mirko Toso, FMR n.11/1983, magazine mensuel de Franco Maria Ricci (Parme)

Vendredi 9 janvier 1789
Lorsque l’horloge de l’église Saint-Sauveur vint à frapper neuf coups, je m’étais levé d’un bond pour me chausser, enfiler ma pelisse, coiffer ma perruque, mettre mon tricorne et pousser la porte de mon logement. Dans l’instant où j’étais sur le palier, le bruit d’un lit qui remue m’indiqua que, dans le logis d’à côté, mes jeunes voisins, que j’avais dû réveiller, étaient en train de se donner l’un à l’autre. Excellent moyen pour se réchauffer, songeai-je alors, sans doute pour faire taire mon émotion naissante. Au bas de l’escalier, que je descendis avec prudence et concentration car j’étais encore mal réveillé, j’entendis tout à coup des éclats de voix venant de la loge de Mme Bretonneau. Souvent, la concierge se querellait avec son mari. Passant devant sa porte, j’avais distingué sa voix reconnaissable entre toutes, qui lançait cette insulte suprême : « Je te méprise comme un verre d’eau ! » Aucune réponse n’était venue…
(Pages 426-427)

[années évoquées : 1783-1785]

Pour ce jour, Marc-Antoine Doudeauville en avait fini. Nous nous saluâmes et l’avocat me proposa de nous retrouver le lendemain, samedi. Il essaierait — m’assura-t-il — de me dicter ce qu’il lui restait à dire. À la demande de mon hôte, Baptiste me raccompagna en vinaigrette jusqu’à la rue Saint-Sauveur où dès mon arrivée je commandai chez la femme Bretonneau, de quoi me restaurer très sérieusement.
(Pages 498-499)

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Musée des Arts Décoratifs, Bordeaux

Samedi 10 janvier 1789
J’ai mis du temps à distinguer non pas le vrai du faux, mais l’état d’éveil de celui du sommeil. En vérité, durant la réalité du sommeil, celle intense et extrême des rêves, j’étais devenu Marc-Antoine Doudeauville. Cela m’est arrivé, à moi. Mon déplacement d’identité me paraissait alors non pas naturel, mais entendu. Tout à fait ! Croyant, ainsi qu’il arrive parfois lorsqu’on rêve, même réveillé en totalité, j’avais alors acquis la certitude d’être la personne de Marc-Antoine Doudeauville ! D’abord, me trouvant dans un véhicule, je pestais en une éloquence peu châtiée contre le voiturier qui, je ne sais pourquoi, me conduisait à l’hôpital Saint-Valère. J’avais beau lui crier que Saint-Valère se trouvait à l’ouest, à proximité de l’hôtel royal des Invalides et que je voulais aller, moi, à l’Hôtel Dieu ou à la Pitié, et non à Saint-Valère, à la fin des fins, rien n’y faisait ! Cette bourrique de cocher poursuivait son chemin comme si j’avais été un stère de rondins. Et dans le prolongement du rêve, je traversais l’air glacé de mon logis et je pensais tout à coup : tiens, je ne suis plus cloué au lit par cette mauvaise chute faite dans le chemin de Belleville, je marche ! J’étais Marc-Antoine Doudeauville… Mon rêve eut une fin : des cris de postillons s’invectivant qui montaient de la rue me tirèrent du sommeil. Je me dressai alors et m’activai par habitude, me faisant l’effet d’un somnambule. C’est en ranimant le feu, à croupetons devant la cheminée, grelottant de froid, que peu à peu l’impression du rêve s’évanouit et que mon identité me réintégra. Les flammes s’élevant après que j’eus soufflé à répétition sur les braises, je m’entendis à ce moment-là articuler mon nom puis énoncer mon âge. Oui, j’étais bien moi, Georges de Coursault, né à Gracay en Berry ! Et j’avais dix-huit ans, et non l’âge de M. Doudeauville….
(Pages 501-502)

…Lorsque j’arrivai rue de Nevers, j’aperçus dans l’entrée un homme de forte corpulence. Je le considérai tout à coup. Une aimable physionomie, une expression avenante peinte sur son visage., un beau profil, du maintien, beaucoup, un dynamisme qui ne laisse pas place à des sentiments mous, une haute taille. Des yeux d’un bleu intense. Après l’avoir vu un peu, j’avais reconnu M. de Maisonseule ! Mon cœur battait la chamade. M’apercevant, il vint aussitôt à moi, le regard chargé d’inquiétude et se prit à me dire simplement : — « Acquittez-vous de votre tâche, jeune homme, du mieux que vous le pourrez, cela lui procure le plus grand bien ! Mais attention ! ne le fatiguez pas trop ! Je lui avais pourtant bien recommandé de ne pas s’y rendre sans moi, à la ferme de Savy. Oui, la ferme où mène le chemin de Belleville ! » Et, de ses mains gantées, il me tapota l’avant-bras et disparut avant que j’aie pu seulement prononcer un mot…
(Pages 503-504)

[années évoquées : 1786-1788]

Comme nous nous taisions, la voix de M. Doudeauville s’était alors levée : « Messieurs, nous allons, je crois, nous en tenir là, d’autant que voilà mon affaire terminée et que moi, me voilà assez épuisé pour aujourd’hui … Ah si, Coursault ! Le chemin de Belleville… J’ai omis de dire la raison
pour laquelle je m’y trouvais… C’est on ne peut plus simple : le chemin de Belleville mène à la ferme de Savy. Là se trouve une femme Perrault, une vieille femme. La sœur de ma mère, ma tante, que j’allais visiter pour la première fois…»
(Page 593)

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Musée des Arts Décoratifs, Bordeaux

Vendredi 30 janvier 1789
D’abord la surprise… M. Doudeauville n’était plus dans son lit mais assis à son bureau en compagnie de Maisonseule, qui se trouvait, quand j’entrai, en face, bras levé et bouche ouverte ! Je découvrais le maître de maison dans une mise simple mais élégante. Bien bâti, et grand aussi. Plus que je ne l’aurais cru ! À première vue, il me parut être remis. Son accueil chaleureux, enthousiaste même, me mirent tout de suite tout à mon aise. Pour tout dire, j’étais heureux de me trouver là ! Selon son habitude, il me fit apporter par Baptiste un bol de chocolat chaud en m’assurant, dans un sourire espiègle, que Maisonseule avait déjà vidé le sien. À mon arrivée, j’avais trouvé les deux amis en grande conversation. Le plus naturellement du monde, après les salutations, ils m’incorporèrent à leur entretien…
(Page 596)

— Je vois, répliqua alors André Maisonseule qui s’était levé et que j’imitai car, durant la lecture que nous faisait Marc-Antoine Doudeauville, des clameurs qui se répétaient et enflaient nous étaient parvenues du dehors. « Je vois, lança-t-il à nouveau en allant jusqu’à une croisée, qu’il y a des flammes sur le Pont-Neuf. Juste devant la statue d’Henri IV, mon vieux !
— Des flammes ? Tu veux dire que ça brûle ? s’inquiéta Doudeauville qui ne possédait pas encore assez de force pour se lever de son siège et qui tendait le cou en direction de son ami.
— Oui, ça brûle, répondit Maisonseule. Une belle flambée même ! Tu peux me croire ! » lança-t-il.
(Page 605)

Valère Staraselski

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