le portrait inconscient

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TIex6_Venise VI/VII

11 mardi Juin 2013

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Testament immoral

001_nuovo gelato def 740

Giovanni Merloni, 2004-2013

Venise VI/VII (chapitre IX,8-10, 14, 16, Carrosse n. 4, Testamento immorale, p.119-130 Manni Edizioni, Lecce 2006)

Bienvenue à Venise
toi aussi. Quelle magnifique allure
et pourtant quelle triste tournure
cette interdiction à mes lazzis,
et cet étalage chez les paparazzis
du virement, brusque et inattendu,
qui te dégage du soupirant fou.

Escortée par ta cousine
tu t’assieds au café Florian
avec l’envie d’un truc irlandais
introuvable dans cette cuisine,
moi je ris de façon enfantine
repensant aux égratignures
qu’au dieu Pan [i] tu as accordées
tandis qu’à moi tu les as bien niées.

Mon nid restera vide. Le Lido
scrutera des nuits blanches.
Les cousines seront fatiguées
comme des arbres sans branches
tandis que cette bande d’antan
savourera péniblement les cancans
et que mes envies de sous-sol
(mortes à Venise) crèveront au regard
du dernier jour qui s’envole
(tu es Tadzio, je suis Bogarde). [ii]

002_gio_antique 16 740

Toute la nuit j’ai erré
entre la gare et le pré
où je t’avais embrassée
comme un mirage blessé.

Au milieu des tables et des pigeons
j’ai détendu mes jambes fatiguées
en fredonnant de tristes chansons
infaillibles trompeuses d’hormones.

Au petit matin, au jour montant
pour moi tu étais une fée
une belle à l’abri dormant
qui se serait bien fâchée
si je l’avais réveillée.

003_gio_antique 17 740

Au retour dans le train
de dialectes assez plein
pour notre amour obscène
la vie s’affichait sereine :
« Demain ce sera lundi
opportun jour de passage
de la cour au jardin
de la raison au destin.
Oubliant d’être sage,
mardi ou mercredi
je serai à l’origine de tes maux :
de nouveau le cœur
de deux amants normaux
redonnera leur valeur
aux organes génitaux ».

Le lendemain d’une lourde journée
ma bonne chance est rattrapée
la cousine est déjà disparue
le rival est parti dans la cohue :
après une pathétique
mort poétique
recommence frénétique
la vie pratique.

004_gio_antique 15 740

Entre nos trains perdus
il y eut la lutte
et des prix de consolation
Il y eut la douceur,
l’insouciance, l’inquiétude
la malsaine clarté
la jeunesse saine
il y eut de la vérité,
des instants de sincérité
promiscuité liberté libido
(toi Violetta, moi Alfredo) [iii]
dans les coupes sirotées
dans nos après-midis exquis
et nos rêves purs ou impurs :
magiquement,
tu paraissais et disparaissais,
te faufilant en geisha
dans mon lit emprunté
et ressortant madame
sur le boulevard obscurci.

Il y eut entre nous
des rafales de libération
(parfois nous étions
suspendus dans l’air).
Il y eut la joie, bien sûr.

Mais nous ne fûmes pas capables
de rassembler nos esprits
de descendre de ce train minable
traversant sans le moindre souci
une Bologne qu’il n’avait pas compris.

Nous ne sûmes pas non plus
jeter le lest aux orties, sortir
de nos pieds (moi Charlot, toi Marylin) [v]
vers l’ouest ou vers l’est
nous confiant à la route infinie
qui nous sauverait la vie.

005_venezia 1994008 740

Dans le train lent
presque immobile
qui trente ans après
voyage dans les rues de Bologne
je ne quitte pas la gare
(ferme comme du pain rassis,
penaud comme un pénis infirme).

D’un bond s’est ouverte
la coulisse sans poids
d’un compartiment
comble et allumé.
Un bras se jette dehors
m’obligeant à m’asseoir
dans la place vide
sur le velours gris
devant une vieille photo
de Venise-ciel-de-bise.

Retourné comme d’habitude,
je n’ai pas eu honte
de fermer les yeux
de me boucher les oreilles
avec les mains.

006_scompartimento 740

Un chuchotement qui ne cesse
m’a d’un coup réveillé.
Celle que j’ai devant
fait louange de remords
tout en reniant les regrets
(elle parle de cours et recours
de colloques à rebours
de questions à se poser
de difficiles concours
et d’autant d’amis venus
pour décrire, par bouchées
certains faits qui leur sont arrivés).
La voisine à la fenêtre, absorbée
dans l’écoute, se borne à dire seulement
qu’elle souhaite voir le train
effacer toutes ces gênes du monde
par sa propre rumeur de fond
tandis qu’un sommeil serein
se glisse dans cette bande humaine
entourant Obsidienne.

Sauvé par le noir, tel un assassin
j’observe devant moi un à un
les traits de ce mannequin :
le cou et l’épaule menue
(elle sait que je l’ai re-connue)
le sac la veste et les gants
son style sans doute envoûtant,
le nez justement, l’ovale vivant
les yeux verts comme une mer
les cheveux ne cessant de parler
la bouche sachant écouter
les mains en vif argent
(devant mon air surpris
se crispe son front exquis).

Adieu Obsidienne
on s’est dérobés aux pièges
aux manipulations, aux manèges
il nous reste cette vie marraine.
Pendant le temps juste d’une glace
à la vanille ou de raisins grattés
un autre tunnel sera dépassé.


[i]  Dieu grec des bois, auquel l’amour est toujours accordé.

[ii]  Dans Mort à Venise (1971), de Luchino Visconti (1906-1976), Dirk Bogarde interprète Von Aschenbach, protagoniste du film avec Tadzio.

[iii]  Protagonistes de La Traviata (1852) de Giuseppe Verdi (1813-1901).

[v]  Final de plusieurs films de Chaplin: deux amoureux, vus de dos, s’acheminent vers l’horizon.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 11 juin 2013

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TIex5_Venise V/VII

10 lundi Juin 2013

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Testament immoral

venezia V 740

Giovanni Merloni, 2013

Venise_005 (chapitre VIII,13-16, Carrosse n. 3, Testamento immorale, p.107-110 Manni Edizioni, Lecce 2006)

Tu tun tu tun
ralentit le train
sous le ciel serein, gelé, sans entrain.
Je sors de la vitre ma tête
fourmillante et triste :
« Non, je ne descends pas !
Peut-être vais-je continuer, jusqu’à Ferrare
et même plus loin, au-delà du Pô
je me régale d’une journée rare
(je vais voir une expo)
à Venise, tiens ! »

Quant à toi
Étoile filante
Étoile matinale
tandis que le train repart
(et que le matin se montre lumineux)
d’ici solitaire, à l’écart
je t’écris sur une carte postale.

Nous partions en voiture
(car tu avais peur du train)
toujours accompagnés
par les chansons héroïques
des Inti Illimani [i]
(il y avait encore
les troïkas  [ii] et les balalaïkas [iii] ;
il n’y avait pas encore
Gato Barbieri [iv]).

À Venise
tu dis « Au secours !»
Mais, j’étais têtu
et dépourvu de flair.
Une nuit, assise sur le lit
tu laças tes souliers
de montagne. Décidée
à conduire toi même
la gondole bleue
qui nous amènerait au feu.

Il s’appelait Omas [v] le stylographe
que tu m’avais donné
que je perdis, malheureux
dans l’excursion  en photographes
vers le lointain Torcello).
J’avais eu juste le temps
d’écrire BÉ-RÉ-NI-CE [vi]
sur ton ruban blanc et bleu
(gauche et drôle d’encadrement
à tes longs cheveux).

Étoile en plein air
tu te précipites sournoise
dans mon ciel turquoise
à la Paul Véronèse. [vii]

Étoile, plongeant
ta belle main dans l’eau,
il te va comme un gant
le canal de Venise.
Dans ce calme, je me consacre
à ton visage ancien
(comme un modèle du Titien [viii])
le parfait simulacre
d’un amour sacré
qu’il fallut profaner.

Giorgione-le-concert-champètre-1510 740

Giorgione (ou Titien), Le concert champêtre (1510) (Les peintres de Venise)

Ton air de feu follet
(ce que m’avait dit dans l’escalier
un collègue de mon quartier [ix])
me rappelle Tintoret. [x]
Mais, le lit sous le toit
fut le centre parfait
de notre plaisir
(Casanova [xi] et Canaletto [xii]
en auraient eu grand dépit).

Étoile sur terre
ton rêve a affaire,
par tes dociles regards,
à Guardi par hasard [xiii]
Et ton je-ne-sais-quoi
de pucelle pointue
à Carpaccio aurait plu [xiv]
tandis que ton nez aquilin
Bronzino [xv] dans ses dessins
l’aurait gardé. Ton rare teint
Giorgione l’a peint [xvi]
mais ta bouche ingénue
est l’œuvre d’un inconnu.

Étoile de sucre et de cannelle
je t’ai mangée et bue
même à ton insu
en jouant du violoncelle
aux abords d’une obscure ruelle.

En sortant de l’Académie [xvii]
sur le pont je t’embrassai
tu dis : « Unissons nos dangers ! »
Je répondis sans réfléchir
« J’ai deux enfants à entretenir ».
Je te perdis avant de manger
te poursuivis avec le gondolier
tandis que toi, en me fuyant
me laissais balader, sans rigoler
parmi les moustiques
du monde entier.


[i] Groupe de musiciens chiliens exilés en Italie après le coup d’état de 1973.

[ii]  Traineau ou luge trainés par trois chevaux.

[iii]  Instrument de musique à cordes très diffusé en Russie et en Ukraine.

[iv]  Saxophoniste de jazz argentin.

[v]  Marque de stylo.

[vi]  Reine égyptienne qui sacrifia sa splendide chevelure à Aphrodite.

[vii]  Paolo Veronese (1528-1588), peintre.

[viii]  Tiziano Vecellio (1490ca.-1576), peintre.

[ix]  Collègue d’ Alfredo B.

[x]  Jacopo Robusti dit le T. (1518-1594), peintre.

[xi]  Giacomo Casanova (1725-1798), écrivain.

[xii]  Giovanni Antonio Canal dit le  C. (1697-1768), peintre.

[xiii]  Francesco Guardi (1712-1793), peintre.

[xiv]  Vittore Carpaccio (1465ca.-1526), peintre.

[xv]  Agnolo di Cosimo dit le  B. (1503-1572), peintre.

[xvi]  Giorgio Zorzi dit le  G. (1477ca.-1510), peintre.

[xvii]  Gallerie dell’Accademia, pinacothèque de Venise.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 10 juin 2013

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TIex4_Venise IV/VII

08 samedi Juin 2013

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Testament immoral

001_fiocco bianco e nero 740

Giovanni Merloni, 2010

Venise IV/VII (chapitre VII,6-8, Carrosse n. 2, Testamento immorale, p.96-99 Manni Edizioni, Lecce 2006)

On était bien dans le train
du voyage de noces
mais Venise, oh combien exquise
ce n’était pas le bon négoce
pour retrouver l’entrain.
Et les lumières bruyantes
dans cet air bavardant
rien n’auraient pu changer
à nos malaises stagnants.
Car toi, Nuage rose
serais tombée malade
par feinte et par pose
au risque de te changer, au final
dans une violette et noire
fauvette de trottoir.

002_san marco cupole 740

Dans le wagon-restaurant
de cette fuite à Venise
le voyage fut une ineptie
le temps d’un instant
toi nuage de jupes blanches
moi nid d’envies jamais fatigantes.

On avait déjà oublié
la gifle que t’avais flanquée
tout juste fiancés
on avait juste effacé
tes cheveux rasés à zéro
le balcon d’une bataille rétro
qui même en y songeant me désespère.

Heureux ou drogués
frais époux ou vieux mariés
nous courions, étourdis
parmi des traces de glaces
en mêlant nos haleines
de façon compliquée et obscène.

Mais, à Venise au mois de mai,
il peut y faire un frais mauvais.
Sur le bateau à vapeur
en t’effleurant le cou lunaire
brusquement refroidi
tu ne cherchais qu’un rayon
de soleil solitaire.
Partageant ton mirage
rudement interdit
je chuchotais bon courage
comme tout brave mari.

003_gruppo part 740

Mais l’équipage
devinant le malaise au passage
arrêta le bateau :
« Si tu vas au Campo
Saint-Zacharie
dans un éclair (ou lampo)
tu trouveras une pharmacie ».

Parmi les arcades et ruelles
les gens rudes ou les voyous
les cambrioleurs de frais époux
et les photographes assassins
notre retraite russe
ne se fit sans secousses.
Au Rialto je fis un saut :
les forces t’avaient fait défaut.
À l’Académie sur le pont
je touchai ton front.
À Sainte-Marie-Glorieuse-des-Frères
constatant des symptômes patents
j’appelais tout de suite tes parents.
À l’École de Saint-Roch
tu étais déjà une défroque.

Dès que nous débarquâmes
place Saint-Marc
par un bonjour messieurs dames
on nous fêta.
Nuage fut soignée
courtisée, chérie
et moi, je battis en retraite
faisant chaque jour une promenade
de la pharmacie à la salade.
J’étais habitué, tu le sais
à trainer solitaire
sans horaire, loin des rails.

004_bella bizantina 740

À Venise
cette ineptie de petite fièvre
cet ennuyeux amas de nuages
encombrant l’escalier
au tapis rouge, ce catarrhe vert
collé à la bouche et aux yeux
me donnèrent – toc toc –
un étrange conseil :
« Descends, visite, fouille tout
ne te soumets pas à ses tabous,
accoude-toi au parapet
pour fixer dans ta mémoire
sans hâte et circonspect
les ombres et les lumières.

005_nicoletta 69 740

Giovanni Merloni, 1969

Nuageuse, elle t’attendra
affalée sur le lit
tout en scrutant, distraite
ton image usée.
Et quand les deux Mores
frapperont vivement sur les cloches
elle dira que c’est toi qui tape sur elles
et qu’un Nuage est avec toi, là dehors
dans cette ville sensationnelle ».

006_venezia 69 part

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 6 juin 2013

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TIex3_Venise III/VII

06 jeudi Juin 2013

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Testament immoral

001_venezia II sur VIII part_740

Giovanni Merloni, 2013

Venise III/VII (chapitre VI,14, Carrosse n. 1, Testamento immorale, p.82-91 Manni Edizioni, Lecce 2006)

Une lointaine mi-août
dans la cohue
de la gare
on cherchait une place
(mois Amas d’os, tu Puce)
sur deux pachydermes froids
alignés sur le même quai.
Tu partais au sud:
il y avait le mot NAPLES
et je me dirigeais au nord :
mon mot c’était VIENNE.
On t’attendait bien sûr dans l’île,
moi je serais inconnu à Venise.

Oui, un quinze août
caressé par le vent
et ce nœud à la gorge :
« Et si le tambour
du Grand Hôtel Terminus
se mettait à tourner
à une vertigineuse vitesse
provoquant doucement
un mélange des gens
qui vont et  viennent ?
Par hasard à ta place
sur le train d’en face
(du moins en août)
pourrait se faufiler
une silhouette similaire
de longs cheveux à caresser
en plus d’une mimique faciale
à la tienne égale !
Pourrait-il le destin
se tromper pour une fois
en plaçant près de moi
sur le train
au lieu d’une tête d’hôpital
ton minois original ? »

002_finestra 740

Je parlais, peut-être
(ma voix s’éteignait)
mon wagon partait
le premier. À la dérive
dans la mer véritable
ton wagon fend l’écume
silencieusement.
Me semblent être des plumes
tes cheveux dans le soleil
douce ta voix aiguë
ne hurlant que trois mots :
«Venise pue !»

Mon train dépourvu
de futur et de passé
se dandine, circonspect
de rail en rail
d’aiguillage en aiguillage
en abandonnant  Rome.
Tant mieux, tant mieux
le « non » insupportable
du train qui part
est moins désespéré
que le « plus jamais » inexorable
(sans art ni part)
d’un coup de fil
crûment coupé.

Brusque et absent
le train me ballotte
jusqu’au point où je ne trouve
(opiniâtre, anguleux)
la position rare
dans l’engrenage :
presque mort je m’allonge
dans le berceau en œuf
savourant un voyage
souriant et piteux
comme un costume nouveau.
« Mais, qui va me consoler ? »
Désormais, je ne peux plus
sauter en bas du train
revenir à la gare
t’enlever rageusement
de ton engagement,
désormais je n’aurais
plus le temps. Toi
tu me scruterais ébahie
depuis le wagon parti
ou bien  d’une autre vie.

003_colleoni part 740

Tant bien que mal balancé
(désormais aux alentours
de Saxa Rubra)
dans ma poche je découvre
ton chapelet d’ambre
emprunté cette nuit
où je te donnai une raclée.
Incrédule, enivré, j’ai écarquillé
les yeux et les oreilles
en lisant sur ta bouche
une hideuse comptine.
« L’Italie est longue,
une rallonge électrique
au milieu de la mer,
j’apprends à naviguer
sans toi, sans ton pas
et sans tous les appas
de tes paroles rares.
Tu t’obstines à voyager
sans jamais te persuader
que tu n’atteindras jamais
le but de ton aller.
Ne pas savoir attendre
est la règle principale
pour un être animal
déplacé et brutal
comme toi, mon ami.
C’est pour cela que je te cède
et jamais ne me concède.
Une exception imprévue
est ton être pensif
impulsif et spirituel
est ton train fantaisiste
rarement arrêté dans une gare.
J’aurais pu bien t’attendre
dans la clarté lunaire
mais, oubliant l’exception
– tout en embrassant la règle –
tu as eu trop de fringale
en voulant m’étreindre
dans cette petite cabine
au milieu des moustiques.
Tu disais : je te veux
Ambre Ambrine Ambre belle
dans le jardin du roi.
Tu n’as pas su le faire
tu m’as fait peur
mais j’ai eu l’idée belle
de hurler sans hésiter :
Ve-ni-se ça pu-e !
Ve-ni-se ça pu-e !
Ve-ni-se ça pu-e !»

004_venezia ospedale 740

Ambroise en miettes, taquine
comme une lame de rasoir
agréable comme une cigarette
par mon invitation ahurie,
je t’aurais de près serré
dans cette chambrette ambulante.
Tu n’es pas venue,
quelle défaite !
Pourquoi je ne t’ai pas forcée ?
Pourquoi tu n’es pas ici avec moi
au lieu de tant parler ?
Avais-tu vraiment l’envie
de démystifier
mon incertain voyage
entre le nord et le sud familial,
entre mon être
et mon paraître ?
Je veux me convaincre, Ambre de bise,
que j’aimerai Venise
pour la forte odeur d’égout
dans les canaux à l’ombre
sans oublier Bologne
et ses arcades sombres.

La patrie de Romagne
(partie, hélas, à l’heure)
se découvre heureuse
dès qu’on l’a dissociée
de cette assez compliquée
famille napolitaine.
Mais, durant le voyage
je prends enfin courage
je cesse d’être otage
aussi bien de ta règle
que de ton exception.
Quant à moi, je n’éprouve
aucune répulsion
envers l’odeur de lagune :
un prétexte vraiment incapable
de m’arrêter
si j’avais voulu me jeter
à l’eau avec mon amour fatal.
Je comprends, à présent
que tu étais jalouse
même plus que la normale
de mes envies banales.

Ambre-film
Ambre-rataplan
Ambre-tambour-battant,
enfant têtu
seul et au désespoir
je cheminais dans Venise
animé par le caprice
de te traîner accrochée
obéissante et triste
comme une cravate
chiffonnée par le vent.
Je destinais à toi seule
tous les jours de tout un mois
les ruelles et les églises
et ces ponts de pierre
et l’envie d’y camper
de m’étendre à terre
en feignant de jouer
de la guitare.
Il y avait toujours
une place pour toi
parmi les ombres et le soleil
sur la terre et sur l’eau
(trouble et stagnant
miroir géant).
Il y avait un souffle
de véritable mer
égal au tien
dans les nuits solitaires
parmi d’heureux amoureux
dans le dernier bateau
vers le Lido.
Tu m’écrivais : «Je ris
tout en léchant des glaces.
Derrière les luminaires,
est apparue la lune,
là- bas, près de l’embarcadère
sous l’étoile fixe
la mer c’est une lagune ».

005_venezia nuova base 740

Ambre-île
je t’ai jouée même aux dés
aux échecs et trésette [1]
au cours de quarante ans
longs et vides
sans jamais plus tes grimaces.
Je préfère regarder au dehors
le couchant des émotions
mais s’ajoutent des ardeurs
des présages  de douleurs :
C’est toi qui chantes cette chanson ?

« Maître, si aujourd’hui
tu me fais l’amour
et quarante ans après
je tombe amoureuse de toi
comment pourrai-je combler
tout ce temps
désormais passé
sur le rail mort et oublié ?»

Ambre tu es une ombre
heureuse ou malheureuse je ne sais pas.
Réveillé et aveuglé
par le premier soleil, je ne sais pas
deviner mon état
malheureux ou heureux.
Disparaît en sens contraire
bondissant invisible
sur les pierres blanches
le déchirement solitaire
et vraiment indicible
d’avoir été grégaire
en te croyant imprenable.

Lorsque je me complaisais
dans le chagrin de te perdre
je ne connus d’autre balançoire
que le bourdonnement crissant
du fer sur l’écorce
grise et bleue de la mer.


[1] Jeu de carte traditionnel italien.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 6 juin 2013

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TIex2_Venise II/VII

05 mercredi Juin 2013

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Testament immoral

001_disegno 740

En profitant de la briéveté des vers d’aujourd’hui, je voudrais adresser à mes lecteurs une recommandation cruciale. D’abord, je ne suis pas le seul à aimer Venise, voyant en elle la plus belle ville du monde. Ensuite, j’en ai écrit et rêvé à plusieurs reprises. Tout à fait banalement, comme il arrive à des armées d’autres mortels, Venise a été pour moi le but de voyages de famille, de voyages de travail aussi, d’escapades culturelles ou de spectacle, le but de mon premier voyage de noces, mais aussi d’escapades secrètes et inavouables, réellement vécues ou imaginées…
Il est vrai qu’en avril 1965 j’avais croisé Le Corbusier, mythe incontournable pour toute ma génération, qui traversait avec ses grosses lunettes et une cravate à papillon la piazza San Marco tout en suivant une diagonale parfaite.
Ce n’est pas du tout vrai, au contraire, que je n’eusse jamais eu de rencontres rapprochées avec cette Diva, personnage mythique elle aussi. Je ne peux pas nier d’ailleurs qu’au cours de notre cohabitation au sein de mon adolescence, elle m’avait suscité de véritables et intenses pulsions d’expérimentation amoureuse.

002_diva 740

Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

C’est surtout à cause de mes rêves inaboutis que j’ai appelé « immoral » le testament poétique d’une vie où l’enthousiasme, la maladresse et le provisoire manque d’attention n’ont jamais frôlé une méchanceté quelconque. Est-il immoral de le dire ?

Venise II/VII (chapitre V,14, Carrosse Restaurant, Testamento immorale, p.72-73 Manni Edizioni, Lecce 2006)

Nous étions à Venise ;
juste au petit matin
la famille dormait.
Au dos de la ruelle
à côté du ruisseau
elle était dans l’ombre la terrasse
de l’Ancien Tatillon : [i]
la jeune fille au balai
caressait les feuilles
(un pigeon-poinçon
lui becquetait les pieds).

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Tintoretto, Susanna e i vecchioni, Vienne Kunsthistorishes Museum 

Je feignais de dormir
dans un lit de bataille
accoudé sur la cour
(unique issue
à mon corps de canaille).
Silencieuse Diva
elle frottait sa jupe
contre le mur
en devinant bien dur
mon réveil impur.
Pour atteindre l’escalier
elle devait y passer.
Je fermai les yeux
Diva souleva le drap
par un fort soupir
et posa doucement
la pointe de sa bouche
sur la mienne
(puis je crois elle s’évanouit)
(et moi mes plumes je perdis).

003_affiche 740Giovanni Merloni 

[i]  “Antico Pignolo”, un des plus fameux restaurant de Venise.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 5 juin 2013

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TIex1_Venise I/VII

04 mardi Juin 2013

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Testament immoral

001_cortina arabi 740

Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Venise I/VII (chapitre IV,10/11, Le va-et-vient de M. Le Train, Testamento immorale, p.50-53 Manni Edizioni, Lecce 2006 –

Dans ma famille très citadine
à défaut de terre et de vigne
on se régalait de villégiatures
à la montagne dans la nature
humant l’arôme de prairies bleues
avant de partir pour visiter
toujours Venise
(et ce n’était pas une bêtise).
Le train
(ne faisant qu’un avec l’eau)
dès son arrivée
sur le Grand Canal
(déférent gandin)
déjà saluait Venise
par une belle révérence.
002_venezia vaporetto 740

Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

J’enfourchais la valise
en m’accoudant au parapet
par une nouvelle franchise
sur le radeau branlant.
Il y avait ce même effet
sur le bateau à vapeur
vibrant parmi les pierres
noircies de terre.
Achevé le va-et-vient
du train frénétique
(se taisant enfin la roue
de la balançoire d’eau)
nous, enfants, accoudés
depuis l’hôtel de l’Ange
nous scrutions la rame
en train de clapoter
parmi les algues, juste à l’angle
du ruisseau lagunaire.
« Oh ! Oh !»
s’écriait tel un héros
(plié sur son flanc)
le gondolier blanc.

003_venezia gruppo 1 740

Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Piétinant dans Venise
(indécise file indienne
de carrosses humains)
le crescendo de beauté
culminait dans la place
pullulante de pigeons
de drapeaux et de sons.
Impeccable, mon père
très rapide et précis
photographiait la promenade
des sortants entrants
de l’huis tournant
de l’Excelsior-Danieli
immortalisant, parmi les voiles
de ces limpides cieux
les actrices en chair et en os
les magnats à la rescousse
les personnes extravagantes
les milliers de jambes
les faces bronzées
hélas rassurées
par le grotesque succès
en matière de sexe.
004_venezia piccioni 740

Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Même nous, les enfants
grâce aux graines
qu’on donnait aux pigeons
grâce aux glaces
léchées et  effondrées
(et aux pantalons souillés)
nous arrivions excités
par ces mille émotions
à la rive des Esclavons
où, comme une épice
s’évanouissait Venise
et renaissait venteux
mais dépourvu d’arôme
le ciel menaçant
de mon retour à Rome.

005_venezia campanile 740

Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 4 juin 2013

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