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« Mémoire comme citadelle préservant des amours en cage… » (Rencontre des Poètes sans frontières avec Kim Waag)

30 jeudi Mai 2019

Posted by biscarrosse2012 in les unes du portrait inconscient

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Écrivains et Poètes de tout le monde, Claire Dutrey, Poètes sans frontières

Christian Malaplate, Kim Waag et Claire Dutrey

« Mémoire comme citadelle préservant des amours en cage… »

« Dans l’univers de la poésie, le voyage est inégal. On se laisse plus facilement bercer par des rythmes connus, déclenchés au fur et à mesure par les strophes célèbres des Maîtres incommensurables, ou alors par les voix abruptes, en contre-chant, de quelques poètes maudits. Cependant, au cours de notre navigation, il nous arrive de frôler de nouvelles constellations, des voix inattendues qui d’un coup nous intriguent ou alors s’emparent de notre enthousiasme au fur et à mesure de leurs apparitions sur le plateau de la scène ouverte… »
Voilà ce que m’a confié l’un des participants, vendredi dernier, le 24 mai, à la rencontre des Poètes sans frontières — au Hang’Art, 63 quai de Seine, 75019 Paris —, consacrée à Kim WAAG, une poète à part entière tout en étant depuis toujours chanteuse, musicienne, danseuse et plasticienne.

Dans le petit espace perturbé par les sirènes des ambulances et les bruits désormais familiers d’un local consacré à l’éphémère contemporain, il était difficile sinon impossible d’accueillir même un échantillon des performances musicales-poétiques dont Kim WAAG fait souvent cadeau au public médusé de la salle Pétrarque de Montpellier ou au sein de l’association Cadence Art Vocal qu’elle anime, avec le soutien du maire-poète, dans la commune de Palavas-Les-Flots.
Au commencement, l’absence de Vital Heurtebize, actuellement au Canada, laissait serpenter une certaine inquiétude parmi les participants. Avec très peu de mots efficaces, Vital Heurtebize aurait d’emblée « situé » l’invitée et son monde poétique dans la dimension réelle, humaine, dont tout un chacun avait besoin pour apprendre jusqu’au bout la valeur de ce qu’elle allait nous partager.
Heureusement, à la place de Vital Heurtebize, il y avait Christian Malaplate, un homme tout à fait à la hauteur de cette tâche, partageant, en tant que vice-président des Poètes sans frontières, le même esprit fondateur, engagé et engageant que Vital Heurtebize reconnaît à la poésie. En plus, à travers les émissions « Traces de lumières » (poésie et Carnets de voyage) qu’il anime auprès de RADIO FM PLUS 91fm, dont il est Président, Christian Malaplate consacre énormément d’énergies et d’intelligence au partage de la poésie avec le souci constant de l’approfondissement et de la qualité. Poète et écrivain reconnu, Christian Malaplate a mûri une grande expérience de passeur de poésie et d’animateur de scènes ouvertes où jusqu’ici quatre mille poètes ont pu s’exprimer, apprenant à mesurer leur univers intime à l’échelle branlante d’auditoires exigeants et sensibles.

Enfin, grâce aux lectures denses et pertinentes de Claire Dutrey et à la présentation illuminée de Christian Malaplate, ceux qui voyaient Kim WAAG pour la première fois ont été bien aidés à en entendre et savourer à fond le message poétique.
Certes, l’envie demeure, en moi, d’assister prochainement à une performance poétique et musicale de Kim WAAG, comme « L’envol » par exemple, dont j’ai pu apprécier à la maison le splendide CD.
En manque de la dimension spectaculaire, qui fait évidemment partie de la personnalité de notre invitée, elle a pu néanmoins dialoguer de façon approfondie avec les autres poètes présents, ce qui a rendu finalement cette rencontre chaleureuse et sincère.

Accompagnés par la voix incontournable de Claire Dutrey, vous lirez ci-dessous quelques-uns des poèmes publiés dans « Paix dans le cœur. Un chemin de poèmes rassemblés ».
Ils correspondent, je crois, à une suprême exigence de décantation de l’essence et de l’essentiel de la vie, que Kim Waag a voulu extraire du magma d’une incessante création au service de la musique et de sa dimension théâtrale.
Fille de Cécile Waag, elle aussi poète reconnue, Kim WAAG a suivi avec une rigueur tout à fait prodigieuse les deux parcours parallèles de la musique et du chant et celui des arts plastiques. À l’origine, elle chantait surtout et au fur et à mesure qu’elle apprenait à créer des musiques d’accompagnement (d’abord aux poèmes de sa mère) elle a atteint un niveau de maîtrise musicale et de familiarité avec les mots lui ouvrant les portes de la poésie, sous forme de paroles pour ses chansons ou de poèmes libres tout à fait autonomes.
Je vois en ce parcours, et dans son penchant pour la mise en scène de spectacles au sens accompli, une véritable vocation théâtrale, la seule qui peut justifier d’ailleurs la cohabitation en elle de nombreux talents qui, en dehors de l’événement théâtral, se feraient réciproquement la guerre.
Je ne peux pas développer ici une trop longue réflexion que j’ai à cœur, sur le rapport entre la poésie et la chanson. Une grande partie des auteurs de chansons — Charles Trenet, Jacques Brel, Georges Brassens, Georges Gainsbourg, Léo Ferré et Barbara, par exemple — sont des poètes et même de grands poètes. En tout cas, tout en partageant ce qu’observe Christian Malaplate dans une émission de « Traces de lumières » consacrée aux poèmes en musique, je crois qu’en général la poésie n’ayant d’autre accompagnement que la musique des mots est finalement autre chose vis-à-vis de la chanson. Comme il arrive entre le roman et le film qui s’y inspire, il y a une distance, un décalage important entre la poésie et la chanson. Et aussi entre la chanson et la poésie accompagnée par la musique.

Je crois que Kim WAAG, ayant tout expérimenté de ces trois possibilités expressives, mérite toute notre attention pour chacune d’elles. Est-ce qu’elle se prend jusqu’au bout au sérieux ? se dérobe-t-elle, au contraire, comme une jongleuse très habile, aux lourdes responsabilités que comporte l’être, par exemple, une poète ?
Elle nous a confié que son but est la légèreté…

Par la seule musique des mots, dans ce recueil où le passé s’invite à petits pas, on découvre le désir irrépressible de revenir à l’intime, à la rêverie des « amours en cage » dont le dénouement, forcément caché, est quand même protégé par la mémoire.

Ce passage crucial de l’autodévoilement poétique de Kim WAAG me fait brusquement souvenir — pardonnez-moi de cette digression — d’une inoubliable promenade à Bruxelles, avec un couple d’amis très chers. Lui, un architecte totalement imprégné de culture française ayant eu une mère parisienne, nous conduisait avec légèreté et enthousiasme par les sentiers magiques de ses traversées universitaires, nous faisant découvrir de l’intérieur ce que Bruxelles était alors, dans les années 1970 et ce que cette ville extraordinaire demeure aujourd’hui, dans les années 2010. Notre promenade pleine de rires et de haltes aux comptoirs de la « Mort subite » s’échoua dans un petit café-bistrot derrière la Grande Place. Cette fois-là, nous ne nous arrêtâmes pas à boire : notre ami, à la vitesse d’un lièvre, nous invita à traverser des salles carrées combles de gens chuchotants… jusqu’à un petit escalier bien caché derrière un portemanteau très chargé.« Et puis, on montait là-haut ! » dit-il s’accompagnant d’un geste aussi inconsolable qu’élégant avant de faire demi-tour.
C’est dans la communion des émotions et dans le partage de nos plus douloureux secrets que la poésie et la joie de vivre se déclenchent à l’unisson.
Il suffit d’un seul geste, comme celui de mon ami de Belgique au bout d’une traversée fort évocatrice.
Il suffit d’un seul vers, au milieu de la « Traversée » poétique où Kim WAAG nous convie :

« Serait-ce de mauvais augure
De vouloir se débarrasser
Des images les plus obscures
Décramponnées à son passé ?

Mémoire comme citadelle
Préservant des amours en cage
S’attache à cette sentinelle
Ridée… »

« Il y a de belles salles, à Montpellier et partout dans la France, pour des retours éphémères à l’âge d’or de l’Arcadie poétique… », m’a soufflé dans l’oreille mon voisin de banc. « Tandis qu’ici, à Paris, tout semble se rétrécir ! En tout cas, même ici, avec la contrainte de s’exprimer sur un seul pied comme les grues, la scène ouverte a marché aussi bien pour l’invitée que pour les poètes présents… »

Giovanni Merloni

Claire Dutrey lit « Les routes » et « Écriture » de Kim WAAG

Les routes

Il est des routes droites
Rapides, attirantes
Des chaussées peu étroites
L’allure rassurante

Il est des routes courbes
Qu’on parcourt solitaire
Pour esquiver les fourbes
On accroît le mystère

Il est des routes sombres
Où l’on ne comprend pas
Ce qui agit dans l’ombre
Où s’égarent nos pas

Il est des routes fausses
Souvent l’on se fourvoie
Mais le destin nous hausse
Vers de multiples voies

Il est des routes vertes
Vibrantes de l’espoir
Peuplées d’hommes alertes
Toujours prêts à y croire

Il est des routes claires
Qui s’ouvrent devant nous
Dispensent la lumière
Que le matin dénoue

Alors toutes ces routes
Qui nous voient cheminer
Accompagnent nos doutes
Forment nos destinées

Kim Waag, Les routes, dans « Paix dans le cœur », La Nouvelle Pléiade, pages 8-9

Kim WAAG etClaire Dutrey

Écriture

Rentrer en soi
Respirer l’espace intérieur
Cheminer le long de ses silences
Traverser les sentiers du temps
comme autant de possibles trajectoires :
Terres inconnues de l’écrit
Dont le mijotement tressaille au-dedans.

Nous, humbles créateurs de sons et d’images
Avançons à tâtons vers le profond de notre être
En pénétrant tout un monde mouvant.

Alors qu’on ne croit que décrire,
Les phrases emmènent bien plus loin les pensées
Dans des contrées encore inexplorées, en quête de vérité
La musique des mots anime des paysages singuliers
Qui notre vision transforme.

En ce voyage, Nul ne peut à l’avance connaître
Étapes ni destination.
Ainsi que l’Aimé toujours est inconnu
Après bien des années traversées ensemble
au coin du même feu,
Nous sommes à nous-mêmes des inconnus
À mesure que nous défrichons des terres nouvelles
jusqu’alors ignorées

Se tromper,
Hésiter,
Mot à mot avancer comme pas à pas
Ou se laisser aller dans un torrent de sensations
en longues phrases échevelées,
Revenir sur ses pas
Et, dans l’interrogation d’un regard chercher encor et encore
Quelle identité on ignore

Tandis que les poètes défunts s’amusent aimablement de
Nos inquiétudes d’explorateurs amoureux de mots
Et de rythmes
Qui fouillent la nuit noire,
Fébrilement nous inventons ces trésors porteurs de joie !

L’homme se cherche
Et par moments se trouve
Dans l’orchestration des paroles qui le façonnent

Pendant que la plume
Dessine les traits de cet incantatoire trajet
L’être s’épanouit dans une plénitude.

Kim Waag, Écriture, dans « Paix dans le cœur », La Nouvelle Pléiade, pages 10-11

Claire Dutrey lit « Traversées » de Kim WAAG

Traversées

Voilà, ce matin j’ai brûlé
Des pans entiers de mon passé
Livrets pleins de mes écritures

De vieilles lettres abîmées
Et des almanachs éraflés
Des cahiers noircis par l’usure

Les flammes brûlaient mon visage
Et je voyais
Se consumer page après page
Tout mon passé

Dans le cœur une égratignure
Jusqu’à présent dissimulée
Révèle comme une fêlure
Une promesse effilochée

Un éclair tel une étincelle
Un tourment d’avant l’orage
Un souvenir infidèle
Fumée

Un coup de vent a emporté
Quelques feuillets tout enflammés
Arrachés à quelques brochures

Et devant mes yeux affolés
Un tas de brindilles allumées
Mit le feu dans l’herbe en griffure

Les flammes brûlaient mon visage
Et je tapais
À toute force sur les branchages
Entremêlés

Serait-ce de mauvais augure
De vouloir se débarrasser
Des images les plus obscures
Décramponnées à son passé ?

Mémoire comme citadelle
Préservant des amours en cage
S’attache à cette sentinelle
Ridée…

Quand le feu se fut arrêté
Laissant la place nettoyée
Pour la repousse de la nature

Sous les brindilles calcinées
S’exhalait un air parfumé
Prémices d’une vie future

Le soleil dorait mon visage
Et je voyais
Quelques morsures d’un autre âge
Se refermer

J’ai respiré la démesure
D’une soudaine étrangeté
Plus de repères dans l’aventure
Les tourments se sont envolés

Je ne me sens même plus frêle
Pas docile et pas trop sage
C’est la fête qu’une vie nouvelle
Présage

Maintenant que j’ai déroulé
Des pans entiers de mon passé
Enfin je me sens plus légère

L’histoire n’est pas oubliée
Mais les flammes l’ont épurée
La vie présente est une fête !

Kim Waag, Traversées, dans « Paix dans le cœur », La Nouvelle Pléiade, pages 31-33

Claire Dutrey lit « L’infini » de Kim WAAG

L’infini

Que dit le batelier quand il navigue au loin,
Se laissant balloter au gré des vagues nues
Il avance au revers de la mer qui l’accueille :
Perpétuel roulis de la masse bleutée

Son regard se répand bien plus loin que la houle,
S’il cherche une limite à cette immensité
Alors sa vue se voile et son cœur est troublé,
Qui peut voir au-delà de l’horizon sans fin ?

Parti tôt ce matin relever ses filets
Dans le bercement calme, augure de l’aurore
Il aimerait pouvoir voguer sans aucun but
Se laisser dériver, explorer l’inconnu

Se remplir de lumière, accueillir les embruns
Sur ses joues, sur ses mains, lécher sa peau salée,
Se nourrir de soleil, sourire à l’Univers,
Dormir tout éveillé en respirant le ciel

Et son âme s’élève en un rayon de l’aube
Il revoit sa famille et ses amours passés
Son enfance joyeuse et ses parents défunts
Il rejoint tous les êtres, connus ou inconnus

Kim Waag, extrait de L’infini, dans « Paix dans le cœur », La Nouvelle Pléiade, page 47

Claire Dutrey lit « À la fin du jourL’infini » de Kim WAAG

À la fin du jour

À la fin du jour,
Quand l’agitation se dissipe
Pour laisser au crépuscule
La primeur d’un apaisement

À la fin du jour
Je m’étends près du tilleul
Pour accueillir les premières lueurs de nuit

À la fin du jour
Regarde les vols criailleurs des hirondelles
avant la sombritude
La silhouette des cèdres
encore éclairés vers l’ouest

Les nuées de moucherons groupés
Qui se déplacent en ondulant
Dans un bruissement d’air
Douceur de l’air, fraîcheur des plantes arrosées

Puis les chauves-souris au vol zigzagant
Comme ivres ou affolés.

À la fin du jour,
Les yeux perdus dans la vastitude du ciel
Je revois pas à pas le film de la journée écoulée :

Tumultes d’actions enchaînées sans relâche
Tâches accomplies,
Projets à peine ébauchés

À la fin du jour
Sous la voûte apaisante
L’agitation se dissout

Le corps lentement se dénoue
Il n’est plus temps pour les tracas

À la fin du jour
Même les arbres se calment
Et tous les petits insectes de l’herbe
S’endorment dans le soir

Avec Vénus et les premières étoiles,
Étincelles dans le noir
Tremblant sous la voûte immense,
Les oiseaux sont allés dormir

L’esprit s’élargit, la peau respire
Les pupilles se dilatent
Pour plonger dans l’océan de la voûte

Alors s’accueille avec bonheur
Le Silence.

Un disque argenté
Nage sur l’étang du soir
La lune est tombée !

Kim Waag, À la fin du jour, dans « Paix dans le cœur », La Nouvelle Pléiade, pages 64-66

 

Claire Dutrey lit « Faire silence » de Kim WAAG

Faire silence

Face aux pensées qui nous assaillent
En éboulis d’émotions
Faire silence

Devant les trop-pleins d’arrogance
Dans les tourments de nos courroux
Faire silence

Dans les fossés où la démence
Parcourt ce monde en dissonance
Faire silence

Devant la beauté du zénith
Intuition d’une clairvoyance
Faire silence

Au côté de l’être adoré
Nourri de cette connivence
Faire silence

Dans la nef d’une cathédrale
Dont les vitraux au soir s’animent
Faire silence

Au chevet d’un ami défunt
Recueilli dans la souvenance
Faire silence

Assis à l’ombre d’un tilleul
Tout recueilli dans sa présence
Faire silence

Faire silence
Et habiter ce silence
D’une paix tout en nuances.

Kim Waag, Faire Silence, dans « Paix dans le cœur », La Nouvelle Pléiade, pages 68-69

Christian Malaplate présente « Paix dans le coeur » de kim WAAG

Le recueil « Paix dans le cœur » de Kim WAAG est la parfaite fusion des notes et des mots sur les chemins de vie. Et sur les rives de la mémoire il y a les chants de l’âme, malgré « les turbulences du temps ». Pour Kim WAAG l’essence de la vie, c’est le voyage intérieur.
Parce que la vie est un mélange d’ombres et de lumières, elle écrit :

Rentrer en soi
Respirer l’espace intérieur
Cheminer le long de ses silences
Traverser les sentiers du temps comme autant de possibles
trajectoires :
Terres inconnues de l’écrit
Dont le mijotement tressaille au-dedans

Elle sait dessiner l’ondulation de la vie. Elle devine que la musique énonce un secret dans la portée où affluent nos désirs. Dans la poésie de Kim WAAG, les voix aussi sont une invitation à la danse et à une longue communion des sens. Un désir d’éveil continuel. Il y a aussi toutes ses vibrations intimes qui sont inséparables du sentiment de la nature amie, confidente et consolatrice que nous associons à nos joies et à nos peines. Il faut savoir s’élever comme le « Goéland » :

En vol ascendant dans l’air immense
Plane, plane au-dessus de la mer.

Dans « Paix dans le cœur » la sonorité des mots est une création permanente d’images qui devient une méditation pour obtenir le calme de l’esprit et la paix du mental. Le moyen d’entrer en harmonie avec soi c’est aussi de savoir cultiver le silence.

Dedans, un monde de silence habité par l’esprit
Je me relie à tous ces êtres
Et retrouve en chaque lieu la paisible subtilité.
C’est un moment de reliance au ciel et à la terre.
À l’essentiel de la vie.
Gratitude.

Christian Malaplate

Christian Malaplate

Kim WAAG, poète, membre de la Société des Poètes Français et des Poètes sans frontières, également musicienne, plasticienne et danseuse!
Livres déjà parus : « Mer Force 7 », « Peintures en Haïkus ». Et deux CD de ses compositions en chanson poétique : « MykiVe » et « Envol ».
Lauréate de prix de poésie, à Terres de Camargue et de trois prix aux jeux floraux de Narbonne.
Organise des soirées de poésie à Palavas-les-Flors, avec l’association Cadence Art Vocal
.

Kim WAAG

Claire Dutrey et d’autres poètes participants

Alain Morinais et Marie VermuntOlivier Lacalmette

E come potevamo noi cantare (Aux frondaisons des saules)

24 jeudi Août 2017

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

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Écrivains et Poètes de tout le monde

Aux frondaisons des saules

Comment pouvions-nous chanter,
le pied étranger nous écrasant le cœur,
parmi les morts abandonnés
sur la rue, sur l’herbe dure de gel,
aux larmes d’agneau des enfants,
au cri noir de la mère courant
à la rencontre du fils crucifié
sur le poteau télégraphique.

Aux frondaisons des saules
accrochées par un vœu, nos cithares mêmes
ondoyaient bien légères au triste vent.

Salvatore Quasimodo (1)
(Traduction de Giovanni Merloni)

Gabriel Garcia Marquez

Alle fronde dei salici

E come potevamo noi cantare
con il piede straniero sopra il cuore,
tra i morti abbandonati nelle piazze
sull’erba dura di ghiaccio, al lamento
d’agnello dei fanciulli, all’urlo nero
della madre che andava incontro al figlio
crocifisso sul palo del telegrafo.

Alle fronde dei salici, per voto,
anche le nostre cetre erano appese,
oscillavano lievi al triste vento.

Salvatore Quasimodo

Honfleur, dimanche 6 août 2017

Dans les vers ci-dessus Salvatore Quasimodo, l’un de plus grands poètes italiens du siècle dernier, prix Nobel de la Littérature en 1959, exprime d’une façon on ne pourrait plus évidente sa profonde angoisse devant les horreurs d’une guerre subie. Une angoisse empêchant tout à fait le Poète de chanter comme si de rien n’était !
Je vous ai partagé ces vers immortels pour exprimer mon état d’esprit actuel et pour vous communiquer aussi qu’à présent je n’ai plus le souffle ni l’insouciance nécessaires pour continuer mes récits de vacances…
G.M..

..À demain en pleine forme je le veux (hommage à « paumée » : textes de Brigitte Célérier)

03 mardi Mai 2016

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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Écrivains et Poètes de tout le monde

001_per paumée 00 180

Paris, Métro Passy

Chère Brigitte,
Au milieu d’une initiative collective où ma proposition n’a pas trouvé sa collocation, j’avais fait une petite « adaptation » des textes de « paumée » que tu avais publiés sur ton blog dans les mois de novembre et décembre 2015. Il s’agit en fait d’une double adaptation, parce que d’abord j’avais fait au jour le jour un extrait très exigu et parfois hasardeux de tes textes dans mes tweets (comme d’ailleurs je continue à faire), pour les « ranger » ensuite en fonction d’un fil narratif.
Dans mes extraits quotidiens, je ne cherche pas toujours à exprimer le contenu de tes articles, ni son message principal ou prioritaire, sauf des exceptions importantes. J’essaie de mettre en valeur ta personne, ton monde, ton esprit, ta façon de voir les choses dans le quotidien tout comme dans l’universel ou dans les livres.
Ton monde est incroyablement vaste et profond : « ce serait » très difficile en extraire un portrait exhaustif de ta personne et de ta personnalité. J’ai essayé tout de même de le faire, me donnant la contrainte d’un petit échantillon : deux de derniers mois de « paumée », où je t’ai suivi avec toute mon amitié et sympathie.
J’espère donc que tu aimeras mon hommage sincère ainsi que cette tentative d’esquisser enfin ton portrait (partiel et unilatérale, bien sûr) qui m’est vraiment cher.
Giovanni Merloni

002_per paumée 01 180

Paris, quai des Grands Augustins

..À demain en pleine forme je le veux

Jour blanc
jour de cigares
sortis de la boite
et vertueusement
remis en place.

Mal entrée
dans la lucidité
que demande
un jour neuf…
avançais roulant un peu
dans mon regard endormi.

A ces volutes noires
qui sortent de notre mur
j’ai demandé
d’enfermer
les nuages blancs
qu’on nous annonce…

..des nuages
en masse cotonneuse..
plus percer,
à l’heure du thé,
que quelques taches
d’un bleu très pâle.

Voir à travers
permet l’intrication
d’un monde
dans un autre
et l’avènement
d’un paysage
poétique.

003_per paumée 02 180

Paris, quai des Grands Augustins

Paumée tu me fais penser
à la pluie
qui imbibe
avec régularité
mon air
ma cour
la ville…

…la vie autour de l’antre
avec ses horreurs
ses dégoûts
ses admirations
et ses sourires.

Un jour où s’intéresser à la pénurie d’eau à Melbourne.

Me sens plus tout à fait chez moi. J’ai quand même osé sortir cet après- midi, dans le faux printemps de nos rues.

Il fait peut être
un tout tout petit peu moins
frio
mais la vieille oursonne
hésitait à sortir..
récompensée.

Les platanes
n’arrivent qu’à un beige
mâtiné de brun terne
ne sont pas arbres d’automne…

Dans le désert des lieux
(une femme assise
dans le fond..
yeux perdus, visiblement en besoin de solitude).

004_per paumée 03 180

Paris, quai des Grands Augustins

…N’avons pas connu par nos yeux, nos mains.. ceux qui y étaient restés…

Sous les platanes roux
dont l’ombre charmait
le brutal
parallélépipède
blanc…

Charles Dickens
voyageur sans commerce
descendu à Arras
attendu à la gare
par deux chapeaux ecclésiastiques…

Un peu marre de constater à quel point les catholiques ont toujours du mal
avec la laïcité.

Leur tendance
à nous laisser
chaque année
un peu moins
le temps de vivre.

Et la révolte se rendort
se mue en maussaderie
venant colorer
la résignation
de mon corps
assis
contre une colonne.

J’ai senti
ma timidité
envahir carcasse
suis entrée
sans trop trébucher
yeux
oreilles
habillés d’un sourire.

Sourire
en réponse
aux sourires
sans préjuger
de ce que sont
les êtres
rencontrés.

Aimer les gens du quartier
qui ont ouvert
aux passants en détresse
en l’indiquant.

Trois plus ou moins longues
prises de parole
sensibles et sans fausse note
et puis
lumineux et doux
l’adagio.

009_per paumée 09 (1)

Paris, quai des Grands Augustins

Je porte en moi beaucoup de pas dans les rues de Paris
des matins de cafard
contemplations jamais rassasiées.

La fenêtre venant découper
le visage par son reflet
Brigetoun
ou le spectateur
ne sont pas prévus.

Ai assisté brièvement
à un colloque
entre
un homme
et un arbre
ou une étoile.

…Mais ce texte là
me fait tout spécialement envie –
le journal de la brousse endormie.

(Il a aimé traverser l’antre où me coconnais)

On ne pourrait rien faire
si on écoutait les vieillards
ou alors faire
des choses insensées.

Pour me distraire
lire avec honte
étiquettes
made in
China
Inde
Bangladesh.

Cuisine rapide, déjeuner, sombrer en longue sieste avec la conscience en
paix…

Musique traitée
en bruit de fond
(remords)
et musique écoutée,
et réflexion,
bien sûr,
réflexion.

En trois jours un chandail ne sèche pas MARRE

Pense que
finalement
me trompais
et repars,
avec
juste un peu trop d’indifférence.

005_per paumée 04 180

Paris, quai des Grands Augustins

J’ai retrouvé inconsciemment le pas de parisienne qui sommeillait en moi.

Calme d’un moment
sortir dans l’humidité
flaques miroitent
pas sur pavés, eau, feuilles
et je retiens mon souffle…

Une presque douceur venant se glisser entre des rafales froides…

…en posant leur tendresse
sur les colonnes et Basquiat.

Ai suivi les trottoirs
en donnant des
coups de pieds
dans les feuilles
avec l’allégresse
d’une sale gosse.

Dans nos rues d’ombre
la mousse lasse
des feuilles était or sombre
dans la lumière.

Lumière dorée du jour qui monte
lumière adoucie, un peu plus tard,
pour accueillir mon retour
dans l’antre.

Premiers militaires
chargés
de nous protéger…
ai admiré l’accord
entre la tenue
et l’écorce
des platanes..

La couleur
digne d’Uccello
de la Bataille
de San Romano
dans la ligne
des madrigaux
musique
sans tohu bohu..

006_per paumée 05 180

Paris, quai des Grands Augustins

…La culture…
Si entrons
dans une glaciale
et longue phase
que mon crâne
se refuse
à imaginer.

…Ne pourrais plus aimer
et, zut, ne pourrais plus rager,
ni même penser, dire ou écrire des stupidités.

Ô nous
les ingénus réveillés
n’oublions pas
que seule compte
la fraternité humaine
à préserver
à pleurer
à renouer…

Ô vous
qui avez ainsi empiré
ce que l’Occident
avait contribué
à créer…

Écouter l’évocation des fronts en Syrie et imaginer une seconde ce qu’est la
vie d’un syrien pacifique.

010 per paumée

Paris, quai des Grands Augustins

M’en suis allée dans la neutralité absente.

Avançais dans la douceur de l’air et les petits éclairs que posait la lumière
sur les fers des façades.

Dans les rues ce matin,
un petit mistral
qui fouettait le bleu du ciel,
des résistantes
et des chutes…

Ce vent..
un adolescent
plein de fougue
m’a fait admirer
un vol
de martinets..
sautant
par dessus
le rempart.

Dans le petit vent
qui fouettait
juste pour un massage
mes joues
des idées
me sont venues.

En grimaçant
devant certaines
prises de position,
en fuyant
la campagne électorale
sous couleur
de «débat».

Les mots
cette merveille
avec lesquels
les humains correspondent
et ne s’entendent pas.

007_per paumée 06 180

Paris, quai des Grands Augustins

M’en suis allée, comme un hors d’oeuvre, pour me mettre en appétit de vie
et puis d’activités…

Un simple coup de ciseaux
et un collage,
déorganisant-réorganisant
les mots et les pages.

Je me suis promis
de ressortir
mes bonnets
de petite vieille sage
pour garder
douillettement
mes pensées.

Suivre
la courbe
tendue
des rues
dans la tombée
du soleil
grimper
vers l’autre
beau jardin
de l’après-midi.

Ma carcasse est ainsi, elle a une indéfinition brigetounienne, mais ce n’est
pas grave.

Portant nouvelles d’aimés
portant envie de dormir
portant images de feuilles..
Je dors

..en dehors de tout
et dans une carcasse rétive et floue
..à demain en pleine forme je le veux.

Brigitte Célérier

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Paris, quai des Grands Augustins

Les cendres de Pasolini

04 dimanche Oct 2015

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Écrivains et Poètes de tout le monde, Giorgio Muratore, Pier Paolo Pasolini

001_paso 1 180 Les cendres de Pasolini

Si je fouille dans mes souvenirs des années 1960, j’y trouve déjà, bien avant la date du 1er mars 1968, plusieurs épisodes et circonstances qui ont contribué au déclenchement, dans mon pays, des phénomènes politiques et sociaux tout à fait inédits des années « chaudes » de 1968 et 1969.
Il s’agit parfois d’événements que j’ai observés en première personne, comme l’occupation de l’université La Sapienza de Rome en avril-mai 1966, à la suite de l’homicide de l’étudiant Paolo Rossi devant la faculté de Lettres. Ce fut la énième preuve d’une tension qui montait depuis longtemps : entre les institutions universitaires, sourdes et rigides à toute demande de modernisation, et les étudiants, de plus en plus inquiets pour leur travail futur. Ce fut aussi, pour les étudiants, le tournant de la pleine et définitive prise de conscience : nous étions tous engagés, désormais, dans une confrontation politique majeure dont il fallait se charger.
Cependant, il faut attendre la journée du 1er mars 1968, marquée par les affrontements entre policiers et étudiants en face de la faculté d’architecture de Valle Giulia à Rome, pour assister au changement attendu. Une véritable « bataille » donnant lieu à son tour à l’explosion d’un phénomène qui allait bien au-delà de ce qu’on avait envisagé à la veille. Un phénomène, appelé synthétiquement « le ’68 », qui a touché dans le vif nos existences individuelles ainsi que les évolutions successives de la vie politique en Italie.

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Dans ma récente lettre à Giorgio Muratore, j’avais mis en évidence un épisode arrivé pendant une assemblée des étudiants, dans l’amphi de la Faculté, quelques jours après cette bataille. Dans le but de développer, dans les articles successifs, une réflexion sur notre expérience commune — le projet-livre titré « Droit à la ville » que nous partageâmes avec d’autres camarades — par rapport aux engagements que nous avons ensuite assumés, tel le travail d’urbaniste que j’avais entamé auprès de la région Emilia-Romagna à Bologne.
Une phase de ma vie brusquement interrompue, dans un contexte, celui de Bologne, qui a forcément changé avec le temps, qui représente, en tout cas, pour moi, la preuve que des choses très positives ont existé et résisté pendant longtemps. En même temps, je ne peux pas ignorer qu’il y a eu un moment où notre pays a cessé de progresser, une heure « x » à partir de laquelle l’on assiste au gaspillage des énergies et du patrimoine culturel et professionnel de notre génération (et des suivantes) jusqu’à échouer, aujourd’hui, dans un impressionnant « analphabétisme de retour », une véritable rupture dans le cercle vertueux du progrès civil et culturel dont l’Italie a été pendant longtemps un exemple unique.
Cela m’inquiète énormément, d’autant plus que je vois en cette régression le reflet de la série infinie des pas en arrière auxquels on a été confrontés au fur et à mesure que la corruption a pris le dessus en Italie. Cette corruption, ou décadence, ou dégénération, touchant désormais tout le pays, a bien sûr des raisons profondes et lointaines, qui mériteraient d’être fouillées à fond. Je ne saurais pas le faire, même si quelques éléments d’une telle analyse pourraient très bien jaillir de ce que j’ai vu et vécu personnellement au cours des années.
J’ai fait en tout cas, dans mon blog, le choix de me borner surtout aux aspects esthétiques ou spécifiques de l’activité des artistes, des architectes ou des urbanistes qui sont touchés inévitablement par lesdites transformations et régressions.
D’ailleurs, je ne peux pas « sauter » au thème spécifique de l’urbanisme et de ce livre collectif sur « le droit à la ville » sans m’interroger sincèrement, en dehors de toute emphase, autour de la « bataille de Valle Giulia ». Ce que je ferai dans une des prochaines publications du « portrait inconscient ».

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Aujourd’hui, ayant lu et relu plusieurs fois « Le PCI aux jeunes », le poème que Pier Paolo Pasolini adressa aux chefs du mouvement des étudiants au lendemain des affrontements, j’ai décidé de le traduire en français, le proposant ainsi pour une lecture qui se révélera, je crois, aussi intéressante qu’indispensable.
Ce poème de Pasolini contient plusieurs prémonitions. La polémique sur les policiers, dans lesquels il voit surtout de jeunes venant de familles pauvres et marginales, est connue. Cette polémique correspond d’ailleurs à son thème philosophique et poétique primordial. Allant en contre-courant par rapport au monde de la politique ainsi qu’à celui de la culture, Pasolini se revendique « anti-bourgeois », nourrissant ses chefs d’œuvre d’une vision, toujours originale et efficace, où le réalisme s’épouse à une idéologie de la catharsis et de la victoire morale du bien sur le mal et du beau sur le laid, même dans les situations les plus pénibles et douloureuses.
Pasolini a parfaitement raison quand il dit que les policiers ne s’identifient pas à l’institution policière. Il a aussi raison quand il affirme que la police intervenant dans une université… n’est pas la même police qui entre dans une usine occupée.
Et, bien sûr, il a raison lorsqu’il découvre dans ce mouvement des étudiants de 1968 un fond d’anticommunisme, voire de déception ou de méfiance envers ce Parti jusque-là charismatique.
Il s’agissait en tout cas d’un anticommunisme à l’italienne, où « l’ennemi PCI » était, comme le dit Pasolini, un parti « à l’opposition » qui respectait scrupuleusement les règles du système parlementaire dont il était le principal défenseur. Un parti qui avait d’ailleurs essayé, même dans les moments les plus dramatiques, de « ne pas accepter les provocations », évitant soigneusement d’affronter la police…
Donc, au-delà du choc émotif que les mots abrupts et sincères de Pasolini provoquent, on ne peut qu’adhérer au fond de ce que courageusement l’auteur des « cendres de Gramsci » déclare ou, pour mieux dire, proclame.
Et pourtant, en relisant ce texte quarante ans depuis la disparition violente de son Auteur, je dois avouer un sentiment d’angoisse. Pourquoi Pasolini, après avoir conseillé à ces jeunes « désemparés » de s’intégrer activement dans le plus grand parti de la gauche — pouvant se vanter d’une longue tradition de luttes et de conquêtes sociales et culturelles — a-t-il manifesté sa tentation personnelle d’abandonner de but en blanc sa foi irréductible dans la révolution, pour adhérer dorénavant à cette mode de la guerre civile ?
Tout le monde sait que Pasolini a été toujours en dehors de telles logiques, même s’il a mûri dans le temps, intérieurement et dans ses œuvres incontournables, une vision de plus en plus pessimiste des dérives probables que notre pays allait traverser. Sa vision, proche à celle de Gandhi ou Anna Arendht beaucoup plus qu’à celle d’Herbert Marcuse, philosophe à la page chez les étudiants de 1968, se relie d’ailleurs à l’idée de Gramsci d’une interprétation du verbe de Karl Marx cohérente à la réalité italienne, à ses âmes et cultures multiples. En plus, grâce à sa sensibilité à fleur de peau, Pasolini saisissait au vol le « jeu dangereux » qui se cachait dans l’esprit combattant des étudiants qui avaient participé aux événements de Valle Giulia.
Et il avait saisi aussi la faiblesse du pachyderme : ce parti communiste italien qui n’avait pas su ni probablement voulu ouvrir aux jeunes, se renouvelant comme les temps l’exigeaient.
Tragiquement, dans le final désespéré du message publié ci-dessous, la méfiance de Pasolini envers la capacité du PCI d’assumer jusqu’au bout ses responsabilités est plus forte que la haine envers les bourgeois, ses anciens ennemis.
Depuis la bataille de Valle Giulia et les manifestations qui suivirent, l’extrême droite des bombes et des coups d’État ne fut plus seule à menacer de l’extérieur notre république parlementaire et son précaire équilibre. Après une phase d’euphorie imprudente, caractérisée par un gigantesque mélange des genres, de nouveaux sujets se sont présentés sur la scène « à gauche de la gauche ». Avaient-ils l’illusion de « tout résoudre » et de « tout comprendre » comme « Les Justes » de Camus, ou alors, comme le dit Pasolini, voulaient-ils s’emparer du pouvoir tout court, par quelques raccourcis ?

Giovanni Merloni

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Le PCI aux jeunes ! [1]

Je suis désolé. La polémique contre
le Pci, il fallait la faire dans la première moitié
de la décennie passée. Vous êtes en retard, chers.
Cela n’a aucune importance si alors vous n’étiez pas encore nés:
tant pis pour vous.
Maintenant, les journalistes de tout le monde (y compris
ceux qui travaillent auprès des télévisions)
vous lèchent (comme l’on dit encore dans le langage
universitaire) le cul. Moi non, chers.
Vous avez des gueules de fils à papa.
Je vous haïs, comme je haïs vos papas.
Bonne race ne ment pas.
Vous avez le même œil méchant.
Vous êtes craintifs, incertains, désespérés
(très bien !) mais vous savez aussi comment être tyranniques, des maîtres chanteurs sûrs et effrontés :
là, ce sont des prérogatives petites-bourgeoises, chers.

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Hier, à Valle Giulia, quand vous vous êtes battus
avec les policiers,
moi, je sympathisais pour les policiers.
Car les policiers sont fils de pauvres.
Ils viennent de sub-utopies, paysannes ou urbaines qu’elles soient.
Quant à moi, je connais assez bien
leur façon d’avoir été enfants et garçons,
les précieuses mille lires, le père demeurant garçon lui aussi,
à cause de la misère, qui ne donne pas d’autorité.
La mère invétérée comme un porteur, ou tendre,
pour quelques maladies, comme un petit oiseau ;
les frères nombreux ; le taudis
au milieu des potagers de sauge rouge (dans des terrains
d’autrui, lotis) ; les bassi [2]
au-dessus des égouts ; ou les appartements dans les grands
bâtiments populaires, etc. etc.

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Et puis, regardez-les, comment s’habillent-ils :
comme des clowns,
avec cette étoffe rugueuse sentant la soupe
les intendances et le peuple. La pire des choses, naturellement,
c’est l’état psychologique qu’ils ont atteint
(rien que pour quarante mille lires le mois) :
sans plus de sourire,
sans plus d’amitié avec le monde,
séparés,
coincés (dans un type d’exclusion qui n’à pas d’égal) ;
humiliés par la perte de la qualité d’hommes
pour le fait d’être des policiers (quand on est haïs on haït).
Ils ont vingt ans, votre âge, chers et chères.
Nous sommes évidemment d’accord contre l’institution de la police.
Mais prenez-vous-en à la Magistrature, et vous verrez !
Les garçons policiers
que vous avez frappés
par un sacré banditisme de fils à papa
(attitude que vous héritez d’une noble tradition
du Risorgimento [3]),
ils appartiennent à l’autre classe sociale.

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À Valle Giulia, hier, il y a eu ainsi un fragment
de lutte de classe : et vous, chers (même si de la part
de la raison) vous étiez les riches,
tandis que les policiers (qui étaient de la part
du tort) étaient les pauvres. Belle victoire, donc,
la vôtre ! En ces cas,
aux policiers on donne les fleurs, chers. Stampa et Corriere della Sera [4],
News- week et Le Monde
ils vous lèchent le cul. Vous êtes leurs fils,
leurs espérance, leur futur : s’il vous reprochent
il n’organisent pas, cela c’est sûr, une lutte de classe
contre vous ! Au contraire,
il s’agit plutôt d’une lutte intestine.
Pour celui qui est au-dehors de votre lutte,
qu’il soit intellectuel ou ouvrier,
il trouverait très amusante l’idée
d’un jeune bourgeois qui flanque des coups à un vieux
bourgeois, et qu’un vieux bourgeois renvoie au cachot
un jeune bourgeois. Doucement
le temps d’Hitler revient : la bourgeoisie
aime se punir de ses propres mains.

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Je demande pardon à ces mille ou deux mille jeunes, mes frères
qui s’engagent à Trento ou à Turin,
à Pavia ou à Pisa,
à Florence et un peu à Rome aussi,
mais je dois dire : le mouvement des étudiants (?)
ne fréquente pas les évangiles ne les ayant jamais lus
comme l’affirment ses flatteurs entre deux âges
pour se croire jeunes, en se faisant des virginités
qui font du chantage ;
une seule chose les étudiants connaissent vraiment :
le moralisme du père magistrat ou professionnel,
le banditisme conformiste du frère majeur
(naturellement dirigé sur la même route du père),
la haine pour la culture de leur mère, d’origines
paysannes même si déjà éloignées.
Cela, chers fils, vous le savez.
Et vous appliquez cela à travers deux sentiments
auxquels vous ne pouvez pas déroger :
la conscience de vos droits (on le sait bien,
la démocratie ne considère que vous) et l’aspiration
au pouvoir.

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Oui, vos horribles slogans tournent toujours
autour de la prise du pouvoir.
Je lis dans vos barbes des ambitions impuissantes,
dans vos pâleurs du snobisme désespéré,
dans vos yeux fuyants des dissociations sexuelles,
dans l’excès de santé de l’arrogance, dans le peu de santé du mépris
(juste pour quelques-uns, une minorité d’entre vous, venant de la bourgeoisie
infime, ou de quelques familles ouvrières
ces défauts ont quelque noblesse :
connais toi même [5] et l’école de Barbiana [6] !)
Réformistes !
Faiseurs de choses !
Vous occupez les universités
tout en affirmant que cette même idée devrait venir
à des jeunes ouvriers.

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Et alors : Corriere della Sera et Stampa [4],
Newsweek et Le Monde
auront-ils autant de sollicitude
jusqu’à essayer de comprendre leurs problèmes ?
La police se bornera-t-elle à subir un peu de coups
à l’intérieur d’une usine occupée ?
Mais, surtout, comment un jeune ouvrier
pourrait-il s’accorder d’occuper une usine
sans mourir de faim dans trois jours ?
allez occuper les universités, chers fils,
mais donnez moitié de vos revenus paternels même si exigus
à des jeunes ouvriers pour qu’ils puissent occuper,
avec vous, leurs usines. Je suis désolé.
C’est une suggestion banale,
une provocation extrême. Ma surtout inutile :
parce que vous êtes bourgeois
et donc anticommunistes. Les ouvriers, quant à eux,
ils sont restés au 1950 et même avant.
Une idée archéologique comme celle de la Résistance
(qu’on aurait dû contester il y a vingt ans,
tant pis pour vous si vous n’étiez pas encore nés)
existe encore dans les poitrines populaires, dans la banlieue.
Il se trouve que les ouvriers ne parlent pas le français ni l’anglais,
et juste quelqu’un, malchanceux, le soir, dans la cellule,
s’est efforcé d’apprendre un peu de russe.
Arrêtez de penser à vos droits,
arrêtez de demander le pouvoir.
Un bourgeois racheté doit renoncer à tous ses droits,
bannissant de son âme, une fois pour toujours,
l’idée du pouvoir.

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Si le Gran Lama sait qu’il est le Gran Lama
cela veut dire que celui-là ce n’est pas le Gran Lama (Artaud):
donc, les Maîtres
– qui saurons toujours qu’ils sont des Maîtres –
ils ne seront jamais des Maîtres : ni Gui [7] ni vous
ne réussirez jamais à devenir des Maîtres.
On est des Maîtres si l’on occupe les Usines
non les universités : vos flatteurs (même Communistes)
ne vous disent pas la banale vérité : vous êtes une nouvelle
espèce d’apolitiques idéalistes : comme vos pères,
comme vos pères, encore, chers ! Voilà,
les Américains, vos adorables contemporains,
avec leurs fleurs ridicules, ils sont en train d’inventer,
eux, un nouveau langage révolutionnaire !
Il s’inventent cela au jour le jour !
Mais vous ne pouvez pas les faire, parce qu’en Europe il y en a déjà un :
pourriez-vous l’ignorer ?
Oui, vous voulez ignorer (avec la grande satisfaction
du Times et du Tempo [8]).
Vous ignorez cela en allant, avec votre moralisme provincial,
“plus à gauche”. Étrange,
abandonnant le langage révolutionnaire
du pauvre, vieux, officiel
Parti Communiste,
inspiré par Togliatti [9]
vous en avez adopté une variante hérétique,
mais sur la base de l’idiome référentiel le plus bas,
celui des sociologues sans idéologie.

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Vous exprimant ainsi,
vous demandez tout par les mots,
tandis qu’en ce qui concerne les faits,
vous ne demandez que des choses auxquelles
vous avez droit (en braves enfants de bourgeois) :
une série de réformes qu’on ne peut plus reporter,
l’application de nouveaux méthodes pédagogiques
et le renouvèlement d’un organisme de l’état.
Bravo ! Quels saints sentiments !
Qu’elle vous assiste, la bonne étoile de la bourgeoisie !
Enivrés par la victoire contre les jeunes hommes
de la police, contraints par la détresse à servir,
ivres pour l’intérêt de l’opinion publique
bourgeoise (que vous traitez comme le feraient des femmes
qui ne sont pas amoureuses, qui ignorent et maltraitent
le soupirant riche)
mettez de côté l’unique outil vraiment dangereux
pour combattre contre vos pères :
c’est-à-dire le communisme.
J’espère que vous l’avez compris :
faire les puritains
c’est une façon pour s’empêcher
l’ennui d’une véritable action révolutionnaire.

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Mais allez, plutôt, fous, assaillir les Fédérations !
Allez envahir les Cellules !
allez occuper les huis
du Comité Central : Allez, allez
vous camper Via des Botteghe Oscure [10] !
Si vous voulez le pouvoir, emparez-vous, du moins, du pouvoir
d’un Parti qui est pourtant à l’opposition
(même si mal fichu, pour la présence de gens
en de modestes vestes croisées, de boulistes, d’amants de la litote,
de bourgeois qui ont le même âge de vos papas dégueulasses)
ayant comme but théorique la destruction du Pouvoir.
Que celui-ci se décide à détruire, entre-temps,
ce qu’il y a de bourgeois en lui,
je doute assez, même avec ce que vous apporteriez,
si, comme je viens de dire, bonne race ne ment pas…
De toute façon : le Pci aux jeunes, ostia [11] !

003_paso 3 (1) 180

Mais, hélas, que vais-je vous suggérer ? Que vais-je vous conseiller ? Où est-ce que je suis en train de vous pousser ?
Je me repens, je me repens !
J’ai perdu la route qui mène au mal mineur,
que Dieu me maudisse. Ne m’écoutez pas.
Aïe ! aïe ! aïe !
victime et maître de chantage,
je soufflais dans les trombes du bon sens.
Heureusement, je me suis arrêté à temps,
en sauvant tous les deux,
le dualisme fanatique et l’ambiguïté…
Cependant, je suis sur le bord de la honte.
Oh Dieu ! que je doive prendre en considération
l’éventualité de faire, à votre flanc, la Guerre Civile
mettant de côté ma vieille idée de Revolution ?

Pier Paolo Pasolini

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TEXTE EN ITALIEN

[1] « Le Parti communiste italien aux jeunes !, publié par La Repubblica le 16 juin 1968, avec cette note : « La poésie de l’auteur des “cendres de Gramsci”, Les vers sur les affrontements de Valle Giulia qui ont déchaîné de dures répliques parmi les étudiants.

[2] habitations pauvres dont l’entrée se trouve à même la rue, caractéristiques de Naples.

[3] le mouvement idéal dans lequel plusieurs forces se sont identifiées tout au cours des guerres d’indipendance qui ont enfin abouti à l’Unité d’Italie.

[4] Deux entre les plus importants quotidiens italien de l’époque (avec La Repubblica)

[5] ce que nous tous héritons de Socrate

[6] glorieuse école populaire crée par don Milani https://it.m.wikipedia.org/wiki/Lorenzo_Milani

[7] ministre de l’instruction publique en 1968

[8] quotidien de Rome (centre-droite)

[9] leader du PCI d’abord entre 1927 et 1934, ensuite depuis 1938 jusqu’à sa mort (1964)

[10] ancien siège du PCI à Rome

[11] exclamation, typique du nord-est de l’Italie, dont Pasolini était originaire (Friuli), ayant la fonction de souligner une affirmation conclusive et importante.

Sensibilité exagérée du poète et « tempérament d’artiste », avec une lecture de Dostoïevski

06 lundi Juil 2015

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Écrivains et Poètes de tout le monde

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Fred Le Chevalier, sérigraphie

Sensibilité exagérée du poète et « tempé-rament d’artiste », avec une lecture de Dostoïevski

Un très intéressant texte publié en couple sur les « vases communicants » de juillet par Dominique Hasselmann et Nicolas Bleusher au sujet d’une photo très évocatrice de Proust à Venise, me donne l’occasion pour une divagation personnelle et universelle à la fois.
Une divagation qui s’enracine d’ailleurs dans mon existence, tout au long de son déroulement entre anonymat et responsabilité, oubli et sagesse, rêverie ou réalisme, acceptation du contexte ou refus-évasion du contexte même…

000_proust s'étonner Le prétexte pour cette réflexion vient d’une observation qui est au centre de ce brillant et envoûtant dialogue entre N. Bleusher et D. Hasselmann, concernant l’extrême sensibilité de Marcel Proust :

« …Mais Proust c’est aussi un regard, une formidable, une monstrueuse capacité à ressentir les choses et les êtres. Plutôt un handicap, si tu veux mon avis. J’ai, parfois, cette sensibilité excessive. Je la recherche, aussi, parfois. Comme une sorte de poison… »

Une sensibilité qu’on pourrait rapprocher de l’hyperacousie, de l’incapacité même de filtrer les lumières, les bruits, les saveurs et les odeurs du monde. La grandeur d’un poète-écrivain se lie strictement, dans le cas de Proust, à une espèce de pathologie, à une faute de cuirasse voire à une extrême incapacité de se défendre, voire d’attaquer.
Évidemment, si paradoxalement Proust n’avait pas eu ce « handicap » n’aurait pas pu faire revivre son « temps perdu » à d’entières générations de lecteurs dévotes. Il faut donc le remercier aussi d’avoir su protéger son handicap, de l’avoir arrosé au jour le jour, le tenant en vie au sacrifice de sa vie.
Je partage jusqu’au bout ce regard admiratif et stupéfait. Et pourtant je me demande s’il y a vraiment quelque chose en Proust qui n’est pas présente en la plupart des écrivains, poètes et artistes qui ont calqué le plateau de l’existence dans l’indifférence générale…
Si Marcel Proust était un homme exagérément sensible, François Mauriac ou Michel Butor, Antoine de Saint-Exupery ou Albert Camus ne sont-ils pas énormément sensibles eux aussi ? Jacques Prévert, quant à lui, ne me semble pas non plus un modèle de cynisme… Sans compter les personnages comme le prince Léon Nicolaïévitch Mychkine, c’est-à-dire L’Idiot de Dostoïevski…

002_proust s'étonner

Fred Le Chevalier, sérigraphie

« – Et là-bas on exécute ?
– Oui. Je l’ai vu en France…
– On pend ?
– Non, en France on coupe la tête aux condamnés.
– Est-ce qu’ils crient ?
– Pensez-vous ! C’est l’affaire d’un instant. On couche l’individu et un large couteau s’abat sur lui grâce à un mécanisme que l’on appelle guillotine. La tête rebondit en un clin d’œil. Mais le plus pénible, ce sont les préparatifs. Après la lecture de la sentence de mort, on procède à la toilette du condamné et on le ligote pour le hisser sur l’échafaud. C’est un moment affreux. La foule s’amasse autour du lieu d’exécution, les femmes elles-mêmes assistent à ce spectacle, bien que leur présence en cet endroit soit réprouvée là-bas.
– Ce n’est pas leur place.
– Bien sûr que non. Aller voir une pareille torture ! Le condamné que j’ai vu supplicier était un garçon intelligent, intrépide, vigoureux et dans la force de l’âge. C’était un nommé Legros. Eh bien ! croyez-moi si vous voulez, en montant à l’échafaud il était pâle comme un linge et il pleurait. Est-ce permis ? N’est-ce pas une horreur ? Qui voit-on pleurer d’épouvante ? Je ne croyais pas que l’épouvante pût arracher des larmes, je ne dis pas à un enfant mais à un homme qui jusque-là n’avait jamais pleuré, à un homme de quarante-cinq ans ! Que se passe-t-il à ce moment-là dans l’âme humaine et dans quelles affres ne la plonge-t-on pas ? Il y a là un outrage à l’âme, ni plus ni moins. Il a été dit: Tu ne tueras point. Et voici que l’on tue un homme parce qu’il a tué. Non, ce n’est pas admissible. Il y a bien un mois que j’ai assisté à cette scène et je l’ai sans cesse devant les yeux. J’en ai rêvé au moins cinq fois.
Le prince s’était animé en parlant : une légère coloration corrigeait la pâleur de son visage, bien que tout ceci eût été proféré sur un ton calme. Le domestique suivait ce raisonnement avec intérêt et émotion ; il semblait craindre de l’interrompre. Peut-être était-il, lui aussi, doué d’imagination et enclin à la réflexion.
– C’est du moins heureux, observa-t-il, que la souffrance soit courte au moment où la tête tombe.
– Savez-vous ce que je pense? rétorqua le prince avec vivacité. La remarque que vous venez de faire vient à l’esprit de tout le monde, et c’est la raison pour laquelle on a inventé cette machine appelée guillotine. Mais je me demande si ce mode d’exécution n’est pas pire que les autres. Vous allez rire et trouver ma réflexion étrange ; cependant avec un léger effort d’imagination vous pouvez avoir la même idée. Figurez-vous l’homme que l’on met à la torture: les souffrances, les blessures et les tourments physiques font diversion aux douleurs morales, si bien que jusqu’à la mort le patient ne souffre que dans sa chair. Or ce ne sont pas les blessures qui constituent le supplice le plus cruel, c’est la certitude que dans une heure, dans dix minutes, dans une demi-minute, à l’instant même, l’âme va se retirer du corps, la vie humaine cesser, et cela irrémissiblement. La chose terrible, c’est cette certitude. Le plus épouvantable, c’est le quart de seconde pendant lequel vous passez la tête sous le couperet et l’entendez glisser. Ceci n’est pas une fantaisie de mon esprit : savez-vous que beaucoup de gens s’expriment de même ? Ma conviction est si forte que je n’hésite pas à vous la livrer. Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l’assassinat. Celui qui est égorgé par des brigands la nuit, au fond d’un bois, conserve, même jusqu’au dernier moment, l’espoir de s’en tirer. On cite des gens qui, ayant la gorge tranchée, espéraient quand même, couraient ou suppliaient. Tandis qu’en lui donnant la certitude de l’issue fatale, on enlève au supplicié cet espoir qui rend la mort dix fois plus tolérable. Il y a une sentence, et le fait qu’on ne saurait y échapper constitue une telle torture qu’il n’en existe pas de plus affreuse au monde. Vous pouvez amener un soldat en pleine bataille jusque sous la gueule des canons, il gardera l’espoir jusqu’au moment où l’on tirera. Mais donnez à ce soldat la certitude de son arrêt de mort, vous le verrez devenir fou ou fondre en sanglots. Qui a pu dire que la nature humaine était capable de supporter cette épreuve sans tomber dans la folie ? Pourquoi lui infliger un affront aussi infâme qu’inutile ? Peut-être existe-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation, de manière à lui imposer cette torture, pour lui dire ensuite : « Va, tu es gracié ! » Cet homme-là pourrait peut-être raconter ce qu’il a ressenti. C’est de ce tourment et de cette angoisse que le Christ a parlé. Non ! on n’a pas le droit de traiter ainsi la personne humaine ! »
Fiodor Dostoïevski, L’Idiot, chapitre II

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Fred Le Chevalier, sérigraphie

Il est vrai que l’Idiot de Dostoïevski a été pour moi le plus grand des livres tout au cours de mon adolescence, l’incarnation de l’antihéros qui devient le personnage-phare grâce à sa sensibilité exagérée plutôt qu’en dépit de cette sensibilité même. Il est vrai aussi que je me suis beaucoup identifié en lui, dans ce passé révolu. Mais mon existence ne ressemble pas du tout, quant aux malheurs et aux handicaps, à celle du prince Léon Nicolaïévitch Mychkine ni à celle d’un poète comme Leopardi ou Borges, ou Proust…
Et pourtant, sans crainte de démenti, je peux affirmer que mes parents — très inquiètes au sujet de ma sensibilité qui pouvait selon eux aboutir à une sorte de fragilité… ou même à une auto-exclusion du monde… — ils ont fait le possible pour m’obliger à devenir « normal » (comme notre Président) et pour que je monte une famille, tout en me fabriquant une identité professionnelle dans un domaine honnête et respectable :
« Ne laisse pas le certain pour l’incertain ! »
« L’homme est l’auteur de sa propre fortune… »
« D’abord la vie, après la philosophie ! »
Combien de fois ai-je refoulé mes pinceaux dans la petite valise de bois ! Combien de fois me suis-je obligé à calculer des pourcentages et à écrire des relations techniques dans lesquelles se cachait l’orgueil de l’écrivain ?
« Tu sais si bien écrire, tu sais si bien faire des croquis… »
Voilà le petit compromis que je m’accordais pour voir le gris en rose dans mon travail passionnant, mais dur, riche de possibilités, mais plein d’empêchements !
« Apprends l’art et mets-le de côté ! »
Voilà la phrase la plus récurrente autour de moi tout au long des années 1960 et 1970 : « Apprends les possibilités qu’offre une sensibilité exploitée au-delà de la norme ; mais profite de plus en plus des bénéfices de l’insensibilité. Fabrique-toi un cœur dur ! »
Je n’ai aucune difficulté à admettre que j’avais pris au pied de la lettre ce « diktat » pratique. Je me suis même compénétré dans le rôle ingrat de celui qui traîne les autres dans les initiatives voire dans les petites entreprises professionnelles. Et je me suis trouvé confronté aux incompréhensions, aux ruptures, à la solitude parfois. Pas véritablement la solitude du pouvoir, car j’ai toujours gardé une intransigeance esthétique vis-à-vis des situations sombres ou équivoques qui risquaient de se produire, que j’ai su détourner. Pourtant, cela suffisait, sans me rendre insensible aux exigences des autres, à me rendre antipathique à moi même. Je ne me supportais pas. Ce fut ainsi qu’un jour j’ai décidé de ne pas pousser la pédale au-delà des limites du respect humain, de l’estime et de la compréhension réciproque. Mon avenir professionnel s’est alors transformé en un présent plus dur et engageant. Mais finalement, cela correspondait à mon tempérament, à ma nécessité esthétique de ne pas être responsable de laideurs, fossoyeur de tout ce que j’aimais intimement.
Ensuite, j’ai réussi à m’éloigner des incompréhensions et des ruptures; mettant finalement la profession libérale de côté, pour seconder mon tempérament d’artiste.

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Mais je peux aussi bien citer un échange de boutades que j’avais eu au cours des années avec Franco Farina, directeur de la Galerie d’Art moderne de Ferrare. Un homme extraordinaire et plein de touchante ironie.
En automne 1973 j’allai chez lui avec mon ami Franco Cazzola pour lui soumettre mes aquarelles et mes dessins. Avec une grande loupe lumineuse, Farina examina très sérieusement mes tableaux, avant de constater que là-dedans il y avait un penchant évident pour la « vicenda », c’est-à-dire pour les vicissitudes humaines.
Il me proposa, d’un ton de défi et d’incrédulité, d’illustrer les chants et les personnages du Roland furieux cinq siècles depuis la naissance de l’Arioste (1474-1974).
Je restai perplexe, mais mon ami m’encouragea. L’ambiance de la région Emilia-Romagna, véritable maison d’Atlas, se prêtait fort bien pour y trouver plusieurs sources d’inspiration.
En fait, Farina venait souvent me chercher dans mon bureau et s’amusait à dire que je profitais énormément de la névrose du train train de cette « niche », devenue désormais ma seconde famille.
Ensuite, j’eus l’émotion de cette exposition à côté de grands artistes célèbres, avec un succès immédiat et spontané. Je demeurais embarrassé quand le gardien de la salle d’exposition m’appelait « maestro ». Je restai aussi stupéfait lorsque Franco Farina me dit : « voilà un succès qui arrive tout seul, sans que personne ne doive s’engager pour le défendre ou le relancer, comme il arrive au contraire dans la région Emilia-Romagna… »
Ensuite, mon excessive sensibilité — dont on faisait le possible pour que j’en aie honte — m’a amené à considérer comme impossibles de nouveaux exploits créatifs après celui de Ferrare 1974.
De quelques façons, j’avais désobéi aux désirs de mes parents. L’unique possibilité pour rentrer dans leur estime c’était être gagnant. Selon leur vision sous-entendue, j’aurais dû faire de l’art un métier comme les autres. Rentrer dans de nouvelles règles. Je ne me jugeais pas capable de la détermination ni du cynisme que je voyais dans la plupart des artistes reconnus. Je n’étais pas du tout prêt à devenir adroit, hautain et antipathique, du moins au lendemain de ce « succès » qui avait traversé comme un météore mon ciel et mes tripes.
Quelques ans après, en 1983, j’avait réussi à m’engager dans une double existence où la peinture et la poésie avaient leur espace privilégié ainsi que leur lumière. Mais c’était trop tard pour profiter de la petite gloire que le Roland furieux m’avait sans doute apportée. J’allai voir à nouveau Franco Farina. Très gentiment, pour provoquer peut-être en moi une réaction combattante, celui-ci me dit « Laisse tomber ! Tu n’es pas Picasso… tu as une famille nombreuse ! »
Avec le temps, sans obtenir plus son écoute, par de lettres dévotes je lui avais lancé de temps en temps des signaux, pour lui raconter les pas en avant que j’avais accomplis dans mon travail d’artiste acharné :
« Je vois se développer en moi, de plus en plus, un tempérament d’artiste… »
Plus tard, mon cousin Paolo Perrotti, psychanalyste, m’aurait appris que cela était la chose la moins indiquée de « vanter la faute ».
Vanter la faute ! Pour le seul fait d’avoir un tempérament d’artiste ! C’est comme dire qu’on est né avec des yeux gris, que ce jour-là on pesait quatre kilos et que le premier mot que nous avons prononcé — après une longue attente inquiète de la part de nos parents — n’a pas été maman ou papa, mais « acqua », eau…
Ce matin, cherchant sur Internet pour vérifier si j’avais choisi le bon terme, j’ai trouvé en Herbert French quelqu’un qui a dit mieux que moi ce que veut dire « tempérament d’artiste » depuis la nuit des Temps.

Giovanni Merloni

Un Moyen Âge contemporain et même futur dans « La rive interdite » de Claudia Patuzzi

21 jeudi Mai 2015

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Écrivains et Poètes de tout le monde, Claudia Patuzzi

001_giovanni Mes chers lecteurs,
voilà ci-dessous le dernier article de cette série d’anciens commentaires, que j’avais publié comme « article d’ouverture », le 12 juillet 2010, dans mon ancien blog.
Ce fut juste autour de cette date que je commençai mon aventure de « blogueur ». Il y a exactement cinq ans, j’entamais une « carrière » assez courte et peut-être insuffisante, que je juge pourtant déjà longue, non seulement en raison de l’intensité du travail accompli, mais aussi de nombreuses « choses faites ».
Cinq années correspondent d’ailleurs, en Italie, au temps qu’on doit consacrer aux études supérieures et aussi, dans mon cas spécifique, au temps que j’avais décidé de « perdre »… pour atteindre la « laurea » (1) en Architecture, « rien qu’un bout de papier » selon ce que l’on disait, qui m’a pourtant permis d’accéder directement à l’examen pour l’habilitation à la profession d’architecte et, ensuite, au travail plus ou moins adapté à mes exigences ou rêves.
Donc, puisque je n’ai pas eu la chance de traîner pour attendre le bon moment pour rentrer dans le monde universitaire afin de m’y intégrer… et que j’ai entamé, au contraire, tout de suite après le diplôme, mon travail dans « le monde extérieur », je pourrais, par symétrie, considérer ces cinq années d’activité avec mes deux blogs comme une phase d’études de base ou universitaires… Un savoir-faire générique, dont il faut se libérer si l’on veut faire quelque chose dans la vie !
Mais je ne sais pas si j’en aurai la force. Car je commence à me plaire de cette activité paresseuse et engageante à la fois…

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Revenant à l’article que je vous propose ci-dessous dans sa version originale, j’avoue que j’aurais beaucoup de choses à ajouter au sujet de ce livre qui m’est devenu de plus en plus familier et que la plupart de vous ont lu dans « décalages et métamorphoses », le blog de l’écrivaine qui nous a fait cadeau de cette histoire belle et poignante.
Je pourrais d’ailleurs raconter ce que j’ai retenu de la double observation de ce livre sur le plateau théâtral du blog et derrière le rideau d’un laboratoire contigu au mien. Peut-être, un jour je me déciderai à le faire…
Maintenant, je me pose juste une question. De quelle façon ce livre, âgé désormais de cinq ans dans sa version française, a-t-il traversé ce temps ? A-t-il vieilli ? A-t-il, au contraire, rajeuni ?
« Après avoir tout lu, le plus attentivement possible, ferme le livre ! Ensuite, ferme les yeux et les mains comme dans une prière de l’esprit… avant de t’abandonner doucement au travail de la mémoire ! » Voilà ce que me disait au mot près mon grand-père maternel, Alfredo Perna. Certes, il s’accompagnait par des gestes très efficaces et surtout péremptoires. D’ailleurs, ce qu’il prêchait de sa façon gaie et charismatique devait se faire tout de suite après la lecture, pour rien ne perdre des passages logiques ou des images qui font de pont dans chaque narration. Ou des personnages…
Au cours de ces cinq ans de blog et d’apprentissage de la langue ainsi que des moeurs littéraires de France, combien de fois ai-je jeté mon regard sur cette jeune femme inspirée prénommée Regard ! Combien de choses ai-je apprises, dans ce « roman », au sujet de cette philosophie européenne qui essayait de s’émanciper du pouvoir absolu d’une église impérialiste et violente !
Cinq ans sont beaucoup, et je n’ai pas du tout respecté les règles qu’Alfredo Perna m’avait dictées. Maintenant, même si le livre est encore là, dans une étagère connue, je devrais avoir tout oublié, presque. Je ne devrais avoir qu’un pâle souvenir de cette fillette, de sa mère plantureuse, de son ami sincère, du jongleur Mathurin ainsi que de cette Gudule fabuleuse, ressemblant pourtant, comme une goutte d’eau, à ma tante Augusta, fille d’Alfredo…
Oui, c’est vrai, cette « rive interdite » a vécu parmi nous, s’emmêlant à la vie quotidienne de notre famille même, sans que nous en eussions la conscience entière. Elle a voyagé avec nous, jusqu’au jour où elle s’est miraculeusement superposée à la véritable rive parisienne, restée la même depuis toujours. Une espèce de coïncidence créée par le livre de Claudia Patuzzi nous a donné la chance de franchir ce mur invisible qui sépare le monde réel du monde qu’on apprend dans les livres…
Donc, je suis un lecteur privilégié, tel un habitué de la Comédie française ou de l’Opéra Bastille. Je pourrais moi-même endosser les draps de Mathurin, ou de Marcel, ou aussi d’un des voyous qui participent au viol de la misérable fillette, en me chargeant d’un énième sentiment de culpabilité… je pourrais aussi participer à la mise en scène, en film ou en bande dessinée de ce texte-cathédrale. Mon avis serait tellement partisan que je devrais finalement me taire.
Mais je suis sûr que n’importe quel lecteur éloigné et inconnu — même s’il y a cinq ans il n’avait pas tout compris, même s’il n’avait pas eu la chance de tout apprécier dans les nuances et cordes les plus intimes —, il serait maintenant en condition, les yeux fermés, de nous représenter les lieux, les personnages et le sens profond de ce livre qui résiste au temps.
Un livre-personne qui abandonne volontiers son étagère pour s’immiscer dans la vie réelle. Il me semble de le voir assez distinctement. Il est assis au petit matin sur un banc en pénombre du pôle emploi. Entouré d’une foule agitée, il est depassé par des gens rusés qui avancent à coups de coude… Mais il attend tranquille, imperturbable. Son « Regard » est confiant.

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Un Moyen Âge contemporain et même futur dans « La rive interdite » de Claudia Patuzzi

Un grand intérêt — pas seulement pour les Français qui aiment l’Italie ou pour les Italiens désormais installés depuis longtemps en France — nous vient de ce roman « La rive interdite » (Édition Normant 2010, 233 pages), qu’a écrit l’écrivaine italienne Claudia Patuzzi.
Publié en 2001 sous le titre « La riva proibita », ce livre avait été accueilli en Italie par de très favorables critiques. Ce roman touche d’ailleurs plusieurs niveaux de sensibilité et d’intérêt, ne se bornant pas à donner envie de connaissances plus approfondies, autour des sujets traités, à des lecteurs qui aiment à la fois la philosophie et l’histoire de Paris.
Sans se dérober au tableau vivant d’une partie cruciale de l’ancien Paris, Claudia Patuzzi met au centre de la narration une jeune fille dans une situation malheureuse et misérable qui ne voudrait pas renoncer à sa formation intellectuelle et humaine, malgré l’inégalité, la violence et l’ignorance du contexte auquel elle appartient. Elle ne veut pas renoncer non plus à l’amour, qui s’affirme toujours comme force traînante et révélatrice de la vérité.
Évidemment, le défi littéraire que l’auteure a affronté comporte un décalage continu entre la voix de Regard qui « découvre » la vie et la voix de l’auteure, qui explique à voix haute, au temps présent, un monde qu’on nous a souvent présenté de façon scientifique ou abstraite. Ce que je constate c’est une parfaite réussite de cette double narration (qu’on devrait multiplier pour deux ou quatre, car chacune des deux narratrices alterne la réflexion et la rêverie ; le plongeon dans une réalité qu’on ne pourrait plus impitoyable et la sortie dans les mondes de l’art, de la science du temps, de la religion ou de la philosophie).
D’ailleurs, plus que d’une réussite, on devrait parler d’une cohérence de ce double regard avec la personnalité même de l’écrivaine. Car en fait cette façon de raconter et de créer une scène fictive est « sa » façon spécifique de voir et d’être.
Je découvre aussi une incroyable cohérence dans ce Moyen Âge moderne ou même futur que Claudia Patuzzi traverse sur le véhicule invisible de la suggestion et de la télépathie. Elle n’a pas de complexes, étant parfaitement capable de lancer des ponts depuis son univers contemporain vers une ville qui « doit » nécessairement se tenir debout avec des règles, des habitudes, des rites qui « ne peuvent pas » trop différer des règles, des habitudes et des rites connus dans notre vie d’aujourd’hui.
Il suffit de faire un voyage à rebours, par exemple, dans nos années soixante ou soixante-dix du siècle passé, désormais refoulées et perdues dans des endroits de l’Italie maintenant effacés et insaisissables… pour s’apercevoir que ces années-là sont devenues même plus éloignées que le Moyen Âge à Paris… Car Paris possède bien sûr une identité absolument unique, qui n’a pas changé, peut-être, depuis sa naissance…
Les divers commentaires qu’on a écrits sur ce livre s’occupent surtout de souligner l’étonnante pertinence des descriptions du Grand Cul-de-sac, un quartier de Paris au XIIIe siècle dont beaucoup de traces et mémoires se trouvent dans les documents anciens et dans les œuvres de nombreux écrivains, Rabelais en particulier (nous sommes dans la rive droite, tout près de l’église de Saint-Merri et du Centre Pompidou, pas loin de l’ancienne place de Grève et de la Seine). Si le respect des lieux (et de la façon d’être et de vivre de la population installée à l’époque) est un souci primordial pour Claudia Patuzzi — essayiste experte ayant beaucoup fouillé dans les archives de Paris —, ces mêmes lieux ne seraient qu’une scène sans âme s’il n’y avait pas en elle, comme nous l’avons dit ci-dessus, un véritable talent dans la reconstruction et réinvention de la vie parisienne au Moyen Âge.
Cet exploit prodigieux — dont on pourrait profiter pour un film sans effets spéciaux — est dû aussi à la force du personnage-clé du roman, Regard, une jeune fille analphabète qui grandit au milieu des soins distraits de sa mère prostituée et les suggestions de quatre personnages extravagants et généreux (Gudule, Mathurinus, Péringerius et Geberlinus) qu’elle a découverts avec une sorte d’infaillibilité et qu’elle suit de façon aveugle comme de véritables maîtres de vie.
Avec sa tresse blonde que rien ne peut abîmer, elle traverse la scène du Grand Cul-de-sac et de ses alentours à la recherche d’un destin de liberté qui n’est pas la liberté de la richesse ou d’un train de vie plus tranquille. Elle confie, sans en être consciente, dans un progrès de l’âme que peuvent amener la connaissance et l’amour. Même si la vie ne lui épargne pas de preuves rudes et violentes tout à fait contraires, Regard voudrait s’en sortir.
Voilà une hypothèse anachronique et peut-être la projection d’une sensibilité féminine de nos jours qui ne rentre pas dans l’idée reçue de la condition humaine au Moyen Âge. Une petite provocation qui reprend, sous une différente psychologie, les attitudes anticonformistes de l’Esméralda de Victor Hugo sur les planches de Notre Dame de Paris.
Mais si cette hypothèse reste théoriquement praticable dans le cas d’une fillette en deçà de toute expérience, le lecteur restera doublement étonné et fort bouleversé quand il verra cette fille, violentée et abusée dans son âge encore tendre, essayer tout de même de croire à la possibilité de vivre, à l’amour.

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C’est à ce moment-là que deux aspects majeurs du roman deviennent évidents en assumant leur force vitale. La découverte de l’amour du jeune clerc Marcel — élève des philosophes Sigier du Brabant et de Boèce de Dace — se lie strictement au besoin primordial de Regard de « passer le pont », d’aller finalement voir ce qui se passe dans la rive gauche de la Seine, cet endroit dont on ne perçoit que des prohibitions et des menaces.
Toutes les aspirations vitales de Regard se concentrent alors dans ce but : franchir l’interdiction, renverser tout destin marqué en avance. Mais cela sera empêché par la force symbolique d’un seul mot. C’est le mot « philosophie » que Marcel prononce inspiré au cours des séances amoureuses, en provoquant dans la jeune femme des sentiments contradictoires aboutissant à une véritable jalousie. Elle ressent immédiatement cette « philosophie » comme un danger, une force capable d’emporter son ami loin d’elle. Une force antagoniste si c’est une femme qui s’appelle Philosophie. Une force bénigne, par contre, si elle apporte des changements dans tout ce qui est établi.
Cependant, la petite Regard ne possède pas tous les instruments nécessaires pour maîtriser une telle question. Elle osera donc franchir le fleuve, se déguiser elle-même en clerc pour voir « de ses yeux ». C’est le moment clou de la condamnation de l’hérésie de Sigier et de Boèce, le moment où la philosophie bienfaisante et rebelle est arrêtée sinon tué par la philosophie installée depuis toujours au pouvoir. Regard ne peut pas comprendre toutes les nuances de ce combat d’hommes et d’idées, mais elle comprend quand même que c’est la fin de quelque chose de très important. Et c’est la fin pour elle aussi. Car dans le moment plus dramatique de la dispute entre l’église officielle et les philosophes désireux d’inaugurer une nouvelle ère de la pensée chrétienne, elle s’aperçoit de la distance immense qui la sépare de Marcel. Il n’est plus l’amant tendre et passionné des fabuleuses rencontres derrière les buissons auprès des remparts. Il ne la voit pas, n’intervient même pas quand Regard est grossièrement agressée par un groupe de clercs. Plus tard, rentrée dans le grand-cul-de-sac, elle s’empoisonne avec de l’eau des égouts. Peu après elle se repentira de ce geste : « Ma vie est à moi », s’écriera-t-elle en mourant. Trop tard.
Un livre très poignant, capable de maintenir le lecteur dans un état de suspense continu. Peut-être, une fois refermé le livre, quelqu’un se demandera : « Pourquoi une Italienne a-t-elle voulu s’exiler à Paris pour s’y raconter ? »
Voilà une possible réponse. Le motif-clou de ce roman est justement dans cette idée aussi paradoxale que consciente de Claudia Patuzzi de se déguiser en une jeune misérable, à sa fois déguisée en jeune clerc, pour entrer en clandestin dans un milieu culturel parmi les plus reconnus dans le monde. D’une façon à la fois ironique et dramatique, elle veut témoigner à travers ce personnage vivant et sincère qu’elle aussi a finalement atteint, avec sa propre vie et son propre sang, la maturité d’une écrivaine digne de respect.

Giovanni Merloni

(1) Diplôme qu’on obtenait à mon époque (février 1970) à la fin de quatre ou cinq ans d’études universitaires (cinq pour la faculté d’Architecture.

VALENTINO ZEICHEN POETA ROMANO …

16 samedi Mai 2015

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Écrivains et Poètes de tout le monde

Valentino Zeichen, un poète de Rome, habite encore, heureusement ! sous un abri provisoire mais digne au milieu des pins de Villa Borghese…

PIAZZA DI SPAGNA
ex porto di ripetta – piante facsimili

Di piazza di spagna
la scalinata ha pianta
a forma di farfalla
che per magia di specchi
sembra s’involò altrove
col suo calco riflesso
verso un gemello progetto.
Anche la scalettata
farfalla di marmo
dell’ex porto di Ripetta
ha spiccato il volo.
Causa una piena del Tevere
la barcaccia s’è arenata
in piazza di Spagna
e là è rimasta, semisommersa.
L’architetto Alessandro Specchi

ha riflesso appena un miraggio.

Valentino Zeichen

« Rhapsodie sur un thème seul » de Claudio Morandini

16 samedi Mai 2015

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Écrivains et Poètes de tout le monde

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« Rhapsodie sur un thème seul » de Claudio Morandini, Manni Editori 2010

Lorsqu’on est déjà à moitié lecture – de plus en plus captivante –, on dirait que ce livre n’ait pas été écrit d’un Italien, et surtout pas du Nord américain Ethan Prescott ou de son compagnon Carl Thalberg. Même pas d’un Russe – comme le compositeur Rafail Dvoinikov – ou d’une Russe – comme son assistante Polina. Une sorte de dépersonnalisation entraîne le lecteur, en traversant sa peau, ses gestes et comportements. Ce sont peut-être les premiers symptômes de la transmutation babélique qui nous emmènera tous vers une identité planétaire nouvelle et tout à fait inconnue. Et c’est aussi le choix primordial de l’écrivain italien Claudio Morandini, auteur de cette « Rapsodia su un solo tema », un roman qui n’a pas encore été traduit en français (il s’appellerait ici « Rapsodie sur un thème seul »), que j’ai trouvé très intéressant pour un vaste réseau de lecteurs — bien au-delà du seul contexte italien. Ce choix correspond, je pense, à la nécessité qui caractérise ce roman : dire la vérité, raconter l’histoire d’un artiste pur et génial qui survit au système de pouvoir soviétique, dire tout cela d’une façon qui ne soit pas donnée ni obligée. Dire, en même temps, la vérité sur la liberté présumée dans laquelle un musicien dudit occident libre, plus jeune, analyse l’obscur dossier de son mythe russe, en révélant au lecteur et à soi-même ce que lui coûte la survie dans le système actuel, déréglé et postmoderne, qui connaît maintenant aux États-Unis une phase problématique sinon désespérée. Dire tout cela n’est pas facile, cependant Claudio Morandini y arrive, grâce à la nonchalance par laquelle le protagoniste s’exprime en mots et actions. En plus, le deuxième choix, celui de tourner toute analyse et chaque événement autour du thème musical ou pour mieux dire de la musique tout court, représente un véritable défi. En même temps, la musique, cette hydre à mille têtes, offre à l’auteur la possibilité de faire jaillir la vérité à travers plusieurs registres et plusieurs tableaux. Et ce livre cesse bien tôt d’être la rapsodie sur un thème de Rafail Dvoinikov — thème insisté, exclusif voire obsessionnel qui serait la force et la disgrâce de ce compositeur. En réalité, c’est lui, l’auteur, qui structure son livre sous la forme d’une rapsodie. La musique est donc un personnage omniprésent du livre. Elle est aussi la colonne centrale qui en soutient l’architecture, du premier mot jusqu’au dernier. Mais ce livre va bien au-delà de cela. Le protagoniste du roman, le narrateur voyageur nord-américain Ethan Prescott, est un musicien assez créatif, intégré en même temps dans un contexte élitaire et privilégié où l’on a désormais autorisé à s’occuper d’un auteur russe très âgé, très peu connu en occident, qui a eu de grands succès quand il était jeune, mais n’a pas su correspondre aux désirs d’un système de pouvoir aussi stupide et méfiant que celui de l’U.R.S.S. après les années 20 : « Dvoidikov, hardi sur le pentagramme, a du apprendre l’art de déguiser son tempérament, de faire semblant qu’il n’était qu’un simple exécutant de directives d’autrui – sans jamais y réussir : dans cet échec est la grandeur de sa musique, qu’aujourd’hui nous pouvons lire comme un exemple — entre les plus évidents – d’un art aussi irrésistible qu’il échappe à son créateur même. » L’histoire de Rafail Dvoinikov, que l’auteur a tissée avec une singulière complexité de niveaux narratifs – du niveau minimaliste du journal plein d’idées d’Ethan Prescott à celui où le même Prescott nous raconte de façon émotionnelle et émotionnante ses rencontres parfois inquiétantes avec le musicien russe et Polina, son assistante et interprète ; du niveau des incursions de la musique techno dans le travail artistique du narrateur-voyageur-musicien à celui des “reportages du futur” d’un contemporain de Mozart et Gluck qui ose fréquenter théâtres et salles d’enregistrement du vingtième siècle – cesse bien tôt de se présenter comme l’histoire de celui qui a composé “L’antisymphonie”, la “Symphonie numéro zéro” et d’autres œuvres novatrices. Ce ne sont pas seulement les vicissitudes aussi terribles que vitales de Dvoidikov qui tapent sur une seule touche, ou, si l’on veut, sur un seul thème. C’est évidemment Ethan Prescott, capturé par son voyage intercontinental qui le catapulte dans un train très incommode qui fait la navette dans la Russie post-soviétique — en l’obligeant à la douloureuse recherche du sens de sa propre vie et de soi-même —, c’est lui l’auteur, avec Claudio Morandini, d’une rapsodie sur un seul thème, c’est-à-dire d’un chant très complexe où le but primordial est celui de placer l’homme – avec toute la matérialité de ses sentiments – au centre de la scène. C’est juste là au centre de la scène que nous découvrons l’aspiration intime de ce livre : l’artiste le plus fatigué de l’absence de communication entre ses attentes d’expression et de contact et son public distrait et hostile – fatigué aussi des difficultés d’avoir des interlocuteurs qui ne soient pas des murs ou des voix ensevelies dans de vieilles partitions — aura des chances lui aussi. Il est inévitable. Il trouvera dans des rencontres – importantes ou casuelles – une raison pour avancer, pour insister, pour espérer. Le point caché de ce beau roman réside enfin dans la nature tragique d’Ethan Prescott, qui est aussi le moi-narrateur. Il porte son homosexualité de façon tranquille, jusqu’aux derniers chapitres, lorsqu’elle devient la cause d’une incommunicabilité infranchissable. Il ne peut pas correspondre à un sentiment partagé. Cela est un revers constant dans la vie de tout le monde, un anneau fragile qui nous fait apercevoir, d’un coup, en lecteurs, le côté dramatique d’un malentendu, lorsque de vraies passions sont en jeu. À mon avis, dans cette histoire douloureuse, qui place enfin la très célèbre musique – qui est aussi raison de vie — dans la perspective de son amoindrissement, Claudio Morandini a voulu dire : Oui, c’est probable, la gloire n’arrivera jamais. Une véritable gloire n’appartient pas à ce monde-ci, elle arrive toujours à quelqu’un d’autre, comme la mort précoce. Tout cela est prouvé par les compétitions éternelles, les jalousies et les envies qui assombrissent dès toujours les grands génies pour garder la place, du moins dans le présent, aux médiocres, aux vendus, et cetera. Mais il faut faire attention ! Si un jour la gloire arrive exprès pour nous — car elle a décidé qu’elle veut correspondre à notre amour inépuisé, à notre cour interminable et pleine de chefs-d’œuvre —, à ce moment-là il faut être prêts ! Peu importe si la gloire nous sourit parce que nous sommes adroits ou beaux et fascinants ou pour la somme de tout cela. Il nous peut arriver de provoquer l’amour de quelqu’un que nous avons rempli d’attentions. Il peut arriver, par conséquent, que la gloire, appelée Polina dans le livre, tombe amoureuse. Elle est convaincue, elle est prête, elle désire qu’on la ravît, qu’on l’emmène, avant d’être, comme on dit souvent de la gloire, chevauchée.

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Claudio Morandini

Ethan Prescott ne peut pas aimer Polina, car il est homosexuel. Mais cette passion qu’il a provoquée en elle ne le laissera pas tranquille. Ici la distance se reproduit entre l’artiste qui voudrait communiquer et le monde tout à fait indifférent. Une grande illusion se brise, la plus résistante certitude tombe, que nous avions gardée depuis nos années au lycée : les vers de Dante ne sont pas toujours vrais :

« Amor ch’a nullo amato amar perdona, mi prese del costui piacer sì forte, che, come vedi, ancor non m’abbandona. » « Amour, qui force tout aimé à aimer en retour, me prit de la douceur de celui-ci que, comme tu vois, il ne me laisse pas. » (1)

Mais, lorsqu’on arrive à la dernière page, avant la postface, le livre nous propose une nouvelle suggestion, totalement opposée. La gloire c’est nous, peut-être, car nous avons eu toujours un peu de gloire. Et si nous ne sommes pas capables de la donner à ceux qui nous aiment, nous ne pouvons pas la prétendre de ceux qui ne nous aiment pas.

Giovanni Merloni

(1) Dante, Enfer V 103-105, traduction de Jacqueline Risset.

TEXTE EN ITALIEN

L’irréalité en « temps réel »

15 vendredi Mai 2015

Posted by biscarrosse2012 in les échanges

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L’irréalité en « temps réel » « 

Cela me rassure, l’idée de plus en plus tenace et définitive, que je ne passerai pas sur les ponts de l’histoire pour être regretté ou loué en raison de mes mots ou gestes poétiques jetés sans précautions dans la roue du temps qui fuit. Mais cela ne veut pas dire qu’entre-temps, au cours de ma vie, j’aurais enduré pacifiquement, voire avec insouciance, ce rapport pénible avec le monde qui change. Car j’avoue avoir un corps, et une sensibilité aussi. Mes circuits souterrains, où tout coule péniblement comme un métro malade — à commencer par le sang et les autres essences vitales —, ont la parfaite conscience et même la terreur vis-à-vis de tout ce qui pourrait faire exploser, voire arrêter à jamais le précaire équilibre du sourire et de l’envie de recommencer cette merveilleuse routine du jour et de la nuit. Je me méfie des gagnants. Et pourtant je n’aime pas non plus me placer parmi les perdants et les nuls. » Je reçois aujourd’hui, juste au crépuscule d’une journée très active, cette lettre embarrassante. C’est un vieil ami, avec lequel j’ai partagé une phase tellement refoulée de mon existence que j’hésiterais beaucoup à fouiller dans les souvenirs des lieux enfumés et vagues et des personnes plus ou moins réelles qui ont assisté à nos discussions infinies, à nos efforts de franchir ensemble un obstacle invisible qui s’appelait « vivre ». Partir, mourir, se risquer, s’identifier en quelque chose qui pouvait nous représenter, plonger dans la mer en bourrasque avec l’inconscience de désespéré… que pourtant soutient une irréductible confiance intime… Nous l’avons fait. Nous avons nagé, nous avons créé des familles avec lesquelles nous avons vécu. Et pourtant, une fois gagnée la rive opposée du fleuve, nous nous retournons en arrière. Nostalgiques, peut-être, ou en colère contre nous-mêmes. Ou alors, nous devons faire face à un quotidien où nous n’aurions jamais imaginé de vivre. Un quotidien insensé et pourtant réel… Une irréalité scandée de temps réels. Avec une parfaite synchronie entre le délit et le châtiment, une pénible harmonie entre la peine morale et corporelle et la sensation tout à fait bizarre d’une sorte de liberté pour tous. Nous avons devant cent ans de solitude que nous pouvons brûler dans un seul jour, pour recommencer le lendemain. Quel siècle choisis-je pour mercredi ? Vais-je passer mes cent ans bras dessus bras dessous avec Gustave Flaubert et ses petites obsessions littéraires ? Ou alors avec Giordano Bruno et ses pérégrinations philosophiques au milieu des étoiles ? Je suis de plus en plus convaincu que le métier de l’apprenti sorcier ne me convient pas : une « extraordinaire » solitude à la manière de Jules Verne n’est pas une bonne chose pour moi. Oui, il faut absolument que j’aille rendre visite à Karl Marx et Friedrich Engels. Oui, je le sais en avance, ils seront très contrariés et même égarés devant cette débâcle de la raison, devant cette aphasie des humains, devenus même incapables de se parler réciproquement et d’essayer de faire, ensemble, quelque chose… Je ne peux pas aller seul, il faut que je cherche quelqu’un d’autre qui partage mes convictions. Mais où le trouverais-je ?

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L’illusion de la malle de Pessoa

Ces derniers jours, j’ai suivi la énième illusion, celle de considérer mon blog — déjà plein de portraits et d’inconscience — comme la fameuse « malle » où Fernando Pessoa, dans son incontournable solitude, avait fourré toutes ses voix. Je me suis dit qu’il fallait avoir une obsession et me consacrer à elle. C’était l’unique possibilité pour arriver à des résultats cohérents et, en même temps, de contrebalancer les feux d’artifice de ce monde quotidien hors de nous qui voudrait nous embaucher dans des activités qui ne sont pas vraiment les nôtres… Twitter, par exemple… Comme vous le savez, j’ai entamé un travail de rangement, tout à fait nécessaire, de mes articles. Cela a montré bien sûr combien de pages peuvent se remplir dans l’accumulation aveugle d’une communication généreuse ou tout simplement prolifique. En même temps, dans mon cas, on voit bien que ce travail d’écriture laisse ici ou là de petites ombres. Cette merveilleuse chance du « work in progress » n’est pas qu’un alibi pour reporter « sine die » la mise à jour, voire l’impitoyable révision qui se révèle, au contraire, absolument nécessaire. C’est à ce point là que la contradiction dont je parlais s’est affichée dramatique et presque insurmontable. Je m’étais plongé, par exemple, dans la réorganisation des vingt-trois poèmes qui ont fait l’objet de la « réécriture poétique assistée » des poèmes « d’avant l’amour », dont quelques-uns de mes lecteurs et amis ont été partenaires et témoins empressés. Dans la phase du rangement, dans l’obligation de redonner à chaque poème un encadrement sobre et accueillant, j’ai dû le « séparer » du récit de mes rencontres avec chacun de mes « seconds pilotes », tout en gardant un lien strict et une continuité temporelle entre les deux publications. Par conséquent, j’ai dû lancer dans la toile, vingt-trois nouveaux articles. Juste le temps de deux jours, cela a été un véritable bombardement, qui a suscité, je crois, des réactions différentes. Et surtout mon angoisse. D’ailleurs, je ne pouvais pas « mutiler » mes anciens articles sans montrer, aux intéressés surtout, la solution que j’avais trouvée. Puisque je dois continuer, si je ne veux pas jeter mon blog aux orties — étant donné qu’il suffit d’une faute involontaire ou d’un petit faux pas pour abîmer et condamner à l’oubli même les œuvres les plus généreuses — je regrette un passé, encore très proche, où le rangement de vingt-trois poèmes se déroulait inéluctablement dans les quatre murs d’un endroit anonyme et fort reculé vis-à-vis du monde réel ! Même si l’on travaillait tout adossés à une cloison de carton-plâtre ! Aucun souci d’être entendus dans l’appartement d’à côté. Puisque l’écrivain ne chante ni ne joue du violon ou de la guitare..

Giovanni Merloni

Avant, Pendant-Durant et Après l’amour

09 jeudi Avr 2015

Posted by biscarrosse2012 in mes poèmes

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Écrivains et Poètes de tout le monde

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Avant, Pendant-Durant et Après l’amour

Je ne saurai jamais créer une « distance au personnage » suffisante. Même si ce personnage ne me ressemble pas, même s’il endosse des noms extravagants et neutres, celui-ci gardera toujours un aspect redoutable et embarrassant.
D’ailleurs, le déroulement des années ne suffit pas non plus à créer un filtre, un décalage acceptable.

Je me lève
et ma tête se tourne
poursuivant la lumière.
Toi, derrière,
de ton pas taciturne,
tu t’éclipses au-delà
de la ligne incolore
du dernier horizon. (1)

Les fragments de vie que ces poésies « d’avant l’amour » m’ont reportés dans leur inquiétante intégralité ont-ils servi à quelque chose ? Ont-ils créé ou élargi encore plus un gouffre déjà existant ? Ont-ils ouvert une différente vision de ce passé perdu, mort enterré à plusieurs égards ? Est-ce que je serai enrichi ou amoindri au terminus de cette course brinquebalante ? Et les lecteurs fidèles, ceux qui ont essayé de reconstruire la mosaïque ou le puzzle, est-ce qu’ils ont compris ou deviné quelque chose ? Est-il important, voire indispensable, de deviner ou savoir quelque chose ?
Si je m’éloigne vraiment, si je me cale dans ma fosse et que je regarde cette vie écoulée comme le film d’un autre, d’un ami ou d’un frère, je peux tout simplement évoquer une époque révolue, où les vies des jeunes hommes et des jeunes femmes avaient des contours et des couleurs tout à fait inimaginables aujourd’hui. Des vies dérangées et contrariées par des ordres aussi péremptoires qu’inapplicables voltigeant comme de nuages noirs sur un désordre de fond, sur un besoin inné d’insouciance, d’allégresse et d’amour.

Elle est la dernière lune
se perdant dans la chaleur du jour.
Elle est
ce coin reculé
où nos voix s’égosillent
et nos corps se croisent
encore une fois.
Elle est
notre lit endormi
où nos ombres silencieuses
s’effondrent. (2)

Ces poésies « d’avant l’amour » ne sont pas le résultat d’une méticuleuse récolte de traces et de preuves incontestables. Elles ont été « sauvées » plusieurs fois, de façon abrupte et charitable, lors de déménagements qui ressemblaient à des véritables tremblements de terre ou des naufrages. Impossible de leur donner un ordre, d’y discerner ce qui rentre effectivement dans ce limbe de « l’adolescence infinie » et ce qui appartient, au contraire, à d’autres phases de la vie adulte.
Les amants de la poésie savent bien que chaque poésie est un monde, cependant que trois ou quatre poésies en file indienne ne font jamais une histoire cohérente. Mais comment ne pas s’apercevoir, en lisant la poésie de mardi 7 avril, que les deux personnages se promenant le long d’un canal ne sont pas deux adolescents en train de mâcher des gommes américaines ? Elle n’est pas ma camarade du lycée qui se maria à l’improviste, peu après les examens finaux, avec un homme de trente ans qu’elle rencontrait depuis un an désormais. Elle n’est pas non plus la première ni la seconde femme que j’ai aimée dans une alternance de générosité et de masochisme. Il ne rentre pas dans ce climat flou « d’avant l’amour » une histoire de familles traversées par les tabous, les hypocrisies et la peur… Tout agit dans le fond d’un corps embaumé dans une espèce de chasteté protégée et chérie par mille caresses féminines…
Avant l’amour, on assiste à l’amour des autres. Pendant l’amour, on subit le regard envahissant et jaloux des autres. Après l’amour… Il n’y a pas vraiment un véritable « après l’amour », même après notre mort. Nous aurons été vivants, et amoureux, comme Monsieur de La Palisse, jusqu’au dernier instant, jusqu’au dernier souffle.

Ô combien me ressemble
cette mort souveraine
soufflant sans peine
sur nos fronts détendus !
Avec quelle élégance passe-t-elle
avec la nuit, sa sœur jumelle
devant les murs, les vitrines
et nos médiocres rétines
au milieu d’une joyeuse traînée
de cendres et fumées… (3)

Et pourtant la vie reste un mystère. Comme dans cette poésie de mardi ci-dessous. Nous étions mal compris, frustrés, visiblement souffrants : « avec ce poème… nous assistons à un être inquiet… Je pense que vous avez dû vivre une expérience pénible avec une femme que vous avez beaucoup aimé et dont le souvenir vous a laissé un malaise emprunt de remords », m’a écrit une chère amie dans un message très récent. Cependant, quelque chose doit être arrivé, un beau (ou mauvais) jour. Parce que ce même personnage désespéré et pathétique s’effondrant dans les bancs publics avec des attitudes de Pierrot lunaire… est devenu tout d’un coup un homme désinvolte. Un « satirone » (4)

Giovanni Merloni

(1) J’approche d’un mur de plâtre
(2) Foulard céleste
(3) Tes cils clairs font des tours
(4) Un « vieux satyre » en italien

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