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Giovanni Merloni, 2004-2013

Venise VI/VII (chapitre IX,8-10, 14, 16, Carrosse n. 4, Testamento immorale, p.119-130 Manni Edizioni, Lecce 2006)

Bienvenue à Venise
toi aussi. Quelle magnifique allure
et pourtant quelle triste tournure
cette interdiction à mes lazzis,
et cet étalage chez les paparazzis
du virement, brusque et inattendu,
qui te dégage du soupirant fou.

Escortée par ta cousine
tu t’assieds au café Florian
avec l’envie d’un truc irlandais
introuvable dans cette cuisine,
moi je ris de façon enfantine
repensant aux égratignures
qu’au dieu Pan [i] tu as accordées
tandis qu’à moi tu les as bien niées.

Mon nid restera vide. Le Lido
scrutera des nuits blanches.
Les cousines seront fatiguées
comme des arbres sans branches
tandis que cette bande d’antan
savourera péniblement les cancans
et que mes envies de sous-sol
(mortes à Venise) crèveront au regard
du dernier jour qui s’envole
(tu es Tadzio, je suis Bogarde). [ii]

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Toute la nuit j’ai erré
entre la gare et le pré
où je t’avais embrassée
comme un mirage blessé.

Au milieu des tables et des pigeons
j’ai détendu mes jambes fatiguées
en fredonnant de tristes chansons
infaillibles trompeuses d’hormones.

Au petit matin, au jour montant
pour moi tu étais une fée
une belle à l’abri dormant
qui se serait bien fâchée
si je l’avais réveillée.

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Au retour dans le train
de dialectes assez plein
pour notre amour obscène
la vie s’affichait sereine :
« Demain ce sera lundi
opportun jour de passage
de la cour au jardin
de la raison au destin.
Oubliant d’être sage,
mardi ou mercredi
je serai à l’origine de tes maux :
de nouveau le cœur
de deux amants normaux
redonnera leur valeur
aux organes génitaux ».

Le lendemain d’une lourde journée
ma bonne chance est rattrapée
la cousine est déjà disparue
le rival est parti dans la cohue :
après une pathétique
mort poétique
recommence frénétique
la vie pratique.

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Entre nos trains perdus
il y eut la lutte
et des prix de consolation
Il y eut la douceur,
l’insouciance, l’inquiétude
la malsaine clarté
la jeunesse saine
il y eut de la vérité,
des instants de sincérité
promiscuité liberté libido
(toi Violetta, moi Alfredo) [iii]
dans les coupes sirotées
dans nos après-midis exquis
et nos rêves purs ou impurs :
magiquement,
tu paraissais et disparaissais,
te faufilant en geisha
dans mon lit emprunté
et ressortant madame
sur le boulevard obscurci.

Il y eut entre nous
des rafales de libération
(parfois nous étions
suspendus dans l’air).
Il y eut la joie, bien sûr.

Mais nous ne fûmes pas capables
de rassembler nos esprits
de descendre de ce train minable
traversant sans le moindre souci
une Bologne qu’il n’avait pas compris.

Nous ne sûmes pas non plus
jeter le lest aux orties, sortir
de nos pieds (moi Charlot, toi Marylin) [v]
vers l’ouest ou vers l’est
nous confiant à la route infinie
qui nous sauverait la vie.

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Dans le train lent
presque immobile
qui trente ans après
voyage dans les rues de Bologne
je ne quitte pas la gare
(ferme comme du pain rassis,
penaud comme un pénis infirme).

D’un bond s’est ouverte
la coulisse sans poids
d’un compartiment
comble et allumé.
Un bras se jette dehors
m’obligeant à m’asseoir
dans la place vide
sur le velours gris
devant une vieille photo
de Venise-ciel-de-bise.

Retourné comme d’habitude,
je n’ai pas eu honte
de fermer les yeux
de me boucher les oreilles
avec les mains.

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Un chuchotement qui ne cesse
m’a d’un coup réveillé.
Celle que j’ai devant
fait louange de remords
tout en reniant les regrets
(elle parle de cours et recours
de colloques à rebours
de questions à se poser
de difficiles concours
et d’autant d’amis venus
pour décrire, par bouchées
certains faits qui leur sont arrivés).
La voisine à la fenêtre, absorbée
dans l’écoute, se borne à dire seulement
qu’elle souhaite voir le train
effacer toutes ces gênes du monde
par sa propre rumeur de fond
tandis qu’un sommeil serein
se glisse dans cette bande humaine
entourant Obsidienne.

Sauvé par le noir, tel un assassin
j’observe devant moi un à un
les traits de ce mannequin :
le cou et l’épaule menue
(elle sait que je l’ai re-connue)
le sac la veste et les gants
son style sans doute envoûtant,
le nez justement, l’ovale vivant
les yeux verts comme une mer
les cheveux ne cessant de parler
la bouche sachant écouter
les mains en vif argent
(devant mon air surpris
se crispe son front exquis).

Adieu Obsidienne
on s’est dérobés aux pièges
aux manipulations, aux manèges
il nous reste cette vie marraine.
Pendant le temps juste d’une glace
à la vanille ou de raisins grattés
un autre tunnel sera dépassé.


[i]  Dieu grec des bois, auquel l’amour est toujours accordé.

[ii]  Dans Mort à Venise (1971), de Luchino Visconti (1906-1976), Dirk Bogarde interprète Von Aschenbach, protagoniste du film avec Tadzio.

[iii]  Protagonistes de La Traviata (1852) de Giuseppe Verdi (1813-1901).

[v]  Final de plusieurs films de Chaplin: deux amoureux, vus de dos, s’acheminent vers l’horizon.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 11 juin 2013

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